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Ou es-tu - Marc Levy

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08.06.2015
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perdre.

Philip prit les mains de Mary dans les siennes et il les embrassa.

C’est mon enfance qui est morte avec elle et je n’arrive pas à en faire le deuil.

Susan est un prétexte, ton adolescence aussi. Tu peux prolonger éternellement cette partie de ta vie, tout le monde le peut. On rêve d’un idéal, on le prie, on làppelle, on le guette, et puis le jour où il se dessine, on découvre la peur de le vivre, celle de ne pas être à la hauteur de ses propres rêves, celle encore de les marier à une réalité dont on devient responsable. C’est si facile de renoncer à être adulte, si facile d’oublier ses fautes, de mettre l’erreur au compte d’une fata-lité qui masque nos paresses. Si tu savais comme je suis fatiguée soudain. J’ai eu ce courage-là, Philip, celui de t’aimer dans ta vie, qui était si compliquée, comme tu disais au début. Compliquée de quoi? De tes tourments, de tes inachevés ? Parce que tu croyais en détenir le monopole ?

Tu es fatiguée de moi ?

- J ’ai passé tout ce temps à t’entendre, pendant que toi tu t’écoutais, mais l’idée de te rendre heureux me comblait de bonheur, et je me moquais bien des contingences du quotidien. Je n’ai eu peur ni de ta brosse à dents dans mon

verre, ni de tes bruits la nuit, pas plus que de ton visage froissé au matin, mon rêve m’a fait vivre bien au-delà de ça. Moi aussi il m’a fallu apprendre à lutter contre mes moments de solitude, contre mes instants de vertige. Les voyais-tu seulement ? Je t‘ai donné toutes les raisons du monde pour essayer d’admettre que ta terre tournait parfois à l’envers, mais que tu le veuilles ou non elle tourne dans un seul sens, et que tu le veuilles ou non elle te portera sur son dos et tu tourneras comme elle.

Mais qu’est-ce qui s’est passé pour que tu me dises tout ça ?

Rien justement. Il m’a suffi de voir ton corps qui s’éloignait un peu plus de moi chaque nuit, d’ouvrir mes yeux sur ton dos quand avant je découvrais ton visage endormi, de sentir tes mains qui glissaient lâchement sur ma peau, Dieu que j’ai haï tes « merci » quand je t’embrassais dans le cou. Pourquoi n’as-tu pas travaillé plus tard ce soir? J’aurais tellement voulu résister encore et ne rien te dire.

Mais, tu es en train d’essayer de me dire que tu ne m’aimes plus.

Mary quitta le lit et se retourna pour le regarder en sortant de la chambre. Il vit les courbes de son corps disparaître dans la pénombre du couloir, attendit quelques minutes et la rejoignit. Elle s'était assise en haut de l’escalier et fixait

la porte dèntrée en contrebas. Il s‘agenouilla derrière elle et l’entoura maladroitement de ses bras.

— J ’étais en train de te dire le contraire, dit-elle.

Elle descendit les marches, entra dans le salon et en referma les portes derrière elle.

Difficile lendemain d’une nuit qui a délivré les mots qu’on devinait sans vouloir les entendre.

Blottie dans son manteau de cuir, Mary lutte sur le pas de la porte contre le froid engourdissant du matin. Les voix des enfants dans l’escalier se rapprochent, elle crie qu’elle va les attendre dans la voiture, qu’ils doivent se dépêcher, sinon ils seront encore en retard. Philip s’approche, il pose une main sur sa nuque quìl caresse.

Peut-être que je ne te le montre pas comme tu le voudrais, mais je t’aime vraiment Mary.

Pas maintenant, pas près des enfants s’il te plaît, il est bien trop tôt pour faire des crêpes...

Il pose un baiser sur ses lèvres. Du haut de l’escalier Thomas se met à chanter à tue-tête:

« Les amoureux, les amoureux, les amoureux ! », Lisa lui donne un coup d’épaule, et d’un ton qui se veut aussi autoritaire qu’arrogant dit: « Rassure-moi, Thomas, tu vas

passer le cap des sept ans un jour, tu ne resteras pas cormme ça toute ta vie ! » Sans attendre de réponse, elle descend les marches. En sortant, elle subtilise les clés dans la main de Mary et au milieu de l‘allée crie :

« C’est moi qui vous attends dans la voiture, ajou-tant à voix basse tout en grimaçant: les amoureux ! »

Mary descendit l’allée, rangea sa petite valise dans le coffre du 4>X4 blanc, et s’installa derrière le volant.

Tu pars en voyage ? demanda Thomas.

Je vais passer quelques jours avec ma sœur à Los Angeles, papa va s’occuper de vous.

Mary avait garé sa voiture dans le parking et emprunté la passerelle qui conduisait au terminal. Des travaux venaient de s’achever et la pein ture luisait encore. Son avion ne décollait que dans trois heures, l’embarquement n’avait pas encore commencé. Elle était entrée dans le bar et avait pris place sur un tabouret du comptoir. De là elle contemplait les pistes. Un barman à l’accent espagnol lui servit un café au lait. Dans le silence de la salle vide elle laissait défiler devant ses yeux des tableaux du passé : le moment fortuit d’une première rencontre dans l’obscurité d’une salle de cinéma, l‘inattendu des premiers mots prononcés dans la rue, la délica-tesse du trouble qui grise, la confusion du sentiment quand chacun reprend le cours

de sa vie sur des numéros échangés. L’attente qui a irrité l’espoir, des détails qui rappellent celui que l’on ne connaît pas encore, l’émoi du premier appel qui rend le jour suivant si différent, puis le silence qui s’installe à nouveau et le temps qui n’en finit plus de se laisser ponctuer de pensées que l’on ne veut pas deviner. Au milieu de la foule, un regard unique sur Times Square un soir de réveillon, une porte d’immeuble qui s’ouvre sur le petit matin glacial d’une rue déserte de SoHo, et de nouveau l’attente. L’intimité naissante de soirées qui s’achevaient derrière la vitrine de Fanelli’s, un vieil escalier en bois dont chaque marche paraissait plus haute que la précédente quand il avait disparu au coin de la ruelle, des heures passées à observer le téléphone. Au milieu du cortège, les souvenirs de toutes les premières fois: un bouquet de roses rouges abandonné sur son palier, la pudeur des étreintes qui semble donner tant d’importance aux gestes malhabiles, une nuit fragile où l’ou ne cessera de se réveiller par peur d’incommoder l’autre, et ce corps qui ne trouve plus sa position de sommeil, ou ce bras que l’on ne sait plus comment placer.

Et lorsque l’on a deviné que l’attachement reconnu prendra dans sa vie une place que l’on ne soupçonnait pas, les premières peurs: que l’autre s’en aille au matin, qu’il ne rappelle pas, peur de s’avouer simplement que se mettre à aimer c’est devenir dépendant même pour les plus indociles. Les instants qui deviennent les moments originels d’un couple: les déjeuners complices qui se

succèdent, les premiers week-ends, les dimanches soir où l’autre restera quand même, acceptant de rompre les habitudes des rythmes solitaires, les bravades indécentes où l’on évoque des projets, guettant le regard de l’autre, à l’affût si sensible d’un sourire ou d’un silence.

Une vie qui s’installe à deux, comme une délivrance tant attendue. Elle le revoit au fond de la nef dans cet habit de parade qui symbolise l’uni-cité du moment, pourquoi ne se sont-ils pas mariés en tenue décontractée, c’est comme cela qu’ils s’étaient pourtant promis de s’unir ? Ils l’étaient quand il l’avait emmenée à Montclair, visiter la maison où ils étaient maintenant installés. Là, dans l’intimité d’une salle de bains, une lamelle de papier en changeant de couleur changea celles de leur vie, lumière et odeurs d’un après-midi de peinture dans la chambre prochaine d’un bébé qui poussait dans son ventre. Son regard qui s’échappait parfois dans une mémoire qui lui restait inaccessible, l’amour qu’elle voulait lui donner pour le ramener à elle. Elle sursauta quand le serveur la sortit de sa rêverie.

Vous voulez un autre café, madame ? Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous faire peur.

Non, je vous remercie, répondit-elle, je vais embarquer. Elle avait réglé son addition et quitté la salle.

Devant les guichets de la TWA, elle repéra une rangée de cabines téléphoniques, glissa une pièce de vingt-cinq cents dans la fente et composa son numéro de téléphone. Philip décrocha dès la pre-`

mière sonnerie.

es-tu ?

À l’aéroport.

À quelle heure est ton avion ?

La question avait été posée d’une voix triste et douce, elle attendit quelques secondes pour lui répondre.

— Tu es libre ce soir à dîner? Appelle une baby-sitter et réserve-nous une table chez Fanelli’s, je vais échanger une semaine au soleil contre une journée de shopping. Tu t’habilleras d’un jean et de ton pull à col rond, le bleu, c’est comme ça que je te trouve le plus sexy. Je t’attendrai à 20 heures, à l’angle de Mercer et Prince.

Elle reposa le combiné. En souriant, elle emprunta la passerelle qui conduisait vers le parking.

Elle avait passé la journée à prendre soin d’elle.

Coiffure, manucure, pédicure, soins du visage, tout y était passé. Elle sortit de son sac le billet d’avion qu’elle se

ferait rembourser, en vérifia le prix, et s’engagea pour le salut de sa bonne conscience à ne pas dépasser la somme qui figurait dans le coin gauche de la souche. Elle s’offrit un manteau, une jupe, un chemisier en coton et acheta un pull pour Thomas.

Chez Fanelli’s, elle insista pour être placée dans la première salle. Philip fut attentif pendant tout le dîner. Affrontant le vent glacial, ils marchèrent ensuite dans les mes pavées de leur ancien quartier et sans s’en rendre compte se retrouvèrent au pied de l’immeuble où ils avaient vécu. Sous le porche il la prit dans ses bras et lèmbrassa.

Il faut que nous rentrions, dit-elle, il est déjà très tard pour la baby-sitter.

Je l’ai prise pour la nuit, elle accompagnera les enfants à l’école demain, et toi je te conduis jusqu’à l’hôtel où je nous ai réservé une chambre.

Dans la complicité des draps froissés et avant que le sommeil ne les emporte, elle se lova contre Philip et l’entoura de ses deux bras.

Je suis contente de ne pas être partie pour Los Angeles.

Moi aussi je suis content, répondit-il. Mary, j’ai entendu ce que tu m’as dit hier, et je voudrais moi aussi te

demander quelque chose. Je voudrais que tu fasses un effort avec Lisa.

Cinq saisons passaient et Mary essayait de faire des efforts. Philip accompagnait les enfants le matin à l’école, Mary venait les chercher le soir.

Thomas ne quittait plus sa grande sœur à qui il se dévouait. À la bibliothèque de Montclair, il consacrait ses mercredis après-midi à rechercher pour elle tout ce qui touchait au Honduras. Il pho-tocopiait des articles de journaux qu’elle collait dans son grand cahier. Entre les pages elle faisait des dessins tantôt au fusain, tantôt au crayon noir. Lisa l’accompagnait à ses matchs de baseball, elle s’asseyait sur les gradins et quand Thomas tenait la batte, tout le monde s’étonnait d’entendre sa voix s’élever aussi fort en signe d’encouragement. Au mois d’août, ils partirent en camp de vacances. Philip et Mary louèrent une petite villa au bord de l’eau, dans les Hamptons.

Un long week-end d‘hiver ils envoyèrent les enfants en classe de neige et se réfugièrent en amoureux dans un chalet au bord d’un lac gelé dans les Adirondacks. Les binômes se défaisaient peu à peu, pour se reconstituer au fil du temps: celui des parents d’un côté et celui des enfants de l’autre. Lisa changeait aussi, elle abandonnait son corps de petite fille et prenait de semaine en semaine l’apparence d’une jeune fille.

Elle célébra ses quatorze ans à la fin du mois de janvier de cette année 1993 et huit complices de classe se joignirent à la fête. Sa peau était de plus en plus métissée, et ses pupilles de plus en plus brillantes d’indépendance et de caractère.

Mary se sentait parfois dérangée par l’émergence de la beauté de Lisa, particulièrement quand elles marchaient toutes deux dans la rue. Les regards de convoitise des adolescents et moins adolescents lui rappelaient que le temps avait passé, et elle en ressentait une forme de jalousie qu’elle refusait d’admettre. L’insolence et les reparties étaient souvent prétextes à des disputes, Lisa sènfermait alors dans sa chambre où seul son frère avait droit de séjour et plongeait dans son cahier secret qu’elle cachait sous son matelas.

Elle ne prêtait que peu d’attention à sa scolarité, faisant toujours le minimum pour obtenir la moyenne. Au désarroi de Philip, elle ne s’ache-tait pas de disques, pas de bandes dessinées, pas de maquillage et n’allait jamais au cinéma. Elle économisait tout son argent de poche et le confiait à un lapin en peluche bleu, qui faisait office de tirelire grâce à la discrète fermeture Éclair qu’il avait dans le dos. Lisa semblait ne jamais s’ennuyer, même quand elle restait des heures entières à contempler le vide. Elle vivait dans son monde à elle et par épisodes seulement avec ceux qui l’entouraient. Et plus les jours passaient, plus sa planète était distante.

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