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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 371]

CHAPITRE V

S'il est expédient que les officiers soient d'accord

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Cette question, à savoir, s'il est bon que les officiers soient d'accord entre eux ou en discord peut sembler frivole. Car qui a jamais douté qu'il ne soit expédient, voire nécessaire à toute République, que les Magistrats soient unis en même volonté, afin que tous ensemble, d'un cœur et d'un consentement, embrassent le bien public ?

Raisons pour montrer que les Magistrats doivent être d'accord. Et s'il est ainsi que la République bien ordonnée doit ressembler au corps humain, auquel tous les membres sont joints et unis d'une liaison merveilleuse, et que chacun fait sa charge, néanmoins quand il est besoin, l'un aide toujours à l'autre, l'un est secouru par l'autre, et tous ensemble se fortifient pour maintenir la santé, beauté, et allégresse de tout le corps. Mais s'il advenait qu'ils [p. 372] entrassent en haine l'un contre l'autre, et qu'une main coupât l'autre, que le pied dextre supplantât le sénestre, que les doigts crevassent les yeux, et chacun membre empêchât son voisin, il est bien certain que le corps enfin demeurerait tronqué et mutilé, et manquerait en toutes ses actions. Autant peut-on juger de la République, le salut de laquelle dépend de l’union et liaison amiable des sujets entre eux, et avec leur chef ; et comment pourrait-on espérer telle union, si les Magistrats, qui sont les principaux sujets, et qui doivent allier les autres, sont en divorce ? [Mais] au contraire, les sujets deviendront partisans, et bientôt se feront la guerre pour soutenir chacun le chef de sa faction ; et, toujours aux actions publiques, les uns empêcheront les autres. Et cependant, pour l'ambition mutuelle des Magistrats, la République en souffrira, et [il] lui adviendra ce qu'il fit à la pucelle, pour laquelle, comme dit Plutarque, les poursuivants entrèrent en telle jalousie et passion, qu'ils la démembrèrent en pièces. Et quelle issue peut-on attendre d'une armée, où les Capitaines sont en discord ? quelle justice doit-on espérer des juges qui sont divisés en factions ? On a vu souvent les uns opiner contre l'avis des autres par jalousie et haine qu'ils avaient ensemble, et jouer au hasard la vie, l'honneur et les biens des sujets, comme Agesilaus, Roi des Lacédémoniens, quoiqu'il fût des plus illustres qui furent [jamais], pour ravaler le crédit et autorité de Lysandre, cassait

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toutes ses sentences, et jugeait tout le contraire, comme il dit, en dépit de lui seulement. Et, pour le faire court, il est certain que les dissensions et guerres civiles, peste capitale des Républiques, prennent pied, racine, nourriture et accroissement des inimitiés et haines des Magistrats. Il est donc nécessaire pour la tuition et défense de la République, que les Magistrats soient unis en bonne amitié. Voilà les raisons d'un côté.

[p. 373] Raisons contraires pour montrer que les Magistrats doivent être en discord. Mais d'autre côté on peut dire, que l'inimitié des Magistrats entre eux est le salut de la République, car la vertu n'a jamais son lustre, si elle n'est combattue. Et l'homme ne se montre jamais vertueux, sinon alors qu'il est piqué d'honnête ambition pour faire de grands et beaux exploits, et toujours vaincre son ennemi en mieux faisant, comme dit Alexandre le Grand à Taxilas, Roi des Indes, qui offrait ses biens et son Royaume sans combattre, si Alexandre n'était assez riche, et s'il en avait trop, était prêt d'en recevoir ; de quoi, tout joyeux, Alexandre dit : Si faut-il que nous combattions ensemble, et [il] ne sera pas dit que vous me volerez ce point d'honneur, d'être plus magnifique, plus civil, plus Royal que moi : et alors il lui donna un grand pays, et de l'or infini. Ainsi, disait le Roi Tullus Hostilius au dictateur d'Albanie Metius Suffetius : Les partialités que tu nous reproches sont utiles au public, car nous débattons à qui mieux pour l'utilité publique. Si donc entre les hommes vertueux, la dissension produit de beaux effets, quand ils ont à qui combattre de l'honneur, que doit-on juger des hommes lâches et poltrons de leur nature, s'ils ne sont poinçonnés vivement d'ambition et de jalousie ? C'est le plus beau fruit qu'on peut recueillir des ennemis, d'aller de mal en bien, et de bien en mieux, non seulement afin qu'ils n'aient aucune prise sur nous, [mais] aussi pour les surpasser. Si cela a lieu, quand tous les magistrats sont gens de bien, à plus forte raison s'il y en a de méchants, auxquels il n'est pas seulement expédient, [mais] aussi nécessaire que les bons fassent la guerre ; et s'ils sont tous méchants, encore est-il beaucoup plus nécessaire qu'ils soient ennemis ; autrement, s'ils demeurent en possession de leur tyrannie, ils butineront entre eux le public, et ruine-[p. 374] ront les particuliers. Et [il] ne peut advenir mieux aux sujets et à toute la République, sinon alors qu'ils s'entre-accuseront et découvriront leurs larcins et concussions, [tout] comme les brebis qui ne sont jamais assurées, sinon alors que les loups s'entremangent. [603-605]

Résolution de la question. Si, donc, le discord des plus vertueux magistrats apporte un tel fruit à la République, que doit-on espérer quand les bons feront contrecarre aux mauvais ? Voilà les raisons qu'on peut déduire d'une part et d'autre. Et pour les résoudre, il ne faut pas seulement considérer la qualité des Magistrats, [mais] aussi la forme des Républiques. Mais on peut dire qu'il est bon, en toute République, que les menus officiers et Magistrats, étant sous le châtiment des plus grands, soient en discord, et plus en l'état populaire qu'en nul autre. D'autant que le peuple n'ayant que les magistrats pour guide, est fort aisé à piller, si les Magistrats ne sont contrôlés les uns par les autres ; et en la Monarchie, il est expédient que les plus grands Magistrats soient aussi quelquefois en discord, attendu qu'ils ont un souverain qui les peut châtier, pourvu que le prince ne soit, ni furieux, ni enfant. Mais en l'état populaire, il est dangereux que les plus grands magistrats soient en discord, s'ils ne

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sont gens de bien, qui n'ont jamais débat qui puisse nuire à l'état, ni au bien public, comme était le différend honorable de Scipion l'Africain l'aîné, avec Fabius Maximus et du jeune, avec Caton ; du Censeur Livius, avec Néron son collègue ; de Lépide, avec Fulvius ; d'Aristide, avec Thémistocle ; de Scaurus, avec Catule. Mais si les plus grands magistrats en l'état populaire sont méchants, ou que leur ambition soit mal fondée, il y a danger que leurs différends ne soient cause des guerres civiles, comme il advint entre Marius et Sylla, César et Pompée, Auguste et [p. 375] Marc Antoine. Encore est-il plus dangereux en l'Aristocratie qu'en l'état populaire, d'autant que les seigneurs, qui sont toujours moins en l'état Aristocratique, et commandent au surplus, ont affaire au peuple, qui, à la première occasion, prend les armes contre les seigneurs, s'ils entrent en querelles. Car peu de seigneurs en l'état Aristocratique sont aussitôt divisés par les grands magistrats en deux parties, et s'ils sont en sédition entre eux et avec le peuple, il ne se peut faire que l'état en change, ce qui n'est pas à craindre en la Monarchie, où le prince tient en bride les Magistrats sous sa puissance. Mais il est expédient, en toute République, que le nombre des Magistrats souverains, ou qui approchent de la souveraineté soit impair, afin que la dissension soit accordée par la pluralité, et que les actions publiques ne soient empêchées. C'est pourquoi les Cantons d'Uri, Undervald, Zug, Glaris, qui sont populaires, ont été contraints de faire trois Amans Magistrats souverains, au lieu que Schwits en a quatre, comme Genève [a] quatre Syndicats, et Berne, Lucerne, Fribourg, Soleurre, deux Avoyers ; et Zuric, Bâle et Schaffouze deux Bourgmestres, si ce n'était qu'ils eussent puissance de commander alternativement comme les Consuls Romains, ainsi que nous avons dit. En la Monarchie, le discord est moins à craindre car tout ainsi que Dieu maintient la contrariété des mouvements célestes, et des éléments, des sympathies et antipathies, en un discordant accord, comme des voix contraires, en une très plaisante et douce harmonie, empêchant qu'un élément ne soit opprimé par l'autre, ainsi le Prince, qui est l'image de Dieu, doit maintenir et régler les querelles et différends de ses Magistrats, en sorte qu'ils demeurent aucunement contraires, à ce que leurs inimitiés puissent réussir au salut de la République. [607-608]

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