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Ou es-tu - Marc Levy

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08.06.2015
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L’enfant interpellé se retourna et fixa sa mère du regard. Elle descendit le rejoindre, fit passer son fils derrière elle et ouvrit. Une femme habillée d’un tailleur bleu marine dont le sérieux détonnait avec l’atmosphère de ce dimanche d’automne se tenait sur le perron, aussi droite qu’un bâton.

Mary releva son sourcil gauche, elle cultivait précieusement cette expression qui déclenchait les rires de son enfant et le sourire de son mari. Cette mimique était devenue une façon coutumière de marquer son étonnement.

Je suis bien chez M. Nolton ? demanda l’inconnue.

Et chez Mme Nolton également !

Il faut que je voie votre mari, mon nom est...

Un dimanche avant le passage du laitier, quoi de plus naturel !

La femme ne chercha pas à finir de se présenter, pas plus qu’à s’excuser de son intrusion matinale. Elle insista, elle devait voir Philip au plus tôt. Mary voulut savoir ce qui justifiait qu’elle le réveille le seul jour de la semaine où il pouvait se reposer. « Je dois le voir » n’étant pas suffisant à ses yeux, elle l’invita froidement à revenir à une heure plus décente.

La femme adressa furtivement un regard à la voiture garée devant la maison et réitéra sa demande.

— Je sais qu’il est très tôt chez vous, mais nous avons voyagé toute la nuit, et notre avion va repartir dans quelques heures. Nous ne pourrons pas attendre.

Mary prêta alors attention au véhicule garé devant chez elle. Un homme de forte corpulence tenait le volant. Il y avait une autre femme à l’avant, la tête collée à la vitre. Elle était trop loin pour que Mary distingue ses traits même en plissant les yeux. Il lui sembla pourtant que leurs regards s’affrontaient. Il avait suffi de ces quelques secondes d’inattention pour que l’intruse tente de forcer le passage. Elle avait élevé la voix et appelait Philip à tue-tête. Mary lui claqua aussitôt la porte au nez.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Philip était apparu en haut de l’escalier, Mary se retourna en sursautant.

Je n’en sais rien, une folle qui te réclame, répondit-elle agacée, et qui ne veut certainement pas m’avouer qu’elle est une de tes ex, à moins que ce ne soit sa copine qui attend dans la voiture garée devant chez nous !

Je ne comprends rien de ce que tu dis. Où est Thomas ‘? demanda-t-il, embrumé, en descen-dant les marches.

Au Sénat, il donne une conférence ce matin !

Il passa devant Mary en bâillant, l’embrassa sur le front et ouvrit la porte. La femme n’avait pas bougé d’un centimètre.

Pardon d’avoir dû vous réveiller ainsi, je dois absolument vous parler.

Je vous écoute, répondit-il sèchement.

En privé ! ajouta-t-elle.

C’est le cas devant ma femme.

J ’ai des instructions très précises.

À quel sujet ‘?

« En privé >> en fait partie.

Philip adressa un regard interrogateur à Mary, elle lui retourna l’un de ses mouvements singu-liers de sourcil, appela son fils à venir prendre son petit déjeuner immédiatement et s’en alla dans la cuisine. Il fit entrer au salon la dame en bleu, qui referma derrière elle les portes coulissantes, déboutonna son tailleur et prit place dans le canapé.

Philip n’avait toujours pas réapparu. Mary débarrassait la table du petit déjeuner, surveillant d’un œil la pendule qui égrenait de trop longues minutes. Elle posa son bol dans

l’évier et se dirigea vers le living-room, décidée à interrompre cet entretien qui n’en finissait plus. Lorsqu’elle passa devant l’escalier, les portes du salon s’ouvrirent.

Philip sortit le premier, Mary voulut s’avancer mais le geste qu’il fit de la main l’arrêta. La fermme la salua d’un signe de tête et alla attendre sous le porche. Il monta les marches en courant pour redescendre quelques instants plus tard, vêtu d’un pantalon de toile et d’un pull à grosses mailles. Il passa devant sa femme éberluée sans même lui adresser un regard. A peine sorti, il se retourna et lui enjoignit de l’attendre à l’intérieur.

Elle ne l’avait jamais connu autoritaire.

De la petite fenêtre à côté de la porte d’entrée, Mary le vit suivre dans l’allée celle qui allait perturber beaucoup plus que le cours de leur dimanche.

La femme qui avait attendu à la droite du chauffeur sortit de la voiture. Philip s’immobilisa et la fixa longuement. Elle fuit son regard, ouvrit la portière arrière et s’installa sur la banquette.

Aussitôt il contourna le véhicule pour venir prendre place à ses côtés. Une pluie fine se remit à tomber. Mary ne pouvait distinguer ce qui se passait à l’intérieur, ni se défaire de l’anxiété qui la gagnait.

— Mais qu’est-ce qu’ils foutent bon sang !

Qui? répondit Thomas sans quitter des yeux l’écran de télévision.

Ton père, murmura-t-elle.

Mais l’enfant absorbé par son jeu ne prêtait déjà plus qu’une attention distraite à sa mère. À

en juger par les mouvements de ses bras, Philip était très agité. La mystérieuse conversation n’en finissait plus, et Mary songeait à remonter enfiler des vêtements pour aller les rejoindre, quand elle le vit soudainement réapparaître. À demi masqué par la voiture, il lui fit un signe du bras qui ressemblait à un au revoir. Incrédule, Mary trépigna d’impatience lorsqu’elle vit son mari remonter dans la Chrysler.

— Tom, va me chercher tes jumelles tout de suite !

À la véhémence de sa mère Thomas comprit que le moment n’était pas à la discussion. Il appuya sur la touche « pause >> de sa manette de jeu et grimpa 1’escalier à toutes jambes. Il plongea en apnée dans son coffre à jouets afin d’en extraire l’objet, et également les accessoires indis-pensables auxquels sa mère n’avait pas pensé.

Quelques minutes plus tard, ayant enfilé son casque, sa veste de combat et son petit filet de camouflage vert, passé les cartouchières en ban-doulière, agrémenté sa

ceinture de survie du couteau en caoutchouc, de la gourde, du revolver et du talkie-walkie de son déguisement de combat, il se présenta derrière Mary, la saluant de son petit bras gauche.

— Je suis prêt, dit-il au garde-à-vous.

Elle ne prêta aucune attention à la tenue de son fils et lui arracha des mains les lunettes binocu-laires. Le faible grossissement et les multiples rayures sur les verres n’améliorèrent pas grande-ment sa vision. Elle devinait difficilement son mari dissimulé par l’autre passagère. Il était penché en avant, comme s’il allait poser la tête sur ses genoux. L’anxiété eut raison de sa patience, elle sortit sur le perron, les deux mains posées sur les hanches. Le moteur venait de se mettre à ronronner et Mary sentit les battements de son cœur s’accélérer. La portière s’ouvrit et Philip réapparut sous la pluie; elle ne distinguait que sa tête, son corps était toujours masqué par la voiture. De nouveau il fit un geste timide de la main droite en reculant d’un pas, et la voiture s’éloigna lentement. Mary observait Philip, immobile au milieu de la rue déserte, abandonné au seul bruit des éclats des gouttes sur l’asphalte.

Elle ne comprenait pas ce qu’elle voyait.

Le bras tendu de Philip se prolongeait d’une main légère cramponnée à la sienne. Le baluchon qu’elle tenait fermement de l’autre ne devait pas peser bien lourd.

C’est ainsi que Mary la vit pour la première fois avec son ballon rouge, dans cette lumière pâle où le temps se fige. Ses cheveux noirs en désordre tombaient sur ses épaules, la pluie dégoulinait sur sa peau métissée. Elle paraissait bien mal à l’aise dans ses vêtements étroits.

Sous l’orage qui se mit à gronder, ils remontèrent le chemin à pas lents. Lorsqu’ils arrivèrent tous les deux sous l’auvent Mary voulut le questionner aussitôt, mais il avait déjà baissé la tête, pour mieux tenter de taire sa tristesse.

— Je te présente Lisa, la fille de Susan.

Devant la porte de leur maison, une petite fille de neuf ans dévisageait Mary.

— Maman est morte.

7.

Mary recula pour les laisser entrer dans la maison. À leur passage, Thomas se remit immédiatement au garde-à- vous. Mary dévisageait Philip.

— J ’ai dû rater un épisode, mais tu vas m’en faire le résumé !

La gorge serrée, il n’essaya pas de parler. Il lui avait simplement tendu l’enve1oppe qu’il tenait à la main, et, sans plus attendre, monta changer l’enfant. Mary les vit disparaître dans le couloir et chercha un début de réponse dans la lettre qu’elle venait de déplier.

Mon Philip,

Si tu lis ces mots c’est que c’est moi qui avais raison. Avec mon sale caractère je n’ai pas su te le dire au juste moment, mais j ’avais fini par t’écouter et accepter d ’avoir cette enfant dont je ne connais pas le père. Ne me juge pas, la vie est ici si différente de tout ce que tu as pu imagi-nez; et la dureté des jours appelle parfois le besoin de se réconforter auprès d’hommes de passage. Pour me sauver de la détresse, de l’abandon de soi-même, de cette peur de mourir qui me hante, de cet idiot désespoir d ’être seule, il fallait que je sente parfois monter en moi

la chaleur de leur existence, pour me souvenir aussi que j ’étais en vie. Fréquenter la mort au quotidien, c’est vivre une profonde et envahissante solitude, une contagion. Je me suis répété cent fois qu ’on n’invente pas la vie au milieu de cet univers, mais quand mon ventre s’est arrondi, je me suis prise à vouloir te croire. Porter Lisa en moi était comme trouver de l ’air au fond de l ’eau, un besoin devenu vital. Et pourtant, comme tu le vois, c’est la nature qui a triomphé de mes raisons. Te souviens-tu de ta promesse à Newark, que « s’il m’arrivait quelque chose » tu serais toujours là ? Mon Philip, si tu lis ces lignes c’est qu’il m’est arrivé quelque chose d’assez définitif! Je t’ai cru, et j’ai accepté Lisa avec cette certitude que si je ne pouvais plus continuer; tu prendrais alors le relais de ma propre vie. Pardon de te jouer ce sale tour: Je ne connais pas Mary, mais par tes mots je sais qu’elle aura la générosité de l ’aimer Lisa est une petite fille sau-vage, les premières années de sa vie n’auront pas été les plus gaies. Apprivoise-la, offre-lui cet amour que je ne peux plus lui donner désormais, je te la confie maintenant, dislui un jour que sa mère fut et restera dans ta mémoire, je l ’espère, ta complice d’ailleurs. Je pense à vous, je t’embrasse mon Philip. J ’emporte avec moi les meilleurs souvenirs de ma vie, le regard de Lisa et les journées de nos adolescences.

Susan

Mary froissa la lettre, cherchant à enfermer au creux de la boule de papier le sentiment de refus qui s’installait. Elle contempla son fils qui avait conservé son garde-à-vous.

Elle s’efforça de sourire : « Repos ! >> Thomas lit un demitour sur ses talons et rompit sur-le-champ.

Elle était assise à la table de la cuisine. Ses yeux allaient de la fenêtre à la lettre qu’elle serrait entre ses phalanges. Philip redescendit seul.

— Je lui ai fait prendre un bain et elle a voulu se coucher, ils ont voyagé toute la nuit et elle ne veut pas manger, je crois que cela ne sert à rien d’insister. Je l’ai installée dans la chambre d’amis.

Elle resta silencieuse. Il se leva, ouvrit le réfrigérateur et se servit un jus d’orange, cherchant à travers ces gestes simples à retrouver une contenance. Mary ne disait rien, suivant son mari du regard.

Nous n’avons pas le choix, je ne peux pas la laisser aux services sociaux, je pense qu’elle a eu sa dose d’injustice et d’abandon.

Elle est abandonnée ? répliqua-t-elle d’un ton sarcastique.

Sa mère est morte et elle n’a pas de père, tu vois une différence ?

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