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§ 52. Les voyelles nasales constituent une particularité dans le système phonématique du français, qui l'oppose nettement а la plupart des autres langues romanes et même indo-européennes.

En effet, parmi les langues européennes modernes, а part le français, il n'y a que le polonais et le portugais qui con­naissent les voyelles nasales-phonèmes et encore sont-elles d'une nature phonétique fort différente de celle des phonè­mes correspondants du français.

Dans ces deux langues—le polonais et le portugais—les voyelles nasales sont beaucoup plus fermées, ce qui veut dire qu'on les articule en relevant plus ou moins haut le dos de la langue, en abaissant très peu le voile du palais. Cela diminue le rôle du résonateur nasal, l'air expiré pénétrant en petites quantités dans la cavité nasale.

De plus, les voyelles nasales, dans ces langues, sont suivies d'un appendice consonantique. x En polonais, c'est tantôt un [n] — devant une consonne prélinguale kot [kont], tantôt un [m] suivant une voyelle dénasalisce — devant une consonne bilabiale zçby [zem-Ьû], tantôt un [rj ] — devant une postlinguale Iqka [lônka]. La rime du vers polo­nais admet l'alternance : voyelle orale/voyelle nasale. Il n'y a donc que la fin absolue du mot qui met en valeur la voyelle nasale. Ceci diminue de beaucoup le rendement phonologique des voyelles nasales en polo­nais (il n'y en a que deux d'ailleurs). Ce qui oppose encore les voyelles nasales du français а celles du polonais, c'est que leur valeur dans le système phonématique de chacune de ces langues est différente. Les voyelles nasales du polonais représentent des vestiges de l'ancien état de la langue, des restes des caractéristiques du vieux slave, qui perdent de plus en plus leur valeur phonologique. Le français, par contre, a créé ses voyelles nasales-phonèmes а l'époque de sa formation en tant que langue nationale, а l'époque de la constitution du français moderne. Ces voyelles représentent donc pour un Français la norme orthoépique, l'usage vivant de sa langue. Jusqu'au XVIIe siècle on les avait accom­pagnées d'un appendice consonantique tout comme le polonais et le portugais le font aujourd'hui. Cet appendice se maintient actuellement dans la prononciation méridionale (voir § 19).

/. Durée des voyelles

% 53. En plus de sa caractéristique qualitative, toute voyelle possède une caractéristique quantitative. Or, on tient compte généralement de la durée relative du son, soit 1) de la durée d'une voyelle par rapport а une autre dans la même position, soit 2) de la durée de la même voyelle dans différentes positions, soit 3) de la durée qui distingue а elle seule deux voyelles du même timbre.

1 Certains linguistes attestent le caractère phonétique et non phonologi­que de la nasalité en portugais. Voir: Jorge Mora i s-B ar bo s a. Les voyelles nasales portugaises : interprétation phonologique. « Bulletin de la Société polonaise de linguistique», VIII, Cracovie, 1948.

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1. Dans le premier cas, il s'agit de la durée qui accom­pagne la différence de timbre, les deux caractéristiques cons­tituant les traits pertinents du phonème, telles, par exem­ple, les voyelles françaises [o], [0], [a] et toutes les nasales qui possèdent la longueur dite historique : côte, jeûne, pte, pente, conte, teinte, humble.

En moyen français, la soudure des diphtongues et la réduction des groupes de consonnes ont amené un allonge­ment considérable des voyelles françaises: eau>[o:], eu> [0: ], ai, ei>[z:], le radical bast après la chute de l's a reçu un [a:], etc. Cette longueur due tout d'abord а la position du son est devenue aux XVIe et XVIIe siècles une marque de valeur phonologique opposant [i ] а [ir], [e] а [e:], [a] а [a:], etc. en raison du rôle morphologique que jouaient ces voyelles : elles distinguaient le singulier du pluriel, le masculin du féminin.

Ainsi, on prononçait avec un son bref les voyelles fina­les — aimé, ami, perdu (au masculin), avec un son long — aimée, amie, perdue (au féminin) ; avec un son bref — le dé, le sel, le drap (au singulier), avec un son long — les dés, les sels, les draps (au pluriel). « Toute syllabe masculine brève ou longue au singulier est toujours longue au pluriel : des sacs, des sels, des pots... Tous les mots qui finissent par un e muet précédé d'une voyelle ont leur pénultième longue : pensée, année» («Grammaire des grammaires», 1825).

Depuis, les oppositions qualitatives ont remplacé celles de quantité: [o—э:]>[э — î:], [а — a:]>[a — a:], etc.

Néanmoins, le style soutenu utilise parfois cette ancienne marque phonétique а valeur morphologique, surtout dans la lecture de fragments de prose classique. Citons а titre d'exemple une phrase du chapitre «Mort de Christophe» enregistré par P. Fresnay : « et la mort, en brisant les bar­rières de son corps, avait, dans l'me de l'ami (bref), fait couler l'me de l'amie (long) ». Certains dialectes gardent les restes de la longueur vocalique а fonction morphologique, par exemple le normand.

L'opposition qui tombe en désuétude [:] et que certains estiment être phonologique représente justement les vestiges de l'ancienne longueur phonologique. Ce qui explique son caractère caduc en français contemporain (voir § 37).

Est-ce que tout de même la longueur historique n'a pas quelque valeur phonologique puisqu'elle constitue un trait 86

pertinent qui va de pair avec le timbre d'une voyelle ? Exa­minons les faits.

La longueur historique complète n'apparaît qu'en syl­labe fermée а la fin du mot, elle diminue dans la syllabe inac­centuée (syllabe prétonique) précédant immédiatement la syllabe accentuée pour disparaître dans la troisième syllabe а partir de la fin du mot : longue ['I3:gl, allonger Ûэ.'çе], longitude [iDsi'tyd]. Et encore est-elle contestée dans la syllabe prétonique au degré demi-long : ['I5:g] mais Ûэ'çе]. Toute voyelle française а la finale absolue du mot étant brève, la longueur historique est donc d'une utilisation restreinte, elle n'existe qu'en syllabe fermée accentuée. La durée des voyelles [0] et [a], dans ces conditions, con­naît d'ailleurs aussi maints flottements. On prononce avec un [al bref les mots tels que droite, froide, le plus souvent le suffixe -ation, etc. Il paraît que le [0] devient bref devant un groupe de consonnes : neutre, etc.

Comme la durée vocalique est déterminée en français par les conditions combinatoires, c'est-а-dire par la posi­tion du son dans la chaîne parlée (l'accent, le caractère de la syllabe), elle n'a plus de valeur phonologique а elle seule. Se combinant avec le timbre de la voyelle, elle constitue une des caractéristiques du son en question. Au degré demi-long, la durée n'a qu'une valeur phonétique puisqu'elle dépend aussi des conditions combinatoires.

2. Le deuxième cas traite des voyelles qui peuvent re­cevoir en certaines positions, d'ailleurs bien déterminées, une marque quantitative supplémentaire, telles les voyelles françaises en syllabe fermée accentuée devant les consonnes allongeantes [ê, v, 3, z] : j'ai vu ton 'frère, descends dans la 'cave, le concierge est dans sa 'loge, sa robe est 'grise. Quel­ques phonéticiens (M. Grammont, Êг. Nyrop, G. Gougen-heim) attribuent un pouvoir allongeant а la consonne [j ] qui est par elle-même une consonne longue, et au groupe final [vk ] ce qui est а juste titre contesté par plusieurs au­tres (H. Sten, etc.). * La longueur de la voyelle devant [j ] et [vb] relève plutôt du style de la conversation.

On appelle cette longueur généralement « longueur ryth­mique » parce qu'elle se réalise а la fin du dernier groupe accentuel du syntagme (voir § 135, 5).

Il reste donc а préciser le rôle de la longueur rythmique

1 P. Fouché nie le pouvoir allongeant de la consonne [j], tout en partageant l'opinion de M. Grammont sur la longueur de la voyelle de­vant [vk].

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dans la langue française. La longueur rythmique est une durée phonétique et non phonologique parce qu'elle se réa­lise dans une position déterminée et notamment, en syllabe accentuée fermée devant une des quatre consonnes allongean­tes se trouvant а la fin absolue du mot en fin de syntagme : Bref — après avoir lu [apBeza- Long— le verbe avoir [læ уеêЬ^а-

vwab'ly] 'vwarK]

rouge-gorge [Kus'gOBs] un cahier rouge [ôe ka-

lève-toi ! [bv'twa] je'Kurg]

brise-glace [bidz'glas] je me lève [303 m'h:v]

verte ['veut] il brise [il 'brBirz]

fourbe ['fuKb] vert ['vs:k]

four ['fu.-ê]

Sont susceptibles d'être longues dans le cas de longueur rythmique toutes les voyelles orales brèves а l'exception du son [e] qui ne se trouve jamais dans la position mention­née : je tire, ça dure, nous sommes douze, voilа une chaise, l'ai peur, vous avez tort, je pars.

3. En troisième lieu, il s'agit d'une longueur а valeur phonologique puisqu'il n'y a qu'elle seule qui oppose deux sons dont les timbres sont identiques. Tel est, par exemple, le cas des voyelles de l'allemand [a — a:] : die Stadt (avec un [a] bref) — der Staat (avec un [a] long). La durée y est suivie toutefois de quelques modifications qualitatives aussi faibles soient-elles. Il n'existe pas de longueur phonologi­que en français contemporain (pour le [e:] voir § 37).

Quelques phonéticiens (L. Scerba, G. Straka) allèguent de nouvelles oppositions quantitatives qu'ils supposent sus­ceptibles de remplacer les oppositions qualitatives, celles-ci subissant un affaiblissement en français contemporain, par exemple, veule t'væ:l]— ils veulent [il'væl], tous f'turs] // tousse [il 'tus], boîte f'bwait]— il boite fil 'bwat], etc. D'autres (P. Fouché, H. Sten) les estiment douteuses parce qu'elles n'ont pas de caractère absolu ; leur emploi ou leur non-emploi dépend du groupe social auquel appar­tiennent les interlocuteurs, du style, et le plus souvent elles ont une caractéristique personnelle (individuelle) de la prononciation. г

1 Sur le plan phonétique, d'après les recherches faites par Marguerite Durand, la différence de quantité perçue par notre ouïe serait plutôt une différence de mélodie et non pas de durée. La longueur est caractérisée par un ton descendant et le caractère bref de la voyelle est lié а un ton ascendant ou uni, tandis que la durée peut être la même pour une voyelle perçue comme longue et pour une voyelle perçue comme brève. Voir les schémas mélodiques chez B. Malmberg. La phonétique. PUF, 1954, p. 93.

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g. Conclusion