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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 230]

CHAPITRE VI

De l'état Aristocratique

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L'Aristocratie est une forme de République, où la moindre partie des citoyens commande au surplus en général par puissance souveraine, et sur chacun de tous les citoyens en particulier ; en quoi elle est contraire à l'état populaire, où la plupart des citoyens commande à la moindre en nom collectif, et néanmoins semblable, en ce que ceux-là qui ont commandement souverain en l'une et l'autre République ont puissance sur tous en nom particulier, mais non pas en nom collectif et général. La puissance du Monarque est plus illustre que les deux autres, d'autant que son pouvoir s'étend sur tous en général, et sur chacun en particulier.

Différence de l’Aristocratie à la Monarchie. Et tout ainsi que la Monarchie est royale, ou seigneuriale, ou tyrannique, aussi l'aristocratie peut être seigneu-[p. 231] riale, légitime, ou factieuse, qu’on appelait anciennement Oligarchie, c'est-à-dire, seigneurie de bien petit nombre de seigneurs, comme étaient les trente seigneurs d’Athènes défaits par Thrasybule, qu'on appelait les trente tyrans ; ou les dix commissaires députés pour corriger les coutumes de Rome, qui avaient par factions, et puis à force ouverte empiété la seigneurie. C'est pourquoi toujours les anciens ont pris le mot d'Oligarchie en mauvaise part, et l’Aristocratie en bonne part, c'est-à-dire la seigneurie des gens de bien. Mais nous avons montré ci-dessus, qu'il ne faut pas avoir égard en matière d'état (pour entendre quelle est la forme d'une République) si les Seigneurs sont vertueux ou vicieux, comme il est requis pour savoir le gouvernement [de celle-ci]. Aussi, est-il bien difficile, et presque impossible, d'établir une aristocratie composée seulement de gens de bien, car cela ne se peut faire par sort, et aussi peu par élection, qui sont les deux moyens usités, auxquels on ajoute le troisième, du choix et du sort ensemble. Or est-il qu'il faut avoir des plus gens de bien et de vertu, pour faire choix des bons, attendu que les méchants n'éliront jamais que leurs semblables ; et toutefois, les plus gens de bien ne seront pas si effrontés et impudents de se nommer et choisir eux-mêmes pour gens de bien, comme disait Lactance Firmian, en se moquant des sept Sages de Grèce : s'ils étaient sages à leur jugement, ils n'étaient pas sages ; si au jugement des autres, encore moins, puisqu'il n'y avait que sept sages. Si on me dit qu'il faudrait suivre la forme des anciens Romains, et autres Latins, au choix qu'ils faisaient par serment solennel de nommer

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les plus vaillants et guerriers, celui qui était connu des plus belliqueux en nommait un semblable à lui, et celui-ci un autre, et le troisième par même suite nommait le quatrième, jusqu'à ce que le nombre des légions fût rem-[p. 232] pli ; mais il faudrait faire loi, que le nombre des Seigneurs fût limité. Et qui pourrait être garant au public, que l'un des nommés ne choisît pas plutôt son père, son fils, son frère, son parent, son ami, qu'un homme de bien et de vertu ? C'est pourquoi il n'y a point, et n'y eut peutêtre jamais de pures Aristocraties, où les plus vertueux eussent la Seigneurie. Car combien que les Pythagoriens ayant attiré à leur cordelle les plus nobles et généreux Princes d'Italie, au temps du Roi Servius Tullius, eussent changé quelques tyrannies en justes Royautés, espérant que peu à peu ils pourraient aussi réduire les Oligarchies, et Démocraties en Aristocraties, si est-ce toutefois que les chefs de parties et Tribuns populaires, craignant être dépouillés de leur puissance, dressèrent de grandes conjurations contre eux, et comme il était aisé aux plus forts de vaincre les plus faibles, les brûlèrent en leur diète, et massacrèrent presque tous ceux qui avaient échappé le feu. Soit donc que les nobles, ou vertueux, ou riches, ou guerriers, ou pauvres, ou roturiers, ou vicieux, tiennent la Seigneurie : si c'est la moindre partie des citoyens, nous l'appellerons du nom d’Aristocratie. Quand je dis la moindre partie des citoyens, j'entends la plus grande partie du moindre nombre des citoyens, assemblés en corps et communauté : comme s'il y a dix mille citoyens, et que cent gentilshommes seulement aient part à la souveraineté, si soixante sont d'un avis, ils ordonneront et commanderont absolument au reste des neuf mille neuf cents citoyens en corps, qui n'ont que voir en l'état, et aux autres quarante, qui ont bien part en l'état, mais ils sont en moindre nombre ; en outre, les soixante que j'ai dit auront commandement souverain sur chacun des dix mille citoyens en particulier, comme aussi feront les cent en corps, s'ils sont d'accord, et en ceux-là seront les marques de la majesté souveraine. Il ne faut pas avoir égard [p. 233] au petit, ou au plus grand nombre des citoyens pourvu qu'ils soient moins de la moitié. Car s'il y a cent mille citoyens, et que dix mille aient la seigneurie, l'état n'est ni plus ni moins Aristocratique, que s'il avait dix mille citoyens, et que mille seulement tiennent l'état, attendu qu'en l'une et l'autre République la dixième partie a la souveraineté ; autant pouvons-nous dire de la centième ou millième partie des citoyens, et moins il y en a, l'état en est plus assuré et plus durable, comme l'état des Pharsaliens a été des plus durables de la Grèce, et néanmoins il n'y avait que vingt seigneurs. [313-315]

Opinion d’Aristote touchant l’Aristocratie. Reste maintenant de répondre à ce que dit Aristote touchant l'Aristocratie, qui est du tout contraire à ce que nous avons dit : Il y a, dit-il 1, quatre sortes d'Aristocraties ; la première, où il n'y a que les riches, et jusqu'à certain revenu, qui ont part à la Seigneurie ; la seconde, où les états et offices sont distribués par sort à ceux qui plus ont des biens ; la troisième, quand les enfants succèdent aux pères en la seigneurie ; la-quatrième, quand ceux-là qui succèdent usent de puissance seigneuriale, et commandent sans loi. Et néanmoins au même livre 2, et peu après, il fait cinq sortes de Républiques : c'est à savoir la royale, la

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populaire, celle de peu de seigneurs, et celle des gens de bien, et puis une cinquième composée des quatre, puis il dit que la cinquième ne se trouve point. Nous avons montré ci-dessus que telle mélange de Républiques est impossible, et incompatible par nature, montrons aussi que les espèces d'Aristocraties posées par Aristote ne sont aucunement considérables.

L'erreur est venue de ce qu'Aristote ne définit point que c'est d’Aristocratie. De dire que c'est où il [p. 234] n'y a que les riches, ou les gens de bien, qui aient part à la seigneurie, il n'y a point d'apparence, car il se peut faire que de dix mille citoyens, il y en ait six mille qui auront deux cents écus de rente, et part à la seigneurie, et néanmoins l'état sera populaire, attendu que la plupart des citoyens tiendra la souveraineté, autrement, il n'y aura point de République populaire. Autant peut-on dire des gens de bien, qui peuvent être la plupart des citoyens qui auront part à la seigneurie, et néanmoins, au dire d'Aristote, l'état sera Aristocratique, car s'il prend la bonté au plus haut degré de vertu, il ne se trouvera personne ; si à l'opinion populaire, chacun se dit homme de bien. Et le jugement en est si périlleux, que le sage Caton, choisi pour arbitre d'honneur, n'osa donner sentence, si Q. Luctatius était homme de bien ou non. Toutefois, posons le cas que les gens de bien et de vertu en toute République fassent la moindre partie des citoyens, et que ceux-là tiennent le gouvernail de la République, pourquoi par même moyen n'a fait Aristote une sorte d’Aristocratie, où les Nobles tiennent la seigneurie, vu qu'ils sont toujours en plus petit nombre que les roturiers ? Pourquoi n'a-t-il fait une autre sorte d'Aristocratie, où les anciennes familles, [bien] qu'elles soient roturières, commandent comme il advint à Florence après que la Noblesse fut chassée ? Car il est bien certain qu'il y a plusieurs familles de roturiers fort anciennes, et plus illustres que beaucoup de gentilshommes frais émoulus, qui, peut-être, ne savent qui est leur père ; aussi pouvait-il faire une autre sorte d’Aristocratie, où les plus grands auront la seigneurie, comme il dit lui-même 1 qu'il se faisait en Éthiopie ; et, par conséquent aussi, l'Aristocratie des beaux, des puissants, des guerriers, des savants, et autres qualités semblables, qui feraient une infinité d'Aristocraties [p. 235] toutes diverses. Encore il y a moins d'apparence en ce qu'il dit, que la troisième sorte d'Aristocratie est celle où les états et offices sont donnés par sort aux plus riches, attendu que le sort tient entièrement de l'état populaire. Or il confesse que la République d'Athènes était populaire, et néanmoins les grands états, offices et bénéfices ne se donnaient qu'aux plus riches auparavant Périclès. Et en Rome, qui était aussi populaire auparavant la loi Canuleia, les états et bénéfices ne se donnaient qu'aux plus anciens gentilshommes, qu'ils appelaient Patriciens, [ce] qui est un très certain argument, que la République peut être populaire, et gouvernée Aristocratiquement, et qu'il y a bien notable différence entre l'état d'une République, et le gouvernement [de celle-ci] : comme nous avons dit ci-dessus. Quant à l'autre sorte d'Aristocratie, qu'Aristote dit seigneurier sans loi, et ressembler à la tyrannie, nous avons montré la différence de la monarchie royale, seigneuriale, et tyrannique, qui est semblable en l’Aristocratie, où les seigneurs peuvent gouverner leurs sujets esclaves, et disposer de leurs biens tout

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ainsi que le monarque seigneurial, sans user de lois, et sans toutefois les tyranniser : comme le père de famille, qui est toujours plus soigneux de ses esclaves, qu'il n'est des serviteurs à louage, car ce n'est pas la loi qui fait le droit gouvernement, [mais] la vraie justice et distribution égale [de celle-ci]. Et la plus belle chose du monde qu'on pourrait désirer en matière d'état, au jugement d'Aristote, est d'avoir un sage et vertueux Roi, qui gouverne son peuple sans aucune loi, attendu que la loi sert bien souvent à plusieurs de piège pour tromper, et qu'elle est muette et inexorable, comme la noblesse de Rome se plaignait qu'on voulait établir lois et se gouverner par [elles] après les Rois chassés, qui gouvernaient sans loi, selon la diversité des faits qui se présentaient. Ce que les [p. 236] Consuls et la Noblesse, qui tenaient aucunement la République en état Aristocratique, continua jusqu'à ce que le peuple se voulant prévaloir en état populaire, qui ne demande que l'égalité des lois, reçût la requête de son Tribun Terentius Arsa, et six ans après ayant débattu contre l'Aristocratie seigneuriale des nobles, fit passer en force de loi, que dès lors en avant les Consuls et Magistrats seraient obligés aux lois, qui seraient faites par ceux-là que le peuple députerait à cette fin. Ce n'est donc pas la loi qui fait le Prince en la Monarchie, et les Seigneurs en l'Aristocratie justes et bons, mais la droite justice qui est gravée en l'âme des justes Princes et Seigneurs, et beaucoup mieux qu'en tables de pierre. Et plus les édits et ordonnances ont été multipliés, plus les tyrannies ont pris leur force : comme il advint sous le tyran Caligula, qui, à propos et sans propos, faisait des édits, et en lettre si menue qu'on ne les pouvait lire, afin d'y attraper les ignorants. Et son successeur et oncle Claude fit pour un jour vingt édits ; et toutefois la tyrannie ne fut [jamais] si cruelle, ni les hommes plus méchants. Or, tout ainsi que l’Aristocratie bien ordonnée est belle à merveilles, aussi est-elle bien fort pernicieuse si elle est dépravée, car pour un tyran il y en a plusieurs, et même quand la Noblesse se bande contre le peuple, comme il advient souvent, et comme anciennement quand on recevait les nobles en plusieurs Seigneuries Aristocratiques, ils faisaient 1 serment d'être à jamais ennemis jurés du peuple : [ce] qui est la subversion des Aristocraties. Disons maintenant de l'état populaire. [329-332]

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