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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 428]

CHAPITRE II

Les moyens de remédier

aux changements des Républiques, qui adviennent pour les richesses excessives des uns, et pauvreté extrême des autres

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La principale occasion des changements qui adviennent aux Républiques. De toutes les causes des séditions, et changements de Républiques, il n'y en a point de plus grande que les richesses excessives de peu de sujets, et la pauvreté extrême de la plupart. Les histoires en sont pleines, où l'on peut voir que ceux-là qui ont prétendu plusieurs causes du mécontentement qu'ils avaient de l'état, ont toujours empoigné la première occasion qui s'est présentée, pour dépouiller les riches de leurs biens. Toutefois, ces changements et séditions étaient plus fréquentes anciennement qu'elles ne sont à présent, pour le nombre infini d'esclaves, qui étaient trente ou quarante pour un qui était libre. Et le plus grand loyer de leur service était de se voir affranchis, [bien] qu'ils n'emportassent bien souvent autre chose que [p. 429] la liberté, que plusieurs achetaient de ce qu'ils avaient pu épargner toute leur vie, ou emprunter et s'obliger à le rendre, outre les corvées qu'ils devaient à ceux qui les avaient affranchis ; et néanmoins ils avaient nombre infini d'enfants, qui viennent ordinairement à ceux qui sont plus travaillés, et qui sont plus continents, de sorte que se voyant en liberté, et assiégés de pauvreté, il fallait pour vivre, emprunter, et payer aux créanciers quelque profit en deniers, ou fruits, ou corvées. Et plus ils allaient en avant, plus ils étaient chargés, et moins s'acquittaient, car l’usure, que les Hébreux appellent morsure, non seulement ronge le débiteur jusqu'aux os, [mais] aussi suce tout le sang et la moelle des os ; [ce] qui faisait enfin que les pauvres étant multipliés et affamés, s'élevaient contre les riches, et les chassaient des maisons et des villes, ou vivaient sur eux à discrétion.

Les deux pestes de toutes Républiques. C'est pourquoi Platon appelait les richesses, et la pauvreté, les anciennes pestes des Républiques, non seulement pour la nécessité qui presse les affamés, [mais] aussi pour la honte, combien que c'est une

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très mauvaise et dangereuse peste que la honte. Pour à quoi obvier, on cherchait une égalité, que plusieurs ont fort louée, l'appelant mère nourrice de paix et amitié entre les sujets. Et au contraire, l'inégalité source de toutes inimitiés, factions, haines, partialités, car celui qui a plus qu'un autre, et qui se voit plus riche en biens, il veut aussi être plus haut en honneur, en délices, en plaisirs, en vivres, en habits ; il veut être révéré des pauvres qu'il méprise et foule aux pieds ; et les pauvres de leur part, conçoivent une envie et jalousie extrême, de se voir autant ou plus dignes que les riches, et néanmoins être accablés de pauvreté, de faim, de misère, de contumélie. Voilà pourquoi plusieurs anciens Législateurs divisaient les [p. 430] biens également à chacun des sujets, comme de notre mémoire Thomas le More, Chancelier d'Angleterre, en sa République, dit, que la seule voie de salut public est si les hommes vivent en communauté de biens : ce qui ne peut être fait où il y a propriété. Et Platon ayant pouvoir d'établir la République et nouvelle colonie des Thébains et Phocéens, du consentement des sujets qui lui décernèrent ambassadeurs à cette fin, s'en alla sans rien faire, parce que les riches ne voulaient point faire part de leurs biens aux pauvres. Ce que Lycurgue fit avec le danger de sa vie, car après avoir banni l'usage d'or et d'argent, il partagea également tous les héritages. Et combien que Solon ne pût faire le semblable, si est-ce que la volonté ne lui manquait pas, attendu qu'il 1 octroya la rescision des obligations, et une générale abolition de dettes. Et depuis que l'or et l'argent fut reçu en Lacédémone, après la victoire de Lysandre, et que la loi testamentaire fut introduite, [choses] qui causèrent en partie l'inégalité de biens, le Roi Agis voulant réduire tout à l'égalité ancienne, fit apporter toutes les obligations qu'il jeta au feu, disant qu'il n'avait jamais vu si beau feu ; puis il commença à ses biens pour les partager avec les autres également. Aussi, Nabis le tyran ayant pris la ville d'Argos, publia deux édits l'un pour quitter toutes les dettes, l'autre pour diviser les héritages à chacun duas faces, dit Tite-Live, novantibus res ad plebem in optimates accendendam. Et quoique les Romains aient été plus équitables et mieux entendus au fait de la Justice que les autres peuples, si ont-ils souvent octroyé la rescision générale des dettes, tantôt pour un quart, tantôt pour un tiers, et quelquefois pour le tout. Et [ils] n'avaient moyen plus expédient d'apaiser soudain les troubles et séditions. En sorte que les seigneurs des Thuriens, ayant acquis tous les héritages, [p. 431] le menu peuple se voyant endetté, et dénué de tout bien, chassa les riches de leurs biens et maisons.

Mais, d'autre part, on peut dire que l'égalité de biens est très pernicieuse aux Républiques, lesquelles n'ont appui ni fondement plus assuré que la foi, sans laquelle ni la justice, ni société quelconque ne peut être durable ; or, la foi gît aux promesses des conventions légitimes. Si donc les obligations sont cassées, les contrats annulés, les dettes abolies, que doit-on attendre autre chose que l'entière éversion d'un état ? Car il n'y aura fiance quelconque de l'un à l'autre. Davantage, [de] telles abolitions générales nuisent bien souvent aux pauvres, et en ruinent beaucoup, car les pauvres, veuves, orphelins, et menu peuple, n’ayant autre bien qu'un peu de rentes, sont perdus advenant l'abolition des dettes. Et au contraire, les usuriers préviennent, et

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Plutarque, [Vies Parallèles], Solon.

 

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quelquefois y gagnent, comme il advint quand Solon et Agis firent publier l'abolition des dettes, car auparavant les usuriers en ayant senti la fumée, empruntèrent argent, de tous côtés, pour frauder les créanciers. [J'ajoute] aussi que l'espérance qu'on a de telles abolitions donne occasion aux prodigues d'emprunter à quelque prix que ce soit, et puis se joindre aux pauvres désespérés et mal contents, pour émouvoir une sédition ; ou, si l'attente de telles abolitions n'y était point, chacun penserait à ménager sagement, et vivre en paix.

Les inconvénients des abolitions des dettes. Or si les inconvénients de telles abolitions sont grands, encore sont-ils plus grands du partage égal des terres et possessions, qui sont de loyale [acquisition], ou injustement acquises. Car ès dettes, on prétend l'usure, et la stérilité d'argent, ce qui ne peut être ès successions légitimes, tellement qu'on peut dire que tel partage du bien d'autrui est une volerie sous le voile d'égalité. Et de mettre en fait que l'égalité est nourrice d'amitié, c'est abuser les ignorants, car il est [p. 432] bien certain qu'il n'y a jamais haine plus grande, ni plus capitales inimitiés, qu'entre ceux-là qui sont égaux. Et la jalousie entre égaux est la source des troubles, séditions et guerres civiles. Et au contraire, le pauvre, le petit, le faible ploie et obéit volontiers au grand, au riche, au puissant, pour l'aide et profit qu'il en espère. [Ce] qui fut l'une des occasions qui put mouvoir Hippodamus, législateur Milésien, de faire que les pauvres épouseraient les riches, non seulement pour fuir l'inégalité, [mais] afin que l'amitié en fût plus ferme. Et quoi qu'on dise de Solon, il appert assez par 1 l'institution de sa République, qu'il a fait quatre degrés de citoyens, selon le revenu qu'ils avaient, et autant de degrés d'états et d'honneurs, car les plus riches avaient alors cinq cents minots de grain ou de liqueur, les médiocres trois cents, les autres deux cents ; ceux qui en avaient moins ne pouvaient avoir office honorable. Et même Platon a fait trois états en sa République seconde, les uns plus riches que les autres, ordonnant que chacun des cinq mille quarante citoyens laissât l'un de ses enfants héritier pour le tout. Et quant à ce que fit Lycurgue, qui voulut garder l'égalité des héritages à toujours, en divisant les biens par têtes, c'était chose impossible, attendu qu'il put voir devant ses yeux, et tôt après l'égalité du tout altérée, ayant les uns douze ou quinze enfants, les autres un ou deux, ou point du tout, chose qui serait encore plus ridicule ès pays où la pluralité des femmes est permise, comme en l'Asie, et presque en toute l'Afrique, et aux terres neuves, où il advient souvent qu'un homme a cinquante enfants. Et de fait, Justin écrit qu'Herotinius, Roi de Parthe, avait six cents enfants. Il y en a bien qui ont voulu obvier à cet inconvénient, comme Hippodamus, Législateur Milésien, qui ne voulut point qu'il y eût plus de dix mille citoyens, ce qu'Aristote a [p. 433] trouvé fort bon. Mais il faut par même moyen bannir le surplus, ou bien exécuter la loi cruelle de Platon approuvée d'Aristote, lequel ayant limité le nombre de citoyens à cinq mille quarante, ordonna qu'on fît avorter le surplus au prix qu'ils seraient conçus. Et Thomas le More, Chancelier d'Angleterre, qui voulait qu'il n'y eût point moins de dix, ni plus de seize enfants en une famille, comme s'il pouvait commander à nature. Et combien que Phidon, Législateur Corinthien, en usât plus sagement, faisant défenses expresses de bâtir en

1 Plutarque : Solon.

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Corinthe, comme il s'est fait défenses de bâtir aux faubourgs de Paris, par édit du Roi l'an 1548, si est-ce que, les sujets [se] multipliant, il faut qu'ils dressent une colonie, ou qu'ils soient bannis. Or il ne faut jamais craindre qu'il y ait trop de sujets, trop de citoyens, vu qu'il n'y a richesse, ni force que d'hommes. Et qui plus est, la multitude des citoyens (plus ils sont) empêche toujours les séditions et factions, d'autant qu'il y en a plusieurs qui sont moyens entre les pauvres et les riches, les bons et les méchants, les sages et les fols ; et n'y a rien [de] plus dangereux que les sujets soient divisés en deux parties sans moyen, ce qui advient ès Républiques ordinairement où il y a peu de citoyens. [701-706]

Les maisons grandes et illustres sont bonnes pour maintenir l’Aristocratie, et contraires à l'état populaire et à la tyrannie. Et de fait, il semble, que la grandeur des Royaumes de France et d'Espagne, n'est fondée que sur les grosses maisons nobles et illustres, et sur les corps et collèges, lesquels étant démembrés en pièces, viennent à néant. Toutefois, cette opinion a plus d'apparence que de vérité, si ce n'est en l'état Aristocratique, car il est bien certain que le Monarque n'a rien à craindre que les grands Seigneurs, et les corps et collèges, et principalement le Monarque Seigneurial, et tyrannique. Quant à l'état [p. 434] populaire, qui demande l'égalité en toutes choses, comment pourrait-il supporter l'inégalité si grande en les familles, que l'un emportât tout, et que les autres mourussent de faim ? vu que toutes les séditions, qui sont advenues en Rome et en Grèce, n'étaient fondées que sur ce point-là. Reste donc l'état Aristocratique, où les seigneurs sont en tout et par tout inégaux au menu peuple, et en ce cas le droit d'aînesse peut conserver l'état Aristocratique, comme en la Seigneurie Aristocratique de Lacédémone, où les sept mille Spartiates aînés, égaux aux parties d'héritage, ne pouvaient rien entreprendre l'un sur l'autre ; et quant aux cadets, la vertu les poussait aux états et charges selon leurs mérites, et [il] se trouvait ordinairement, que ceux-là étaient les plus illustres, n'ayant, comme, dit Plutarque, autre moyen de s'avancer, que par la vertu. C'était aussi l'ancienne coutume des Gaulois, qui [ne] se pouvait aucunement entretenir si la défense d'aliéner les fiefs eût bien été exécutée, suivant le droit des fiefs et des ordonnances de ce Royaume, et de l'empire, où elle est mieux gardée qu'en autre lieu. Les mêmes défenses ont été faites en Pologne, par ordonnance des Rois Albert et Sigismond Auguste, l'an 1445 et 1538, et en Bretagne par édit de Pierre, Duc de Bretagne, qui mit la peine de confiscation des fiefs. Et combien que Louis XII leva les défenses, l'an 1505, néanmoins le Roi François Ier renouvela l'édit, [l'an] 1535, sous la même peine de confiscation. Ce qui pourrait encore plus lier étroitement la noblesse avec le menu peuple en l'état Aristocratique, quand les pauvres puînés épousaient les plus riches du peuple, comme [cela] se fit en Rome après la loi Canuleia, et se fait encore à Venise, et presque en toute République, où la noblesse a quelque prérogative sur les roturiers, [ce] qui est le plus sûr moyen pour entretenir la noblesse en biens, honneurs et [p. 435] dignités. Et néanmoins il est besoin de régler les douaires des femmes en quelque état que ce soit, afin que les maisons médiocres ne soient du tout appauvries pour enrichir les nobles. En quoi les anciens législateurs se sont trouvés empêchés pour garder l'égalité que nous avons dite, et obvier à ce que les maisons et anciennes familles ne fussent démembrées et anéanties par les filles. La loi de Dieu ne voulait pas que les filles succédassent tant qu'il y aurait frères ; et encore qu'il n'y eût frères, il est commandé

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aux filles héritières d'épouser les plus proches de la famille, afin, dit la loi, que les héritages ne soient distraits des maisons par les filles. Cette loi était gardée en Grèce, ou le prochain lignager épousait l'héritière, qu'ils appelaient [en grec], et ne pouvait la fille en épouser d'autre. En Perse et Arménie, la fille n'emportait rien de la maison, que des meubles, coutume qui est encore gardée en tout l'Orient, et presque en toute l'Afrique, quoique l'Empereur Justinien, ou plutôt sa femme Théodora, ayant toujours favorisé son sexe, réforma la coutume d'Arménie, l'appelant barbare pour ce regard, sans avoir égard à l'intention des anciens législateurs.

L'inégalité de biens provient par les filles héritières mariées aux plus riches.

Hippodamus, législateur Milésien, ne voulait pas ôter les successions aux filles, mais il ordonna que les riches seraient mariées aux pauvres : en quoi faisant, il gardait l'égalité de biens, et l'amour entre les conjoints, et entre les pauvres et les riches. Or, il est certain que si les filles sont égalées aux mâles en droit successif, les maisons seront bientôt démembrées, car il y a ordinairement plus de filles que de mâles, soit ès Républiques en général, soit ès familles en particulier. Ce qui fut premièrement vérifié en Athènes, où la pluralité [i.e. majorité] des femmes donna le nom à la ville ; et depuis vingt ans en çà, à Venise, où il aborde un [p. 436] monde d'étrangers, il se trouva de compte fait, deux mille femmes davantage : soit pour n'être [pas] exposées aux dangers des guerres, et voyages, soit que nature produit des choses, qui sont plus parfaites, moins que d'autres. C'est pourquoi, un ancien politique disait, que des cinq parties d'héritage, les femmes de Lacédémone tenaient les trois, ce qui advint après que la permission de disposer des biens fut reçue ; et pour cette cause, dit-il, elles commandaient absolument aux maris, qui les appelaient dames. Mais pour obvier à ce que tel inconvénient n'advint en Rome, Voconius Saxa, Tribun, présenta requête au peuple, à la suasion de Caton le Censeur, qui passa en force de loi, par laquelle il fut ordonné, que les femelles dès lors en avant ne succéderaient point, tant qu'il y aurait mâles portant le nom, en quelque degré de consanguinité que ce fût, et qu'elles ne pourraient avoir par testament plus de la quarte partie des biens, ni plus que le moindre des héritiers du testateur : cette loi retint les anciennes maisons en leur dignité, et les biens en quelque contrepoids d'égalité. [J'ajoute] aussi que ce fut un grand point pour ranger les femmes à la raison ; toutefois, on trouva un moyen de la frauder aucunement par legs fiduciaires, et faits aux amis avec prière de rendre les successions, ou legs aux femmes, qui ne pouvaient les demander par voie d'action, ni même par voie de requête auparavant Auguste. Depuis que la loi fut anéantie, et qu'il se trouva des femmes qui portaient deux riches successions pendues aux deux oreilles, comme dit Sénèque, et que la fille d'un Proconsul se montra une fois ayant sur elle en habits et pierreries, la valeur de trois millions d'écus, étant l'inégalité des biens au plus haut point [qui ait jamais été], l'Empire Romain ne fit que décliner de mal en pis, jusqu'à ce qu'il fût du tout ruiné. Par l'ancienne coutume de Marseille, il n'était permis de bailler aux [p. 437] filles plus de cent écus en mariage, et plus de cinq écus en vêtements.

Louable ordonnance de Venise. Et par les ordonnances de Venise, il est défendu donner plus de seize cents ducats à la fille noble ; et si le gentilhomme Vénitien épouse une roturière, il ne peut prendre que deux mille ducats, ni les femelles

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succéder, tant qu'il y aura mâle de la famille. Vrai est que l'ordonnance y est aussi mal gardée que celle du Roi Charles IX qui défend de bailler à la fille en mariage plus de dix mille livres, et néanmoins l'ordonnance du Roi Charles V ne donne aux filles de la maison de France, que dix mille livres ; et combien qu'Élisabeth de France, fille de Philippe le Bel, fût mariée au Roi d'Angleterre, si n'eût-elle que douze mille livres en mariage. On me dira, que c'était beaucoup, vu la rareté d'or et d'argent, mais aussi la différence est bien grande entre dix mille livres, et quatre cent mille écus. Il est bien vrai qu'elle était la plus belle Princesse de son âge, et de la plus illustre maison qui fût alors.

Ordonnance de France pour le mariage des filles. Et si nous cherchons plus haut, nous trouverons en la loi de Dieu, que le mariage d'une fille au plus haut, est taxé sinon à cinquante sicles, qui font quarante livres de notre monnaie. Cela me fait croire, que la coutume ancienne de Perse est vraisemblable en ce que les commissaires députés par chacun an pour marier les filles, baillaient les plus honnêtes et plus belles au plus offrant, et, de l'argent qui en provenait, on mariait les moins estimées au rabais, afin que pas une ne demeurât dépourvue ; à quoi le sage législateur doit prendre garde, comme très bien a fait Platon. Car d'ôter tout moyen aux filles de se pourvoir selon leur qualité, c'est donner occasion de plus grand inconvénient, et [il] semble que les coutumes d’Anjou et du Maine leur ont donné le tiers ès [p. 438] successions nobles en propriété, qui n'est laissé aux mâles que par usufruit, afin que les filles ne demeurassent totalement dépourvues, n'ayant pas moyen de s'avancer comme les mâles, qui ont fait par ci-devant plusieurs plaintes pour réformer la coutume, ce qu'on pourrait aussi bien faire, comme il s'est fait du quint viager en la coutume de Montdidier, et par force, en la coutume de Vendôme (ancienne Châtellenie du pays d'Anjou, auparavant qu'elle fût érigée en Comté ni Duché) où l'un des puînés de la maison d'Anjou, ayant pris son aîné prisonnier, lui fit changer la coutume d'Anjou pour le regard de la Châtellenie de Vendôme, qu'il avait eue par usufruit. Et combien qu'en Bretagne par l'assise du Comte Geoffroi dès l'an 1185 les aînés nobles emportaient toute la succession, et nourrissaient les puînés à discrétion, si est-ce que pour les inconvénients inévitables, Artus Ier, Duc de Bretagne, ordonna que le tiers de la succession serait affecté aux puînés à vie. Comme il s’est aussi fait au pays de Caux, par arrêt du Parlement de Rouen, déduite la portion des filles. Je n'ai parlé que des sujets ci-dessus, mais il faut aussi prendre garde que les étrangers ne prennent pied au Royaume, et qu'ils n'acquièrent les biens des sujets naturels, et qu'on ne souffre les vagabonds, qui se déguisent en Égyptiens, et en effet ne sont rien que voleurs, contre lesquels l'ordonnance, faite à la requête des états d'Orléans, porte injonction aux Magistrats et gouverneurs de les chasser hors du Royaume, comme il fut aussi ordonné en Espagne par édit de Ferdinand l'an mil quatre cent quatre-vingts et douze, portant ces mots, Que los Egyptianos con señores salgan del Reyno dentro sessenta dias. Cette vermine se multiplie aux monts Pyrénées, aux Alpes, aux monts d'Arabie, et autres lieux montueux et infertiles, et puis après descendent, comme mouches guêpes, pour manger le miel des abeilles.

[p. 439] Voilà sommairement les moyens qui m'ont semblé expédients pour obvier à la pauvreté extrême de la plupart des sujets, et aux richesses excessives d'un petit

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nombre, laissant à parler ci-après, si les fiefs destinés pour le service de la guerre, doivent être démembrés ou aliénés. Disons maintenant si les biens des condamnés doivent être laissés aux héritiers. [716-721]

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