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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 447]

CHAPITRE IV

Du loyer et de la peine

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Les deux fondements principaux de toute République. Il est besoin de traiter ici des loyers et des peines sommairement, car qui voudrait en discourir au long, on en ferait un grand œuvre, attendu que ces deux points concernent entièrement toutes Républiques, de sorte que si les peines et loyers sont bien et sagement distribués, la République sera toujours heureuse et fleurissante ; et, au contraire, si les bons ne reçoivent loyer de leurs mérites, et les mauvais la peine qu'ils ont desservie, il ne faut pas espérer que la République soit durable. Et peut-être qu'il n'y a point d'occasion plus grande, ni de cause plus proche des troubles, séditions, guerres civiles, et ruines des Républiques, que le mépris des gens de bien, et la faveur qu'on donne aux méchants. Quant aux peines, il n'est pas si nécessaire d'en discourir [p. 448] [qu'il l'est] des loyers, attendu que toutes les lois, coutumes et ordonnances en sont pleines, et qu'il y a sans comparaison plus de vices que de vertus, et plus de méchants que de gens de bien. Mais d'autant que les peines en soi sont odieuses, et les loyers favorables, les Princes bien entendus ont accoutumé de renvoyer les peines aux magistrats, et réserver à soi les loyers, pour acquérir l'amour des sujets, et fuir leur malveillance, [Chose] qui est la cause pour laquelle les Jurisconsultes et magistrats ont amplement traité des peines, et bien peu touché aux loyers. Et combien que le mot de mérite se prend en bonne part, comme dit Sénèque, toutefois nous en userons indifféremment, et selon la façon populaire de parler. Or tout loyer est honorable ou profitable, ou l'un et l'autre ensemble, autrement ce n'est pas loyer, parlant populairement et politiquement, puisque nous sommes au milieu de la République, et non pas aux écoles des Académiques et Stoïciens, qui n'estiment rien profitable qui ne soit honnête ni honorable, s'il n'est utile ; [ce] qui est un beau paradoxe, et néanmoins du tout contraire aux règles politiques, qui ne balancent jamais le profit au contrepoids d'honneur, car plus les loyers ont en soi de profit, et moins ils ont d'honneur ; et toujours le profit ravale la splendeur et dignité de l'honneur. Et même, ceux-là sont plus estimés et honorés, qui emploient leur bien pour maintenir l'honneur.

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Divers loyers. Par ainsi, quand nous parlons des loyers, nous entendons les triomphes, statues, charges honorables, états, offices, bénéfices 1, dons, immunités de toutes ou de certaines charges. Comme de tailles, d'impôts, de tutelles, d'aller en guerre, exemptions des Juges ordinaires, lettres d'état, de bourgeoisie, de légitimation, de foires, de noblesse, de chevalerie, et autres semblables. Mais si [p. 449] l'office est dommageable et sans honneur, ce n'est plus loyer, [mais] au contraire, c'est charge ou peine. Et [il] ne faut pas confondre le loyer avec le bienfait, car le loyer se donne pour mérite, et le bienfait par grâce.

Différence [dans la façon] d'octroyer les loyers en l'état populaire et en la monarchie. Et tout ainsi que les Républiques sont diverses, aussi la distribution des honneurs et loyers est fort différente en la Monarchie et aux états populaires et Aristocratiques. En l'état populaire, les loyers sont plus honorables que profitables, car le menu peuple ne cherche qu'à faire son profit, se souciant peu de l'honneur, qu'il octroie volontiers à ceux qui le demandent ; le contraire se fait en la Monarchie, où le Prince, qui distribue les loyers, est plus jaloux de l'honneur que du profit ; et même en la tyrannie, le Prince n'a rien plus à contrecœur que de voir son sujet honoré et respecté, craignant que la friandise d'honneur lui donne appétit d'aspirer plus haut, et d'attenter à l'état, ou bien que le naturel du tyran est tel, qu'il ne peut voir la lumière de vertu, comme nous lisons de l'Empereur Caligula, qui était jaloux et envieux de l'honneur qu'on faisait à Dieu même ; et [aussi de] l'Empereur Domitien, [bien] qu'il fût le plus lâche et couard tyran qui fut [jamais], si est-ce qu'il ne pouvait [supporter] qu'on fît honneur à ceux qui mieux l'avaient mérité, [mais] il les faisait mourir. Quelquefois aussi les Princes, au lieu de récompenser les hommes illustres, les font mourir, bannir, ou condamner aux prisons perpétuelles pour la sûreté de leur état. Ainsi fit Alexandre le Grand à Parmenion son Connétable, Justinien à Bellissaire, Edouard IV au Comte de Warvich, et infinis autres, lesquels, pour loyer de leur prouesse ont été tués ou empoisonnés, ou mal traités des Princes. Et, pour cette cause, Tacite écrit, que les Allemands attribuaient à [p. 450] leurs Princes tout l'honneur des beaux exploits qu'ils faisaient, pour se décharger de l'envie qui suit de près la vertu.

Le prix et honneur de la victoire des soldats est au Capitaine. Aussi, ne voit-on point que les Monarques, et moins encore les tyrans, octroient les triomphes et entrées honorables à leurs sujets, quelque grande victoire qu'ils emportent sur les ennemis ; [mais] au contraire, le sage capitaine, pour [le] triomphe au retour de sa victoire, baissant la tête devant son Prince dit : Sire, votre victoire est ma gloire, [bien] que le Prince n'y ait aucunement assisté ; car celui qui commande, mérite le prix d'honneur des exploits qui se font, même en l'état populaire, comme il fut jugé entre le Consul Luctace, et Valère son lieutenant, sur le différend qu'ils avaient pour le triomphe que Valère prétendait lui appartenir, d'autant que le Consul était, le jour de la bataille, absent. Aussi peut-on dire, que le Prince est toujours celui, auquel est dû l'honneur de la victoire, [bien] qu'il s'absente le jour de la bataille ; comme faisait Charles V, Roi de France, qui baillait ses armes à l'un de ses gentilshommes, et se retirait de la presse, craignant tomber entre les mains des ennemis, et, pour cette cause, fut appelé

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Sénèque : Livre I des Bénéfices.

 

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Sage, ayant vu combien la prise de son père avait coûté à la France. Autant peut-on dire, en l'état populaire, que les victoires des Capitaines appartiennent au peuple, sous les enseignes duquel on a combattu ; mais le triomphe pour loyer est décrété au Capitaine, ce qui, n'est pas fait en la Monarchie.

Raison pourquoi les états populaires ont plus d'hommes illustres que les Monarchies. [Ce] qui est la principale, et peut-être la seule occasion pourquoi il y a toujours eu plus grand nombre de vertueux hommes ès états populaires bien ordonnés, qu'en la Monarchie ; d'autant que l'honneur, qui est le seul [p. 451] prix de vertu, est ôté, ou bien fort retranché, à ceux qui le méritent en la Monarchie, et octroyé en l'état populaire légitime et bien réglé, [de même] au fait des armes, car d'autant que l'homme, de cœur haut et généreux, estime plus l'honneur, que tous les biens du monde, il n'y a doute qu'il ne sacrifie volontiers sa vie et ses biens pour la gloire qu'il en espère ; et plus grands seront les honneurs, plus y aura d'hommes qui les mériteront. C'est pourquoi la République de Rome a plus eu de grands Capitaines, de sages Sénateurs, d'éloquents Orateurs, et de savants Jurisconsultes, que les autres Républiques Barbares, Grecques ou Latines ; car celui qui avait mis en route une légion d'ennemis, il était en son choix de demander le triomphe, ou, pour le moins un état honorable, et [il] ne pouvait faillir à l'un ou à l'autre. Et, quant au triomphe, qui était le plus haut point d'honneur où pouvait aspirer le citoyen Romain, il n'y avait peuple sous le ciel, où il fût plus magnifiquement solennisé qu'en Rome ; car celui qui triomphait faisait une entrée plus honorable, qu'un Roi ne ferait en son Royaume, traînant les ennemis enchaînés après son chariot, où il était haut élevé, et revêtu de pourpre tissu d'or, accompagné de l'armée victorieuse, brave des dépouilles, avec un son de trompettes et clairons, ravissant le cœur des hommes, partie de joie et d'allégresse incroyable, partie d'étonnement et admiration, partie de jalousie et appétit d'obtenir les mêmes honneurs. Et surtout, dit Polybe, ce qui plus enflammait la jeunesse aux prix d'honneur, étaient les statues triomphales tirées au vif, des parents et aïeuls de celui qui triomphait pour l'accompagner au Capitole ; et après les sacrifices solennels, était reconduit par les plus grands Seigneurs et Capitaines en sa maison. Et néanmoins ceux qui mouraient, étaient loués publiquement devant le peuple, selon le mérite de leur vie passée ; [p. 452] et non seulement les hommes, [mais] aussi les femmes, comme nous lisons en Tite-Live. Je sais bien qu'il y a des prêcheurs qui trouvent mauvais ces prix d'honneur, mais je tiens qu'il n'y a rien plus nécessaire à la jeunesse, comme disait Théophraste, laquelle est embrasée d'une ambition honnête ; et lors qu'elle se voit louer, alors les vertus boutent et prennent pied ferme. Aussi Thomas d'Aquin est d'avis qu'il faut paître un jeune Prince de vraie gloire, pour lui donner le goût des vertus. Il ne faut donc pas s'ébahir s'il n'y eut [jamais un quelconque] peuple qui ait produit de si grands personnages, et en si grand nombre, car les honneurs qu'on octroyait ès autres Républiques, n'approchaient en rien à ceux-là qu'on décernait en Rome. C'était bien un grand prix d'honneur en Athènes et aux jeux Olympiques, d'être couronné d'une couronne d'or en plein théâtre devant tout le peuple, et loué d'un orateur, ou bien d'obtenir une statue de cuivre, bouche à cour en l'hôtel de ville, et [d'être] le premier ou des premiers lieux aux séances d'honneur, pour soi et pour les siens, ce que Démochares requit au peuple pour Démosthène, après avoir fait [le] récit de ses louanges ; en quoi il n'y avait pas

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moins de profit que d'honneur. Mais les Romains, pour faire entendre que l'honneur ne doit être estimé au profit, n'avaient couronne plus magnifique que celle de gramen et d'herbe verte, qu'ils estimaient plus précieuse que toutes les couronnes d'or des autres peuples. Aussi jamais elle ne fut décrétée, sinon à Q. Fabius Maximus surnommé Cunctateur, avec ce titre, PATRIAE SERVATORI. En quoi la sagesse des anciens Romains est fort louable, d'avoir par [le] même moyen chassé le loyer questuaire, et l'avarice, et engravé l'amour de vertu ès cœurs des sujets avec le burin d'honneur. Et, au lieu que les autres Princes sont fort empêchés à trouver argent, épuiser les finances, vendre leur [p. 453] domaine, fouler les sujets, confisquer les uns, dépouiller les autres pour récompenser leurs esclaves (combien que la vertu ne se peut estimer à prix d'argent), les Romains n'octroyaient que les honneurs. Et la moindre chose que rapportaient les Capitaines, était le profit ; et même, il y eut un soldat Romain qui refusa une chaîne d'or de Labienus, Lieutenant de César, pour avoir hasardé sa vie courageusement contre l'ennemi, disant qu'il ne voulait le loyer des avaricieux, mais des vertueux, qui est l'honneur qu'il faut toujours mettre devant les yeux d'un chacun. Mais il ne faut pas faire que la vertu suive, [mais] qu'elle passe devant l'honneur, comme il fut ordonné par le décret des anciens Pontifes, quand le Consul Marc Marcel eut fondé un temple à l'Honneur et à la Vertu ; afin que les vœux et sacrifices de l'un ne fussent confus avec l'autre, il fut avisé de faire un mur mitoyen, pour séparer le temple en deux, en sorte qu'on passât toutes [les] fois par le temple de Vertu pour entrer au temple d'Honneur. Aussi n'y avait-il que les anciens Romains, à bien dire, qui entendaient les mérites de vertu, et le vrai point d'honneur. Car combien que le Sénateur Agrippa n'avait pas laissé de quoi faire ses funérailles, ni le Consul Fabricius, ni le dictateur Cincinnatus de quoi nourrir leur famille, si estce que l'un fut tiré de la charrue à la Dictature, l'autre refusa la moitié des Royaumes de Pyrrhus pour maintenir sa réputation et son honneur. Jamais, dit Tite-Live, la République ne fut mieux garnie de grands personnages, que de ce temps-là, ni les états et honneurs ne furent [jamais] mieux distribués qu'ils étaient alors. Mais quand ce précieux loyer de vertu étant communiqué aux vicieux et indignes, devient contemptible et méprisé de tous, il se tourne en risée et déshonneur, ainsi qu'il advint des anneaux d'or, que la noblesse de Rome jeta voyant [p. 454] Falvius affranchi d'Appius, homme populaire, pourvu de l'état de Grand-voyer, ou Édile Curule, qu'on n'avait accoutumé de bailler sinon aux Nobles, [quoiqu'il] eût bien mérité envers le peuple ; et, [ce] qui plus est à craindre, c'est que les gens de bien ne quittent du tout la place aux méchants pour n'avoir part ni communication avec eux, comme fit Caton le jeune, lequel étant pris au sort avec plusieurs autres juges pour juger Gabinius, et voyant qu'ils tendaient à fin d'absolution, étant corrompus de présents, se retira de la rote devant tout le peuple, et rompit les tablettes qu'on lui avait baillées. Ainsi firent en ce Royaume les femmes pudiques, qui jetèrent les ceintures d'or, défendues à celles qui avaient souillé leur honneur, lesquelles néanmoins portaient la ceinture d'or : et lors ont dit, QUE BONNE RENOMMÉE VALAIT MIEUX QUE CEINTURE DORÉE. Car toujours les gens de vertu ont porté impatiemment d'être égalés aux méchants au loyer d'honneur. [729-735]

La plus dangereuse peste des Républiques est le trafic des offices et bénéfices.

Mais il est impossible de voir jamais la distribution des peines et loyers, tant que les

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Princes mettront en vente les états, offices et bénéfices, [chose] qui est la plus dangereuse et pernicieuse peste, qui soit ès Républiques. Tous les peuples y ont pourvu par bonnes lois, et, même en ce Royaume, les ordonnances de saint Louis portent infamie à ceux qui auront interposé la faveur de quelques-uns pour obtenir offices de judicature, qui ont été assez bien exécutées jusqu'au Roi François premier, et se gardent en Angleterre à toute rigueur, comme j'ai su par l’Ambassadeur Randon, Anglais. Ce qui est aussi bien étroitement ordonné par l'édit de Ferdinand, bisaïeul maternel de Philippe, fait l'an mil quatre cent nonante-deux, où la forme d'élire les offices de judicature est portée : et que no se puedan vender, ny trocar, officios de Alcaldia, ny algna-[p. 455] ziladgo, ny regimiento, ny veyntes quatria, ny fiel executoria, ny juraderia. Il n'est pas besoin de mettre par écrit les inconvénients et malheurs qui adviennent aux Républiques pour le trafic des états, car ce serait chose infinie et par trop connue d'un chacun. Toutefois, il, est plus difficile de persuader en l'état populaire, que telle marchandise est bonne, qu'en l'état Aristocratique, où les plus riches tiennent la souveraineté ; car c'est le moyen qu'ils ont pour forclore des états le menu peuple qui veut avoir part aux offices en l'état populaire sans payer finance ; et néanmoins il est mal aisé de bien garder les défenses quand le menu peuple tire profit pour élire les hommes ambitieux. Quant au Monarque, la pauvreté quelquefois le contraint de casser les bonnes lois pour subvenir à ses affaires. Et depuis qu'une fois on a fait cette ouverture, il est presque impossible d'y remédier. La loi Petilia défendait d'aller aux foires et assemblées pour mendier la faveur et la voix des citoyens ; et même la loi Papiria ne souffrait pas qu'on portât la toge blanche ; la loi Calpurnia déclarait incapables à jamais de demander offices, tous ceux qui seraient condamnés d'ambition, hormis celui qui avait fait condamner son compétiteur comme ambitieux, il emportait son état. Depuis, les peines furent augmentées par la loi Tullia, publiée à la requête de Cicéron, car il fit ordonner que le Sénateur condamné d'ambition serait banni pour dix ans ; toutefois, les plus riches ne laissaient pas d'y contrevenir, et d'envoyer leurs corratiers en l'assemblée des états avec grandes sommes de deniers, pour corrompre le peuple, de sorte que César, craignant avoir au Consulat homme qui lui fit tête, offrit à son ami Luceius autant d'argent qu'il en fallait pour acheter les voix du peuple ; de quoi le Sénat étant averti, ordonna une grande somme de deniers à son compétiteur Marc Bibule pour acheter la voix du peuple, [p. 456] comme dit Suétone. Cela se fit sur le déclin de l'état populaire, qui fut renversé pour cette occasion. Car il est bien certain que ceux-là qui mettent en vente les états, offices et bénéfices, ils vendent aussi la chose la plus sacrée du monde, qui est la justice ; ils vendent la République, ils vendent le sang des sujets, ils vendent les lois, et, ôtant les loyers d'honneur, de vertu, de savoir, de piété, de religion, ils ouvrent les portes aux larcins, aux concussions, à l'avarice, à l'injustice, à l'ignorance, à l'impiété, et, pour le faire court, à tous vices et ordures. Et [il] ne faut point que le Prince s'excuse sur la pauvreté, car il n'y a excuse du monde véritable, ni vraisemblable, de chercher la ruine d'un état sous le voile de pauvreté.

Les inconvénients qui proviennent de l'achat des offices. Combien que c'est chose ridicule à un Prince de prétendre la pauvreté, vu qu'il a trop de moyens d'y obvier, s'il y veut entendre. Nous lisons que jamais l'Empire Romain ne fut plus pauvre, ni plus endetté, que sous l'Empire d'Héliogabale, monstre de nature. Et toutefois, Alexandre

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Sévère, son successeur, l'un des plus sages et vertueux Princes qui fut, n'endura jamais la vente des offices, et dit tout haut en plein Sénat : Non patiar mercatores potétatum. Et néanmoins ce bon Empereur ravala les charges et impôts, de telle sorte que celui qui payait trente et un écu sous Héliogabale, ne paya qu'un écu sous Alexandre. Encore avait-il délibéré n'en prendre que le tiers s'il eût vécu. Mais il ne régna que quatorze ans, après avoir acquitté les dettes de son prédécesseur, et soutenu les efforts des Parthes et des peuples de Septentrion, laissant l'Empire florissant en armes et en lois. Vrai est que sa maison était sagement réglée, les prodigalités excessives retranchées, les dons écharsement distribués, les larrons éclairés de si près, qu'il n'en réchappait jamais un dont il eût connaissance ; aussi les avait-il en extrême horreur. [p. 457] Il était sévère, mais cela non seulement rendait sa majesté plus grande, [mais] aussi faisait que les flatteurs et rats de Cour n'osaient approcher de lui. Nous avons montré ci-dessus que la douceur d'un Prince, et niaise simplicité, est pernicieuse à un état. Depuis que le grand Roi François devint sur l'âge austère et peu accessible, les flatteurs et sangsues de Cour vidèrent, et peu à peu il ménagea si bien, qu'il se trouva après sa mort quitte, et dix-sept cent mille écus en l'épargne, outre le quartier de Mars, qui était prêt à recevoir, et son Royaume plein de savants hommes, de grands Capitaines, de bons Architectes, et de toutes sortes d'artisans, et les frontières de son état jusqu'aux portes de Milan, et une paix assurée avec tous les Princes. Et combien qu'il avait eu plus d'affaires et plus d'ennemis que Roi qui fut de son temps, et payé sa rançon, si est-ce qu'il embellit ce Royaume de beaux et grands édifices, villes et forteresses. Mais la facilité et trop grande bonté de son successeur a fait, peut-être, que douze ans après, le Roi Charles neuvième trouva l'état endetté de quarante et trois millions, quatre cent quatre-vingt trois mille neuf cent trente et neuf livres, comme j'ai par l'état des finances, et les pays de Piémont, de Savoie, tout ce qu'on avait acquis en trente ans, perdus, et le reste bien engagé. Je ne dis point combien la France déchut de la splendeur et dignité qu'elle avait eues, combien les grands personnages furent éloignés de leur degré, les vertueux hommes rabaissés, les savants méprisés. Et tous ces malheurs sont advenus pour avoir prodigalement donné les états, offices, bénéfices et finances aux indignes, et souffert l'impunité des méchants. Si donc le Prince veut laisser la peine aux Magistrats et Officiers, comme nous avons dit qu'il est expédient, et distribuer les loyers à qui il appartient, donnant les bienfaits peu à peu, afin que la grâce en soit plus durable, et les peines tout à [p. 458] coup, afin que la douleur en soit moins grave à celui qui souffre, et la crainte gravée plus avant au cœur des autres. En ce faisant, il remplira non seulement sa République de gens vertueux, et donnera la chasse aux méchants, [ce] qui est le comble de la félicité des Républiques, [mais] aussi bientôt il acquittera ses dettes, s'il est endetté, et s'il est quitte, il conservera le trésor de son épargne. Et afin que le Prince ne soit surpris en donnant, il est expédient de mettre en exécution une très belle et ancienne ordonnance de Philippe de Valois, vérifiée en la Cour de Parlement, et en la chambre des Comptes, par laquelle il fut arrêté que tous dons du Roi seraient nuls, s'ils ne contenaient les dons précédents octroyés aux donataires, et à leurs prédécesseurs ; la vérification est en date de l'onzième [jour] de Mai mil trois cent trente-trois. Mais deux ans après, l'ordonnance fut révoquée par le moyen de ceux qui avaient senti combien cela leur portait de préjudice, et [il] fut dit qu'il suffirait que la

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dérogatoire y fût apposée, comme j'ai appris des anciens registres de la Cour. Il y a encore une autre ordonnance de Charles huitième, qui porte que tout don au-dessus de cent livres sera vérifié. Mais depuis on y a fait tant de fraudes, qu'il s'est trouvé homme si hardi en ce Royaume, de se vanter en la plus belle assemblée qui fût lors, d'avoir acquis, outre les états qu’il tenait, cinquante mille livres de bonne rente, et toutefois qu'il ne se trouverait pas en tous les registres de là chambre un seul don à lui fait, [quoiqu'il] fût tout notoire qu'il n'avait rien que du Roi. Il ne faut donc pas s'émerveiller des grande dettes, puisque les finances sont épuisées si excessivement, et d'une façon si étrange, que celui qui plus en a reçu, fait à croire qu'il n'a rien eu. Combien que donner tant à une personne, [quoi] qu'il [le] méritât bien, non seulement épuise les finances d'une République, [mais] encore incite les mal [p. 499] contents à séditions et rébellions. Et l'un des moyens de conserver un état en sa grandeur, est [de] distribuer les dons et loyers à plusieurs, afin de contenter un chacun, et que les uns fassent contrecarre aux autres. [742-746]

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