
- •Jean Bodin
- •Les six livres de
- •la République
- •Jean Bodin
- •Quatrième de couverture
- •PRÉSENTATION
- •de l'État profane
- •PRÉFACE SUR LES SIX LIVRES
- •DE LA RÉPUBLIQUE
- •De Jean Bodin,
- •en son privé Conseil
- •Sommaire
- •Le Premier Livre
- •de la République
- •CHAPITRE I
- •CHAPITRE II
- •Du ménage,
- •CHAPITRE III
- •De la puissance maritale,
- •CHAPITRE IV
- •CHAPITRE V
- •CHAPITRE VI
- •Chapitre VII
- •CHAPITRE VIII
- •De la souveraineté
- •CHAPITRE IX
- •CHAPITRE X
- •Des vraies marques de souveraineté
- •CHAPITRE I
- •CHAPITRE II
- •De la Monarchie Seigneuriale
- •CHAPITRE III
- •De la Monarchie Royale
- •CHAPITRE IV
- •De la Monarchie Tyrannique
- •CHAPITRE V
- •CHAPITRE VI
- •De l'état Aristocratique
- •Chapitre VII
- •De l'État populaire
- •Le Troisième Livre
- •de la République
- •CHAPITRE I
- •Du Sénat, et de sa puissance
- •CHAPITRE II
- •Des Officiers et Commissaires
- •CHAPITRE III
- •Des Magistrats
- •CHAPITRE IV
- •CHAPITRE V
- •CHAPITRE VI
- •CHAPITRE VII
- •Le Quatrième
- •Livre de la République
- •CHAPITRE I
- •CHAPITRE II
- •CHAPITRE III
- •tout à coup
- •CHAPITRE IV
- •CHAPITRE V
- •CHAPITRE VI
- •CHAPITRE VII
- •Le Cinquième Livre
- •de la République
- •CHAPITRE I
- •CHAPITRE II
- •Les moyens de remédier
- •CHAPITRE III
- •ou bien laissés aux héritiers
- •CHAPITRE IV
- •Du loyer et de la peine
- •CHAPITRE V
- •CHAPITRE VI
- •Le Sixième Livre
- •de la République
- •CHAPITRE I
- •CHAPITRE II
- •Des Finances
- •CHAPITRE III
- •CHAPITRE IV
- •De la comparaison
- •CHAPITRE V
- •et hors partage
- •CHAPITRE VI
- •Notice sur la vie
- •et les œuvres de Jean Bodin
- •de l'Antiquité cités
- •Index

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[p. 498]
CHAPITRE II
Des Finances
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Les finances sont les nerfs de la République. S'il est ainsi que les nerfs de la République sont [en ses] finances, comme disait un ancien Orateur, il est bien requis d'en avoir la vraie connaissance, [chose] qu'on peut mettre en trois points : le premier est des moyens honnêtes de faire fonds aux finances ; le second est de les employer au profit et honneur de la République ; le troisième d'en épargner et réserver au besoin quelque partie. Nous toucherons ces trois points chacun en son ordre. Quant au premier point, il y a plusieurs grands Docteurs en matière d'impôts, qui savent beaucoup de moyens de faire fonds aux finances, mais ils n'ont jamais eu la vraie science d'honneur, ni la prudence politique. Et pour cette cause laissant ces maîtres de finesses, je suivrai ceux qui ont bien eu grand soin des finances ; mais aussi [p. 499] ont-ils cherché les moyens honnêtes de fonder le revenu de la République afin qu'on ne fût contraint d'user de moyens déshonnêtes et illicites, ou laisser la République au besoin, comme il en prit à ceux-là qui semblaient mieux entendus aux affaires politiques, entre lesquels on met les Lacédémoniens, qui n'étaient pas contents de leur territoire, ainsi que leur maître Lycurgue les avait enseignés, leur ayant ôté tout l'usage d'or et d'argent en vaisselle et en monnaie. [Mais ils] se voulaient faire conquérants, et néanmoins, sitôt qu'ils avaient sorti des frontières, ils allaient aux emprunts, qui au Roi de Perse, comme Lysandre et Callicratide, qui aux Rois d'Égypte, comme Agesilaus et Cléomènes Rois de Lacédémone. [Ce] qui fut cause que la Seigneurie de Sparte, avec le secours des alliés, ayant bientôt conquêté, et aussitôt perdu la Grèce, ordonna que l'or et l'argent qu'ils avaient gagné sur les ennemis serait gardé au trésor de l'épargne pour s'en servir au besoin, avec défenses d'en user en particulier ; mais le trésor sans fonds, étant bientôt épuisé, ils furent contraints de retourner aux emprunts, pour faire la guerre, qui n'est pas entretenue par diète, comme disait un ancien Capitaine. Il faut donc en toute République donner ordre que les finances soient bâties et assurées sur un fondement certain et durable. Or il y a sept moyens en général de faire fonds aux finances, en lesquels sont compris tous ceux qu'on peut imaginer.

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Le domaine est le plus sûr moyen de faire fonds. Le premier est au domaine de la République, le second ès conquêtes sur les ennemis, le troisième sur les dons des amis, le quatrième sur la pension ou tribut des alliés, le cinquième sur le trafic, le sixième sur les marchands qui apportent ou emportent [des] marchandises, le septième sur les impôts des sujets. Quant au premier, qui est le domaine, il semble être le plus honnête et le plus sûr de tous. /.../
[p. 500] Le domaine public, de sa nature [est] inaliénable. Combien que les Rois avaient eu quelque domaine de toute ancienneté, et longtemps auparavant Ézéchiel, car la ville de Ziceleg, qui fut donnée à David par le Roi Achis, demeura toujours au domaine des Rois, et ne fut [jamais] aliénée. Et généralement en tous les Jurisconsultes et Historiens, il n'y a rien [de] plus fréquent que la division du domaine en public et particulier. Et afin que les Princes ne fussent contraints de charger d'impôts leurs sujets, ou [de] chercher les moyens de confisquer leurs biens, tous les peuples et Monarques ont tenu pour loi générale et indubitable, que le domaine public doit être saint, sacré, et inaliénable, soit par contrats, soit par prescription. Aussi les Rois, [comme] en ce Royaume, décernant lettres patentes pour la réunion du domaine, déclarent qu'ils ont fait serment, venant à la Couronne, de n'aliéner aucunement le domaine ; et s'il est aliéné bien et dûment, [alors] qu'il fût dit à perpétuité, néanmoins il est toujours sujet à rachat, en sorte que la prescription de cent ans, qui donne titre à tous possesseurs, ne touche point le domaine. Les édits, arrêts et ordonnances de ce Royaume y sont assez notoires, non seulement contre les particuliers, [mais] aussi contre les Princes du sang, qui ont été déboutés de la division du domaine, et de la prescription de cent ans. [Ce] qui n'est point chose péculière à ce Royaume, [mais] aussi commune aux Rois d'Espagne, de Pologne, et d'Angleterre, qui ont accoutumé de faire serment de ne rien aliéner du domaine ; et [cela] se garde aussi bien ès Républiques populaires, et Aristocratiques, et [de même] à Venise l'ordonnance ne reçoit prescription quelconque (ce que plusieurs ont voulu limiter à six [fois] vingt ans), ni les seigneurs des ligues. Et de fait, le Roi Henry II ayant requis la seigneurie de Lucerne [de] s'obliger pour lui en quelque somme de [p. 501] deniers, l'Avoyer Hug fit réponse à l'Ambassadeur que le grand et petit conseil, et toute la communauté de Lucerne avait juré de jamais n'hypothéquer ni obliger leur pays. Aussi lisons-nous que les mêmes ordonnances étaient saintement gardées ès deux plus belles Républiques populaires qui furent [jamais], Athènes et Rome où deux grands personnages Thémistocle et Caton le Censeur, firent saisir tout le domaine public usurpé des particuliers par longue suite d'années, et souffrance des Magistrats, disant, ès harangues qu'ils firent au peuple, que jamais les hommes ne prescrivent contre Dieu, ni les particuliers contre la République. C'est pourquoi la Cour de Parlement sur la requête civile obtenue par le Procureur général du Roi, contre l'arrêt donné au profit des successeurs de Noguaret de saint Félix, auquel Philippe le Bel deux cent soixante ans auparavant avait donné la terre et seigneurie de Couvisson pour ses vertus illustres, et mérites envers la République, appointa le tout au conseil, [ce] qui était bien pour montrer que [la] prescription n'a point de lieu quand il est question du domaine. Et même, le Parlement de Rouen, par son arrêt du 14 Février 1511 entre le Procureur du Roi et les religieux [de] saint Omer, adjugeant le possessoire de certains bois au Roi, permit aux Religieux de se pourvoir par autre

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voie et à la prouver dûment, autrement que par voie d'enquête, et pour cause ; lesquels mots, et pour cause, ne se doivent entendre pour les pauvres sujets du pays, mais généralement [cela] se doit étendre à tous sujets. Et bien souvent, les traités faits entre les Princes, n'ont autre dispute que pour la conservation du domaine, que les Princes ne peuvent aliéner au préjudice du public. /.../
Le domaine public et le patrimoine du Prince [sont] différents. Aussi, n'est-il pas licite aux Princes souverains d'abuser des fruits et revenus du domaine, [p. 502] [bien] que la République soit en bonne paix, et quitte envers tous, attendu qu'ils ne sont pas usufruitiers, [mais] usagers seulement, qui doivent (la République et leur maison entretenue) garder le surplus pour la nécessité publique, quoique dît Périclès aux Ambassadeurs des alliés, qu'ils n'avaient point d'intérêt à quoi les finances fussent employées, pourvu qu'ils fussent entretenus et assurés en bonne paix, car il était contenu par le traité d'alliance, que les finances qui seraient levées en temps de paix, seraient mises en dépôt au temple d'Apollon, et qu'elles ne seraient employées que d’un commun consentement. Mais il y a bien différence entre le trésor de l'épargne des Monarchies et des états populaires, car le Prince peut avoir son trésor particulier de son patrimoine, comme j'ai dit, et de ce qui lui est permis de prendre du trésor public, que les anciens appelaient Aerarium, et le particulier s'appelait Fiscus, l'un séparé de l'autre par les lois anciennes, ce qui ne peut avoir lieu en l'état populaire ni Aristocratique. Toutefois, il n'y a jamais eu faute de flatteurs, qui ont souvent induit les Princes à vendre le domaine public, pour avoir (comme ils disent) d'un sac deux moutures, [ce] qui est une opinion tyrannique, pernicieuse, et néanmoins appuyée sur un fondement ruineux. Car on sait assez que le domaine ne gît pour la plupart qu'en Duchés, Marquisats, Comtés, Baronnies, Seigneuries, fiefs, quint, requint, reliefs, rachats, lots, ventes, saisines, censives, amendes, aubaines, confiscations et autres droits seigneuriaux, qui ne sont sujets aux impôts et charges ordinaires, et le plus souvent acquis par ceux-là mêmes qui sont exempts de toutes charges. Davantage les commissions décernées pour aliéner le domaine, et faire argent promptement, permettent qu'il soit vendu à la raison du denier dix, [bien que] que les terres féodales avec justice soient ordinaire-[p. 503] ment estimées et vendues au denier trente, et en dignités au denier cinquante, et plus.
Le dommage grand, qui vient pour aliéner le domaine. Or la justice, quand le domaine se vend, n'est estimée que cinq sols pour chacun feu, et quelquefois la moitié moins ; et tel n'a payé que deux cents livres de la justice, qui en lève plus grande somme pour un an. Les autres n'en ont rien payé du tout, prenant l'estimation du domaine par extraits de la Chambre des Comptes rendus par les receveurs en dix ans, lesquels souvent n'en ont rien reçu, parce que le profit de la basse et moyenne justice s'exerce au siège principal et Royal. Et quant aux lots et ventes, les acquéreurs en ont plus de profit que l'intérêt de la somme totale qu'ils en ont payé ne peut monter. [J'ajoute] aussi que les receveurs du domaine n'avaient accoutumé de rendre compte des parties casuelles que pour une petite partie. Or en affermant le domaine, les fermiers sont taillables, et ne laissent pas de payer les charges selon les biens qu'ils ont. Il y a d'infinis autres abus que la République souffre pour les aliénations du domaine. Mais le plus grand est que les deniers qui en reviennent ne sont pas mis en

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rentes constituées, comme font ceux qui pensent bien ménager, [mais] ils sont dissipés le plus souvent, et donnés à ceux qui moins l'ont mérité ; et puis, par faute d'argent pour racheter le domaine, la République tombe de fièvre en chaud mal, et vend aussi les communes, qui est la vie des pauvres sujets, sur lesquels la taille est fondée. /.../
Le domaine mal ménagé [i.e. administré] en l'état populaire. Mais il fait à noter, pour la conservation du domaine des Républiques, qu'il est ordinairement beaucoup mieux ménagé en la Monarchie, qu'il n'est en l'état populaire et seigneurie Aristocratique, où les Magistrats et surintendants aux finances tournent tout ce qu'ils peuvent du bien public en [p. 504] particulier ; et chacun s'efforce à gratifier ses amis, ou bien [à] acheter la faveur du peuple aux dépens du public, comme fit César en son premier Consulat, qui distribua au peuple le territoire de Capoue, et fit rabaisser les enchères des fermiers d'un tiers, après avoir eu les mains graissées. Et dix ans après Q. Metellus, Tribun du peuple, pour mendier la grâce populaire, publia une loi, afin d'ôter les péages des ports d'Italie. En cas pareil, Périclès, pour avoir crédit envers le peuple d'Athènes, lui fit faire distribution de grands deniers, qui revenaient de bon aux finances. Cela ne se fait pas en la Monarchie, car les Monarques, qui n'ont revenu plus assuré que du domaine, et qui n'ont droit de mettre impôt sur les sujets, sinon de leur consentement, ou en cas de nécessité urgente, ne sont pas si prodigues de leur domaine. Il n'est pas ici besoin d'entrer plus avant au fait du domaine, duquel y a traités exprès ; et [il] serait impossible d'y mieux pourvoir qu'il a été par l'édit du Roi Charles IX s'il était exécuté.
Second moyen de faire fonds aux finances. Le second moyen de faire fonds aux finances est par conquêtes sur les ennemis, afin de remployer aucunement les finances épuisées en guerre, comme doit faire le peuple guerrier et conquérant : ainsi faisaient les anciens Romains. Car combien que le sac des villes forcées fût aux soldats et capitaines, si est-ce que les trésors étaient portés à l'épargne de Rome. Et quant aux villes rendues ou prises par capitulation, l'armée n'avait que la paye, et quelquefois double paye, auparavant que la discipline militaire fût corrompue, et les finances des vaincus étaient portées au trésor de Rome, s'il n'était autrement capitulé. Tout l'or et l'argent, dit Tite-Live, et tout le cuivre gagné sur les Samnites fut porté au trésor, et, parlant des Gaulois [par-] delà les monts, il dit que le capitaine Furius porta au Capitole cent [p. 505] soixante et dix mille livres d'argent qu'il avait gagnées sur eux. Et que Flaminius fit venir à l'épargne de la dépouille de Grèce la valeur de trois millions et huit cent mille écus couronne, outre l'argent et meubles précieux, armes et vaisseaux de mer. Paul Émile en rapporta de Macédoine trois fois plus. César en fit mettre plus de quarante millions au compte d'Appien. On peut voir depuis le vingttroisième livre de Tite-Live jusqu'au trente-quatrième des trésors infinis apportés à l'épargne de Rome de la dépouille des peuples vaincus. Et combien que tout ne fût pas rendu, si est-ce que les capitaines, craignant la réprimande, ou d'être frustrés du triomphe, apportaient toujours grandes sommes. Car même Scipion l’Asiatique fut accusé, atteint et condamné en grosses amendes, [bien] qu'il eût rendu au trésor de l'épargne plus de deux millions d'or. Et son frère Scipion l'Africain fut aussi compris en l'accusation, [bien] qu'il eût fait entrer en l'épargne plus de cinq millions d'or de ses

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conquêtes, outre la valeur de dix millions et cinq cent mille écus couronne, à quoi fut condamné le Roi Antioque, par le moyen de la victoire qu'ils avaient obtenue contre lui, et tous deux moururent pauvres. Et combien que le capitaine Luculle fût le premier, comme dit Plutarque, qui s'enrichit de la dépouille des ennemis, si est-ce qu'il mit plus au trésor que tous ceux que j'ai dits, hormis César. Ce que j'ai bien voulu remarquer, d'autant qu'on emploie volontiers les finances pour les frais de la guerre, et néanmoins de toutes les victoires et conquêtes il n'en revient jamais un écu à l'épargne, et bien souvent le sac est donné auparavant que les villes soient prises ni rendues.
La peine des vaincus. Or, les Romains ne se contentaient pas des trésors et dépouilles, [mais] ils condamnaient les vaincus à perdre une partie de leur territoire, qui était anciennement la septième partie. [p. 506] Depuis il y en eut de condamnés à perdre le quart ou le tiers des terres, comme l'Italie, étant asservie au Roi des Herules Odouacre. Et quelque temps après Hortarius, Roi des Lombards, condamna les vaincus à lui payer tous les ans la moitié du revenu des terres, comme aussi les Romains avaient fait aux Boyens longtemps auparavant. Mais Guillaume le Conquérant, après avoir conquêté le royaume d'Angleterre, déclara tout le pays en général, et les héritages de chacun en particulier, à lui acquis, et confisqués par droit de guerre, traitant les Anglais comme ses fermiers.
Le grand bien qui advient des colonies. Toutefois, les Romains se sont toujours montrés en cela courtois et bien avisés, envoyant [des] colonies de leur ville habiter les terres conquêtées, en distribuant à chacun certaine quantité ; et par ce moyen ils chassaient de leur pays les pauvres, les mutins, les fainéants, et se fortifiaient de leurs gens contre les peuples vaincus, lesquels peu à peu contractaient mariages et amitiés, et obéissaient volontiers aux Romains, qui, par ce moyen aussi, ont rempli la terre de leurs colonies, avec une gloire immortelle de leur justice, sagesse et puissance, au lieu que la plupart des Princes vainqueurs mettent des garnisons de gendarmes, qui ne servent que de piller et mutiner les sujets. Si on eût pratiqué ce moyen après la conquête de Naples et de Milan, elles seraient encore en l'obéissance de nos Rois. Et [il] ne faut pas douter qu'ils ne se révoltent contre les Espagnols aussi bien que les bas pays de Flandres, à la première occasion qui se présentera, pour n'y avoir que des garnisons sans colonies. /.../
Le troisième moyen d'accroître les finances. Le troisième moyen d'accroître les finances est aux dons des amis ou des sujets, soit par legs testamentaires ou par donations entre vifs, que nous trancherons [p. 507] plus court, parce que ce n'est pas chose assurée. [J'ajoute] aussi qu'il y a peu de Princes qui donnent, et moins encore qui reçoivent sans rendre la pareille, car si un Prince donne au plus riche ou plus puissant, il semble que c'est par crainte ou par obligation, et quelquefois celui qui le reçoit en fait état comme d'un tribut. /.../
Quatrième moyen d'accroître les finances. Le quatrième moyen d'entretenir les finances, est aux pensions des alliés, qui sont payées en temps de paix, aussi bien qu'en temps de guerre pour la protection et défense contre les ennemis, ou bien pour en tirer conseil, confort et aide au besoin, selon la teneur des traités. /.../

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Cinquième moyen de fonder les finances par trafic. Le cinquième moyen de fonder les finances, est en le trafic que le Prince, ou la seigneurie, exerce par ses facteurs. Combien qu'il y a peu de Princes qui en usent, et même par les ordonnances tant de ce Royaume que d’Angleterre et d'Allemagne, celui-là perd la qualité de noblesse qui trafique ; et par la loi Claudia, il était défendu au Sénateur Romain d'avoir aucun vaisseau de mer, qui tînt plus de quarante muids. Quaestus omnis, dit Tite-Live, patribus indecorus visus est. Et depuis, [il] fut défendu généralement à tous gentilshommes de trafiquer, par les ordonnances des Empereurs, comme, par les Canons, il est aussi prohibé aux gens d'Église. Et les Perses, par un trait de moquerie, appelaient Darius marchand, seulement pour avoir changé les dons gratuits en charges nécessaires. Toutefois, si est-il plus séant au Prince d'être marchand que Tyran, et au gentilhomme de trafiquer que de voler. /.../
Sixième moyen de faire fonds aux finances. Le sixième moyen de faire fonds aux finances est sur les marchands, qui apportent ou emportent marchandises, [moyen] qui est l'un des plus anciens et usités [p. 508] en toute République, et fondé en équité : car c'est bien la raison que celui qui veut gagner sur les sujets d'autrui paie quelque droit au Prince, ou au Public.
Le septième moyen de faire fonds aux finances. Le septième moyen est sur les sujets, [moyen] auquel il ne faut jamais venir si tous les autres moyens ne défaillent, et que la nécessité presse de pourvoir à la République. Auquel cas, puisque la tuition et défense des particuliers dépend de la conservation du public, c'est bien la raison que chacun s'y emploie, alors les charges et impositions sur les sujets sont très justes, car il n'y a rien plus juste que ce qui est nécessaire, comme disait un ancien Sénateur Romain. Et néanmoins, afin que la charge extraordinaire, imposée pendant la guerre, ne soit continuée en temps de paix, il est expédient d'y procéder par forme d'emprunt. [J'ajoute] aussi que l'argent se trouve plus aisément, quand celui qui prête espère recevoir et l'argent, et la grâce du prêt gratuit, comme il se fit en Rome, alors qu'Annibal était en Italie, les finances étant presque épuisées, le Sénat ne fut pas d'avis qu'on usât d'impositions nouvelles et forcées (chose périlleuse quand l'ennemi est le plus fort), [mais] d'un commun consentement tous les Sénateurs, et les plus aisés les premiers, portèrent l'or et l'argent aux receveurs, et [ils] furent suivis du peuple de telle allégresse et jalousie du bien public, qu'ils étaient en débat à qui serait le premier enrôlé, de sorte que les changeurs et receveurs n’y pouvaient suffire.
Le cens était de toute ancienneté. Après la victoire contre les Carthaginois, le Sénat ordonna qu'on payât les emprunts, et d'autant qu'il n'y avait pas assez d'argent en l'épargne, les créanciers présentèrent requête tendant, à [la] fin, qu'on leur baillât partie du domaine qui serait estimé par les Consuls, [p. 509] à la charge de rachat perpétuel, et de payer un asse de menu cens aux receveurs pour chacun journau, [ce] qui serait comme la marque que le fonds était du domaine de la République, ce qui fut fait. Et si la République n'a de quoi rendre, ni en deniers, ni en fonds, et que l'ennemi presse, il n'y a [pas de] moyen plus prompt que [de] faire choix des plus habiles aux armes, qui soient armés et soudoyés aux dépens des autres, comme faisaient les anciens Romains. Ce fut, peut-être, la première occasion des charges extraordinaires qui, depuis, continuèrent en charges ordinaires, comme nous lisons que Denys le

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tyran cherchait quelquefois l'occasion des guerres, ou des fortifications, afin qu'il eût moyen de faire [de] nouveaux impôts, qu'il continuait après avoir traité avec l'ennemi, ou délaissé les forteresses commencées.
Détestable invention des tyrans. Si mes souhaits avaient lieu, je désirerais qu'une si détestable invention eût été ensevelie avec son auteur.
Trois sortes d'imposition sur les sujets. Par de moyen, il s'est trouvé trois natures de deniers levés sur les sujets : les uns extraordinaires, les autres ordinaires, et la troisième sorte, qui tient de l'un et de l'autre, qu'on appelle deniers casuels ; sous lesquelles espèces sont compris tant les deniers qui viennent des juridictions, sceaux, monnaies, poids et mesures, que pareillement ceux qui sont pris sur les choses vendues, de quelque nature qu'elles soient, ou sur les dons, legs, et successions échues, ou sur la vente des offices, ou par forme de taille, soit à cause des personnes simplement, qu'on appelle capitation, soit à cause des biens meubles, ou immeubles, et des fruits qui viennent dessus ou dedans la terre, comme tous minéraux, et trésors, soit pour les ports et passages, ou de quelque autre imposition qu'on puisse imaginer : car combien qu'elle fût sale et orde, si est-ce que les Princes exacteurs la trouveront toujours de bonne odeur, comme disait Vespasien.
[p. 510] Deniers ordinaires, extraordinaires, casuels. Desquelles charges et impositions, les plus anciennes sont réputées domaines, comme l'imposition foraine ; les autres ordinaires, comme la taille ; les dernières sont extraordinaires, que les Latins appelaient temerarium tributum, comme [le] sont les subsides sur les villes franches et personnes privilégiées, décimes, dons caritatifs et gratuits, équipollents à décimes, qui sont levés par commission. Et, à parler proprement, la taille, le taillon, les aides, l'équivalent, l'octroi, les crues, la gabelle étaient vrais subsides, et deniers extraordinaires devant Louis IX, qui le premier leva la taille, comme le Président le Maître a remarqué ; mais il n'a pas dit que c'était par forme de subside nécessaire pendant la guerre, et qu'il n'en fit [jamais] recette ordinaire. /.../
Imposteurs de nouvelles charges [sont] mis à mort. Aussi la plupart des imposteurs et inventeurs de nouveaux impôts y ont perdu la vie, comme un Parthenius ou Procleres qui fut lapidé du peuple, en la ville de Trèves, pour avoir donné conseil au roi Théodebert de charger les sujets de nouveaux subsides ; comme de notre âge George Preschon, imposteur, qui fut cruellement exécuté à mort, et Henri roi de Suède, duquel il était gouverneur, chassé de son état ; un Philistus à Denys le jeune, les autres y ont perdu leur état, et plusieurs Princes y ont perdu la vie, et, entre autres Achaeus, Roi des Lydiens, qui fut pendu par ses sujets les pieds contre-mont, et la tête en la rivière, pour les subsides qu'il voulait exiger ; et Théodoric, Roi de France, y perdit la couronne. Les histoires ne sont pleines d'autre chose, car il ne se trouve point de changements, séditions, et ruines de Républiques plus fréquentes, que pour les charges et impôts excessifs. Et [il] n'y a moyen d'obvier à ces inconvénients, qu'en ôtant les subsides et charges extraordinaires, cessant la cause pour laquelle on les [p. 511] a mis sus. Mais il ne faut pas aussi courir d'une extrémité à l'autre, et abolir tous les impôts, aides et tailles, comme plusieurs se sont efforcés de faire, n'ayant ni fonds, ni domaine pour soutenir l'état de la République : entre lesquels fut Néron l'Empereur,

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lequel ayant tout dévoré le domaine, voulut ôter tous les péages et tributs, de quoi le Sénat averti le remercia de son bon vouloir envers le peuple, et néanmoins le dissuada de ce faire, disant que c'était du tout ruiner la République. Et, à dire vrai, c'est ôter les fondements principaux sur lesquels elle est appuyée, comme quelques-uns ont voulu faire en un temps le plus incommode qui fut [jamais], vu que le domaine est du tout aliéné, et la meilleure partie des aides et gabelles et la plupart des fiefs en mainmorte, ou bien entre les mains de ceux qui sont exempts et privilégiés. Il y a bien grande apparence de requérir que les dons excessifs soient retranchés, les donations immenses révoquées, et qu'on tienne compte des finances épuisées. Mais de vouloir abolir les charges, auparavant que d'avoir racheté le domaine et acquitté les dettes, ce n'est pas redresser, ni rétablir, mais ruiner l'État. [855-882]