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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 212]

CHAPITRE IV

De la Monarchie Tyrannique

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La Monarchie Tyrannique, est celle où le Monarque foulant aux pieds les lois de nature, abuse de la liberté des francs sujets, comme de ses esclaves, et des biens d'autrui, comme des siens. /.../

La propriété du mot Tyran était honorable anciennement. Le mot de Tyran, qui est Grec, de sa propriété était honorable, et ne signifiait autre chose anciennement, que le prince qui s'était emparé de l'état sans le consentement de ses citoyens, et de compagnons s'était fait maître ; celui-là s'appelait Tyran, [bien] qu'il fût très sage et juste prince. Aussi Platon récrivant à Denys le tyran, lui donne cette qualité par honneur : Platon à Denys le tyran, salut ; et la réponse : Denys le tyran à Platon, salut. /.../

Différence du roi au tyran. Or, la plus noble différence du roi et du tyran est que le roi se conforme, [p. 213] aux lois de nature, et le tyran les foule aux pieds. L'un entretient la piété, la justice, et la foi ; l'autre n'a ni Dieu, ni foi, ni loi. L'un fait tout ce qu'il pense servir au bien public, et tuition des sujets ; l'autre ne fait rien que pour son profit particulier, vengeance, ou plaisir. L'un s'efforce d'enrichir ses sujets, par tous les moyens dont il se peut aviser ; l'autre ne bâtit sa maison, que de la ruine de [ceuxci]. L'un venge les injures du public, et pardonne les siennes, l'autre venge cruellement ses injures, et pardonne celles d'autrui. L'un épargne l'honneur des femmes pudiques, l'autre triomphe de leur honte. L'un prend plaisir d'être averti en toute liberté, et sagement repris, quand il a failli. L'autre n'a rien plus à contrecœur, que l'homme grave, libre et vertueux. L'un s'efforce de maintenir les sujets en paix et union ; l'autre y met toujours division, pour les ruiner les uns par les autres, et s'engraisser de confiscations. L'un prend plaisir d'être vu quelquefois, et ouï de ses sujets ; l'autre se cache toujours d'eux, comme de ses ennemis. L'un fait état de l'amour de son peuple : l'autre de la peur. L'un ne craint jamais que pour ses sujets ; l'autre ne redoute rien plus que ceux-là. L'un ne charge les siens que le moins qu'il peut, et pour la nécessité publique ; l'autre hume le sang, ronge les os, suce la moelle des sujets pour les affaiblir. L'un cherche les plus gens de bien, pour employer aux charges publiques ; l'autre n'y emploie que les larrons et plus méchants, pour s'en

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servir comme d'éponges. L'un donne les états et offices pour obvier aux concussions et foule du peuple ; l'autre les vend le plus cher qu'il peut pour leur donner moyen d'affaiblir le peuple par larcins, et puis couper la gorge aux larrons, pour être réputé bon justicier. L'un mesure ses mœurs, et façons au pied des lois ; l'autre fait servir les lois à ses mœurs. L'un est aimé et adoré de tous les sujets ; l'autre les hait tous, et est [p. 214] haï de tous. L'un n'a recours en guerre qu'à ses sujets ; l'autre ne fait guerre qu'à ceux-là. L'un n'a garde ni garnison que des siens ; l'autre que d'étrangers, l'un jouit d'un repos assuré et tranquillité haute, l'autre languit en perpétuelle crainte. L'un attend la vie très heureuse ; l'autre ne peut éviter le supplice éternel. L'un est honoré en sa vie, et désiré après sa mort ; l'autre est diffamé en sa vie et déchiré après sa mort.

Il n'est pas besoin de vérifier ceci par beaucoup d'exemples, qui sont en vue d'un chacun. Car nous trouvons ès histoires, la tyrannie avoir été si détestable, qu'il n’était pas jusqu'aux écoliers et aux femmes, qui n'aient voulu gagner le prix d'honneur à tuer les tyrans : comme fit Aristote, celui qu'on appelait Dialecticien, qui tua un tyran de Sicyone ; et Thebé son mari Alexandre, tyran des Phéréens.

Boucherie des tyrans. Et de penser que le tyran se puisse garantir par force, c'est un abus, car qui était plus fort que les Empereurs Romains ? Ils avaient quarante légions ordinaires, et deux ou trois autour de leurs personnes, et toutefois il ne s'en trouva jamais d'assassinés en si grand nombre en République quelconque. Et même les Capitaines des gardes bien souvent les ont tués, comme Cherea fit à Caligula, et les Mamelouks aux Sultans d’Égypte. Mais qui voudra voir à l'œil la fin misérable des tyrans, il ne faut lire que la vie de Timoléon et d'Aratus, où l'on verra les tyrans arrachés du nid de la tyrannie, puis dépouillés tout nus et flétris jusqu'à la mort, en présence de la jeunesse, et leurs femmes, enfants, et adhérents, meurtris et traînés aux cloaques ; et qui plus est, les statues de ceux qui étaient morts en la tyrannie, accusées et condamnées publiquement, puis exécutées par les bourreaux, les os déterrés et jetés aux égouts ; et les corratiers de tyrans, démembrés, et traînés avec toutes les [p. 215] cruautés desquelles un peuple forcené de vengeance se peut aviser, leurs édits lacérés, leurs châteaux, et bâtiments superbes rasés de fond en comble ; et leur mémoire condamnée d'infamie perpétuelle, par jugements, et par livres imprimés, pour servir d'exemple à tous Princes, afin qu'ils aient en abomination telles pestes si dangereuses et si pernicieuses au genre humain. Il est bien vrai qu'il y a toujours eu quelques tyrans, qui n'ont eu faute de flatteurs historiens à gages, mais il est advenu, après leur mort, que leurs histoires ont été brûlées et supprimées, et la vérité mise en lumière, et bien souvent avec amplification ; de sorte qu'il ne reste pas un livre de la louange d'un seul tyran, pour grand et puissant qu'il fût, ce qui fait enrager les tyrans, lesquels ordinairement brûlent d'ambition, comme Néron, Domitien, Caligula. Car combien qu'ils aient mauvaise opinion de l'immoralité des âmes, si est-ce toutefois pendant qu'ils vivent, ils souffrent déjà l'infamie, qu'ils voient bien qu'on leur fera après leur mort ; de quoi Tibère l'empereur se plaignait fort, et Néron encore plus, qui souhaitait quand il mourrait, que le ciel et la terre fût réduit[e] en flamme, et qu'il pût voir cela. Et pour cette cause Démétrius l'assiégeur gratifia les Athéniens, et entreprit la guerre pour leurs droits et libertés, afin d'être honoré par leurs écrits sachant bien que la ville

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d’Athènes était comme une guette de toute la terre, laquelle aussitôt ferait reluire par tout le monde la gloire de ses faits, comme un branchon qui flamboie sur une haute tour ; mais aussitôt qu'il se lâcha aux vices et vilenies, jamais tyran ne fut mieux lavé. Et quand bien [même] les tyrans n'auraient aucun soin, ni souci de ce qu'on dira, si est-ce néanmoins que leur vie est la plus misérable du monde, d'être en crainte et frayeur perpétuelle, qui les menace sans cesse, et les poinçonne vivement, voyant leur état et leur vie toujours en branle ; [p. 216] car il est impossible que celui qui craint et hait ses sujets, et est aussi craint et haï de tous, la puisse faire longue. Et pour peu qu'il soit assailli des étrangers, soudain les siens lui courent à sus. Car même les tyrans n'ont aucune fiance en leurs amis, auxquels le plus souvent ils sont traîtres et déloyaux, comme nous lisons des Empereurs Néron, Commode et Caracalla, qui tuèrent les plus fidèles et loyaux serviteurs qu'ils eussent. Et, quelquefois, tout le peuple d'une même furie court à sus au tyran, comme il fit à Phalaris, Héliogabale, Alcète, tyran des Épirotes, Andronic, Empereur de Constantinople, qui fut dépouillé et monté tout nu sur un âne pour recevoir toutes les contumélies qu'il est possible, auparavant que d'être tué. Ou bien eux-mêmes minutent leur mort, comme l'empereur Caracalla, qui manda à l'astrologue Maternus, qu'il lui écrivit celui qui pouvait être Empereur. Le devin lui répondit que c'était Macrin auquel de bon[ne] heur[e] la lettre s'adressa, et aussitôt il fit tuer Caracalla, pour éviter ce qui lui était préparé ; et Commode ayant échappé le coup de poignard d'un meurtrier (qui dit devant que frapper : Le Sénat t'envoie cela) fit un rôle de ceux qu'il voulait faire mourir, où sa garce était écrite, et le rôle étant tombé entre les mains d'elle, [celle-ci] se hâta de le faire tuer. Toutes les histoires anciennes sont pleines de semblables exemples, qui montrent assez, que la vie des tyrans est toujours assiégée de mille et mille malheurs inévitables. [287-293]

La rigueur, et sévérité d'un Prince est plus utile que la trop grande bonté. Car la tyrannie peut être d'un Prince envers un peuple forcené, pour le tenir en bride avec un mors fort et roide, comme il se fait au changement d'un état populaire en monarchie. Et cela n'est pas tyrannie, [mais] au contraire Cicéron appelle tyrannie, la licence du populace effréné. Aussi la tyrannie peut être d'un Prince contre les [p. 217] grands seigneurs, comme il advient toujours aux changements violents d'une Aristocratie en Monarchie, alors que le nouveau Prince tue, bannit, et confisque les plus grands ; ou bien d'un Prince nécessiteux et pauvre, qui ne sait où prendre argent, bien souvent il s'adresse aux riches, soit à droit ou à tort ; ou bien que le Prince veut affranchir le menu peuple de la servitude des nobles et riches, pour avoir par même moyen les biens des riches, et la faveur des pauvres. Or, de tous les tyrans il n'y en a point de moins détestable que celui qui s'attache aux grands, épargnant le sang du pauvre peuple. Et ceux-là s'abusent bien fort, qui vont louant, et adorant la bonté d'un Prince doux, gracieux, courtois et simple, car telle simplicité sans prudence, est très dangereuse et pernicieuse en un Roi, et beaucoup plus à craindre que la cruauté d'un Prince sévère, chagrin, revêche, avare et inaccessible. Et [il] semble que nos pères anciens n'ont pas dit ce proverbe sans cause : De méchant homme bon Roi, [ce] qui peut sembler étrange aux oreilles délicates, et qui n'ont pas accoutumé de peser à la balance les raisons de part et d'autre. Par la souffrance et niaise simplicité d'un Prince trop bon, il advient que les flatteurs, les corratiers et les plus méchants emportent les

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offices, les charges, les bénéfices, les dons, épuisant les finances d'un état ; et par ce moyen le pauvre peuple est rongé jusqu'aux os, et cruellement asservi aux plus grands, de sorte que pour un tyran il y en a dix mille. Aussi advient-il, de cette bonté par trop grande, une impunité des méchants, des meurtriers, des concussionnaires, car le Roi si bon et si libéral ne pourrait refuser une grâce. Bref, sous un tel Prince le bien public est tourné en particulier, et toutes les charges tombent sur le pauvre peuple, comme on voit les catarrhes et fluxions en un corps fluet et maladif tomber toujours sur les parties les plus faibles.

[p. 218] On peut vérifier ce que j'ai dit par trop d'exemples, tant des Grecs que des Latins, mais je n'en chercherai point autre part qu'en ce Royaume, qui a été le plus misérable qui fut [jamais] sous le règne de Charles surnommé le simple, et d'un Charles Fainéant. On l'a vu aussi grand, riche et fleurissant en armes et en lois sur la fin du Roi François Ier lors qu'il devint chagrin et inaccessible, et que personne n'osait approcher de lui pour rien lui demander. Alors les états, offices et bénéfices n'étaient donnés qu'au mérite des gens d'honneur, et les dons tellement retranchés, qu'il se trouva en l'épargne, quand il mourut, un million d'or, et sept cent mille écus, et le quartier de Mars à recevoir, sans qu'il fût rien dû, sinon bien peu de chose, aux Seigneurs des ligues, et à la banque de Lyon, qu'on ne voulait pas payer pour les retenir en devoir. La paix assurée avec tous les Princes de la terre, les frontières étendues jusqu'aux portes de Milan, le Royaume plein de grands Capitaines, et les plus savants hommes du monde. On a vu depuis en douze ans que régna le Roi Henry II (la bonté duquel était si grande, qu'il n'en fut [jamais] de pareille en Prince de son âge) l'état presque tout changé. Car comme il était doux, gracieux et débonnaire, aussi ne pouvait-il rien refuser à personne ; ainsi les finances du père en peu de mois étant épuisées, on mit plus que jamais les états en vente, et les bénéfices donnés sans respect, les Magistrats aux plus offrants et, par conséquent, aux plus indignes, les impôts plus grands qu'ils ne furent [jamais] auparavant. Et néanmoins quand il mourut l'état des finances de France se trouva chargé de quarante et deux millions ; après avoir perdu le Piémont, la Savoie, l'île de Corse, et les frontières du bas pays ; combien que ces pertes-là étaient petites, eu égard à la réputation et à l'honneur. Si la douceur de ce [p. 219] grand Roi eût été accompagnée de sévérité, sa bonté mêlée avec la rigueur, sa facilité avec l'austérité, on n'eût pas si aisément tiré de lui tout ce qu'on voudrait. On me dira qu'il est difficile de trouver ce moyen entre les hommes, et moins encore entre les Princes, qui sont le plus souvent pressés de passions violentes, tenant l'une ou l'autre extrémité. Il est bien vrai que le moyen de vertu environné de plusieurs vices, comme la ligne droite entre un million de courbes, est difficile à trouver : si est-ce néanmoins qu'il est plus expédient au peuple et à la conservation d'un état, d'avoir un Prince rigoureux et sévère, que par trop doux et facile. La bonté de l'Empereur Pertinax, et la jeunesse enragée d'Héliogabale, avaient réduit l'Empire Romain à un doigt près de sa chute quand les Empereurs Sévère l’Africain, et Alexandre Sévère Surian, le rétablirent par une sévérité roide, et impériale austérité, en sa première splendeur et majesté, avec un merveilleux contentement des peuples et des Princes. Ainsi se peut entendre l'ancien proverbe, qui dit, De méchant homme bon Roi : qui est bien cru, si on le prend à la propriété du mot, qui ne signifie pas seulement un naturel austère et rigoureux, [mais] encore il tire avec soi le plus haut

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point de malice et d'impiété, ce que nos pères appelaient mauvais, comme l'on appelait Charles Roi de Navarre, le mauvais, l'un des plus scélérats Princes de son âge ; et le mot de méchant signifiait maigre et fin, autrement le proverbe que j'ai dit, ferait une confusion du juste Roi au cruel tyran. Il ne faut donc pas juger Prince tyran, pour être sévère ou rigoureux, pourvu qu'il ne contrevienne aux lois de Dieu et de nature. Ce point éclairci, voyons s'il est licite d'attenter à la personne du tyran. [295-

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