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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 440]

CHAPITRE III

Si les biens des condamnés doivent être appliqués au fisc, ou à l'Église,

ou bien laissés aux héritiers

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Ce chapitre dépend du précédent : car l'une des causes qui réduit les sujets à pauvreté extrême, est d'ôter les biens des condamnés aux héritiers légitimes, et [également] aux enfants, s'ils n'ont autre appui ni espérance, qu'en la succession de leurs pères et mères ; et d'autant sera grande la pauvreté, plus sera grand le nombre d'enfants, auxquels par droit naturel la succession des pères appartient, et, par droit divin, ne doivent porter la peine de leurs pères. Et non seulement la loi de Dieu et [la loi] naturelle semblent être violées en telles confiscations, [mais] encore la disette et pauvreté où se voient réduits les enfants, [y compris] ceux-là [mêmes] qui sont nourris en délices, les met souvent en désespoir, qu'il n'y a méchanceté qu'ils ne fassent, soit pour venger, soit pour finir la pauvreté qui les [p. 441] presse. Car il ne faut pas attendre que ceux-là qui sont nourris en Seigneurs, servent en une boutique, et s'ils n'ont rien appris, ils ne commenceront pas alors que tous moyens leur sont ôtés. [J'ajoute] aussi que la honte qu'ils ont, soit de mendier, soit de souffrir la contumélie des infâmes, les force de se bannir volontairement, et [de] se ranger avec les voleurs ou corsaires ; en sorte que pour un confisqué, il en sort quelquefois deux ou trois pires que celui qui a perdu les biens et la vie, au lieu que la peine, qui doit servir non seulement pour la vengeance des forfaits, [mais] aussi pour diminuer le nombre des méchants, et pour la sûreté des bons, vient à produire des effets tout contraires. Ces raisons brièvement touchées, qu'on peut amplifier d'exemples, semblent nécessaires pour montrer que l'ordonnance de l'Empereur Justinien, reçue et pratiquée en plusieurs pays est très juste et utile ; c'est à savoir que les biens des condamnés seront laissés aux héritiers, sinon en cas de lèse-majesté au premier chef. Au contraire, on peut dire, que cette ordonnance est nouvelle, et contre toutes les lois anciennes et ordonnances des plus sages Princes et législateurs, qui n'ont pas voulu, sans cause bien grande, que les biens des condamnés fussent adjugés au public, soit pour réparation des fautes, qui bien souvent n'emportent que l'amende, qui doit être payée au public qui est offensé, car autrement il n'y aurait aucun moyen de punir

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pécuniairement, [ce] qui est toutefois la peine la plus ordinaire ; soit pour la qualité des crimes, et de ceux qui ont dérobé le public, qui doit être satisfait des biens de celui qui a mal pris ; soit pour détourner les méchants qui font tous les maux du monde pour enrichir leurs enfants, et, bien souvent il ne leur chaut de perdre la vie, voire [de] se damner, pourvu que leurs enfants soient héritiers de leurs pilleries et concussions.

[p. 442] Il n'y a rien que les méchants ne fassent pour enrichir leurs enfants. Il n'est pas besoin de vérifier ceci par exemples qui sont infinis, et [je] me contenterai d'en mettre un seulement de Cassius Licinius, lequel étant accusé, atteint et convaincu de plusieurs larcins et concussions, voyant que Cicéron alors Président, vêtait la robe tissue de pourpre, afin de prononcer l'arrêt, portant confiscation de biens et bannissement, il envoya dire à Cicéron, qu'il était mort pendant le procès et auparavant la condamnation, et sur-le-champ devant tout le monde il s'étouffa d'une serviette, afin de sauver les biens à ses enfants. Alors Cicéron, dit Valère, ne voulut prononcer l'arrêt. Il était bien en la puissance de l'accusé de sauver sa vie en quittant ses biens, et jusqu'à la concurrence des fins et conclusions des accusateurs, comme fit Verre et plusieurs autres en cas semblable, car, par la loi Sempronia, il était défendu de condamner le bourgeois Romain à la peine de mort, ni même de le flétrir par la loi Portia. Et combien que Plutarque, et même Cicéron écrit à son ami Attique qu'il avait condamné Licinius, si est-ce que cela se peut entendre de l'avis et opinion de tous les Juges, et non pas qu'il eût prononcé l'arrêt : car les lois dernières touchant la peine de ceux qui ont pillé le public ou qui se font mourir, étant prévenus, n'étaient pas encore faites. Et plus de cent cinquante ans après, les coupables et accusés, qui s'étaient tués par désespoir, ou d'ennui, étaient ensevelis, et leurs testaments tenaient, [bien] qu'ils fussent coupables : pretium festinandi, dit Tacite, c'est-à-dire, que les homicides en leurs personnes avaient cet avantage sur les autres. Mais soit qu'il fût condamné après sa mort, soit qu'il mourût de regret, on peut connaître évidemment que plusieurs ne font pas difficulté de se damner pour enrichir leurs enfants. Et peut-être que l'un des plus grands fouets, [p. 443] qui empêche les méchants d'offenser, est la crainte qu'ils ont que leurs enfants soient belîtres, étant leurs biens confisqués. C'est pourquoi, la loi dit que la République a notable intérêt que les enfants des condamnés soient indigents souffreteux. Et ne peut-on dire que la loi de Dieu ou de nature soit enfreinte, attendu que les biens du père ne sont point aux enfants et n'y a point de succession de celui, auquel justement les biens sont ôtés auparavant qu'il soit mort. De dire aussi que les enfants dépouillés de tous biens, seront induits à se venger, il n'y a pas si grande apparence, qu'ils ne fassent encore pis ayant les biens, les moyens et la puissance de se venger ; et de fait, la loi déboute les enfants des condamnés au premier chef de lèse-majesté de toutes successions directes et collatérales, et laisse aux filles qui ont moins de puissance de se revenger, la Falcidie ès biens maternels.

Loyers nécessaires aux accusateurs. Mais il y a bien un plus grand inconvénient si les biens des condamnés sont laissés aux héritiers, c'est que les loyers des accusateurs et délateurs demeurent éteints, et [il] ne se trouvera personne qui fasse les frais des procédures ; ainsi, les méchancetés demeureront impunies. Voilà des inconvénients de part et d'autre. Et pour en résoudre quelque chose, il est bien nécessaire que les

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justes dettes publiques ou particulières, et les frais du procès soient pris et déduits sur les biens des condamnés, s'ils ont de quoi ; autrement, il ne s'en ferait pas grande poursuite, combien que cette clause ne doit être apposée aux sentences, et a été réprouvée par plusieurs arrêts de Parlement, afin que les Seigneurs soient avertis qu'ils doivent justice, encore que le coupable n'eût rien.

L'ordre qu'on doit tenir ès biens des condamnés. Et pareillement il est nécessaire que les amendes soient prises sur les biens de ceux qui ne sont condamnés [p. 444] qu'en somme pécuniaire, pourvu toutefois que cela se prenne, seulement sur les meubles et acquêts ; et, quant aux propres, qu'ils demeurent aux héritiers. Et en crime capital, que les meubles, et acquêts soient confisqués et vendus au plus offrant, pour les frais du procès et loyers des accusateurs et délateurs, et que le surplus soit employé en œuvres publiques ou charitables, demeurant les propres aux héritiers légitimes. En quoi faisant on pourra obvier à la pauvreté extrême des enfants, à l'avarice des calomniateurs, à la tyrannie des mauvais Princes, à l'évasion des méchants, et à l'impunité des forfaits. Car de confisquer les propres héritages affectés aux familles, il n'y a pas grande apparence, où il n'est pas permis de les aliéner par testament, ni en plusieurs lieux par disposition entre vifs ; [J'ajoute] aussi que de là s'en ensuit l'inégalité de biens excessive. Et, pour cette même cause il faut que les meubles et acquêts soient vendus, et non pas confisqués à l'Église, ni au public, afin que les biens des particuliers enfin ne soient tous appliqués au fisc, ou à l'Église, attendu qu'on ne veut pas que les biens unis au domaine de la République ou de l'Église, se puissent aliéner. Et puis il faut que les délateurs et accusateurs soient [les] premiers salariés, non pas des possessions des condamnés (qui pourrait les inciter à calomnier les gens de bien), [mais] de quelque somme d'argent, car le désir d'avoir la maison ou l'héritage d'autrui, qu'on n'a pu avoir pour argent, donnerait grande occasion aux calomniateurs de ruiner l'innocent. Et [il] faut néanmoins donner quelque loyer aux délateurs et accusateurs ; autrement, il ne faut pas espérer qu'un procureur fiscal, ni [que] les Juges fassent poursuite des méchants. Et, tout ainsi que le bon veneur n'a garde de faillir à donner la curée aux chiens qui ont pris la bête sauvage, pour les amorcer et rendre plus allègres, aussi faut-il que le sage législateur donne [p. 445] loyer à ceux qui attachent les Loups et Lions domestiques. Et d'autant qu'il n'y a rien, après l'honneur de Dieu, de plus grande conséquence que la punition des forfaits, il faut chercher tous les moyens qu'il est possible d'imaginer, pour parvenir à ce point-là.

Les inconvénients d'adjuger la confiscation au public. Mais la difficulté n'est pas petite, d'ôter les confiscations au public, pour les employer comme nous avons dit, et principalement en la Monarchie ; toutefois, il y a tant de raisons, que le sage et vertueux Prince en fera plus d'état pour sa réputation que de tous les biens du monde, acquis par confiscation. Car si le domaine public est de grand revenu, ou les charges levées sur le peuple sont suffisantes, la confiscation ne doit avoir lieu pour le fisc ; si la République est pauvre, encore moins faut-il l'enrichir de confiscations, autrement c'est ouvrir la porte aux calomniateurs de trafiquer le sang des pauvres sujets à prix d'argent, et aux Princes d'être tyrans. Aussi voyons-nous, que le comble de tyrannie extrême a toujours été ès confiscations des sujets. Par ce moyen, Tibère l'Empereur fit

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ouverture d'une cruelle boucherie, laissant la valeur de cinquante-sept millions d'écus couronne acquis pour la plupart des confiscations. Et après lui ses neveux Caligula et Néron, Empereurs, ensanglantèrent leurs mains des plus vertueux et apparents hommes de tout l'Empire, et la plupart pour les biens qu'ils avaient. Car on sait assez que Néron n'avait aucune apparence de faire mourir son maître Sénèque, sinon pour avoir ses biens. Et jamais il n'y a faute de calomniateurs, lesquels savent très bien qu'ils ne seront jamais recherchés [pour] leur calomnie, étant appuyés du Prince, qui en tire [une] partie du profit. Aussi Pline le jeune, parlant de ce temps-là : Nous avons, dit-il, vu les jugements des délateurs comme des brigands et voleurs, car il n'y avait ni testaments assurés, ni l'état [p. 446] de personne. C'est pourquoi il est enjoint aux Procureurs du Roi, par les ordonnances de ce royaume, de nommer le délateur, si l'accusation en fin de cause se trouve calomnieuse ; ce qui est nécessaire en Espagne devant que le Procureur fiscal soit reçu à accuser personne, par l'édit de Ferdinand, fait l'an mil quatre cent nonante-deux en ces termes : Que ningun fiscal pueda accusar à consejo persona particular, sin dar primeramente delator.

Bref, si les confiscations ont toujours été odieuses en toute République, encore sont-elles plus dangereuses en la Monarchie qu'en l'état populaire ou Aristocratique, où les calomniateurs ne trouvent pas si aisément place. Si on me dit, qu'il ne faut pas craindre ces inconvénients en l'état Royal, ayant affaire à de bons Princes, je réponds que le droit des confiscations est l'un des plus grands moyens, qui fut [jamais] inventé pour faire d'un bon Prince un tyran. [721-726]

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