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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 251]

Le Troisième Livre

de la République

CHAPITRE I

Du Sénat, et de sa puissance

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Le Sénat est l'assemblée légitime des Conseillers d'état, pour donner avis à ceux qui ont la puissance souveraine en toute République. Jusqu'ici nous avons discouru de la souveraineté, et [de ses] marques, puis nous avons touché la diversité des Républiques. Disons maintenant du Sénat, puis nous dirons des Officiers, mettant les choses principales en premier lieu. Non pas que la République ne puisse être maintenue sans Sénat, car le Prince peut être si sage et si bien avisé, qu'il ne trouvera meilleur conseil que le sien ; ou bien, se défiant d'un chacun, ne prendra l'avis ni des siens, ni des étrangers, comme Antigon Roi d’Asie, Louis XI en ce royaume, que l'Empereur Charles V suivait à la trace, Jules César entre les Romains, qui ne disait jamais rien des entreprises, ni des voyages, ni du jour de la [p. 252] bataille, qui sont venus à chef de hautes entreprises, [quoiqu'ils] fussent assaillis de grands et très puissants ennemis. Et d'autant étaient-ils plus redoutés, que leurs desseins, étant clos et couverts, se trouvaient plus tôt exécutés, que les ennemis en eussent le vent, qui par ce moyen étaient surpris ; et les sujets tenus en cervelle, et prêts d'exploiter et obéir à leur Prince, sitôt qu'il aurait levé la main. Tout ainsi que les membres du corps bien composés sont prêts à recevoir et mettre en effet les mandements de la raison, sans avoir part [à son] conseil.

S'il est moins dangereux d'avoir un bon Prince assisté d'un mauvais conseil, qu'un mauvais Prince conduit par bon conseil. Or plusieurs, sans cause, à mon avis, ont douté s'il est plus expédient d'avoir un sage et vertueux Prince sans conseil, qu'un Prince hébété pourvu de bon conseil, et les plus sages ont résolu que ni l'un ni l'autre ne vaut rien. Mais si le Prince est si prudent qu'ils supposent, il n'a pas grand affaire

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de conseil, et le plus haut point qu'il peut gagner ès choses de conséquence, c'est de tenir les résolutions secrètes, lesquelles découvertes, ne servent non plus que mines éventées. Aussi, les sages Princes y donnent si bon ordre, que les choses que moins ils veulent faire, sont celles dont ils parlent le plus. Et quant au Prince hébété, comment serait-il pourvu de bon conseil, puisque le choix dépend de sa volonté ? et que le premier point de sagesse gît à savoir bien connaître les hommes sages, et en faire le choix à propos, pour suivre leur conseil ? Mais d'autant que la splendeur et beauté de sagesse est si rare entre les hommes, et qu'il faut recevoir en toute obéissance les Princes qu'il plaît à Dieu de nous envoyer, le plus beau souhait qu'on peut faire, c'est d'avoir un sage conseil, et n'est pas à beaucoup près si dangereux d'avoir un mauvais Prince, et bon conseil, qu'un bon Prince conduit par mauvais [p. 253] conseil, comme disait l'Empereur Alexandre. J'ai dit que le Prince soit conduit par l'avis du conseil ; ce qu'il doit faire non seulement ès choses grandes et d'importance, [mais] encore ès choses légères, car il n’y a rien qui plus autorise les lois et mandement d'un Prince, d'un peuple, d'une seigneurie, que les faire passer par l'avis d'un sage conseil, d'un Sénat, d'une Cour ; comme Charles V, surnommé le Sage, ayant reçu les appellations et plaintes de ceux de Guyane, sujets du Roi d'Angleterre, contrevenant directement au traité de Brétigny, il assembla tous les Princes en Parlement, disant qu'il les avait fait venir pour avoir leur avis, et se corriger s'il avait fait chose qu'il ne dût faire. Car les sujets voyant les édits et mandements passés contre les résolutions du conseil, sont induits à les mépriser. Et du mépris des lois vient le mépris des magistrats, et puis la rébellion ouverte contre les Princes, qui tire après soi la subversion des états. C'est pourquoi on remarqua que Jérôme Roi de Sicile perdit son état, et fut cruellement tué avec tous ses parents et amis, pour avoir méprisé le Sénat, sans rien lui communiquer, et par le moyen duquel son aïeul avait gouverné l'état cinquante ans et plus, ayant empiété la souveraineté. César fit la même faute, gouvernant la République sans l'avis du Sénat, et la principale occasion qu'on prit pour le tuer, fut parce qu'il ne daigna se lever devant le Sénat, à la suasion de son flatteur Cornelius Balbus. Et pour même cause les Romains avaient tué le premier, et chassé le dernier Roi, d'autant que l'un méprisait le Sénat, faisant tout à sa tête ; l'autre le voulait abolir du tout, supprimant les Sénateurs par mort. Et pour cette cause, le Roi Louis XI ne voulut pas que son fils Charles VIII sût plus de trois mots de Latin, qu'on a rayés de l'histoire de Philippe de Commines, afin qu'il se gouvernât par conseil, connaissant bien que ceux qui ont bonne [p. 254] opinion de leur suffisance, ne font rien que de leur cerveau, ce qui avait réduit Louis XI à un doigt près de sa ruine, comme il confessa depuis. Aussi estil certain que le savoir d'un Prince, s'il n'est accompli d'une bien rare et singulière vertu, est comme un dangereux couteau en la main d'un furieux : et [il] n'y a rien plus à craindre qu'un savoir accompagne d'injustice, et armé de puissance. Il ne s'est point trouvé de Prince, hors le fait des armes, guère plus ignare que Trajan, ni quasi plus savant que Néron ; et toutefois celui-ci n'eut [jamais] son pareil en cruauté, ni celui-ci en bonté : l'un méprisait, l'autre révérait le Sénat.

Puis donc que le Sénat est une chose si utile en la monarchie, et si nécessaire ès états populaires et aristocratiques, qu'ils ne peuvent subsister, disons en premier lieu des qualités requises aux sénateurs, puis [de leur] nombre : et s'il doit y avoir plus d'un conseil, et les choses qu'on y doit traiter, et en dernier lieu quelle puissance on

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doit donner au Sénat. J'ai dit que le Sénat est une assemblée légitime : cela s'entend de la puissance qui leur est donnée du souverain, de s'assembler en temps et lieu ordonné. Quant au lieu, [peu importe où il se trouve], car bien souvent l'occasion le présente où les affaires se doivent exécuter. Mais Lycurgue législateur a été loué de la défense qu'il fit de mettre portraits ni peintures, au lieu où le Sénat délibérait, parce qu'il advient souvent que la vue de telles choses distrait la fantaisie, et transporte la raison qui doit entièrement être tendue à ce qu'on dit. J'ai dit Conseillers d'état, pour la différence des autres Conseillers et Officiers qui souvent sont appelés, pour donner avis aux Princes, chacun selon sa vacation et qualité, et néanmoins ils ne sont point conseillers d'état, ni ordinaires. Et quant au titre de Sénateur, il signifie vieillard, comme aussi les Grecs appellent le [p. 255] Sénat [en grec], qui montre bien que les Grecs et Latins composaient leur conseil de vieillards, ou de Senieurs, que nous appelons Seigneurs, pour l'autorité et dignité qu'on a toujours données aux anciens, comme aux plus sages et mieux expérimentés, comme on peut voir aux lois de Charlemagne, quand il dit, Nulli per sacramentum fidelitas promittatur, nisi nobis, et unicuique proprio seniori. Aussi, par la coutume des Athéniens, quand le peuple était assemblé pour donner avis, l'huissier appelait à haute voix ceux qui avaient atteint cinquante ans, pour conseiller ce qui était bon et utile au public. Et non seulement les Grecs et Latins ont déféré la prérogative aux vieillards de donner conseil à la République, [mais] aussi les Égyptiens, Perses, Hébreux, qui ont appris aux autres peuples de bien et sagement ordonner leurs états. Et quelle ordonnance plus divine voulons-nous que celle de Dieu ? Quand il voulut établir un Sénat. Assemblez-moi, dit-il, soixante et dix des plus anciens de tout le peuple, gens sages et craignant Dieu. Car combien qu'on pût trouver nombre de jeunes hommes attrempés, sages, vertueux, voire expérimentés aux affaires (chose toutefois bien difficile) si est-ce qu'il serait périlleux d'en composer un Sénat (qui serait plutôt un Juvenat) d'autant que leur conseil ne serait reçu, ni des jeunes, ni des vieux, car les uns s'estimeraient autant, et les autres plus sages que tels conseillers. Et en matière d'état, si en chose du monde, l'opinion n'a pas moins, et bien souvent a plus d'effet que la vérité. Or il n'y a rien plus dangereux, que les sujets ayant opinion d'être plus sages que les gouverneurs. Et si les sujets ont une mauvaise opinion de ceux qui commandent, comment obéiront-ils ? Et s'ils n'obéissent quelle issue en peut-on espérer ? C'est pourquoi Solon défendit au jeune homme l'entrée du Sénat, [quoiqu'il] semblât être bien sage. Et [p. 256] Lycurgue, auparavant Solon, composa le Sénat de vieillards. Et non sans cause les lois ont donné la prérogative d'honneur, privilèges, et dignités aux vieillards, pour la présomption qu'on doit avoir qu'ils sont plus sages, mieux entendus, et plus propres à conseiller que les jeunes. Je ne veux pas dire que la qualité de vieillesse suffise pour avoir entrée au Sénat d'une République, et de même si la vieillesse est recrue et [déjà] décrépite, défaillant les forces naturelles, et que le cerveau affaibli ne puisse faire son devoir. Platon même, qui veut que les vieillards soient gardes de la République, excuse ceux-là. Aussi est-il dit en l'écriture, que Dieu ayant élu soixante et dix vieillards, leur donna l'infusion de sagesse en abondance. Et, pour cette cause, les Hébreux appellent leurs Sénateurs, les sages. Et Cicéron appelle le sénat l'âme, la raison, l'intelligence d'une République, voulant conclure que la République ne peut non plus se maintenir sans Sénat, que le corps sans âme, ou l'homme sans raison, et,

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partant, qu'il faut que les sénateurs soient résolus par un long exercice d'ouïr, peser, et résoudre les grandes affaires. Car les grands et beaux exploits en armes et en lois, ne sont rien autre chose que l'exécution d'un sage conseil, que les Grecs pour cette cause appelaient chose sacrée, les Hébreux fondement, sur lequel toutes les belles et louables actions sont bâties, et sans lequel toutes les entreprises se ruinent. Quand je dis sagesse, j'entends qu'elle soit conjointe à la justice et loyauté ; car il n'est pas moins, et peut-être plus dangereux d'avoir de méchants hommes pour sénateurs, quoiqu'ils soient subtils et bien expérimentés, que d'avoir des hommes ignares et lourdauds : d'autant que ceux-là se soucient peu de renverser toute une cité, pourvu que leur maison demeure entière au milieu des ruines ; et quelquefois, par jalousie de leurs ennemis, [p. 257] défendent une opinion contre leur conscience, [bien] qu'ils n'aient autre profit que le triomphe qu'ils rapportent de la honte de ceux qu'ils estimeront avoir vaincus, tirant ceux de leur faction à leur cordelle. [342-346]

Les affaires qu'on doit proposer au Sénat. Quant aux affaires qu'on doit proposer, cela dépend des occasions et affaires qui se présentent. Les anciens Romains délibéraient premièrement des choses touchant la religion, comme le but et la fin où toutes les actions humaines doivent commencer et finir. Aussi jamais, dit Polybe, [il] n'y eut peuple plus dévot que celui-là, ajoutant que par le moyen de la Religion, ils établirent le plus grand Empire du monde. Puis après on doit parler des affaires d'état plus urgentes, et qui touchent de plus près au public, comme le fait de la guerre et de la paix, où il n'est pas moins périlleux de convertir le conseil en longues difficultés, que la précipitation y est dangereuse. Auquel cas, comme en toutes choses douteuses, les anciens avaient une règle, qui ne souffre pas beaucoup d'exceptions, c'est à savoir : Qu'il ne faut faire, ni conseiller chose qu'on doute si elle est juste ou injuste, utile ou dommageable ; si le dommage qui peut advenir est plus grand que le profit qui peut réussir de l'entreprise. Si le dommage est évident, et le profit douteux, ou bien au contraire, il ne faut pas mettre en délibération lequel on choisira. Mais les difficultés sont plus urgentes, quand le profit qu'on espère est plus grand, et qu'il fait contrepoids au dommage de ce qui peut résulter des entreprises. Toutes [les] fois, la plus saine opinion des anciens doit emporter le prix, c'est à savoir : Qu'il ne faut faire ni mise ni recette des cas fortuits, quand il était question de l'état. C'est pourquoi les plus rusés font porter la parole aux plus simples, pour mettre en avant et suader une opinion douteuse, afin qu'ils ne [p. 258] soient blâmés s'il en vient mal, et qu'ils emportent l'honneur si la chose vient à point. Mais le sage Sénateur ne s'arrêtera jamais aux cas fortuits et aventureux, [au contraire, il] s'efforcera toujours par bons et sages discours [de] tirer les vrais effets des causes précédentes. Car on voit assez souvent les plus hasardeux et téméraires être les plus heureux aux exploits. Et pour cette cause les anciens Théologiens n'ont jamais introduit leur déesse Fortune au conseil de Dieux.

La déesse qu'on disait Fortune, chassée du conseil des autres Dieux. Et toutefois on [n'entend] quasi autre chose, que louer ou blâmer les entreprises par la fin qui en réussit, et mesurer la sagesse au pied de fortune. Si la loi condamne à mort le soldat qui a combattu contre la défense du Capitaine, [bien] qu'il ait apporté la victoire, quelle apparence y a-t-il de peser en la balance de sagesse les cas fortuits et succès

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heureux ? Aussi telles aventures continuées, tirent le plus souvent après soi la ruine des Princes aventureux. Et par ainsi, pour éviter à ce qu'il ne soit rien arrêté au conseil témérairement, l'avis de Thomas le More me semble bon, qu'on propose un jour auparavant ce qu'on doit résoudre le jour suivant, afin que les délibérations soient mieux digérées, pourvu toutefois qu'il ne soit point question de l'intérêt particulier de ceux qui ont voix au conseil. Car en ce cas, il vaut beaucoup mieux prendre les avis sur-le-champ et sans délai que d'attendre que le sain jugement des uns soit prévenu par les menées des autres, et qu'on vienne, préparé de longues traînées de raisons, pour renverser ce qui doit être conclu. Et tout ainsi que la vérité, plus elle est nue et simplement déduite, plus elle est belle, aussi est-il certain que ceux qui la déguisent par force de figures, lui ôtent son lustre et sa naïve beauté, chose qu'on doit sur tout fuir au conseil ; afin aussi que la brièveté [p. 259] Laconique pleine de bonnes raisons donne place à chacun de dire son avis comme il se doit faire, et non pas ballotter comme à Venise ou passer du côté de celui duquel on tient l'opinion, comme il se faisait au Sénat de Rome. Car ils se trouvaient toujours empêchés, quand la chose mise en délibération avait plusieurs chefs et articles, qui étaient en partie accordés, et en partie rejetés, de sorte qu'il était nécessaire de proposer chacun article à part, ce que les Latins disaient Dividere sententiam, et faire passer et repasser les Sénateurs de part et d'autre. Les Vénitiens se trouvent aussi ès mêmes difficultés, [ce] qui les contraint de prendre souvent les opinions verbales, et quitter les ballottes, desquelles mêmes ils usent quand il est question des biens, de la vie et de l'honneur, à la façon des anciens Grecs et Romains, chose qui ne se peut faire sans injustice, pour la variété infinie des cas qui se présentent à juger. Or, combien que le Sénat de la République ne soit point lié à certaine connaissance, aussi ne faut-il pas qu'il s'empêche de la juridiction des Magistrats, si ce n'est sur le débat des plus grands Magistrats et Cours souveraines. Et, pour cette cause, Tibère l'Empereur protesta, venant à l'état, qui ne voulait rien altérer ni prendre connaissance de la juridiction des Magistrats ordinaires ; et ceux qui font une cohue du Sénat et conseil privé, ravalent grandement [sa] dignité, au lieu qu'il doit être respecté pour autoriser les actions des Princes, et pour vaquer entièrement aux affaires publiques, qui suffisent pour empêcher un Sénat, si ce n'était quand il est question de la vie, ou de l'honneur des plus grands Princes et seigneurs, ou de la punition des villes, ou d'autre chose de telle conséquence, qu'elle mérite l'assemblée d'un Sénat ; comme anciennement le Sénat Romain connaissait par commission du peuple des trahisons et conjurations des alliés contre la République, comme on voit [p. 260] en Tite-Live. Reste encore le dernier point de notre définition, c'est à savoir, que le Sénat est établi pour donner avis à ceux qui ont la souveraineté.

Le Sénat [est] établi seulement pour donner avis, et non pas pour commander. J'ai dit donner avis, parce que le Sénat d'une République bien ordonnée, ne doit, point avoir puissance de commander, ni décerner mandements, ni mettre en exécution ses avis et délibérations ; mais il faut tout rapporter à ceux qui ont la souveraineté. Si on demande s'il y a République où le Sénat ait telle puissance, c'est une question qui gît en fait ; mais je tiens que la République bien établie ne le doit pas souffrir, et qu'il ne se peut faire sans diminution de la majesté, et beaucoup moins en la Monarchie qu'en l'état populaire ou Aristocratique. Et en cela connaît-on la majesté souveraine d'un

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Prince, quand il peut, et la prudence quand il sait peser et juger les avis de son conseil, et conclure selon la plus saine partie, et non pas selon la plus grande. Si on dit qu'il n'est pas convenable de voir les Magistrats et Cours souveraines avoir puissance de commander et décerner leurs commissions en leur nom, et que le Sénat, qui juge de leurs différends, soit privé de cette puissance, je réponds que les Magistrats ont puissance de commander, en vertu de leur institution, érection et création, et des édits sur ce faits, pour limiter leur charge et puissance : mais il n'y eut [jamais quelconque] Sénat en aucune République bien ordonnée, qui ait eu pouvoir de commander en vertu de son institution. Aussi, il ne se trouve point au Royaume de France, ni d'Espagne, ni d'Angleterre, que le conseil privé soit érigé ou institué en forme de corps et collège, et qu'il ait puissance par édit ou ordonnance de bien ordonner ni commander, comme il est nécessaire à tous Magistrats, ainsi que nous dirons ci-après. Et quant à ce qu'on dit que le conseil privé [p. 261] casse les jugements et arrêts des Magistrats, et Cours souveraines, et que par ce moyen on veut conclure qu'il n'est pas sans puissance, je réponds que les arrêts du conseil privé ne dépendent aucunement [de celui-ci, mais] de la puissance Royale, et par commission seulement en qualité de juges extraordinaires pour le fait de la justice ; encore, la commission et connaissance du conseil privé est toujours conjointe à la personne du Roi. Aussi voit-on que tous les arrêts du conseil privé portent ces mots, PAR LE ROI EN SON CONSEIL, lequel ne peut rien faire si le Roi n'est présent, ou qu'il n'ait pour agréable les actes de son conseil. Or, nous avons montré ci-dessus que la présence du Roi fait cesser la puissance de tous les Magistrats ; comment donc le conseil privé aurait-il puissance, le Roi présent ? S'il ne peut rien faire en l'absence du Roi, que par commission extraordinaire, quelle puissance dirons-nous qu'il a ? Si donc au fait de la justice le conseil privé n'a pas puissance de commander, comment l'aurait-il aux affaires d'état ? C'est pourquoi on rapporte au Roi ce qui a été délibéré au conseil pour entendre sa volonté, ce qui a été fait de toute ancienneté, car même il se trouve une charte ancienne faisant mention d'Endobalde, comte du Palais du Roi Clotaire, qui assemblait le Parlement du Roi, et assistait aux délibérations qu'il rapportait au Roi, qui donnait ses arrêts. [362-366]

La raison pour quoi le Sénat ne doit pas avoir puissance de commander. Et la raison principale pourquoi le Sénat d'une République ne doit pas avoir commandement, est que s'il avait puissance de commander ce qu'il conseille, la souveraineté serait au conseil, et les conseillers d'état au lieu de conseillers seraient maîtres, ayant le maniement des affaires, et puissance d'en ordonner à leur plaisir : chose qui ne se peut faire sans diminution, ou pour [p. 262] mieux dire, éversion de la majesté, qui est si haute et si sacrée, qu'il n'appartient à sujets, quels qu'ils soient, d'y toucher ni près ni loin. Et, pour cette cause, le grand conseil de Venise, auquel gît la majesté de leur état, voyant que les dix entreprenaient par-dessus la charge à eux donnée, leur fit défense, sur peine de lèse-majesté, de commander ni ordonner chose quelconque, ni même d'écrire lettres, qu'ils appellent définitives, [mais] qu'ils eussent recours à la Seigneurie, jusqu'à ce que le grand conseil fût assemblé. Pour la même cause, ils ont ordonné, que les six conseillers d'état qui assistent au Duc, ne seraient que deux mois en charge, afin que la coutume de commander ne leur fît envie de continuer et aspirer plus haut. Toutefois, si mes avis avaient lieu, je ne serais pas

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d'opinion qu'on changeât, et rechangeât les conseillers d'état, [mais] plutôt qu'ils fussent perpétuels, comme ils étaient en Rome, Lacédémone, Pharsale, et maintenant Genève. Car le changement annuel, qui se faisait en Athènes, et maintenant Venise, Rhaguse, Luques, Gênes, Nuremberg, et en plusieurs autres villes d'Allemagne, non seulement obscurcit bien fort la splendeur du Sénat, qui doit reluire comme un soleil, [mais] aussi tire après soi le danger inévitable d'éventer et publier les secrets d'un état. [J'ajoute] que le Sénat tout nouveau ne peut être informé des affaires passées, ni bien continuer les errements des affaires commencées ; [ce] qui fut la cause que les Florentins ordonnèrent à la requête de Pierre Sodérini, Gonfalonnier, que le Sénat de quatre-vingts serait muable de six en six mois, hormis ceux qui avaient été Gonfalonniers, pour informer le nouveau Sénat des affaires. La même ordonnance a été faite à Gênes, de ceux qui ont été Ducs ou Syndics. En quoi les Rhagusiens ont mieux pourvu à leur Sénat que les Vénitiens ; car à Venise, le Sénat change [chaque] [p. 263] an tout à coup. Mais à Rhaguse, les Sénateurs qui ne sont qu'un an en charge, changent les uns après les autres, et non pas tous en un an. C'est donc le plus sûr que les sénateurs soient en charge perpétuelle, ou pour le moins les sénateurs du conseil particulier, comme était celui des Aréopagites. Puisque nous avons dit du Sénat, l'ordre requiert que nous disions des autres officiers et commissaires. [371-372]

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