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Ou es-tu - Marc Levy

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08.06.2015
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poche de sa blouse. Elle leva son visage vers le ciel et ses lèvres blanchirent d’être si serrées. Elle se remit en marche dans la rue et elle entra à pas lents dans la crèche.

Une fois encore elle brassait dans son unique placard chemisiers et jupes pour choisir ce qu’elle emporterait à Montclair ; c’était au moins le vingtième modèle de nœud papillon que le vendeur présentait à Philip.

Elle refermait derrière elle la porte de sa maison, derrière lui se refermait celle du tailleur ; les bras chargés d’une grande boîte en carton il emportait son costume de marié.

Un paysan l’emmenait vers l’aérodrome où elle prendrait le petit avion pour Tegucigalpa, et qu’importe que ses ailes soient rouge et blanc, tant d’eau avait coulé sous les ponts du Honduras; c’était Jonathan, son collègue de travail promu garçon d’honneur, qui le conduisait chez le coiffeur.

Par le hublot elle regardait scintiller une rivière au loin; par la fenêtre de la Buick il regardait les passants déambuler dans les rues de Montclair.

Dans l’église, il arpentait les allées d’un pas nerveux, attendant que l’on vienne lui confirmer que tout était en ordre pour le lendemain; dans le terminal de l’aéroport de Tegucigalpa, elle faisait les cent pas, attendant l’embarquement d’un Boeing qui décollerait pour la Floride avec quatre heures de retard.

Selon la tradition il ne passait pas la soirée pré-

cédant le mariage en compagnie de Mary, et Jonathan le déposait au grand hôtel où ses parents lui avaient réservé une suite ; elle avait pris place à bord, et l’appareil perçait déjà la couche des nuages.

Dans l’avion, elle dînait d’un plateau-repas ; il voulait se coucher tôt et dînait frugalement assis sur son lit.

Elle arrivait à Miami et s’allongeait sur les banquettes du terminal Eastern Airlines, la main enroulée dans la lanière de son gros sac kaki ; il éteignait la lumière et tentait de trouver son sommeil. La dernière correspondance était déjà partie, elle s’endormait.

Au petit matin, elle entra dans les toilettes de l’aérogare et se posta devant le grand miroir. Elle passa son visage sous l’eau et tenta de recoiffer ses cheveux; il se brossa les dents devant la glace, rinça sa figure et remit ses cheveux en ordre en se frottant le crâne.

Elle jeta un dernier regard sur sa silhouette et quitta les lieux en faisant une moue dubitative ; il quitta sa chambre et marcha vers les ascenseurs.

Elle se rendit à la cafétéria et commanda un grand café ; il retrouva ses amis autour du buffet de l’hôtel.

Elle choisit un beignet au sucre ; il en remit un dans son

assiette.

Au milieu de la matinée il remonta dans sa chambre pour commencer à se préparer; Susan tendit sa carte d’embarquement à l’hôtesse.

Vous n’avez pas de salon de coiffure à bord ?

Je vous demande pardon ?

Regardez-moi : je vais à un mariage en des-cendant de cet avion ! Ils vont me faire entrer par la porte de service !

Il faudrait que vous avanciez mademoiselle, vous ralentissez la file.

Elle haussa les épaules et s’engagea dans la passerelle. Il prit le cintre dans la penderie et enleva la housse de plastique qui protégeait son smoking. D’une boîte en carton blanc il sortit sa chemise et la déplia ; elle s’assoupit dans son fauteuil, le visage collé au hublot.

Quand toutes les pièces qui composaient son habit furent disposées en ordre sur le couvre-lit, il entra dans la salle de bains ; elle se leva et se dirigea vers l’arrière de l’appareil.

Il chercha son rasoir, étala une boule de mousse sur son menton, de l’index il redessina le contour de sa bouche et tira la langue à son reflet dans le miroir; dans les toilettes, elle passa son doigt sous ses paupières, ouvrit sa trousse

et se maquilla. Dans un haut-parleur le steward annon-

çait que la descente vers Newark avait commencé, elle regarda sa montre, elle était en retard; escorté de ses témoins il monta à bord de la limousine noire qui l’attendait devant l’hôtel.

Le tapis à bagages lui restitua son gros sac dif-forme dont elle mit la lanière à l’épaule. Elle marchait en direction de la sortie ; il venait d’arriver sur le parvis de l’église et serrait quelques mains en gravissant les marches.

Elle passa devant le bar, tourna la tête et, les yeux humides, fixa la petite table collée contre la vitre; il franchit le seuil des grandes portes et, sous la voûte en pierre, contempla la nef.

Il s’engagea d’un pas lent et la chercha de part et d’autre de l’allée centrale parmi les invités qui venaient de se lever, mais il ne la vit pas; elle jeta son baluchon sur la banquette arrière d’un taxi qui venait de se ranger le long du trottoir.

Dans un quart d’heure elle serait à Montclair.

Tous les convives s’étaient retournés aux premières notes de l’orgue. Mary était apparue au bras de son père dans la lumière diaphane de l’entrée. Elle avançait vers le chœur, sans que les traits de son visage ne trahissent d’émotion, ils se contemplaient fixement, comme si un fil était tendu entre leurs deux regards. Les lourdes portes se

refermèrent. Quand Mary arriva à ses côtés, il lança un dernier coup d’œil à l’assistance, à la recherche d’un visage qu’il ne trouvait toujours pas.

Le taxi jaune vint se garer devant le parvis désert. Existe-t-il une forme de magie qui vide les trottoirs autour des lieux de culte le temps des enterrements et des mariages ? Appesantie par la fatigue d’un bien trop long voyage, elle avait l’impression que les marches se dérobaient sous ses pas. Elle poussa doucement la porte latérale, pénétra dans l’église et laissa glisser son baluchon au pied d’une statue. Saisie à la vue des deux êtres qui se tenaient debout face à l’autel, elle avança lentement par la travée de droite, marquant un temps d’arrêt à chaque pilier. Quand elle parvint au milieu de la coursive, le chant s’interrompit pour laisser place à un long silence de recueillement. Interdite, elle observait. L’homme de Dieu reprit sa liturgie, et elle sa progression.

Elle avança jusqu’à la dernière colonne. De là, elle pouvait entrevoir Philip de profil. De Mary elle n’apercevait que la courbe du dos et la traîne soyeuse de sa robe. Quand vint le moment de l’union, les yeux de Susan s’emplirent de larmes.

Silencieuse, elle recula à pas feutrés, se guidant dans sa retraite de la main gauche qui effleurait maladroitement les dossiers des bancs. Elle reprit son sac à l’ange Gabriel et ressortit sur le parvis, dévala les marches et s’engouffra

dans un taxi. Elle en ouvrit la fenêtre et contempla les portes de l’église. Entre deux sanglots contenus, elle murmura à voix basse à l’unisson du prêtre :

<< Si quelqu’un a une raison valable de sopposer à cette union, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais... »

Le taxi démarra.

Penchée sur la tablette de l’avion qui la ramenait chez elle, elle rédigea une lettre.

2 juillet 1979,

Mon Philip,

Je sais combien tu dois m’en vouloir de ne pas avoir été là le jour de ton mariage. Il n’y avait ni excuse, ni prétexte cette fois-ci, je te le jure.

J ’ai tout fait pour venir; mais au dernier moment un sale orage m’a empêchée de te rejoindre. J ’ai été avec toi par la pensée pendant toute la céré-

monie. Tu devais être sublimement beau dans ton smoking et je suis certaine que ta femme était rayonnante elle aussi, qui ne l’aurait pas été en t’épousant ? Les yeux fermés je t’ai suivi pas à pas au cours de ces instants magiques. Je sais que tu es heureux désormais

et quelque part ce bonheur me fait du bien à moi aussi.

J ’ai décidé d ’accepter ce poste que l’on me proposait. Je pars vendredi m’installer dans les montagnes pour établir un nouveau centre. Ne m’en veux pas de moins t’écrire au cours des prochains mois, mais je serai désormais à deux jours de piste de ce qui ressemblait déjà à peine à notre civilisation et poster une lettre relèvera de l’impossible, tout comme en recevoir Tu sais, je suis contente de ce nouveau défi, j ’emporterai la nostalgie des gens de mon village, de cette maison que Juan m’avait construite et des souvenirs qu’elle contenait déjà ,· il faudra presque tout recommencer à zéro, mais je trouve dans la confiance qu ’ils m’accordent la reconnaissance de mes pairs.

Bonne vie mon Philip, au-delà de toutes mes absences et de tous mes manques, je t’aime fidè-

lement depuis toujours et aussi pour toujours.

Susan

P-S. . N ’oublie quand même pas ce que je t’avais dit à

l’aéroport...

6.

La pluie ruisselait le long des tuiles de bois.

Installé sous la charpente, s’éclairant à la lumière d’une seule lampe, il corrigeait ses dernières esquisses. Comme chaque week-end, Philip récu-pérait les retards accumulés dans son travail de la semaine. Il avait décoré son bureau en s’inspi-rant du style Adirondacks. Des bibliothèques ajourées étaient apposées sur le mur de droite. Sur la gauche, deux gros fauteuils en cuir usé, sépa-rés par un petit guéridon en bouleau et un lam-padaire en fer forgé, invitaient au confort. Placé au juste milieu de la pièce, sous la lucarne qui diffusait un éclairage zénithal, son plan de travail avait la forme d’un grand cube de bois blanc.

Six personnes pouvaient aisément prendre place autour. De temps en temps, il relevait la tête et posait son regard sur les carreaux de la fenêtre qui vibraient sous la force des bourrasques de vent.

Avant de replonger dans ses dessins il jeta un coup d’œil à la photo de Susan dans son entre-deux-verres sur l’une des étagères. Tant de temps s’était écoulé depuis le jour de son mariage. Au milieu de la table trônait aussi le petit coffre ancien qui contenait toutes ses lettres. Il était cadenassé, mais la clé restait toujours sur le couvercle.

Combien d’années avaient passé sans qu’ils ne s’écrivent ? Sept, huit, neuf peut-être ‘?

Dans l’angle de la pièce, l’échelle conduisait à l’étage inférieur où les chambres à coucher s’effa-

çaient déjà dans la pénombre de cette journée sans lumière qui tirait à sa lin. L’escalier en bois blanc qui faisait face à la porte d’entrée séparait le rez-de-chaussée de la maison en deux espaces de vie. Mary était restée tout l’après-midi assise à la grande table de la cuisine américaine et tournait lentement les pages d’un magazine, laissant errer ses pensées. Par-delà la porte coulissante, elle regarda Thomas, leur petit garçon de cinq ans absorbé dans un jeu, puis elle tourna son regard vers la pendule ronde accrochée au-dessus de la gazinière. Il était 18 heures, elle referma son journal, se leva, fit le tour du comptoir et commença à préparer le dîner. Philip descendit de son bureau une demi-heure plus tard, comme chaque soir, et il finit de l’aider à dresser la table. Après l’avoir embrassée, ses deux « hommes » s’installèrent chacun à leur place. Thomas fut le plus bavard, commentant sa dernière partie contre les extraterrestres qui tentaient d’envahir l’écran de télé-

vision.

À la fin du repas, Philip voulut entreprendre une nouvelle fois de l’initier aux échecs, mais Thomas trouvait idiot que

le fou ne se déplace qu’en diagonale, et puis le seul « truc rigolo »

n’était-il pas de faire avancer tous les pions en même temps pour attaquer les tours du château fort? La tentative se termina en partie de misti-gri. Plus tard dans la soirée, lorsque le petit gar-

çon serait bordé, l’histoire du soir contée, Philip redescendrait dire bonsoir à sa femme et il retournerait dans son bureau. « J ’aime mieux travailler encore et avoir du temps avec vous demain »

arguerait-il au sourire de Mary. Il la retrouverait

« plus tard », pour la rejoindre dans le sommeil et la tendresse de ses bras.

La pluie ne s’était arrêtée qu’à l’aube et les trottoirs détrempés luisaient encore dans la pâleur du matin. Thomas s’était levé et descendait au salon. Mary avait entendu craquer les marches.

Elle enfila le peignoir de bain qu’elle avait abandonné au pied de son lit. Le petit garçon était déjà en bas de l’escalier lorsque la sonnette de la porte d’entrée retentit. Il posa sa main sur la poignée pour l’ouvrir.

— Tom, je t’ai dit cent fois de ne pas toucher à la porte !

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