Добавил:
Upload Опубликованный материал нарушает ваши авторские права? Сообщите нам.
Вуз: Предмет: Файл:

Ou es-tu - Marc Levy

.pdf
Скачиваний:
152
Добавлен:
08.06.2015
Размер:
994.27 Кб
Скачать

— … Tu avanceras jusqu’au fond de la salle.

À la table accolée à la vitre, quelqu’un t’attend.

Les lèvres de Lisa se mirent à trembloter, tout son corps fut secoué d’un immense sanglot et ses yeux s’emplirent d’un flot de larmes, ceux de Philip aussi.

Tu te souviens du vieux toboggan rouge? dit-il d’une voix émue.

Vous ne m’avez pas fait ça, dis-moi que ce n’est pas vrai, papa !

Et, sans attendre de réponse, elle empoigna son sac à l’arrière et sortit de la voiture en claquant violemment la portière.

Aéroport de Newark, la voiture vient de la déposer le long du trottoir et s’enfuit dans le tumulte des véhicules qui gravitent autour des satellites; au travers d’un voile de larmes, elle la regarde disparaître au loin. Son énorme baluchon vert déposé à ses pieds pèse presque plus lourd qu’elle. Elle grimace et le maintient sur ses épaules. Elle sèche ses yeux, franchit les portes automatiques du terminal l et traverse le hall en courant. À sa droite l’escalier mécanique s’élève vers le premier étage; malgré le fardeau qui pèse sur son dos elle grimpe les marches et s’engage d’un pas déterminé dans le couloir. Elle

s’immobilise le long de la devanture d’un bar baigné d’une lumière orangée, elle regarde au travers de la vitre. En cette heure matinale, il n’y a personne au comptoir. Des résultats sportifs défilent sur l’écran d’une télévision accrochée au-dessus de la tête d’un vieux barman qui essuie ses verres. Poussant la porte en bois au large oculus, elle entre, regarde bien au-delà des tables rouges et vertes.

C’est ainsi qu’elle la revit, assise tout au fond, contre la paroi de verre qui surplombe le tarmac.

Un journal plié sur la table, Susan a posé son menton sur sa main droite et laisse errer la gauche qui joue du bout des doigts avec un médaillon accroché autour de son cou. Ses yeux, que Lisa ne peut encore voir, sont perdus dans le vague dùn bitume strié de bandes jaunes où les avions roulent au pas. Susan se retourne, elle met sa main devant sa bouche comme pour retenir l`émotion qui s’en échappe au murmure d’un

« Mon Dieu >> ; elle se lève. Lisa hésite, emprunte la travée de gauche, s’approche d’un pas qu’elle sait garder feutré. Elles se contemplent face à face, les yeux rougis, sans savoir ce qu’il faudra se dire. Susan voit le gros sac que traîne Lisa.

Sous la table, le sien est identique. Alors Susan sourit.

— Tu es tellement jolie !

Immobile et silencieuse, Lisa la dévisage et sans la quitter du regard, elle prend place, lentement Susan fait de même. Elle voudrait caresser la joue de sa fille mais Lisa recule brusquement.

Ne me touche pas !

Lisa, si seulement tu savais combien tu m’as manqué.

Et toi, sais-tu seulement que ta mort a habillé ma vie de cauchemars ?

Il faut que tu me laisses t’expliquer.

Qu’est ce qui peut expliquer ce que tu m’as fait ? Mais toi tu peux peut-être m’expliquer ce que je t’avais fait pour que tu m’oublies ?

Je ne t’ai jamais oubliée, ce n’est pas à cause de toi Lisa, c’est à cause de moi, de mon amour pour toi.

C’est ta définition d’aimer de m'avoir abandonnée ?

Tu n’as pas le droit de me juger sans savoir Lisa.

Parce que toi, tu avais le droit de ce mensonge-là ?

I] faut au moins que tu m’écoutes Lisa !

Mais toi, tu m’entendais quand je t’appelais la nuit dans mes cauchemars ?

Oui, je crois.

Alors, pourquoi tu n’es pas venue me chercher ?

Parce qu’il était déjà trop tard.

Trop tard pour quoi? Cela existe « trop tard » entre une mère et sa fille.

Il n’y a que toi Lisa, qui peux décider de cela maintenant.

Maman est morte !

Arrête de dire ça, je t’en prie.

Pourtant c’est une phrase qui m’a marquée.

c’est la première que j’ai prononcée en Amérique.

Si tu préfères je vais te laisser, mais que tu le veuilles ou non, je t’aimerai toujours...

Je t’interdis de me dire ça aujourd’hui.

C’est bien trop facile. Alors vas-y « maman », dis-moi que je me trompe, dis-moi comment. Et je te supplie d’être

convaincante.

Nous avions reçu un avis de tempête tropicale et la montagne était trop dangereuse pour une petite fille de ton âge. Tu te souviens, je t’avais raconté que j’avais failli y mourir au cours d’un orage ? Alors je suis descendue dans la vallée te confier à l’équipe du camp de Sula, pour te mettre à l’abri du danger. Je ne pouvais pas laisser les gens du hameau seuls.

Mais moi tu le pouvais !

Mais tu n’étais pas seule !

Lisa se mit à hurler.

Si! Sans toi j’étais bien plus que seule, comme dans le pire des cauchemars, à en crever parce que ton cœur va exploser dans ta poitrine.

Ma petite fille, je t‘ai prise dans mes bras, je t‘ai embrassée et je suis remontée. Au milieu de la nuit Rolando est venu me réveiller. Des pluies diluviennes s’abattaient sur nous et les maî-

sons commençaient déjà à vaciller. Tu te souviens de Rolando Alvarez, le chef du village ?

— Je me suis souvenue de l’odeur de la terre, de chaque tronc d’arbre, de la couleur de toutes les portes des

maisons parce que la moindre par-celle de ces souvenirs était tout ce qui me restait de toi, tu peux le comprendre cela, ça peut t’aider à deviner l’ampleur de ce vide que tu as laissé ?

Nous avons conduit les villageois jusqu’au sommet, sous une pluie battante. Au cours du voyage, dans l’obscurité, Rolando a glissé le long de la paroi, je me suis jetée à terre pour le retenir, et je me suis cassé la cheville. I1 s’est agrippe à moi, mais son poids était trop important.

Moi aussi j’étais trop lourde à porter pour toi ? Si tu savais comme je t’en veux !

Dans la lumière d’un éclair je l’ai vu sourire, « Occupetoi d’eux dona, je compte sur toi »

ont été ses derniers mots. Il a lâché ma main pour ne pas m’entraîner avec lui dans le ravin.

— Ton bel Alvarez ne t’avaît pas demandé de t’occuper un tout petit peu de ta propre fille dans toute cette sublime dévotion, pour qu’elle aussi puisse un peu compter sur toi ?

Le ton de Susan monta brutalement.

Il était comme mon père Lisa, comme celui que ma vie m’a enlevé !

C’est toi qui oses me dire une chose pareille ? Tu ne

manques pas d’air! C’est à moi que tu as fait payer l’addition de ton enfance.

Mais qu’est ce que je t’avais fait maman ? A part t’aimer, dis-moi bon sang ce que je t’avais fait'?

Au petit matin, la route avait disparu avec le flanc de la montagne. J’ai survécu plus de deux semaines sans aucune communication possible avec le monde extérieur. Les débris que la coulée de boue avait charriés jusque dans la vallée nous avaient tous laissés pour morts auprès des autorités qui n’ont envoyé aucun secours. Alors je me suis occupée de tous ceux qui ont peuplé ton enfance, j’ai géré l’urgence, celle des blessés, des femmes et des enfants au bord de l’épuisement et qu’il fallait aider à survivre.

Mais plus jamais de ta petite fille qui t’attendait terrorisée dans la vallée.

Dès que j’ai pu redescendre, je suis partie immédiatement à ta recherche, il m’a fallu cinq jours de plus pour arriver. Quand j’ai enfin atteint le campement, tu étais déjà partie. J’avais laissé des instructions précises à la femme de Thomas, qui gérait le dispensaire de la Ceiba. S’il màrrivait quelque chose, ils devaient te conduire auprès de Philip. En arrivant, j’ai appris que tu étais encore à Tegucigalpa, que tu ne partirais que le soir pour Miami.

Alors, pourquoi tu n’es pas venue me chercher ? cria Lisa, redoublant de violence.

Mais je l’ai fait! J’ai aussitôt sauté dans un car. Et puis en chemin, j’ai pensé au voyage que tu allais entreprendre, à sa destination, à la destinée tout court Lisa. Tu t’envolais vers une maison dont tu partirais le matin pour étudier dans une vraie école avec la promesse d’un vrai futur. Le destin m’a demandé de choisir immé-

diatement pour toi, parce que sans que je l’aie provoqué, tu étais en route pour une autre enfance, dont les paysages ne seraient plus ceux de la mort, de la solitude et de la misère.

— La misère pour moi c’était que ma mère n’était plus là pour me prendre dans ses bras quand j'avais besoin d’elle; la solitude, tu n’as pas idée de celle que j’ai vécue les premières années passées sans toi; la mort c’était la peur d’oublier ton odeur; dès qu’il pleuvait je sortais en cachette pour ramasser de la terre humide et la sentir, pour me souvenir des odeurs de « là-

bas », j’avais tellement peur d’oublier celle de ta peau.

— Je t’ai laissée partir pour une vie nouvelle au sein d’une vraie famille, dans une ville où une crise d’appendicite ne risquait pas de te tuer parce que l’hôpital serait trop loin, où tu pourrais apprendre dans des livres, t’habiller d’autre

chose que de vêtements rapiécés pour mieux les agran-dir au fur et à mesure que tu poussais, où il y aurait des réponses à toutes les questions que tu me posais, où tu n’aurais plus jamais peur de la pluie quand elle tombe la nuit, et moi qu’un orage t’emporte pour toujours.

Mais tu avais oublié la plus grande peur de toutes, celle d’être sans toi, j’avais neuf ans maman ! Je me suis tant de fois mordu la langue.

C’était ta chance à toi, mon amour, pas la mienne, et mon seul remords était de laisser derrière toi une mère qui n’a jamais vraiment pu, ou vraiment su en être une.

C’était de m’aimer dont tu avais si peur maman ?

Si tu savais comme ce choix a été difficile.

Pour toi ou pour moi ?

Susan recula pour regarder Lisa dont la colère se muait en tristesse. La pluie qui était entrée dans sa tête ruisselait abondamment sur ses joues.

— Pour nous deux je suppose. Tu comprendras plus tard Lisa, mais en te découvrant sur cette prestigieuse estrade, si belle dans ta robe de cérémonie, en voyant ceux qui sont désormais ta famille assis au premier rang, j’ai compris que pour moi, la paix et la tristesse pouvaient être sœurs, au moins l’instant d’une réponse que j’ai enfin trouvée.

Papa et Mary savaient que tu étais en vie ?

Non, pas jusqu’à hier. Je n’aurais pas dû venir, je n’en avais probablement plus le droit, mais j`étais là, comme chaque armée pour t’apercevoir derrière les grilles de ton école, quelques minutes seulement, sans que tu ne le saches jamais, juste pour te voir.

Moi, je n’ai pas eu ce privilège de savoir, pour quelques secondes au moins, que tu étais en vie. Qu’en as tu fait de cette vie maman ?

Je ne regrette pas Lisa, elle n’a pas été facile, mais je l’ai vécue et jèn suis fière, la tienne sera différente. Jài commis mes erreurs, mais je les assume.

Le barman mexicain vint déposer devant Susan une coupe qui contenait deux boules de glace à la vanille, recouvertes de chocolat chaud saupoudré d’amandes effilées, le tout copieusement arrosé de caramel liquide.

— Je l’avais commandé avant que tu n'entres.

I1 faut que tu goûtes ça, dit Susan, c’est le meilleur dessert du monde !

— Je n’ai pas faim.

Dans le hall du terminal, Philip n’en finissait plus de faire

Соседние файлы в предмете [НЕСОРТИРОВАННОЕ]