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avec ces mas et sans clou ny cheuille, que c’est une euvre sy bien practiquée, qu’il n’y a que redire, et n’ont que une seule ache à faire tout leur ouvrage, et n’y a maistre maçon qui puisse faire vn euvre guère plus admirable qu’ilz font. »

Les impressions d’un voyageur

Voici la description de la première rencontre entre Français et Russes à Arkhangelsk.

Nous sommes arrivés le 26e jour de juin devant la ville de Saint-Michel-Ar- change, où nos marchands alèrent à terre pour parler au gouverneur et faire leur raport, come est la coustume en tout païs, et l’aïant salué, il leur demanda d’où ilz estoient, et quand il sceut que nous estions Françoys, il fut bien resjouy et dit à l’interprète qui les présentoit qu’ils estoient les très-bien venus, et prit une grande coupe d’argent et la feist emplir, et falut la vuider ; et puys une autre, et encore la revuider ; puis encore la 3e qu’il falut parachever ; et, aïant fait ces trois beaux coups, on pense estre quite ; mais le pire est le dernier, car fault boire une tasse d’eau-de-vie qui est sy forte qu’on a le ventre et le gosier en feu. Quand on a beu une tasse, ancore n’estre pas tout, et, aïant parlé un mot avec vous, faudra ancore boire à la santé de vostre roy, car vous ne l’auseriez refuser, et c’est la coustume du païs que de bien boire.

Le premier dictionnaire franco-russe

Dans quelle langue communiquaient les Français ? Jean Sauvage fait mention d’un interprète. Dans les archives de la Bibliothèque nationale, à côté du récit de Jean Sauvage et avec la même écriture, se trouve un petit dictionnaire français-russe du xvie siècle. L’a-t-il écrit ? Complété ? Utilisé ? Au fond peu importe car c’est un témoignage linguistique très intéressant. Comme pour le récit de Jean Sauvage, il en existe une version légèrement différente dans les brouillons d’André Thevet, cosmographe du roi1. Le grand slaviste Paul Boyer l’a anoté et édité en 1905 dans le Recueil de mémoires orientaux2.

Boris Alexandrovitch Larine l’a aussi reproduit et commenté à Lé- ningrad en 1936 puis à Riga en 1948. Ce dictionnaire est constitué d’un peu plus de six cents entrées, mots ou phrases en français, accompagnés de leur traduction russe, en transcription latine, sans doute écrit parun français qui ne comprendrait pas le russe. André Thevet s’intéressait beaucoup aux langues du monde entier. Il a collectionné l’« oraison dominicale » dans de très nombreuses langues.

1 Le mémoire de Jean Sauvage lui était peut-être destiné. Sa Cosmographie universelle de 1575 est étonnamment précise sur la Moscovie.

2 Le dictionnaire et tous les extraits de cet article sont reproduits in-extenso dans mon ouvrage (cf. infra).

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La voici dans le langage des moscovites1. Les v peuvent être orthographiés u.

Oche nassije esti nane besech, da suatitsa ima tuoa, da priidet tzerture tuæ, da boudet vola tuoa iacco nane besech ina Zemli. Chleb nash nasoushuij daiede nam due : i ostaui nam dolgi nassa, iacco i mui ostaulaem dolgnicom nassim, i. neuedi nas vona past, no isbauinas ot loncauago, iacco tuoe est tzerture i sila, i slaua vouechi. Amin.

Le plagiat du voyage

Dans le manuscrit d’André Thevet Description de plusieurs Isles, on trouve un plagiat du voyage de Jean Sauvage. Thevet reprend la relation à son compte, parfois l’embellit ou l’exagère. Ainsi se crée un mythe littéraire. La fin de l’extrait précédent devient : « Car il faut boire une tasse d’eauë de vie, et y en a si grande abondance, que plusieurs, qui en beuvent plus qu’ils ne fault, principalement les estrangers en ont le ventre et le gosier enflé. Ce qui leur cause souventefois de grandes maladies, et bien souvent la mort <...> ».

Que reste-il de ce voyage ?

Le fin mot de l’histoire

À en croire le marin français, la rencontre avec les Norvégiens s’est passée comme avec les Russes.

Quand nous fumes à l’ancre, nostre marchand ala en terre pour parler au capitaine du chasteau [de Vardø] et luy demander congé de passer pour aler à SaintNicolas, il respondit que jamais il n’avoit veu Françoys passer par là pour aler à Saint-Nicolas, et qu’il n’auoit nulle commission de nous doner congé pour aler là ; et, voiant cela, falut faire presens à quelques sieurs qui parlèrent pour nous, ce qui cousta environ 250 dalles, sens les presens et despens que nous y feimes, car nous y demourasmes trois jours.

Quand nous fumes entrés et que nous eumes paié nostre coustume, les serviteurs du sieur aportèrent à monsieur Colas un grand pot de bois rouge qui tenoit plus de douze pots, qui estoit tout plein de grosse bière noire et forte plus que le vin, et falut boire tout. Et croiés que les sieurs Colas et du Renel estoient plus faschez de tant boire que de l’argent qu’ilz venoient de desbourser ; car il faloit vuider ceste cruche ou bien faire de l’yvroigne pour en sortir, car telle est leur coustume.

En réalité, Jean Sauvage a édulcoré son récit. Danzay nous apprend le fin mot de l’histoire : les 250 « dalles » (thaler ou rixdaller,

1 « Basile [III (1462—1505)], duc de Moscovie » dans Les vrais pourtraicts et vies des hommes illustres. Paris, 1584 (soit deux ans avant le Dictionnaire des Moscovites); chapitre reproduit dans la Cosmographie moscovite de A. Galitzin en 1858 (l’orthographe de l’oraison est légèrement différente).

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la monnaie internationale de l’époque) étaient une caution. Les marchands Nicolas du Renel et Germain Collade avaient fait un faux passeport pour éviter de payer les taxes.

A Monseigneur le Duc de Joyeuse [18 août 1586]

Monseigneur ! Je Vous avertis au commencement de cette année, que les marchands français qui avaient un passeport de Vous, pourraient aller librement pêcher, trafiquer et négocier du côté du Nord, tant es mer et terre du Roi de Dannemark, que celle du Moscovite, en payant au Capitaine du Château de Warthaus [Vardø] deux Portugaises. Néanmoins, il est avenu que Germain Collade et Nicolas du Renel, marchands français, essayèrent dépasser et défrauder le Roi de Dannemark de la Tolle [douane], par un faux passeport, duquel je Vous envoie la copie.

Le Capitaine de Warthaus ayant lu le passeport et connaissant qu’il avait été donné par un des sujets du Roi de Dannemark, fit arrêter les marchands et leur navire qu’il eut envoyé en Dannemark, comme justement confisqué et la marchandise, si le Capitaine, qui est de mes amis, et auquel j’avais recommandé les marchands français et qui savait que j’avais répondu pour eux, n’eût pour mon respect, laissé passer les marchands et leur navire, moyennant quatre cents livres ou deux cents thalers, qu’ils lui laissèrent avec cette condition qu’à leur retour de S:t Nicolas, ils repasseraient par Warthaus. Cependant qu’il avertirait le Roi de Dannemark de ce fait, et s’il se contentait des deux Portugaises pour leur Tolle, qu’il leur rendrait le surplus de leur argent, et s’il en demandait davantage, que celà serait compris et rabattu sur le reste des deux cents thalers. Les marchands m’écrivirent du lieu de Warthaus le 18:e de Juin, qu’ils avaient été arrêtés sans m’en dé- clarer la vraie cause, et me priaient d’y pourvoir, m’assurant que leur navire Vous apartenait. Cela fut cause, que soudain j’allai parler au Grand-Trésorier de Dannemark, qui a charge de telles affaires, qui fut fort fâché de cet empêchement fait aux Français. Aussi au même instant, il écrivit au Capitaine de Warthaus, qu’il laissât passer les Français sans prendre aucune chose d’eux.

Les conséquences officielles

La première lettre connue entre un tsar et un roi de France date d’octobre 1586 et invite les marchands à venir faire du commerce en Moscovie. Est-ce une conséquence du voyage ? Peut-être les marchands français sont-ils restés l’hiver à Moscou pour négocier le traité suivant1.

1 On ne connaît que la traduction française de ce traité et la lettre du Tsar. Ces documents sont reproduits dans mon livre. Le traité a été publié pour la première fois dans le Bulletin de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Île-de-France. 1884. Tome XI. P. 132 et la lettre dans les annexes du premier tome de la Chronique de Nestor (p. 381) traduit par Louis Paris en 1834 à Paris. On trouve aussi dans ce livre une version du récit de Jean Sauvage.

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Traité de commerce entre le tzar et des marchands parisiens

[Moscou, le 23 mars 1587]

Au nom du Père et du Fils, et du Saint-Esprit et de la sainte Trinité glorifiée un seul Dieu, et de tous les saincts et sainctes, et de toutes les choses qu’il a faites par sa bonté et puissance et par son amour envers l’homme, auquel il a donné toutes choses, et lequel nous recognoissons pour Dieu nostre, et qui nous a créés en ce monde par sa sapience [sagesse], et faictz héritiers de son corps et de sa parolle par nostre seigneur Hesus Christ, vivant avecq le Père et le Saint-Esprit en toute éternité, et qui tient tout en sa puissance en ce monde. Nous, grand empereur et grand duc, Théodore de Hehan, de toutes les Russyes, de Velodinière et Moscovie, de Nonegrot, empereur de Cazan et Astracan, seigneur de Plescovie, duc de Smolensquo et de Averseguie, de Jongoisquie, Permesquie, Vasquie, Bolgarie, du païs bas de Nonegoroda, de Chernigue, de Razan, Polisquie, Rostruye, Jhieruslane, Veloserguie, Livonie, de Ordorie, Obdorie, de Condye, et de tout les païs Sbiére et du Nort, à vous noz gouverneurs, lieutenans, et autres officiers de nostre héritière ville de Nonegrot et Plesco, Colmogrot et chasteau neuf de Arcange, de Volgueda et de Jheruslane, mandons que, suivant la resqueste à nous présentée par Nicollas de Renel et Guillaume de La Bistrate, pour et au nom du seigneur Jacques Parent et ses asosiés de Paris et autres leurs commis, faisant pour ladicte compaignie cy appres, leur donner expéditions promptes et passaiges de venir à nostre héritier païs, pour faire marchandises avecq navires et trafficquer à Colmogrote, et au neuf chasteau de Arcange, à Volgueda, Jheruslane, et à nostre héritière ville de Nonegrote et Plesco, et à nostre ville de Mosco, ausquelz nous avons permis comme dessus faire, traficquer ez susditz lieux quand ils viendront avecq leurs dictes marchandises soict

ànostre ville de Nonegrot, Plesco, Colmogrot, Volgueda, Jheruslane et Mosco, et

àvous nos ditz subjectz et gouverneurs et lieutenans, et autres nos officiers, commandons de leur donner franche commerce en payant seullement la moitiée des

droictz moingz de ce que payent les autres estranger en toutes noz villes susdictes suivant nostre commandement, et ce pour cause et considération de ce qu’ilz ont esté les premiers François qui ce sont jamais hasardés de venir à Arcange pour faire traficque à nostre païx. Que s’il leur vient marchandizes commodes pour nostre dict royaume, et s’il leur plaist venir en nostre ville de Mosco vous les laisserés passer sans leur faire déplaisir, ny aucun empeschement, ains toute faveur et ayde, en prenant pour les droictz suivant nostre susdict commandement, lequel aiant veu en

prenderez coppie sur vos registres, et leur rendez promptement leurs dictes lettres sans les faire séjourner, car telle est nostre volonté. Faict à Mosco nostre héritière ville, l’an sept mille et nonante cinq, le vingt-troixième jour de mars 1587.

Et est sellée la dicte lettre de cire rouge, sur double queue de soye rouge, des armes de l’empereur, et au dos est escript : Par la grâce de Dieu, empereur et grand duc, Théodore de Jehan, de toutes les Reussyes.

Obtenue à Mosco au mois de mars 1587.

Theodore de Jehan est Fedor Ier, fils d’Ivan le Terrible. On reconnaitra aussi les villes de Vladimir, Novgorod, Pskov, Nijni Novgorod, Rostov, Iaroslavl, Kholmogory, Arkhangelsk, Vologda...

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Ce traité est resté sans suite, la France étant en pleines guerres de Religion et la Russie à la veille du Temps des Troubles. L’historien russe Soloviev signale encore trois bateaux dieppois à Arkhangelsk en 1604. Au xviie siècle malgré la volonté de Richelieu et de Colbert, les relations commerciales restent très épisodiques. Des relations stables, commerciales et diplomatiques, ne commenceront qu’après la guerre du Nord, à la fin du règne de Pierre le Grand.

La redécouverte du texte au xixe siècle

Le récit de Jean Sauvage est resté à l’état de manuscrit. L’original est inconnu mais trois copies légèrement différentes ont été retrouvées, dont deux ont été publiées indépendamment en 1834 puis 18551, en pleine guerre de Crimée. Bien que le texte ait été traduit dans le journal russe Russkij Vestnik dès 1841, ces éditions ne semblent pas avoir eu d’écho immédiat. Mais avec le rapprochement entre la Russie et la France après la guerre de 1870, puis l’alliance franco-russe de 1894, ce texte deviendra le symbole des relations amicales entre les deux pays, et ce jusqu’en 1917. Il est souvent mentionné par Louis Delavaud, Charles de la Roncière, André Le Glay. La beuverie d’Arkhangelsk se transforme en un sympathique « premier toast à l’alliance franco-russe ».

Michel Mervaud et Givi Jordania

En URSS, Givi Jordania, historien à l’université de Tbilissi, s’est intéressé aux premières relations franco-russes. Dans son ouvrage de référence2, il cite longuement Jean Sauvage et une partie de la correspondance de Danzay. Le doyen de l’université d’Arkhangelsk Vladimir Boulatov aussi reproduit la traduction russe de 1841 dans son livre sur la Russie du Nord en 1999 (Russkij Sever, tome 3). Une nouvelle traduction (plus fidèle) a été faite par Viktoria Goudkova, elle est reproduite dans mon livre.

En France, il fallut attendre le 400e anniversaire du voyage, en 1986, pour voir paraître un article faisant la synthèse des connaissances relatives à cette expédition. C’est à Michel Mervaud, profes-

1 Il s’agit de l’ouvrage de Louis Paris (voir la note précédente), et du petit livre de Louis Lacour publié à Paris en 1855, Mémoire du voiage en Russie fait en 1586 par Jehan Sauvage — suivi de l’expédition de Fr. Drake en Amérique à la même époque.

2 Žordanja G. Očerki iz istorii franko-russkix otnošenij konca XVI i pervoj poloviny XVII vv. Tbilissi, 1959.

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seur à l’université de Rouen, que l’on doit ce travail1. Il publia une version du texte dans un livre édité en 19912.

Je me permet aussi de renvoyer à mon livre Tout autour du voyage de Jean Sauvage en Moscovie en 1586 (édition Thesaurus, Moscou, 2012, 520 p. avec illustrations.). C’est la première édition critique de ce voyage. Il contient les différentes versions du texte avec leur traduction russe, le Dictionnaire des Moscovites, le plagiat d’André Thevet ainsi que sa description des îles Solovki (jusqu’à présent iné- dits), toute la correspondance de Danzay concernant la Russie et la Baltique ainsi que de nombreux documents relatifs au début des relations franco-russes ou à la route du Nord. La traduction du livre est prévue à Arkhangelsk en 2013.

Conclusion

Michel Mervaud remarquait que ce texte et ses à-côtés, pris iso- lément, n’ont pas forcément grande signification ; mais qu’assemblés, ils forment un tout très riche et cohérent. C’est une série de « premières » : premier récit en français, première visite avérée de Français à Vardø et en mer Blanche, premier récit sur la Moscovie d’une personne simple (ni ambassadeur, ni marchand important), premier traité de commerce, première lettre connue entre nos souverains, premier dictionnaire franco-russe.

Un Jean Sauvage peut aussi en cacher un autre. Un des 96 pilotes volontaires engagés dans la division « Normandie-Niemen » porte ce nom (parmi eux 42 furent tués). L’URSS l’a décoré à deux reprises. Jean Sauvage est pour les Russes un « vétéran ». Il était toujours vivant en mars 2012.

Un livre retraçant l’histoire des relations entre nos deux pays pourrait s’intituler De Jean Sauvage à Jean Sauvage.

Questions et devoirs

1.Pour quelle raison Jean Sauvage est-il venu en Russie? Pourquoi est-il venu par Arkhangelsk?

2.Le récit de Jean Sauvage a-t-il été publié de son vivant? Pourquoi et quand est-il devenu populaire?

1 Mervaud M. Un Normand en Russie au xvie siècle // Revue des Pays de l’Est. Bruxelles, 1986. N 1. Article aussi paru dans la revue Études Normandes (1986. N 2). Traduit en russe par Alexandre Lavrov en 1993 dans Slova i otzvuki. Paris; Saint-Petersbourg, 1993. N 2.

2 Mervaud M., Roberti J.-C. Une Infinie brutalité, l’image de la Russie dans la France des xvie et xviie siècles. Institut d’études slaves. P., 1991.

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3.Quelles conséquences a eues le voyage de Jean Sauvage? Danzay a-t-il joué un rôle dans ce voyage?

4.Écrire en français moderne (orthographe, grammaire, vocabulaire) les deux premières lettres de Danzay ([Lettre au roi Charles IX du 15 juillet 1571] et [Lettre au duc de Joyeuse du 28 novembre 1583]).

5.Écrire en français moderne (orthographe, grammaire, vocabulaire) les extraits du textes de Jean Sauvage.

Смирнова Вера Ефимовна,

преподаватель кафедры французского языка для гуманитарных факультетов, соискатель кафедры франкоязычных культур факультета иностранных языков и регионоведения МГУ имени М.В. Ломоносова, e-mail: veras777@mail.ru

Повседневная жизнь французов в России: исторический аспект

Smirnova Vera. La vie quotidienne des Français en Russie: aspect historique Le livre « Le voyage en Sibérie » du savant — astronome français Jean Chappe

d’Auterauche qui a visité la Russie en 1761, expose sa vision de la vie quotidienne en Russie du XVIII siècle. Cet article propose l’analyse du témoignage du voyageur à travers les idées de la vie quotidienne de l’historien français Fernand Braudel.

Из маленьких происшествий, из путевых заметок вырисовывается общество. И никогда не бывает безразлично, каким образом на разных его уровнях едят, одеваются, обставляют жилище. Эти «мимолетности» к тому же фиксируют от общества к обществу контрасты и несходства вовсе не поверхностные. Воссоздавать такие картинки — увлекательная игра, и я не считаю ее пустым занятием.

Ф. Бродель1

Первые представления о феномене культуры повседневности сложились уже в конце XVIII в. Немецкий философ И.Г. Гердер в своем труде «Идеи к философии истории человечества» (1784—1791), характеризуя различные культуры мира, использовал не только примеры достижений этих народов в искус-

1 Бродель Ф. Материальная цивилизация, экономика и капитализм, XV— XVIII вв. Т. 1. Структуры повседневности: возможное и невозможное. М., 1986. C. 40.

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стве, науке, философии, но и затронул особенности их быта. Традиция исследовать культуру быта впоследствии нашла свое отражение в трудах швейцарского историка и философа культуры Я. Буркхардта «Культура Италии в эпоху Возрождения» (1860), художника и историка культуры, профессора Берлинской академии художеств Г. Вейса «Внешний быт народов» (1856—1872), английского этнографа и культуролога Э. Тайлора «Первобытная культура» (1871), голландского историка Й. Хейзинги «Осень средневековья» (1919), американского антрополога и культуролога Л. Уайта «Понятие культуры» (1959) и др.1

Важную роль в формировании понимания культуры повседневности сыграли историки, представители школы «Анналов». К этой школе относятся в первую очередь такие французские историки, как М. Блок, Л. Февр, Ф. Бродель, Ж. Ле Гофф, Ж. Дюби, Э. Ле Руа Ладюри. Особенно важным в развитии концепции культуры повседневности является вышедший в 1979 г. во Франции труд Ф. Броделя «Материальная цивилизация, экономика и капитализм, XV—XVIII вв.» и его первый том «Структуры повседневности: возможное и невозможное» (1967). Излагаемый автором обширнейший исторический материал, охватывающий многие века мировой истории, разные страны и континенты, раскрывает значимые реальности из прошлого человечества. В исследование глобальной истории, рассматриваемой на длительной пространственной и временной протяженности, Ф. Бродель включил изучение повседневной жизни. Повседневность, согласно Ф. Броделю, — это мелкие факты, едва заметные во времени и пространстве. «Когда вы сужаете наблюдаемое время до малых промежутков, то получаете либо какое-то событие, либо какой-то факт. Событие должно быть уникально и полагать себя единственным; какой-либо факт повторяется и, повторяясь, обретает всеобщий характер или, еще лучше, становится структурой. Он распространяется на всех уровнях общества, характеризует его образ существования и образ действий, бесконечно их увековечивая. Иной раз бывает достаточно нескольких забавных историй, для того чтобы разом высветить и показать образ жизни»2.

1 См.: Луков М.В. Культура повседневности. Информационный гуманитарный портал «Знание. Понимание. Умение». 2008. № 4. Культурология.

2 Бродель Ф. Указ. соч. C. 39.

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Исследуя структуру повседневной жизни, Ф. Бродель обращает внимание на ее неоднородность в различных социальных слоях, культурах и исторических периодах развития обществ. Он приходит к идее о существовании некоего предела, «потолка», который ограничивает жизнь людей. Такой предел, возникающий в любом обществе, в любую эпоху, — это грань между возможным и невозможным, обычным и излишним, необходимостью и роскошью. В свою очередь эпоха, культура и социальный статус накладывают ограничения на повседневную жизнь человека.

Обосновывая включение повседневной жизни в сферу исторического изучения, Ф. Бродель не случайно упоминает путевые заметки1. Люди, открывающие новые места, особенно внимательны к мелочам, на которые местный житель, привыкший наблюдать их ежедневно, не обратит внимания. Именно эти мелочи, Ф. Бродель называет их «мимолетности», фиксируют контрасты и несходства культур различных обществ2. Используя термин «дифференциальное отклонение», предложенный К. Леви-Стросом в другой связи, Т.Ю. Загрязкина подчеркивает особую роль этих «отклонений» при сравнительном изучении культур3. Таким образом, ограничения, накладываемые эпохой, культурой и социальным статусом, одновременно являются дифференциальными признаками исторической эпохи, культуры страны и конкретного социального слоя.

С учетом этих концепций проанализируем записки французского путешественника — аббата, ученого-астронома Жа- на-Шаппа д’Отроша (1722—1769), посетившего Россию во второй половине XVIII в. Ученый провел в России более года (с февраля 1761 по май 1762 г.) и пересек всю страну от Петербурга до Тобольска4. Вернувшись во Францию, он в течение шести лет обрабатывал свои путевые заметки, в результате в 1768 г. вышла книга «Путешествие в Сибирь», которая является одной из первых опубликованных французских книг о России. Рассмотрим, какие именно события и факты повседневной жизни привлекли внимание французского путешественника.

1 См. эпиграф к данной статье (см.: Бродель Ф. Указ. соч. С. 40). 2 Там же.

3 См.: Загрязкина Т.Ю. Этнотекст как средство изучения языка и культуры: речь о России как вид этнотекста // Россия и Запад: диалог культур. Вып. 3. М., 1996. С. 216.

4 См.: Альбина Л.Л. Россия—Франция. Л., 1987. C. 73.

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Проанализируем, с какими ограничениями повседневной жизни, характеризующими эпоху, культуру и социальную ситуацию конкретных людей, столкнулся ученый, посетивший Россию в XVIII в., выделим дифференциальные признаки французского и русского культурного ареала данного исторического периода.

Первое ограничение, с которым столкнулся отважный ученый, рискнувший поехать в незнакомую страну, было временно´е, связанное с особенностями передвижения. Ж.-Ш. д’Отрош прибыл в Россию в 1761 г. по поручению Королевской парижской академии наук и Академии наук Санкт-Петербурга для того, чтобы наблюдать в Тобольске прохождение Венеры через диск Солнца. Именно по этой причине ему нужно было успеть в Тобольск к определенному времени. Дорога от Парижа до Петербурга заняла у него долгих два с половиной месяца, и к моменту его приезда в Санкт-Петербург русские астрономы, с которыми аббат должен был ехать в Тобольск, уже уехали более месяца назад1. Была большая вероятность опоздать. Но поскольку данное событие ждал весь научный мир и Россия была очень заинтересована в проводимых исследованиях, ученому помогли влиятельные покровители русской науки, и ему удалось завершить сборы всего необходимого в кратчайшие сроки.

Поскольку ученый очень торопился, он выехал из Петербурга 10 марта, пренебрегая другим временным ограничением, обусловленным местными культурными традициями: шла неделя Масленицы, перед Великим постом. Русские, как объяснили французскому гостю, в это время стараются никуда не выезжать «из-за разгула, которому предается народ»2. Но целеустремленный исследователь решил не откладывать выезд, и, как он сам свидетельствует, никаких досадных недоразумений в пути не произошло. Но, несмотря на это, быстро передвигаться ученому все равно не удалось. От СанктПетербурга до Москвы Ж.-Ш. д’Отрош добирался четыре дня, тогда как обычно в это время дорога занимала два дня3.

Ограниченные возможности передвижения объяснялись во многом состоянием дорог. Плохие дороги были не особенностью России, судя по описаниям путешественника, а отличительной чертой повседневной жизни эпохи. Еще на пути из

1 D’Auteroche J.-Ch. Voyage en Sibérie. Vol. 1. P., 1768. P. 25. 2 Ibid. P. 28.

3 Ibid. P. 30.

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