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Jean Bodin, Les six livres de la République, (1583)

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[p. 204]

CHAPITRE III

De la Monarchie Royale

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Le Monarque Royal est celui, qui se rend aussi obéissant aux lois de nature, comme il désire les sujets être envers lui, laissant la liberté naturelle, et la propriété des biens à chacun. J'ai ajouté ces derniers mots, pour la différence du Monarque seigneurial, qui peut être juste et vertueux Prince, et gouverner ses sujets équitablement, demeurant néanmoins seigneur des personnes et des biens. Et s'il advient que le Monarque seigneurial, ayant justement conquêté le pays de ses ennemis, les remette en liberté et propriété d'eux et de leurs biens, de Seigneur il devient Roi, et change la Monarchie seigneuriale en Royale ; c'est pourquoi Pline le jeune disait à Trajan l'Empereur, Principis sedem obtines, ne sit domino locus. Cette différence fut bien remar-[p. 205] quée des anciens Perses, qui 1 appelaient Cyrus l'aîné Roi, Cambyses seigneur, Darius marchand, par ce que l'un s'était montré Prince doux et débonnaire, l'autre hautain et superbe, le troisième trop exacteur et avare. Et même Aristote avait averti Alexandre le grand, se comporter envers les Grecs, comme père, et envers les Barbares, comme seigneur ; toutefois, Alexandre n'en fit rien, voulant 2 que les Grecs fussent jugés à la vertu, et les Barbares aux vices, et que toute la terre fût une cité, et son camp le donjon [de celle-ci]. J'ai mis, en notre définition, que les sujets soient obéissants au Monarque Royal, pour montrer qu'en lui seul gît la majesté souveraine, et que le Roi doit obéir aux lois de nature, c'est-à-dire gouverner ses sujets, et guider ses actions par la justice naturelle, qui se voit et fait connaître aussi claire et luisante que la splendeur du Soleil.

Les vraies marques d'un grand Roi. C'est donc la vraie marque de la Monarchie Royale, quand le Prince se rend aussi doux, et ployable aux lois de nature, qu'il désire ses sujets lui être obéissants : ce qu'il fera, s'il craint Dieu sur tout, s'il est pitoyable aux affligés, prudent aux entreprises, hardi aux exploits, modeste en prospérité, constant en adversité, ferme en sa parole, sage en son conseil, soigneux des sujets, secourable aux amis, terrible aux ennemis, courtois aux gens de bien, effroyable aux

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Hérodote : [Histoires].

Plutarque : [Vies parallèles] : Alexandre.

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méchants, et juste envers tous. Si donc les sujets obéissent aux lois du Roi, et le Roi aux lois de nature, la loi d'une part et d'autre sera maîtresse, ou bien, comme dit Pindare, Reine : car il s'ensuivra une amitié mutuelle du Roi envers les sujets, et l'obéissance des sujets envers le Roi, avec une très plaisante et douce harmonie des uns avec les autres, et de tous avec le Roi : c'est pourquoi cette Monar-[p. 206] chie se doit appeler royale et légitime : soit que le Roi vienne à l'état par droit successif, comme tous les anciens Rois, ainsi que Thucydide a très bien remarqué ; soit que le royaume soit déféré par vertu de la loi, sans avoir égard aux filles, ni aux mâles descendants [d'elles], comme il se fait en ce royaume par la loi Salique ; soit que le Roi vienne par élection, comme Aristote écrit qu'il se faisait aux temps héroïques (en quoi toutefois il est contraire à Thucydide, et à la vérité des histoires) et se fait en plusieurs royaumes du pays Septentrional ; soit qu'il fût donné en pur don, comme fit Auguste à Juba le jeune, le faisant d'esclave Roi de Numidie, qui avait été réduite par César en forme de province, sujette à l'Empire Romain, ou bien comme le royaume de Naples et de Sicile fut donné à Charles de France, et depuis encore à Louis de France premier Duc d'Anjou ; ou qu'il soit laissé par testament, ainsi que les Rois de Tunis, Fès, et Maroc ont accoutumé, comme il fut aussi pratiqué par Henry VIII, Roi d'Angleterre, qui laissa le royaume à son fils Edouard, et à lui substitua Marie, et à celle-ci Elisabeth, qui depuis fut Reine ; [j'ajoute] que le testament fut confirmé, et ratifié par le peuple ; soit que le Roi empiète l'état par finesses et ruses, pourvu qu'il règne justement, comme Cécrops, Hiéron, Gélon, Pisistrate, qui usèrent très sagement de leur puissance, ainsi que dit Plutarque, et de notre âge Come de Médicis ; ou que, par sort, le royaume soit déféré, comme, à Darius, l'un des sept seigneurs de Perse, qui fut Roi parce que son cheval avait henni le premier, ainsi qu'il était convenu, après qu'on eut tué les Mages, qui avaient occupé le royaume ; soit que le Prince conquête le royaume par force et par armes, à droit, ou à tort, pourvu qu'il gouverne équitablement le royaume par lui conquêté, comme dit Tite-Live du roi Servius,

Neque enim praeter vim quicquam ad ius [p. 207] regni habebat ; et toutefois il fut bon Roi. Aussi souvent on a vu d'un voleur et brigand, se faire un Prince vertueux, et d'une tyrannie violente se former une juste royauté, soit qu'on élise le Roi pour sa noblesse, comme fut Campson Roi de la Caramanie, élu pour Sultan d'Égypte par les Mamelouks ; et Charles de France frère de saint Louis, que le Pape envoya aux Florentins, qui demandaient un Prince de sang Royal ; et les Vicomtes Danglerie pour leur noblesse furent élus seigneurs de Milan, [bien] qu'ils fussent étrangers ; soit que le Prince fût élu pour sa noblesse et justice comme Numa, ou pour sa vieillesse, comme les anciens Arabes, élisaient le plus vieil, dit Diodore, et les Taprobanes, comme dit Pline, ou pour sa force, comme Maximin, ou pour sa beauté, comme Héliogabale, ou pour sa grandeur, comme on faisait en Éthiopie, ou pour mieux boire, comme en Scythie, dit Aristote. Je laisse la définition du Roi baillée par Aristote, car il dit, que le Roi est celui qui est élu, et qui commande au désir des sujets. En autre lieu il dit, que le Roi devient tyran pour peu qu'il commande contre le vouloir des sujets. [De] telles définitions ne sont pas seulement sans fondement, [mais] aussi pernicieuses. Qu'elles soient fausses, il appert, d'autant que le titre royal, qui emporte la majesté et puissance souveraine, comme nous avons montré, serait incompatible avec [celle-ci], attendu que le Roi n'aurait puissance de donner loi aux sujets, [mais]

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au contraire il serait contraint par eux de recevoir la loi, et les plus justes Princes du monde seraient tyrans et, qui plus est, il ne se trouverait pas un seul Roi. Et, pour le trancher court, le Roi ne serait que simple Magistrat. Qui sont toutes choses impossibles, et aussi impertinentes, comme ce que dit le même Aristote, que les peuples sont barbares, où les Rois viennent par succession, vu que son Roi même, Alexandre le grand, était de [p. 208] ceux-là, descendu en droite ligne du sang d'Hercule et par droit successif parvenu à la couronne de Macédoine, comme aussi tous les Rois de Sparte. Il faudrait confesser que tous les Rois d'Asie et d'Égypte fussent barbares, desquels néanmoins il est bien certain que l'humanité, la courtoisie, la doctrine, les belles sciences, et la source des lois et des Républiques sont issues ; et [il] n'y aurait qu'Aristote, et une poignée de Grecs qui ne fussent barbares. Nous montrerons évidemment en son lieu, qu'il n'y a rien plus dangereux à un état, que de mettre les Rois en élection. [279-282]

Marques royales. Car le nom de Roi a toujours été auguste, et le plus honorable que le Prince souverain puisse avoir. Et pour cette cause l'habit, les marques, les signes des Rois, ont toujours été particuliers, et non communiqués, comme anciennement le bandeau royal, et le sceptre, et n'y eut chose qui rendît la majesté des Rois de Rome tant vénérable, que les ornements Royaux, que Tarquin le Prisque apporta des anciens rois d'Hetrurie, comme nous lisons ès histoires. Et même les Romains, quoiqu'ils eussent changé la puissance royale en populaire, si est-ce que le Sénat Romain avait accoutumé d'envoyer aux rois les marques royales, à savoir le Diadème, ou la couronne d'or, la coupe d'or, le sceptre d'ivoire, et quelquefois la robe de pourpre brochée d'or, et la selle d'ivoire, ainsi que nous lisons ès 1 historiens. Et au registre du Pape Grégoire septième, on lit que Démétrius fut établi roi de Croatie, et Slavonie par le sceptre, la couronne, et la bannière. Les Papes et Empereurs ont souvent distribué ces beaux titres de rois, [encore] qu'ils n'eussent aucun pouvoir de ce faire non plus que l'Empereur Anastase, qui envoya les ornements Consulaires, et le titre d'Auguste au roi de France Clovis, qui le reçut en la ville de Tours, [p. 209] comme dit Aymon. Et Justinien, qui donna le titre de Patrice au Roi Childebert, non pas qu'il le voulût faire plus roi qu'il était, mais il donna son ordre à un grand roi, ainsi que font les rois à présent les uns aux autres. Aussi l'Empereur Frédéric Ier envoya à Pierre, seigneur de Danemark, l'épée et la couronne, avec la qualité de roi, [ce] qui était qualité contraire à l'effet, attendu qu'il se rendit vassal de l'Empire, et fit la foi et hommage à l'Empereur du royaume de Danemark, promettant et obligeant, tant lui que ses successeurs, de tenir le royaume de l'Empire en cette forme, REX DANORUM MAGNUS SE IN POTESTATEM IMPERATOREM TRADIDIT, OBSIDES DEDIT, JURAMENTUM FECIT SE, SUCCESSORESQUE SUOS NONNISI IMPERATORIS ET SUCCESSORUM EJUS PERMISSU, REGNUM ADEPTUROS. Mais cette qualité fit un préjudice irréparable à l'Empire, car peu à peu ils se sont exemptés de la sujétion de l'Empire. Et d'autant que le Duc d'Autriche, étant appelé roi par le même Frédéric, (sans préjudice des droits de l'Empire, foi et hommage, ressort et souveraineté) et qu'il voulut aussi trancher du souverain, refusant

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Tacite : [Annales] : Livres II et IV.

 

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d'obéir aux états de l'Empire, douze ans après fut privé de la qualité et titre royal. Et pour même faute que fit Henry, roi d'Angleterre, fils de Guillaume le Conquérant, de faire couronner et appeler Roi d’Angleterre, de son vivant, son fils aîné Henry. Tôt après, le fils voulut s'égaler au père, manier les affaires, de sorte que le père et le fils entrèrent en querelles et factions qui, sans doute avaient ruiné l'état, si le fils ne fût mort le premier. Il s'est bien vu en ce royaume, au commencement du règne de Capet, que pour assurer l'état à son fils Robert, et Robert à Henry, et celui-ci à Philippe, les faisaient couronner, et appeler Rois, comme en cas pareil Changuis, premier Roi de Tartarie, élu par les sujets, fit couronner Hocota son fils aîné de son vivant. Mais cela est de périlleuse suite, si le nouveau roi est [p. 210] ambitieux (car toujours on regarde au Soleil levant) ou s'il n'est pourvu d'un royaume, comme fit Séleucus, lequel ayant fait couronner et appeler roi son fils Antioque, par même moyen le pourvut aussi du royaume de la haute Asie. Ou bien que le royaume soit électif, comme sont ceux de Pologne, Danemark, Suède, où les Rois de leur vivant font élire leurs enfants, ou ceux qu'ils veulent avoir pour successeurs, et font que les Princes et Seigneurs du pays leur prêtent le serment de fidélité, comme Gustave, Roi de Suède, ayant empiété l'état sur les rois de Danemark, fit élire Henry son fils ; et Frédéric, à présent Roi de Danemark, fut élu Roi l'an 1556, deux ans auparavant la mort du père, lequel doutant que ses oncles Jean et Adolphe voulussent pratiquer après sa mort une nouvelle élection, pria le Roi de France par M. Danzai, Ambassadeur de France, et puis y envoya Ambassadeur exprès pour y tenir la main, et le recevoir en sa protection. Ainsi faisaient et font encore en partie, les rois de Maroc, de Fès, de Tunis, comme nous lisons en Léon d'Afrique. Et de notre mémoire Ferdinand d'Autriche fit élire de son vivant et couronner Maximilien Roi de Hongrie et de Bohême ; et depuis peu de temps, Maximilien a fait le semblable à son fils Ernest. Sigismond Auguste voulut bien aussi nommer un successeur Roi de Pologne, mais il fut empêché par les états. Car combien que ce soit le plus sûr moyen pour éviter aux séditions, si est-ce qu'il est à craindre que le droit d'élection passe en force de succession, ainsi qu'on a vu l'Empire en la maison d'Autriche continuer par une longue suite de telles préventions, et le royaume de Norvège fait héréditaire, voire sujet à la sujétion des femmes et, pour cette cause, prétendu par la douairière de Lorraine, et la comtesse Palatin, filles de Christierne, roi de Danemark, qui ont [p. 211] remontré que Marguerite de Wolmar par droit successif fut reine des trois royaumes, Norvège, Suède, et Danemark. Voilà quant à la Monarchie Royale : disons de la troisième, qui est la Monarchie Tyrannique. [285-287]

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