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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 305]

CHAPITRE VII

Des Corps et Collèges, États et Communautés

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Après avoir parlé de la famille et de ses parties, de la Souveraineté et des Magistrats, il faut dire des corps et Collèges. Disons donc premièrement de la cause des corps et Collèges, et puis de leur puissance et privilèges en général, et la manière de les punir s'ils offensent ; en dernier lieu si la République s'en peut passer.

Différence [entre] famille, Collège et République. La différence de la famille aux corps et Collèges, et de ceux-ci à la République, est telle que [le] tout à ses parties ; car la communauté de plusieurs chefs de famille ou d'un village, ou d'une ville, ou d'une contrée, peut être sans République, aussi bien que la famille sans Collège. Et tout ainsi que plusieurs familles, alliées par amitié, sont membres d'un corps et communauté, [de même] aussi plusieurs corps et [p. 306] communautés, alliés par puissance souveraine, font une République. La famille est une communauté naturelle, le Collège est une communauté civile. La République a cela davantage, que c'est une communauté gouvernée par puissance souveraine, et qui peut être si étroite, qu'elle n'aura ni corps ni Collège, [mais] seulement plusieurs familles. Et par ainsi, le mot de Communauté est commun à la famille, au collège, et à la République ; et proprement le corps s'entend, ou de plusieurs familles, ou de plusieurs collèges, ou de plusieurs familles et collèges.

Origine des collèges. Et l'origine des corps et collèges est venue de la famille, comme du tige principal, duquel étant sorti plusieurs branches, il fut nécessaire de bâtir maisons, puis hameaux et villages, et voisiner en sorte qu'il semblât que ce ne fût qu'une famille, jusqu'à ce que la multitude ne se pouvant plus loger, ni vivre en même lieu, fût contrainte [de] s'écarter plus loin ; et peu à peu les villages s'étant faits bourgs, et séparés de biens et de voisinage, sans lois, sans Magistrats, sans Principauté souveraine, entraient aisément en querelles et débats, qui pour une fontaine, qui pour un puits, comme nous lisons même ès saintes écritures, où les plus forts l'emportaient, et chassaient les plus faibles de leurs maisons et villages. [Ce] qui fut cause d'environner les bourgs, de fossés, et puis de murailles telles qu'on pouvait ;

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et s'allier ensemble par sociétés, les uns pour défendre leurs maisons, biens et familles de l'invasion de plus forts ; les autres pour assaillir, et chasser ceux qui s'étaient accommodés, piller, voler et brigander : car le plus grand point d'honneur et de vertu qui fût entre les premiers hommes, dit Plutarque, était de massacrer, tuer, ruiner les hommes, ou les rendre esclaves. [474-475]

La puissance des Collèges. L'origine et définition [p. 307] des collèges et communautés éclaircie, il faut parler de leur puissance en général, et de ce qui n'est point déterminé par la fondation, statuts, et privilèges particuliers, qui sont divers pour la diversité des communautés et presque infinis. /.../ Car en toutes communautés, quand il est question de ce qui est commun à tous en particulier et divisement, le consentement exprès d'un chacun y est requis ; mais s'il est question de ce qui est commun à tous par indivis, et conjointement, il suffit que la plupart soit d'une opinion pour obliger le surplus, pourvu qu'il ne soit rien ordonné contre les statuts du collège, établis par le souverain, ou bien par le fondateur du corps et collège, autorisé par le souverain. Demeurant donc les ordonnances de la République, et les statuts en leur entier, le collège peut faire ordonnance, qui oblige la moindre partie en nom collectif, et tous les collègues en particulier, pourvu que les deux tiers aient assisté à l'assemblée, [encore] qu'ils n'aient pas été tous d'un avis ès choses qui concernent la communauté. Mais la plupart de tous assemblés en corps ne sont point tenus à leurs statuts, et beaucoup moins tout le collège non plus que le Prince à sa loi, ou le testateur à son testament, ou les particuliers à leurs conventions, desquelles ils se peuvent départir d'un commun consentement ; et [il] suffit des deux tiers du collège pour casser l'ordonnance faite de tout le collège, ce qui est général à toutes sortes de communautés, états, corps et collèges, s'il n'est question de choses communes à tous en nom collectif. Mais si les états sont assemblés de plusieurs corps, comme les états de l'Empire, et toutes les Républiques composées des trois ordres, à savoir de l'ordre Ecclésiastique, de la Noblesse, et du peuple, les deux ne peuvent rien faire au préjudice du tiers : comme Bodin député par le tiers état de France à Blois remontra aux deux ordres, que c'était [p. 308] chose pernicieuse à l'état de ce royaume, de nommer trente-six Juges pour assister au jugement des cahiers des états, pour beaucoup de raisons nécessaires par lui discourues ; mais voyant que l'Archevêque de Lyon président de l'état Ecclésiastique mit en avant que l'Église et la Noblesse l'avaient ainsi résolu, Bodin remontra qu'on avait de toute ancienneté gardé telle prérogative à chacun des trois états, que les deux ne pouvaient rien arrêter au préjudice du tiers, et que cela avait passé sans difficulté aux États d'Orléans ; et même qu'il était ainsi pratiqué aux états de l'Empire, d’Angleterre et d'Espagne, et, pour cette cause, [il] supplia les deux ordres de prendre de bonne part s'il empêchait comme ayant charge du tiers état. [Ce] qui fut cause que la chose étant mise derechef en délibération, l'ordre Ecclésiastique et la Noblesse changèrent d'avis. Et ce jour-là, le Roi dit en présence de Ruze Évêque d'Angers et d'autres seigneurs, que Bodin avait manié les États à son plaisir. Mais s'il était question d'une chose commune à tout le corps ou collège, et qui en portât coup aux autres membres entiers du corps universel, la plupart en peut décider à sa discrétion, [quoique] toute la communauté eût ordonné que les statuts ne fussent cassés, si tous les collègues n'étaient de cet avis, car toujours la plupart de la communauté est réputée pour le tout ; même la loi a voulu que celui

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qui sera élu du collège, ou de la communauté, pour traiter et décider les affaires communes, puisse obliger un chacun du collège. En quoi s'abusent ceux-là qui ont écrit que les deux tiers du collège ne peuvent rien faire, si le collège a fait statut que tous y consentent ; car si cela avait lieu, un seul pourrait empêcher en ce cas les avis, arrêts et délibérations de toute la communauté, [ce] qui est contre la disposition formelle de la loi, qui veut que la plupart, en tous actes concernant la communauté, soit [p. 309] la plus forte, et que la plupart des deux tiers puisse donner loi à tous en particulier, soit qu'ils aient été présents ou absents ; et même ès choses légères il n'est besoin que tous soient présents, pourvu que tous soient appelés ; mais ès choses de poids et conséquence, il est besoin que les deux tiers soient présents, [encore] qu'ils ne prêtent pas tous leur consentement ; s'il n'y a loi ou ordonnance spéciale, qui veuille que les deux tiers soient d'un avis, comme il est requis ès corps et collèges des Juges de ce Royaume par l'ordonnance de Louis XII quand il est question des causes civiles, et par l'ordonnance de Grégoire X pour l'élection du Pape, il faut que les deux tiers des Cardinaux soient d'un avis ; comme en plusieurs élections des chefs de collège, il est nécessaire que les deux tiers du collège soient d'un avis. Et quelquefois il est nécessaire que tous les collègues soient d'accord, comme il était requis que tous les Tribuns fussent d'accord, autrement un seul empêchait tout le collège des Tribuns ; et s'ils étaient tous d'accord, on mettait en l'acte ces mots, Pro Collegio. Autrement, s'il n'y a statut ou ordonnance spéciale, la plupart des deux tiers suffit en tous actes concernant la communauté des corps et collèges. Mais aussi est-il nécessaire, que le consentement duquel nous parlons, soit prêté en assemblée du corps ou collège, car combien que tous les collègues eussent consenti séparément à quelque chose, concernant ce qui est commun à tout le collège, si est-ce que l'acte ne peut avoir aucun effet, ni pour, ni contre ceux qui l'ont consenti, [bien] que ce fût, devant notaires ; car le collège n'a pas fait, ce que tous les collègues ont fait séparément, et [il] ne suffit pas que tous ceux d'un corps soient appelés, si ce n'est en temps et lieu ordonné par les statuts. En quoi plusieurs se sont travaillés, à savoir qui sera celui qui assemblera le collège : et [ils] sont d'avis que le plus ancien du [p. 310] collège a puissance de faire appeler les autres et les contumacer, non pas toutefois qu'il puisse les condamner à l'amende, [ce] qui est chose ridicule, si la contumace ne peut être punie par lui ni par ceux du collège, comme il est bien certain. C'est pourquoi le Sénat ne se put assembler pendant le consulat de César, parce que le Consul ne le voulait pas, comme nous avons dit ci-devant. Aussi, les uns se sont départis de cette opinion et ont tenu que les deux tiers du collège, pour faire appeler les autres, se doivent assembler ; mais ils ne disent point qui fera appeler les deux tiers, combien que s'il suffît de deux tiers pour faire et arrêter les affaires du corps et communauté, il ne se faut point travailler du surplus, étant tous les collègues appelés. Toutefois, la coutume gardée presque en tous corps et collèges est que les anciens font appeler les autres, ou bien ils s'assemblent au son de la cloche ou de la trompette, comme il se faisait anciennement en Grèce et en Rome, quand les Magistrats, qui avaient cette puissance de faire assembler le peuple ou le Sénat, faisaient publier leurs mandements à son de trompe, à tous en particulier, et non pas en nom collectif ; et cela proprement s'appelait concio, comme dit Feste Pompée, et pouvait le Magistrat procéder par amendes et saisie de meubles contre ceux qui feraient refus ; ainsi voyons-nous que

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Marc Antoine Consul menaça Cicéron de lui faire ruiner sa maison, s'il ne venait au Sénat. Il n'y a point de difficulté, quand les magistrats ont puissance de commander. Mais si le collège n'a point de chef ni de magistrat qui ait pouvoir, ou bien ayant la puissance qu'il n'ait la volonté de contraindre ceux qui ne voudront obéir, celui qui a intérêt à faire assembler le collège, doit obtenir commission du Magistrat pour user de contrainte.

Donc, pour conclure cette question de la puissance des états, corps, et communautés licites, nous dirons [p. 311] que la loi de Solon a lieu généralement en toute République, et est approuvée des Jurisconsultes et Canonistes, c'est à savoir qu'il est permis à tous corps et communautés licites, faire telles ordonnances qu'ils aviseront pour le mieux, pourvu que par [celles-ci] il ne soit dérogé aux statuts du collège faits ou homologués par le souverain, ou contre les édits et ordonnances de la République. Il n'était point défendu anciennement aux corps et collèges de faire ordonnance, sans déroger aux lois publiques, et y apposer telle et si grande peine qu'il plaisait au collège. Mais depuis, par les statuts et ordonnance de chacun collège et République, ce pouvoir a été ordinairement retranché à certaine petite amende. Et ne suis pas de l'avis de ceux qui tiennent que le collège peut établir ordonnances, sans toutefois peine quelconque, car la loi, l'ordonnance, le statut est inutile et ridicule, si la peine n’est apposée contre ceux qui désobéiront ; ou, pour le moins, que celui qui fait l'ordonnance n'ait la puissance de la faire entretenir par peines arbitraires. Aussi voit-on en plusieurs lieux que les corps des métiers qui ont droit de communauté, ont toujours quelque forme de coercition, et de visiter les ouvrages et marchandises, les saisir, gâter, ou confisquer, s'il est rien fait contre les ordonnances, sauf toutefois la connaissance du Magistrat, s'il y a opposition. Quand je dis droit de communauté, j'entends que les corps et collèges puissent traiter en leurs assemblées seulement ce qui leur est commun, mais il n’est pas permis traiter autres affaires, sous la peine établie aux corps et assemblées illicites. Voilà quant à la puissance, droits et privilèges des corps et communautés en général, disons maintenant de la forme de les punir, s'ils ont offensé. Combien qu'on peut dire qu'il n'échoit point de peine où il n'y a point d'offense : or est-il que le collège, ou la communauté ne peut [p. 312] offenser, vu même que le collège ne peut consentir, ni rien faire par dol ou fraude, comme dit la loi, et qu'il n'y a point d'action de dol contre un corps ou communauté, [encore] que tous les collègues d'un même collège, ou les habitants d'une ville, ou les états d'un pays eussent consenti : chose toutefois qu'il est impossible ès corps et communautés de villes, contrées, provinces ou Républiques, attendu que les enfants et furieux ne peuvent consentir.

Forme de punir les corps et communautés. Mais d'autant que les actes faits par la pluralité des collègues assemblés collégialement, ou d'un corps de ville en assemblée légitime, sont réputés comme s'ils étaient faits par tout le collège, ou par tous les habitants d'une ville, c'est pourquoi en ce cas toute la communauté est punie, comme il se fait ès rébellions des villes et séditions des communautés, qui sont punies en corps par privation de privilèges, droit de communauté, amendes, charges, servitudes et autres peines selon la qualité du forfait. Mais telle punition ne doit avoir lieu si la rébellion ou autre crime ne s'est commis par l'avis de la communauté, et arrêté en

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l'assemblée, comme il fut jugé par arrêt de la Cour de Parlement, pour la communauté de Corbeil ; et néanmoins, s'il échoit punition corporelle, on ne doit punir que ceux qui ont prêté consentement, [quoique] la communauté ou collège soit condamné en corps, car même pour simple délit fait par plusieurs sans collège ni communauté, il n'y a sinon action contre un chacun en particulier, et pour le tout, de sorte que, l'un ayant satisfait, les autres sont quittes ; mais si la chose s'est faite par quelqu'un suivant l'avis, conseil et délibération de tous, ils peuvent tous être appelés et chacun solidairement, [bien] que l'un étant appelé les autres ne sont pas quittes. [485-489]

S'il est bon d’ôter ou endurcir les corps et collèges. [p. 313] Nous avons dit que les hommes par sociétés et compagnies mutuelles, s'acheminèrent aux alliances et communautés des états, corps et collèges, pour composer enfin les Républiques que nous voyons, qui n'ont point de fondement plus sûr après Dieu que l'amitié et bienveillance des uns envers les autres ; laquelle amitié ne se peut maintenir que par alliances, sociétés, états, communautés, confréries, corps et collèges. Et par ainsi, demander si les communautés et collèges sont nécessaires à la République, c'est demander si la République peut être maintenue sans amitié, sans laquelle même le monde ne peut subsister. Ce que je dis, pour autant, [est] qu'il y en a qui ont été, et sont d'avis que tous corps et collèges soient abolis, et ne regardent pas même que la famille et la République même, ne sont autre chose, sinon communautés. [Ce] qui est l'erreur auquel les plus grands esprits se heurtent le plus souvent, car, pour une absurdité qui advient d'une bonne coutume, ou ordonnance, ils veulent rayer et biffer l'ordonnance, sans avoir égard au bien qui en réussit d'ailleurs. Je confesse bien que les collèges et communautés mal réglées tirent après soi beaucoup de factions, séditions, partialités, monopoles, et quelquefois la ruine de toute la République, et qu'au lieu d'une amitié sacrée et bienveillance charitable, on y voit naître des conjurations et conspirations des uns envers les autres. Et qui plus est, on a vu, sous ombre de Religion, que plusieurs collèges ont couvé une exécrable et détestable impiété /.../

Mais il est certain que le Prince portant faveur à une secte, et méprisant l'autre, l'anéantira sans force ni contrainte, ni violence quelconque, si Dieu ne la maintient, car l'esprit des hommes résolus plus se roidit, tant plus on lui résiste, et se lâche si on ne lui fait tête. [J'ajoute] aussi qu'il n'y a rien plus dange-[p. 314] reux à un Prince, que de faire preuve de ses forces contre ses sujets, si on n'est bien assuré d'en venir à chef ; car c'est armer et montrer les griffes au lion pour combattre son maître. Et si les plus sages Princes y sont fort empêchés, que doit-on attendre d'un Prince qui se voit assiégé de flatteurs et de calomniateurs, qui soufflent à toute puissance le feu de la sédition, pour embraser les plus grandes maisons ? Comme sous les premiers Empereurs, on trouva des calomnies si lourdes et impudentes, qu'il n'en fut [jamais] auparavant inventé de plus étranges pour abolir les corps et collèges des Chrétiens. Car on les chargeait d'être Athéistes, incestueux et parricides, et [de] manger le fruit qui provenait de leurs incestes, ainsi qu'on peut voir aux Apologies de l'Orateur Athénagoras, et de Tertullien. La même accusation fut intentée contre les Templiers sous le règne de Philippe le Bel, qui fut cause d'en faire brûler grand nombre, et abolir tous leurs collèges ; mais les Allemands ont laissé par écrit que c'était une pure

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calomnie, pour avoir leurs grands biens et richesses. On fit le semblable envers les corps et collèges des Juifs, tant en France sous Dagobert, Philippe Auguste, et Philippe le Long, que depuis en Espagne sous Ferdinand Roi d'Aragon et de Castille, lequel par piété impitoyable les chassa de tout le pays, et s'enrichit de leurs biens. Donc, pour résoudre cette question, s'il est bon d'avoir des états, collèges et communautés, et si la République s'en peut passer, on peut dire, à mon avis, qu'il n'y a rien meilleur pour maintenir les états populaires, et ruiner les tyrannies ; car ces deux Républiques, en soi contraires, se maintiennent et [se] ruinent par moyens tout contraires ; et, par même suite de raisons, les états Aristocratiques et justes Royautés sont maintenus par la médiocrité [i.e. moyen] de certains états, corps et communautés bien réglées. Et tout [p. 315] ainsi que l'état populaire reçoit et embrasse tous collèges, corps et communautés, comme nous avons dit que fit Solon, établissant l'état populaire des Athéniens, [de même] aussi, le tyran s'efforce les abolir du tout, sachant bien que l'union et amitié des sujets entre eux est sa ruine inévitable. [495-499]

FIN DU TROISIÈME LIVRE

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