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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 199]

CHAPITRE II

De la Monarchie Seigneuriale

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Nous avons dit que la Monarchie est une sorte de République, en laquelle la souveraineté absolue gît en un seul Prince. Il faut maintenant éclaircir cette définition. J'ai dit en un seul, aussi le mot de Monarque l'emporte ; autrement, si nous y en mettons deux ou plusieurs, pas un n'est souverain, d'autant que le souverain est celui qui ne peut être commandé de personne, et qui peut commander à tous. Si donc il y a deux Princes égaux en puissance, l'un n'a pas le pouvoir de commander à l'autre, ni souffrir commandement de son compagnon, s'il ne lui plaît, autrement ils ne seraient pas égaux :

Duarchie, Triarchie, et autres espèces d'Oligarchies, sont comprises sous la définition générale d’Aristocratie. Il faut donc conclure que de deux Princes en une République, égaux en pouvoir, et tous deux sei-[p. 200] gneurs de même peuple et de même pays par indivis, ni l'un ni l'autre n'est souverain, mais bien on peut dire que tous deux ensemble ont la souveraineté de l'état, [ce] qui est compris sous le mot d'Oligarchie, et proprement s'appelle Duarchie, qui peut être durable tant que les deux Princes seront d'accord, comme Romule et Tatius, tous deux Rois des Quirites, peuple composé des Romains et Sabins. Mais Romule bientôt après fit tuer son compagnon, comme il avait fait son frère ; aussi l'empire Romain fut changé de Monarchie en Binarchie, sous Marc Aurèle, qui fut Empereur avec son frère Aelius Verus. Mais l'un mourut bientôt après, car si deux Princes ne sont bien d'accord ensemble, comme il est presque inévitable en égalité de puissance souveraine, il faut que l'un soit ruiné par l'autre. Aussi, pour éviter discord, les Empereurs partageaient l'état en deux, l'un était Empereur d'Orient, l'autre du Ponent ; l'un tenait son siège à Constantinople, l'autre à Rome ; tellement que c'étaient deux Monarchies, [bien] que les édits et ordonnances fussent publiées d'un commun consentement des deux Princes, pour servir à l'un et à l'autre Empire. Mais sitôt qu'ils tombaient en querelle, les deux Empires étaient alors divisés de fait, de puissance, de lois et d'état.

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Autant peut-on dire de la Monarchie des Lacédémoniens, qui dura jusqu'à la mort du Roi Aristodème, lequel laissant Procle et Euristhène ses deux enfants Rois d'un même pays, et par indivis, l'état leur fut bientôt ôté par Lycurgue, [bien] qu'il fût prince du sang d'Hercule, et qu'il pût parvenir à l'état. Le semblable advint aux Rois des Messéniens, Amphareus et Leucippus ; mais les Argiens, pour éviter à la pluralité de Rois, étant le royaume échu à Atreus et Thyeste, le peuple adjugea tout le royaume au plus savant, comme dit Lucien. Et les Princes du [p. 201] Sang de Mérovée et de Charlemagne partagèrent le royaume entre eux, comme on voit les enfants de Clovis, et de Louis Débonnaire. Et [il] ne s'en trouve point qui aient été Rois par indivis, pour les inconvénients qui adviennent de la souveraineté tenue en commun, où il n'y a personne [qui soit] souverain ; hormis quand un Prince étranger épouse une Reine, ordinairement on met l'un et l'autre conjointement comme souverains ès mandements et lettres patentes, comme il se fit de Ferdinand et Isabelle Roi et Reine de Castille, Antoine et Jeanne Roi et Reine de Navarre. Mais les Anglais ne voulurent pas permettre que Philippe d'Espagne ayant épousé Marie d'Angleterre, eût part aucune à la souveraineté, ni aux fruits et profits [de celle-ci] : [quoiqu'ils] accordassent bien qu'ils fussent tous deux en qualité, et que l'un et l'autre pût signer, à la charge toutefois que le seing de la Reine suffirait, et que sans [celui-ci] le seing du Roi Philippe n'aurait aucun effet. Ce qui fut ainsi accordé à Ferdinand Roi d'Aragon, ayant épousé Isabelle, tous les mandements étaient ainsi signés, Yo el Rey, et Yo la Reyna, et le Secrétaire d'état avec six Docteurs : mais la souveraineté pour le tout était en la Reine. [Ce] qui est le plus fort argument qu'on pouvait faire aux Manichéens, qui posaient deux Dieux égaux en puissance : l'un bon, l'autre mauvais. Car s'il était ainsi, étant contraires l'un à l'autre, ou l'un ruinerait l'autre ou ils seraient en guerre perpétuelle, et troubleraient sans cesse la douce harmonie et concorde que nous voyons en ce grand monde. Et [comment] ce monde souffrirait-il deux seigneurs égaux en puissance, et contraires en volonté, vu que la moindre République n'en peut souffrir deux, [bien] qu'ils soient frères, s'ils tombent tant soit peu en division ? Beaucoup plus aisément se comporteraient trois princes que deux, car le troisième pourrait unir les [p. 202] deux, ou se joignant avec l'autre, le contraindre de vivre en paix : comme il advint tandis que Pompée, César et Crassus, qu'on appelait le Monstre à trois têtes, furent en vie, ils gouvernèrent paisiblement l'Empire Romain, qui ne dépendait que de leur puissance. Mais sitôt que Crassus fut tué en Chaldée, les deux autres se firent la guerre si opiniâtrement, qu'il fut impossible les réunir, ni vivre en paix, que l'un n'eût défait l'autre. Le semblable advint d'Auguste, Marc Antoine et Lépide, lesquels néanmoins avaient fait d'une République populaire trois Monarchies, qui furent réduites à deux, après qu'Auguste eut dépouillé Lépide, et les deux réunies en une, après la journée Actiaque, et la fuite de Marc Antoine. Par ainsi, nous tiendrons cette résolution, que la Monarchie ne peut être s'il y a plus d'un Prince. Or toute Monarchie est seigneuriale, ou Royale, ou Tyrannique : ce qui ne fait point diversité de Républiques, mais cela provient de la diversité de gouverner la Monarchie.

Différence de l'état et du Gouvernement. Car il y a bien différence de l'état et du gouvernement : qui est une règle de police qui n'a point été touchée de personne ; car l'état peut être en Monarchie, et néanmoins il sera gouverné populairement si le

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Prince fait part des états, Magistrats, offices, et loyers également à tous sans avoir égard à la noblesse, ni aux richesses, ni à la vertu. Il se peut faire aussi que la Monarchie sera gouvernée Aristocratiquement quand le prince ne donne les états et bénéfices qu'aux nobles, ou bien au plus vertueux seulement, ou aux plus riches ; aussi la seigneurie Aristocratique peut gouverner son état populairement, distribuant les honneurs et loyers à tous les sujets également, ou bien Aristocratiquement, les distribuant aux nobles ou aux riches seulement ; laquelle variété de gouverner a mis en erreur ceux qui ont mêlé les Répu-[p. 203] bliques, sans prendre garde que l'état d'une République est différent du gouvernement et administration [de celle-ci], mais nous toucherons ce point ici en son lieu. Donc, la Monarchie royale, ou légitime, est celle où les sujets obéissent aux lois du Monarque, et le Monarque aux lois de nature, demeurant la liberté naturelle et propriété des biens aux sujets. La Monarchie seigneuriale est celle où le Prince est fait Seigneur des biens et des personnes par le droit des armes, et de bonne guerre, gouvernant ses sujets comme le père de famille ses esclaves. La Monarchie tyrannique est où le Monarque méprisant les lois de nature, abuse des personnes libres comme d'esclaves, et des biens des sujets comme des siens. La même différence se trouve en l'état Aristocratique et populaire : car l'un et l'autre peut être légitime, seigneurial, ou tyrannique en la sorte que j'ai dite ; et le mot de Tyrannie se prend aussi pour l'état turbulent d'un peuple forcené, comme Cicéron a très bien dit. Quant à la Monarchie seigneuriale, il est besoin de la traiter la première, comme celle qui a été la première entre les hommes. [270-273]

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