Добавил:
Upload Опубликованный материал нарушает ваши авторские права? Сообщите нам.
Вуз: Предмет: Файл:
bodin_six_livres_republique.pdf
Скачиваний:
24
Добавлен:
02.06.2015
Размер:
1.57 Mб
Скачать

Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

293

[p. 512]

CHAPITRE III

Le moyen d'empêcher que les monnaies [ne] soient altérées de prix ou falsifiées

Retour à la table des matières

Il me semble que ce point ici mérite d'être bien entendu par celui qui veut établir sagement une République, ou réformer les abus [de celle-ci], d'autant qu'il n'y a rien qui plus travaille le pauvre peuple que de falsifier les monnaies, ou [d'en] varier le cours, combien que les riches et pauvres chacun en particulier, et tous en général en reçoivent perte et dommage incroyable, et qui ne se peut remarquer par le menu, tant [il] y a d'inconvénients qui en viennent à réussir. Car si la monnaie, qui doit régler le prix de toutes choses, est muable et incertaine, il n'y a personne qui puisse faire état au vrai de ce qu'il a : les contrats seront incertains, les charges, taxes, gages, pensions, rentes, intérêts et vacations incertaines ; les peines pécuniaires et amendes limitées par les coutumes et ordonnances seront aussi [p. 513] muables et incertaines ; bref, tout l'état de finances et de plusieurs affaires publiques et particulières seront en suspens, chose qui est encore plus à craindre, si les monnaies sont falsifiées par les Princes, qui sont garants et débiteurs de justice à leurs sujets. Car le Prince ne peut altérer le pied des monnaies, au préjudice des sujets, et moins encore des étrangers qui traitent avec lui et trafiquent avec les siens, attendu qu'il est sujet au droit des gens, sans encourir l'infamie de faux-monnayeur : comme le Roi Philippe le Bel fut appelé du poète Dante, falsificatore di moneta, pour avoir le premier affaibli la monnaie d'argent en ce royaume de la moitié de [la] loi, [ce] qui donna l'occasion de grands troubles à ses sujets, et [fut] de très pernicieux exemple aux Princes étrangers, dont il se repentit bien tard, enjoignant à son fils Louis Hutin par son testament, qu'il se gardât bien d'affaiblir les monnaies. Et, pour cette même cause, Pierre IV Roi d’Aragon confisqua l'état du Roi de Majorque et Minorque, qu'il prétendait être son vassal, pour avoir affaibli les monnaies. Combien que les Rois mêmes d’Aragon en abusaient aussi, de sorte que le Pape Innocent III leur fit défense, comme à ses vassaux, d'en user plus ainsi ; suivant lesquelles défenses, les Rois d’Aragon venant à la couronne, protestaient de ne changer le cours ni le pied des monnaies approuvées. Mais il ne suffit pas de faire telles protestations, si la loi et le poids des monnaies n'est réglé comme il faut, afin que les Princes ni les sujets ne les puissent falsifier quand ils

Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

294

voudront, ce qu'ils feront toujours ayant l'occasion, quoiqu'on les dût rôtir et bouillir. Or, le fondement de tous les faux-monnayeurs, laveurs, rogneurs, billonneurs, et des escharcetés et faiblages des monnaies ne vient que de la mélange qu'on fait des métaux, car on ne saurait supposer un métal pur et simple pour un autre, [considérant] la couleur, le [p. 514] poids, le corps, le son, et la nature de chacun, différente des autres.

Il faut donc pour obvier aux inconvénients que j'ai déduits, ordonner en toute République, que les monnaies soient de métaux simples, et publier l'édit de Tacite, Empereur de Rome, portant défenses sur peine de confiscation de corps et de biens, de mêler l'or avec l'argent, ni l'argent avec le cuivre, ni le cuivre avec l'étain ou plomb. Vrai est qu'on peut excepter de l'ordonnance la mixtion du cuivre avec l'étain, qui fait le bronze et métal sonnant, qui lors n'était pas en tel usage qu'il est, et la mixtion de l'étain doux avec le cuivre pour la fonte des artilleries. Car il n'est pas nécessaire de mêler la vingtième partie de plomb avec l'étain fin pour le rendre plus malléable, puisqu'on le peut jeter et mettre en œuvre sans [une] telle mixtion qui gâte la bonté de l'étain, et qui ne se peut jamais délier du plomb. Et, au surplus, [il faut] que la défense tienne, tant pour le regard des monnaies, que pour les ouvrages des orfèvres et tireurs d'or, où les faussetés sont encore plus ordinaires qu'ès monnaies, d'autant que la preuve n'est pas si facile, et que bien souvent l'artifice est presque aussi cher que la matière. En quoi Archimède s'abusa voulant découvrir combien l'orfèvre avait dérobé sur la grande couronne d'or du Roi Hiéron, qui ne voulait pas perdre la façon, (lors, ils ne savaient pas l'usage de la pierre de touche). Il prit deux masses, l'une d'or et l'autre d'argent, pour savoir combien l'un et l'autre jetait d'eau hors d'un vaisseau, plus ou moins que la couronne, et, par la proportion de l'eau, il jugea le volume des deux métaux, et que l'orfèvre avait dérobé la cinquième partie. Mais son jugement était incertain, car il supposait que l'alliage n'était que d'argent, [alors quel que les orfèvres, pour donner à l'ouvrage d'or plus de beauté et de fermeté, et à moindre frais, font l'alliage [p. 515] de cuivre pur quand ils peuvent, qui est beaucoup plus léger que l'argent, qui rend l'or blase et pâle de couleur, et le cuivre retient la couleur plus jaune et plus vive ; et par conséquent le cuivre a plus de corps et de volume que l'argent en poids égal, autant qu'il y a de treize à onze. Et si l'alliage est de cuivre et d'argent, il était impossible d'en faire le vrai jugement, si on ne savait combien il y a de l'un et de l'autre ; et, encore qu'il soit connu, si est-ce que l'erreur insensible qui se fait à mesurer les gouttes d'eau est grande pour la différence du volume des métaux ; et [il] n'y a si subtil affineur ni orfèvre au monde qui puisse juger à la pierre de touche combien, au vrai, il y a d'argent et de cuivre en l'or, si l'alliage est de l'un et de l'autre. Et d'autant que les orfèvres et joailliers ont toujours fait plainte qu'ils ne pouvaient besogner sans perte en or à vingt-deux carats sans remède, ou d'or fin à un quart de remède, suivant l'ordonnance du Roi François Ier publiée l'an 1540 et que nonobstant toutes les ordonnances ils font ouvrages à vingt, et bien souvent à dix-neuf carats, de sorte qu'en vingt et quatre marcs il y a cinq marcs de cuivre ou d'argent, lequel par trait de temps est forgé en monnaie faible, par les faussaires qui veulent y profiter. Il est plus que nécessaire de faire défense, qu'il ne se fasse aucun ouvrage d'or, qui ne [le] soit suivant l'ordonnance, sur la même peine de confiscation de corps et de biens, afin aussi que par ce moyen l'usage de l'or en

Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

295

meubles et dorures soit pur. Et d'autant qu'il est impossible, comme disent les affineurs, d'affiner l'or au vingt et quatrième carat, qu'il n'y ait quelque peu d'autre métal, ni l'argent au douzième denier, qu'il n'y reste quelque alliage, et même que l'affinement précis, suivant l'ordonnance, de vingt et trois quarts de carat à un huitième de remède, et de l'argent à onze deniers deux grains et trois quarts, tel qu'il est ès [ p. 516] Réaux d'Espagne ; ou bien onze deniers dix-huit grains, comme il est au poinçon de Paris, qu'il n'y ait du déchet, et qu'il ne coûte beaucoup (outre la difficulté et longueur du temps) on peut faire que l'or en ouvrage et en monnaie soit à vingt et trois carats, et l'argent à onze deniers douze grains de fin, l'un et l'autre sans remède. Et, en ce faisant, la proportion sera égale de l'or à l’argent, car en l'un et en l'autre l'empirance est égale, c'est-à-dire, qu'en vingt et quatre livres d'argent à onze deniers douze grains, et en vingt et quatre livres d'or à vingt et trois carats, il y en a une livre d'autre métal qui n'est point or, et une livre de métal en l'argent qui n'est point argent, soit cuivre ou autre métal. Et [un] tel argent s'appelle en ce royaume argent le Roi, auquel la vingt et quatrième partie est de cuivre. Et par même moyen la monnaie d'or et d'argent sera plus forte et plus durable ; en quoi faisant on gagne aussi beaucoup à l'ouvrage, au feu, au ciment, et on évite le déchet, 1'usance et la fragilité. Et afin que la juste proportion de l'or à l'argent, qui est en toute l'Europe et aux régions voisines à douze pour un à peu près, soit aussi gardée aux poids des monnaies, il est besoin de forger les monnaies d'or et d'argent à même poids, de seize, et trente-deux, et soixante et quatre pièces au marc, sans qu'on puisse forger la monnaie plus forte de poids, ni plus faible aussi, pour éviter d'une part la difficulté de la forge, et la fragilité de la monnaie d'or et d'argent fin, s'il était forgé [une] monnaie plus légère que d'un denier de poids ; ou, au contraire, si on fait monnaie plus pesante que demie once, pour la facilité de falsifier l'une et l'autre monnaie, pour l'épaisseur [de celle-ci], comme il se fait ès Portugueses d'or, et dallers d'argent, qui ont une once de poids, et plus, comme était aussi la monnaie d'or pesant trois marcs et demi, que fit forger l'Empereur Héliogabale, et celle qui fut forgée au [p. 517] coin de Constantinople d'un marc d'or de poids, dont l'Empereur Tibère fit présent à notre Roi Childéric de cinquante.

En quoi faisant, ni les changeurs, ni les marchands, ni les orfèvres ne pourront aucunement décevoir le menu peuple, ni ceux qui ne connaissent la loi ni le poids, car toujours on sera contraint de bailler douze pièces d'argent pour une d'or, et chacune des pièces d'argent pèsera autant que la pièce d'or de même marque, comme on voit ès simples Réaux d'Espagne qui, pesant autant que les écus sol, qui sont au poids de l'ordonnance de l'an mil cinq cent quarante, à savoir deux deniers seize grains, et que les douze réaux simples valent justement un écu. Et afin qu'on ne se puisse abuser au changement dédites pièces, tant d'or que d'argent, ni prendre les simples pour doubles, comme il se fait souvent ès réaux d'Espagne, et aux nouvelles monnaies du Roi Henry III, il est besoin que les marques soient bien différentes, et non pas comme celles d'Espagne qui sont semblables. Et toutefois, quant à l'argent, afin qu'on tienne les titres certains de soldes, petits deniers, et livres, comme il est porté par l'édit du Roi Henry II, fait l'an 1551 et à cause du payement des cens, amendes, et droits seigneuriaux portés ès coutumes et ordonnances, le solde sera de trois deniers de poids argent le Roi, comme dit est, et de soixante-trois au marc, et les quatre vaudront

Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

296

la livre qui a couru par ci-devant, qui est le plus juste prix qu'on peut donner, et chacune pièce se pourra diviser en trois, de sorte que chacune pèsera un denier, et sera de quatre petits deniers de cours, et s'appellera denier commun, afin que le solde vaille toujours douze deniers et que les plaintes que font les seigneurs pour le payement de leurs droits seigneuriaux, qui étaient anciennement payés en forte monnaie blanche, cessent, étant remis sur la forge des [p. 518] soldes tels qu'ils étaient au temps de saint Louis, c'est-à-dire de soixante-quatre au marc argent le Roi.

Et, quant aux autres rentes foncières et hypothécaires constituées en argent, qu'elles soient payées, eu égard à la valeur que tenait le solde au temps qu'elles furent constituées, laquelle valeur n'a été que de quatre deniers de loi pour le plus depuis cent ans ; [ce] qui n'est que la tierce partie du solde ancien, tel qu'il est nécessaire de [le] remettre en usage. Telle était la drachme d'argent usitée en toute la Grèce, à savoir la huitième partie de l'once, que nous appelons gros, et de même poids que les soldes que fit forger saint Louis, qui s'appelaient gros tournois, et soldes tournois, sur lesquels soldes tournois sont réglés tous les anciens contrats et aveux, et plusieurs traités non seulement de ce Royaume, [mais] aussi des étrangers, comme au traité fait entre les Bernois et les trois petits Cantons, il est dit que les gages des soldats sera un solde tournois, qui était pareille en ce Royaume, et s'appelle solde pour cette cause, qui était la même solde des Romains, comme dit Tacite, et des Grecs, comme nous lisons en Pollux. Car la drachme est de même poids que le solde tournois. Les Vénitiens ont suivi les anciens, et font l'once de huit gros ou drachmes, et la drachme de vingt-quatre deniers, et le denier de deux oboles, ou vingt-quatre grains, comme nous faisons en France, de laquelle règle il ne se faut départir, comme étant très ancienne en toute la Grèce et [dans les] régions Orientales. Vrai est que les anciens Romains ayant l'once égale aux Grecs, c'est à savoir de cinq cent septante et six grains, la divisaient en sept deniers de leur monnaie, et leur denier valait une drachme Attique, et trois septièmes davantage. En quoi Budé s'est abusé, disant qu'il y avait huit deniers en l'once, et que le denier Romain était égal à la drachme Attique, et la livre Romaine égale à la mine Attique. [p. 519] Combien qu'il est certain que la livre Romaine n'avait que douze onces, et la mine Grecque seize onces, comme la livre des marchands en ce Royaume, ce que Georges Agricola a très bien montré par le calcul de Pline, Appien, Suétone, et Celse. Si donc on veut forger les pièces d'or et d'argent de même poids, et de même nom, et de même loi, c'est-à-dire qu'il n'y ait non plus d'alliage en or qu'en l'argent, elles ne peuvent jamais hausser ni baisser de prix, comme il se fait plus souvent que tous les mois, à l'appétit ou du peuple ou de ceux qui ont puissance auprès des Princes, lesquels amassent et empruntent les monnaies fortes, et puis les font hausser, de sorte qu'il s'en est trouvé un, lequel ayant emprunté jusqu'à cent mille écus, fit hausser le prix de cinq soldes tout à coup sur l'écu, et gagna vingt-cinq mille francs. Un autre fit ravaler le cours des monnaies au mois de Mars, et le haussa au mois d'Avril, après avoir reçu le quartier. On tranchera aussi toutes les falsifications des monnaies, et les plus grossiers et ignorants connaîtront la bonté de l'une et de l'autre monnaie à l'œil, au son, au poids, sans feu, sans burin, sans touche. Car puisque tous les peuples depuis deux mille ans et plus, ont presque toujours gardé, et gardent encore la raison égale de l'or à l'argent, il sera impossible et

Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

297

au peuple et au Prince de hausser, ni baisser, ni altérer le prix des monnaies d'or et d'argent, étant le billon banni de la République, et l'or au vingt et troisième carat.

Et néanmoins pour soulager le menu peuple, il est aussi besoin, ou de forger la troisième espèce de monnaie de cuivre pur, sans calamine ni autre mixtion de métal ainsi qu'on a commencé, et comme il se fait en Espagne et en Italie, ou bien diviser le marc d'argent en quinze cent trente-six pièces, chacune pièce de neuf grains. Car la Reine d'Angleterre ayant du tout décrié le billon, et réduit toutes les [p. 520] monnaies à deux espèces seulement, la moindre monnaie d'argent qui est le penny, vaut huit deniers ou environ, [ce] qui fait qu'on ne peut acheter à moindre prix les menues denrées ; et qui pis est, on ne peut faire charité à un pauvre moindre que d'un penny, [chose] qui empêche plusieurs de rien donner, comme j'ai remontré au Paradoxe contre Malestroit, que le Chancelier d'Angleterre fit traduire en Anglais l'an 1569, espérant y donner ordre. Mais il serait beaucoup plus expédient de n'avoir autre monnaie que d'or et d'argent, s'il était possible de forger monnaie plus petite que le penny, et qu'on voulût diviser le marc d'argent aussi menu comme en Lorraine, qui en font huit mille pièces, qu'on appelle Angevines, parce que René Duc d’Anjou et de Lorraine les fît forger, dont les deux cents ne valent qu'un Réal, et les quarante et un solde de notre billon, et sont d'argent assez fin. Et, en faisant la moitié moins, elles seront plus solides, et de la loi que j'ai dite, et se pourront tailler et marquer d'un poinçon tranchant en un même instant, car le prix du cuivre, étant variable en tout pays, et en tout temps, n'est pas bien propre à faire monnaie, qu'on doit tenir tant qu'on peut invariable et immuable de prix. [J'ajoute] aussi qu'il n'y a métal plus sujet à la rouillure qui ronge la marque et la matière, au contraire de l'or et argent qui ne rouille jamais. [913-920]

Соседние файлы в предмете [НЕСОРТИРОВАННОЕ]