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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 297]

CHAPITRE VI

De la puissance que les Magistrats ont les uns sur les autres

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En toute République bien ordonnée il y a trois degrés de Magistrats : le plus haut est de ceux qu'on peut appeler souverains, qui ne reconnaissent que la majesté suprême ; les moyens obéissent aux uns et commandent aux autres ; le plus bas degré est de ceux qui n'ont aucun commandement sur les Magistrats, [mais] seulement sur les particuliers sujets à leur ressort. Et quant aux Magistrats souverains, les uns ont puissance de commander à tous Magistrats sans exception, les autres ne reconnaissent que la Majesté, et n'ont pouvoir que sur les Magistrats sujets à leur juridiction.

Il est dangereux de faire un Magistrat qui ait commandement sur tous les autres.

Quant aux Magistrats souverains, qui ont pouvoir sur tous les autres, et ne reconnaissent que le souverain, il y en a fort [p. 298] peu, et moins à présent qu'anciennement, pour le danger qu'il y a que l'état soit envahi par celui qui tient sous sa puissance tous les sujets, et n'a plus qu'un degré pour monter à la souveraineté ; et principalement si le Magistrat, qui a cette puissance, est seul, et sans compagnon, ayant la force en main, comme le grand Prévôt de l'Empire, qu'ils appelaient Praefectum Praetorio, lequel avait commandement sur tous les Magistrats par tout l'Empire, et connaissait des appellations de tous Gouverneurs et Magistrats ; et [il] n'y avait point d'appel de lui, [bien] que les premiers qui eurent cet état, n'étaient que Capitaines des légions Prétoriennes, comme Seius Strabo le premier qui fut pourvu de cet office sous Auguste, et Seianus sous Tibère. Mais les Empereurs qui furent après, leur donnèrent peu à peu toute puissance, comme à leurs Lieutenants généraux et amis plus intimes, se déchargeant sur eux de la connaissance de toutes affaires, et des causes qu'ils avaient accoutumé de juger. [Ce] qui fut la cause d'en pourvoir les plus grands Jurisconsultes, comme Martien sous Othon, Papinien sous Sévère, Ulpien sous Alexandre, devant qu'on eût divisé les armes d'avec les lois, et les gens de justice, d'avec les Capitaines. Depuis, l'état de grand Prévôt fut divisé en deux, et puis en trois, pour amoindrir leur puissance. Autant pouvons-nous dire des grands Maires du Palais, et des Princes de France en ce Royaume, et du Lieutenant général du Roi, auxquels on [ne] pourrait aucunement apparager le premier Bascha en Turquie, et le grand Edegnare en Égypte, sous la principauté des Sultans. Mais le premier Bascha

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cède aux enfants du Prince, qui commandent et président en l'absence du père ; et le grand Edegnare n'avait point de commandement sur les Capitaines des forteresses, non plus qu'en Turquie, ni en ce Royaume, ni en l'état de Venise, ni en Espagne. Aussi la puissance [p. 299] souveraine de commander à tous Magistrats et officiers sans exception, ne se doit donner à un seul, si ce n'est en cas de nécessité, et par commission seulement, comme on faisait anciennement aux Dictateurs, et maintenant aux Régents, en l'absence, fureur, ou bas âge des Princes souverains. Je dis en l'absence, car il est bien certain qu'en la présence du souverain, toute la puissance des Magistrats et commissaires cesse, et [ils] n'ont aucun pouvoir de commander, ni aux sujets, ni les uns aux autres. Et tout ainsi que tous fleuves perdent leur nom, et leur puissance à l'embouchure de la mer, et les lumières célestes en la présence du Soleil, et aussitôt qu'il s'approche de l'horizon, perdent leur clarté, en sorte qu'ils semblent rendre la lumière totale qu'ils ont empruntée du Soleil, ainsi voyons nous que celui qui porte la parole pour le Prince souverain, soit au conseil privé, soit en Cour souveraine, soit aux états, se mettant à ses pieds, use de ces mots, LE ROI VOUS DIT.

En présence du souverain toute la puissance des Magistrats est tenue en souffrance. Et si le Roi était absent, le Chancelier, ou Président tenant la place du Roi par-dessus tous les Princes, prononcerait suivant l'avis de la pluralité, au nom de la Cour, ou du corps et collège ayant puissance de commander, et juridiction ordinaire. Et d'autant que le Chancelier Poyet, Président au grand conseil, en l'absence du Roi usait souvent de cette forme de parler, LE ROI VOUS DIT, fut accusé de lèsemajesté, outre les autres points d'accusation. En quoi plusieurs s'abusent, qui pensent que la vérification des édits, lettres, ou privilèges, est faite par la Cour, quand le Roi y est présent, vu que la Cour a les mains liées, et qu'il n'y a que le Roi qui commande. C'est pourquoi celui qui porte la parole pour le Roi dit en cette sorte, Le Roi vous dit, que sur le repli de ces lettres sera mis, [p. 300] qu'elles ont été lues, publiées et enregistrées, ouï sur ce son Procureur, sans y mettre, ce requérant, ni consentant, car l'avis du procureur ne sert de rien, le maître présent. Aussi lisons-nous qu'en l'assemblée des états du peuple Romain, tous les Magistrats baissaient les faisceaux et masses en signe d'humilité, et parlaient debout au peuple assis, montrant qu'ils n'avaient aucun pouvoir de commander. Et tous Magistrats procédaient par requêtes usant de ces mots, VELITIS, JUBEATIS. Et le peuple quand il donnait son consentement à haute voix, devant la loi Cassia tabellaria, usait de ces mots, Omnes qui hic assident volumus jubemusque. Et les tablettes portaient ces lettres A, et U, R, antiquo, uti rogas. Et en cas pareil, le peuple d’Athènes était assis, alors que les Magistrats parlaient tout debout. Mais dira quelqu'un, s'il est ainsi que les magistrats n'eussent aucun pouvoir de commander aux particuliers, ni les uns aux autres en la présence de ceux qui avaient la souveraineté, pourquoi est-ce que le Tribun du peuple envoya son huissier au Consul Appius pour lui imposer silence ? et le Consul pour lui rendre la pareille, lui envoya son massier, criant tout haut qu'il n'était pas Magistrat ? Je réponds que souvent tel débat advenait entre les Magistrats, [de même] entre les Consuls et Tribuns. Mais il ne faut pas pourtant conclure, que l'un eût puissance de commander à l'autre en présence du peuple : comme il fut bien remontré au premier Président le Maistre, sur le différend des habits, entre le Parlement et la Cour des

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Aides, qui devaient accompagner le Roi, il advint au Président de faire défenses et user de commandement envers la Cour des Aides ; et [bien] que le Roi ne fût pas si près, qu'il pût ouïr le commandement, toutefois on dit au Président, qu'il n'avait rien à commander au lieu où était le Roi, quand [bien même] il eût eu commandement sur la Cour des Aides. Encore, peut-on dire, [p. 301] que si les Magistrats n'avaient puissance de commander, ils ne seraient plus Magistrats ; et la prérogative des préséances ne serait pas si soigneusement gardée en la présence du Roi, comme elle est. Je dis que les magistrats demeurent en leurs offices, et par conséquent en leurs dignités et honneurs ; et [il] n'y a que la puissance de commander suspendue, comme en cas pareil le Dictateur étant nommé, tous les magistrats demeuraient bien en leurs états et offices, mais la puissance de commander était tenue en souffrance. Et aussitôt que la commission du Dictateur expirait, ils commandaient : ce qu'ils n'eussent fait si le magistrat et office leur eût été ôté réellement et de fait [ce] qui servira de réponse à ce qu'on pourrait tirer en argument ce qu'on lit ès anciens auteurs, Creato dictatore, magistratus abdicant : [ce] qui ne s'entend que de leur puissance, qui était suspendue pour un peu de temps. Et la raison est générale, que la puissance du moindre soit tenue en souffrance, en la présence du supérieur : car autrement le sujet pourrait commander contre la volonté du seigneur ; le serviteur contre le gré du Maître ; le magistrat contre l'avis du Prince ; chose qui ferait préjudice inévitable à la Majesté souveraine, si ce n'était que le Prince dépouillât la personne de souverain, pour voir commander ses magistrats : comme l'Empereur Claude souvent allait voir les magistrats en public, et sans se déguiser se mettait au-dessous d'eux, leur quittant le plus digne lieu ; ou bien que le Prince voulût souffrir jugement de ses officiers, lui présent. Car la maxime de droit, qui veut que le magistrat égal, ou supérieur, puisse être jugé par son compagnon, ou inférieur quand il s'est soumis à sa puissance, a lieu en la personne de tous Princes souverains, pour être jugés, non seulement par les autres Princes, mais aussi par leurs sujets. Et [bien] que ceux-là peuvent juger en leur cause, à qui Dieu a [p. 302] donné puissance de disposer sans jugement, comme disait Xénophon, néanmoins il est beaucoup plus séant à leur Majesté de souffrir jugement de leurs magistrats, que se faire juges de soi-même. Mais afin que la majesté ne souffre aucune diminution de sa grandeur, et que la splendeur du nom Royal n'éblouisse les yeux des juges, il a été sagement avisé en ce Royaume, que le Roi ne plaiderait que par procureur, c'est-à-dire, qu'il ne serait jamais en qualité ; ce que, depuis, les autres Princes ont suivi chacun en son territoire. Vrai est que le procureur du Roi plaidant pour le Roi en qualité de particulier, comme s'il obtient lettres en forme de rescision, il doit laisser la place du Procureur du Roi, et se mettre au barreau des Pairs de France. Ce que j'ai dit que les magistrats n'ont point de puissance en la présence du Roi, s'entend aussi quand leurs commissions s'adressent aux sujets de leur juridiction, lors qu'ils sont à la Cour, suite et pourpris [de celle-ci], ce qui est gardé bien étroitement. Mais on peut demander, si le magistrat peut défendre au sujet d'approcher de la Cour, au ressort de son territoire. Cela n'est pas sans difficulté ; toutefois, sans entrer plus avant en dispute, je dis que le magistrat bannissant le coupable hors le territoire de sa juridiction, où le Prince peut être alors, il lui défend aussi d'approcher de la Cour. Mais il ne peut spécialement lui faire défense d'approcher de la Cour ; en quoi la règle d'Ulpien a lieu, qui dit : Expressa nocent,

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non expressa non nocent. Et [il] me souvient qu'on trouva bien étrange à la Cour, et même le Chancelier de l'Hospital, que les commissaires, députés au jugement du Président l'Allemand, lui firent défenses d'approcher de dix lieues à la ronde de la Cour. Et [il] fut dit qu'il n'y avait Magistrat ni Cour souveraine qui pût faire telles défenses. Et peut-être ce fut l'une des principales causes, pour laquelle le Président l'Allemand, [p. 303] au conseil duquel j'étais, obtint lettres de révision. Car non seulement il serait trop dur et inhumain d'ôter la voie de requête au sujet envers son Prince, qui est de droit divin et naturel, [mais] aussi ce serait faire un préjudice à la Majesté souveraine, comme j'ai dit ci-dessus. Et combien que les Cours souveraines bannissent hors du Royaume, et aux lieux où ils n'ont point de puissance, contre le droit commun, si est-ce que l'arrêt n'aurait point d'effet, si le Roi, au nom duquel les Parlements jugent, ne donnait la commission ; aussi tous les arrêts en forme commencent par le nom du Roi. [451-456]

La prérogative d'honneur n'a rien de commun avec la puissance. Mais on peut demander si les magistrats égaux en puissance, ou collègues, sont aussi égaux en honneur et en préséances. Je dis que l'un n'a rien de commun avec l'autre ; et souvent, ceux qui sont les plus honorés ont moins de puissance : [ce] qui est l'un des plus beaux secrets d'une République, et mieux gardé à Venise qu'en lieu du monde. Entre les Consuls, le premier désigné Consul était le premier nommé aux actes publiques et aux fastes, et avait la préséance, autrement, c'était le plus âgé, jusqu'à la loi Pappia, qui donna la prérogative d'honneur au Consul marié. Ou, s'ils étaient tous deux mariés, à celui qui avait le plus d'enfants, qui suppléaient le nombre des ans. Et entre les Préteurs, celui qu'on appelait Urbanum était le premier, et tenait la place des Consuls, assemblait le Sénat, tenait les grands états ; et entre les dix Archontes égaux en puissance, il y en avait un qu'on appelait Archon eponymos, qui passait devant tous les autres, et les actes publics étaient autorisés de son nom. Ainsi pouvons-nous dire qu'entre tous les Parlements de France, le Parlement de Paris a la prérogative d'honneur par-dessus tous, et s'appelle encore la Cour des Pairs de France, ayant connaissance des [p. 304] Pairs, Privativement à tous autres. Et combien que du temps de Charles VIII le grand Conseil maniât les affaires d'état, si est-ce que par édit exprès, le Roi ordonna qu'en tous édits et mandements où il serait fait mention de la Cour de Parlement et du grand Conseil, la Cour serait toujours prémise : l'édit est vérifié le 13 Juin 1449 ; et, même entre tous les Procureurs du Roi, celui du Parlement de Paris a toujours eu la prérogative d'honneur par-dessus tous autres, qui doivent tous serment aux Cours souveraines, hormis le Procureur général au Parlement de Paris, qui ne doit serment sinon au Roi. Aussi voit-on que le Connétable de France et le Chancelier, [quoiqu'ils] n'aient rien à commander l'un sur l'autre, et qu'ils soient vis-à-vis l'un de l'autre en séance, et ne marchant [que] côte à côte, néanmoins, le lieu d'honneur est réservé au Connétable, qui est à la dextre devant le Roi, et le Chancelier à la sénestre, si ce n'est qu'on voulût dire qu'il a ce lieu pour tenir à dextre l'épée du Roi. Mais outre cela, au sacre et couronnement du Roi et aux cérémonies où il y a lieu de précédence, le Connétable passe devant le Chancelier, et le Chancelier est suivi du grand Maître de France. Ce que j'ai mis en passant pour exemple, et non pas pour traiter des honneurs. [464-465]

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