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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 362]

CHAPITRE IV

S'il est bon que les officiers d'une République soient perpétuels

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D'autant qu'il n'y a, peut-être, chose qui plus apporte de changements de Républiques, que changer trop souvent ou perpétuer les Magistrats, il semble que cette question ne doit pas être laissée, parce qu'elle est des plus utiles et nécessaires qui peut être formée en matière d'état, et des plus dignes d'être bien entendues. Non pas que j'entreprenne [de] la décider, [mais] seulement [de] toucher les raisons qu'on peut mouvoir de part et d'autre, laissant la résolution à ceux-là qui, plus avant, ont sondé la suite et conséquence [de celle-ci]. Je n'entends pas aussi mettre cette question en avant, pour donner pied à ceux qui voudraient changer les lois [déjà] reçues, que les sujets doivent trouver belles en chacune République, ni pour désir d'altérer l'état des Républiques [déjà] éta-[p. 363] blies, et qui ont pris leur pli par longue succession d'années.

Raisons pour montrer que les Magistrats ne doivent être perpétuels. La plus forte raison qu'on peut avoir de faire les officiers annuels est que le premier et principal but de toute République doit être la vertu : et la fin du bon et vrai législateur, est de rendre les sujets bons et vertueux :

[Les] loyers de vertu [sont] communs. Pour y parvenir, il lui convient de mettre en vue de tout le monde les loyers de vertu, comme le blanc, auquel chacun s'efforce d'atteindre à qui mieux mieux. Or est-il certain que l'honneur n'est autre chose, que le prix et loyer de vertu, laquelle ne doit et ne peut être estimée au contrepoids du profit, [mais] au contraire, la vertu n'a point d'ennemi plus capital, que le profit divisé de l'honneur. Si donc les états, offices et commissions honorables sont enlevées d'un lieu public, pour être à toujours encloses et murées ès maisons particulières des plus indignes, qui les emportent par faveur ou par argent, il ne faut point faire état que la vertu soit prisée, vu qu'il est bien difficile, quelque prix qu'on en fasse, d'y attraire les hommes. Voilà le premier point qui doit mouvoir les Princes et législateurs de mettre les états, offices, et tous autres loyers de vertu en vue de tout le monde, et en faire part aux sujets, selon les mérites d'un chacun, ce qu'ils ne pourront faire les octroyant à perpétuité.

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Il faut par tous moyens trancher la racine de sédition. L'autre point que le sage Prince doit avoir devant les yeux, est de trancher les racines, et ôter les semences des guerres civiles, pour maintenir les sujets en bonne paix et amitié les uns envers les autres. Cela est de tel poids, que plusieurs ont pensé que c'était le seul but, auquel doit aspirer le bon législateur, car combien qu'on ait banni souvent la [p. 364] vertu des Républiques pour vivre en licence débordée à tous plaisirs, si est-ce que tous sont d'accord qu'il n'y a pestes plus dangereuses aux Républiques que la sédition civile, d'autant qu'elle tire après soi la ruine commune des bons et des mauvais. Or est-il que la première et principale cause de sédition est l'inégalité ; et, au contraire, la mère nourrice de paix et amitié est l'égalité, qui n'est autre chose que l'équité naturelle, distribuant les loyers, les états, les honneurs, et les choses communes à chacun des sujets, au mieux que faire se peut ; de laquelle égalité, les voleurs même et brigands ne sauraient se passer, s'ils veulent vivre ensemble. Celui donc qui départ les honneurs et offices à un petit nombre de personnes, comme il est nécessaire, quand ils sont donnés à vie, celui-là, dis-je, allume les flammèches de jalousie des uns envers les autres, et le plus grand feu de sédition qui peut être en la République. Quand il n'y aurait que ces deux points-là, il semble qu'ils doivent suffire, pour empêcher qu'on fasse les offices perpétuels, afin que chacun y ayant quelque part, ait aussi occasion de vivre en paix.

Impunité de Magistrats perpétuels. Mais il y a encore d'autres moyens, c'est que non seulement l'union des sujets, et les vrais loyers de vertu sont ôtés, [mais] aussi les peines abolies. Combien qu'il y a plus grand danger en celui-ci, qu'il n'y a aux loyers, car l'homme sage et accompli n'attend autre loyer de ses actions vertueuses que la vertu même ; ce qu'on ne peut dire [ni] du vice ni des vicieux ; et pour cette cause, les lois divines et humaines, depuis la première jusqu'à la dernière, n'ont rien plus recommandé que la punition des méchants. Et quelle punition ferait-on de ceux qui sont toujours si haut montés, qu'il est impossible de leur toucher ? qui les accusera ? qui les emprisonnera ? qui les condamnera ? seront-ce leurs compagnons ? couperontils les [p. 365] bras à eux-mêmes ? Ils ne seront pas si mal avisés, et si les plus grands sont atteints de larcins et concussions, comment puniront-ils les autres ? Plutôt ils rougiraient de honte. Et s'il y a quelqu'un si hardi d'accuser ou déférer seulement l'un de ces dieux, il y va de la vie du délateur, s'il ne vérifie plus clair que le Soleil les méchancetés faites en ténèbres ; et [alors même] que le tout soit bien avéré, que le Magistrat coupable soit prévenu, atteint, convaincu, si est-ce que la clause ordinaire, Frater noster est, suffira pour couvrir et ensevelir toutes les méchancetés, faussetés et concussions du plus injuste Magistrat qu'on pourrait imaginer ; et [il] n'adviendra pas, peut-être, en cinquante ans qu'il en soit fait exécution d'un entre mille qui l'auront mérité. Mais si les Magistrats sont annuels, il est bien certain que la crainte d'être mis à l'examen les tiendra toujours en cervelle, et [qu'ils] trembleront toutes [les] fois qu'ils [entendront] les menaces que firent les Tribuns du peuple à Manlius, Privatum rationem rerum ab se getarum redditurum, quoniam Consul noluisset. Et que pourrait-on voir [de] plus beau, que ceux qui ont manié la Justice, les finances, les charges publiques, après avoir dépouillé la robe de Magistrat, viennent en habit privé rendre compte de leurs actions ? C'est de quoi Plutarque a si haut loué la coutume des anciens Romains, qui poussaient les jeunes hommes pour accuser en public ceux-là

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qui s'étaient mal acquittés de leurs charges, les lâchant comme lévriers après les loups et bêtes sauvages : en quoi faisant, non seulement les méchancetés étaient punies, [mais] aussi par émulation et jalousie chacun s'efforçait à bien faire, et, [pareillement], ceux qui avaient accusé quelques-uns, étaient éclairés de si près qu'ils étaient contraints, en quelque sorte que ce fût, de charrier droit toute leur vie. Tous cela cesse, quand les états sont donnés à vie. [581-584]

[p. 366] Deux fautes notables que plusieurs font au gouvernement des Républiques. Mais il y a deux fautes notables qu'on voit souvent advenir ès actions humaines, soit pour établir et dresser, soit pour maintenir et assurer les Républiques, familles et sociétés des hommes, et auxquelles on voit trébucher les plus grands esprits. L'une est de regarder fort près les inconvénients d'une loi, sans peser le bien qui en réussit ; l'autre est de courir d'une extrémité vicieuse à l'autre extrémité, sans s'arrêter au milieu, et fuir l'eau pour se jeter au feu. Platon a voulu que les Magistrats soient perpétuels, voilà une extrémité. Son disciple Aristote l'ayant relevé de cette erreur, a couru à l'autre extrémité, disant que c'est embraser le feu de sédition en la République, sans que l'un ni l'autre ait fait distinction des Républiques ; [ce] qui était le point, duquel dépend la résolution de cette question. Nous avons vu de notre âge l'un des plus grands personnages de ce Royaume, et le premier de sa robe, ayant embrassé l'opinion d'Aristote, s'efforcer par tous moyens de changer tous les offices en commissions, et [il] n'avait autre chose en la bouche, sans distinguer en quelle forme de République ce changement est recevable. Or, il est certain que les Républiques contraires se doivent gouverner par moyens contraires, et que les règles qui sont propres à maintenir les états populaires servent à la ruine des monarchies. Les états populaires sont maintenus par continuel changement d'officiers, afin que chacun selon sa qualité ait part aux offices, tout ainsi qu'ils ont part à la souveraineté ; et que l'égalité, nourrice de l'état populaire, soit au mieux qu'il sera possible entretenue par succession annuelle de magistrats, et que la coutume de commander longuement, ne donne appétit à quelqu'un de s'emparer de la souveraineté. Mais ès Monarchies, il ne faut pas que les sujets, qui n'ont que voir en la souveraineté, soient [p. 367] nourris d'ambition ; [mais] il suffit qu'ils apprennent à bien obéir à leur Prince ; et [pareillement] si la Monarchie est seigneuriale ou tyrannique, car puisqu'en l'une les sujets sont esclaves naturels de leur seigneur, en l'autre esclaves du tyran par force, il serait du tout impossible au Monarque seigneurial, et au tyran de retenir leur état, et donner puissance aux sujets de commander par succession.

Ruse des tyrans. C'est pourquoi les tyrans, qui ne sont pas moins haïs, et craints des sujets, qu'ils les craignent et haïssent, ayant peu ou point de fiance en eux, s'accostent seulement des étrangers, et de bien petit nombre de leurs sujets, qu'ils connaissent leur être plus loyaux et fidèles, auxquels ils donnent la garde de leur corps, de leur état, de leurs forces, de leurs biens, sans les vouloir changer, ou seulement parce qu'ils se défient des autres, [mais] aussi pour ne les affriander à la douceur du commandement, afin qu'il ne prenne envie à quelqu'un de se dépêcher du tyran pour occuper sa place, ou gratifier aux sujets. Le Monarque seigneurial, auquel les sujets obéissent plus volontiers, comme esclaves naturels, n'est pas si empêché au choix des officiers que le tyran, qui n'est obéi que par force, et ne laisse par les états à

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perpétuité, [mais] à sa discrétion, et tant qu'il lui plaît, en faisant part à plusieurs selon son bon plaisir, sans loi ni ordonnance. Le Monarque Royal, qui traitera ses sujets comme le bon père ses enfants, [alors] qu'il n'est non plus tenu aux lois humaines que les autres Monarques, néanmoins, il établira lois et ordonnances pour l'institution et destitution des officiers, afin qu'elles soient entretenues, faisant part des honneurs et loyers, non pas à tous, sans discrétion, mais à ceux qui le méritent, ayant plus d'égard

àl'expérience et à la vertu, qu'à la faveur de ceux qui lui sont plus recommandés ; et néanmoins, la médiocrité, louable en toutes choses, sera par lui gardée, [p. 368] en sorte qu'il fera plusieurs offices perpétuels, et aucun muable de trois en trois ans, et quelques-uns par chacun an, [de même pour] les chefs des Parlements, des finances, et gouverneurs de pays, qui, autrement, ne seront jamais punis de leurs concussions et abus ; faisant part aux riches et aux nobles des offices et, honneurs, encore qu'ils ne soient pas si expérimentés que les pauvres et roturiers, pour obvier aux séditions, pourvu toutefois que ceux qui ne sont pas assez capables soient associés de gens bien rompus en leur charge pour couvrir et suppléer le défaut des autres. Et en cas de nécessité, il ne sera pas tellement attaché à ses propres lois, qu'il ne destitue ceux qu'il aura ordonnés pour être perpétuels, s'il connaît que pour la faiblesse d'esprit, ou de corps, ceux qu'il aura mal, choisis, soient du tout incapables de la charge qu'ils soutiennent. Ou, pour couvrir la honte de ceux qui sont incapables, [il] leur donnera honnête moyen de se défaire de leur état, comme dit Auguste à grand nombre de Sénateurs qui se destituèrent par ce moyen, sans force, ou, pour le moins, [il] députera [des] commissaires pour exercer leur charge, laissant les officiers jouir du titre d'office et des privilèges. Et, afin que la justice, qui est le fondement principal d'un état, soit distribuée saintement, il ordonnera qu'elle soit donnée aux corps et collèges

àperpétuité, [comme] de ceux qui jugent sans appel, soit en civil ou criminel, non seulement afin que les Juges soient plus expérimentés, tant pour ouïr les opinions de plusieurs, que par longue usance de juger, [mais] aussi pour affaiblir leur puissance, de peur qu'ils n'en abusent, et afin qu'ils ne soient pas si aisément corrompus, ainsi que beaucoup d'eau est plus difficile à corrompre, car souvent un bon et vertueux Juge relèvera toute une compagnie, et rompra les factions et secrètes pratiques des Juges corrompus, ou qui sont fort gens de [p. 369] bien, mais toutefois prévenus des calomniateurs et tricoteurs de procès, ne peuvent connaître la vérité : comme j'ai su qu'un juge seul fit changer d'avis toute une compagnie, qui avait résolu et arrêté de faire mourir une femme innocente, et par vives raisons la fit absoudre à pur et à plein. Celui-là mérite d'être nommé, ce fut le Conseiller Potier sieur du Blanc-Mesnil, qui a laissé à la République deux enfants, l'un maître des Requêtes, l'autre Secrétaire des finances, qui ne cèdent point à la vertu du père. Car l'expérience de plusieurs siècles nous a fait connaître que des opinions communiquées entre les juges, il se fait bien meilleur jugement que des opinions données en secret, comme Aristote dit qu'il se faisait anciennement. Mais les Romains changèrent cette forme, comme on peut voir en Asconius Paedianus, où il met la différence entre les deux façons : Cùm universi judices constituunt, aut singuli sententiam ferunt ; ce que Charles Sigon a pris tout au contraire. C'est pourquoi la justice d'Asie et d'Afrique n'est pas si entière que celle d'Europe : parce qu'il n'y a le plus souvent qu'un Juge en un ressort, ou juridiction, comme au grand Caire d'Égypte il y a quatre Juges, qui ont diverses juridictions et

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séparées, et chacun plusieurs Lieutenants qui jugent à part ; et les appellations ressortissent au premier juge, chef des quatre, qui décide les appellations sans compagnon, [ce] qui n'est pas difficile à gagner à celui qui plus a de faveur, ou de présents pour lui faire ; et sont à la discrétion des Cadilesquiers, pour les souffrir en leur charge, ou les destituer, et tous ensemble tant qu'il plaît au grand Seigneur. J'ai dit que le monarque royal ne fera pas tous les officiers perpétuels, ni tous muables aussi, parce qu'il n'est pas besoin de changer les menus officiers, comme greffiers, sergents, huissiers, notaires, et autres semblables, qui pour n'avoir aucun pouvoir de commander ne peuvent [p. 370] nuire à l'état. Et néanmoins, l'expérience de leur charge, qui ne s'acquiert que par longue usance, veut qu'ils soient perpétuels. Autant peut-on dire des menus magistrats qui sont sujets à la correction des grands. Mais quant à ceux qui ne reconnaissent que le Prince souverain, soit au fait des armes, ou de la justice, ou des finances, si le monarque royal les retient en charge, un, ou deux, ou trois ans pour le plus, il fera ouverture de sa justice, pour examiner leurs actions et, par même moyen, il fera trembler les méchants qui auront toujours crainte de l'examen. [593-596]

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