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Софи Марсо.Лгунья(фр.ч-1).rtf
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Il ne m’etonnera jamais, il est fige dans ses murs. Seule la nuit ramollit les espa­ces, mais je n’aime pas la nuit, et je dors.

Nous avions l’habitude de nous retrou­ver trois matins par semaine. Il arrivait,

frais et simple. Je venais de me reveiller, pliee dans mon carre, les jambes lourdes, le corps en manque d'oxygene. Je le sen­tais vite mal а l’aise, presse de s’echapper et d'aller respirer dehors, sous les petits carres de ciel bleu. Je le suivais avec plai­sir — je l'aurais suivi n'importe ou. Sa main chaude et tendre etait le premier signe de vie dans toute cette masse indo­lente. Dans sa main, je retrouvais mon coeur d'enfant. J'imaginais le soleil, l'eau, je me transformais en gros ballon. Mes yeux s’elargissaient, j’etais redevenue legere. Lui ne changeait pas. Il ne me lachait pas la main. Il sentait toujours ce quelque chose, quelque chose comme de la peur.

Je me faisais des idees, j’arrangeais le monde а ma facon, je m’inventais un per­sonnage. J’etais l’heroпne d’un film ameri­cain. Les pieds ecrasant le grouillement du monde, je sortais mon arme et tuais les mechants. Je mourais laissant derriere moi la desolation. La fiction devenait la realite, j’avancais sans rien regarder. Et je l’ai vu. Un homme etait lа а cote de moi, le corps fou. Il ne pouvait pas me voir, ses yeux etaient absents, rouges d’epouvante et de fatigue. Comme si une main sortant du sol m’avait attrapee par le cou pour me faire baisser la tete et me forcer а comprendre la seule chose qu’il y avait а comprendre, j’ai regarde ses pieds. Alors j’ai senti mon coeur se dechi­rer, et dans la dechirure battait le nerf du mal, la verite de ce monde. Cet homme, vide, aspire, n’avait plus de lui-meme. Il n’avait plus de chaussures.

J’ai senti cette fragilite. Sous mon doigt, les palpitations affolees de l’aile du papillon.

C'est avec ce meme doigt que je me souviens d’avoir touche pour la premiere fois la main d'un enfant, laissant glisser mon index dans la paume molle, si douce que le doigt s’etonne d’un tel toucher. Dans cette main, le message d’un autre monde est encore suspendu, comme un signe ancetre de nos ecritures du Temps, retrouvees au fin fond d’une vieille terre desolee, abandonnee, ou quelques crea­tures inconnues respirent encore. Cettemain m'a reliee а mon monde, а mes ori­gines. Elle m’a dit qu’elle me connaissait et des tas d'histoires me sont revenues а l’esprit, et m’ont dit que peut-etre je ne vivais pas pour rien.

II

Une main s’etait posee sur mon epaule, comme une colombe porteuse d'un mes­sage. Cette grande femme que je connais­sais et reconnus tout de suite, me reveilla de ma torpeur melancolique. Mon corps etait chaud, mon visage pale. Je la voyais, elle, rouge d’excitation, de la salive mous­sait au coin de sa bouche. Ses cheveux etaient boucles comme ceux d'une dame qui sort de chez le coiffeur. Elle arrivait du fond de la salle, essoufflee, maigre mais douce et rassurante. Elle me dit de but en blanc qu’il voulait me rencontrer, ce soir, tout de suite, qu’il arrivait. Des choses s’etaient manigancees sans que j’en sache rien. Elle venait me reveiller, me tendait la main comme si elle savait combien je m’ennuyais, comme si elle savait...

« Il vous veut pour son prochain film...

»En ce temps-lа, je vivais а Nice, lа ou il y a des galets sur la plage, en haut de la pro­menade des Anglais, juste au-dessus d'un virage, dans un petit hotel abrite solide­ment par un roc recouvert d'arbres qui l’entouraient gracieusement. J'entendais la mer, il suffisait d’entrouvrir la fenetre.

s

A ce moment, je repetais, au Theatre de la ville, La Megere apprivoisee. Je servais gentiment les besoins d'un acteur egocen­trique en panne de ce sex appeal que seuls les acteurs de cinema sont obliges d'avoir, et je comblais mes manques en etant son faire-valoir, а lui, l'homme, le heros, l'ac­teur. Mais c'etait Shaoespeare que j’avais accepte de servir, je tenais donc peu compte de la mise en scene de mon parte­naire.

Des amis sont venus me chercher pour que j’assiste а la representation d'un film, projete ce soir-lа au Grand Palais du Fes­tival. Je portais des bottes en caoutchouc, je rentrais d'une promenade sur la plage et pour ne pas me faire mal а marcher sur les galets, j'avais trouve cette solution: marcher sur le sable les pieds dans l'eau, avec mes bottes. Mes joues devaient etre

rouges comme mon nez, ma figure fraiche et ferme. Cannes me sembla grouillante et fardee. Je restai sans maquillage, m’ache­tai un chapeau de paille noire pour cacher mes cheveux lisses ; je trouvai une robe а pois legere, et les jambes raffermies par la mer et la marche, j’enfilai des sandales que j'accrochai autour de la cheville et qui m’elevaient de huit centimetres au moins.

J

F

e le regardais pour la premiere fois comme je le regardais encore douze ans plus tard, avec confiance et etonnement. Pourtant, je ne le connaissais pas.

Il s'est assis au milieu de la salle, atti­rant а lui le flux et le reflux des energies instables qui parcouraient la grande salle capitonnee. Son film allait griffer la toile et les yeux aveugles. Il se mordait la levre. Je les ai reconnus, lui et son equipe — on reconnait toujours l'actrice qui est а l'hon­neur ce soir-lа.

Elle est plus petite qu'on ne l’imagine, et plus menue — l'ecran grossit. Sa tenue est sobre, on dirait qu’elle est inquiete. Les poils de son grand boa noir tombant dans le creux du dos tremblent et glissent

sans cesse de ses epaules athletiques et blanches. J'etais au milieu, immergee dans des vagues de smooings, lа ou l’on voit le mieux, lа ou l’on est invite.

J’ai du le voir s’asseoir et, bien que je ne m’en souvienne pas, je l’imagine mainte­nant passant la main dans ses cheveux, comme il a l’habitude de faire toujours. Ses mains sortent pointues des manches de son smooing, ses epaules larges concen­trent toute sa nervosite, soutenant l’epaisse veste, trop chaude en cette saison. Et je sens la respiration irreguliere de son coeur, je devine son visage emu, pale comme celui d’un prisonnier а son premier jour de liberte. Cela compte pour lui detre lа.

La lumiere n'est pas encore rallumee que dejа des applaudissements se font entendre. Des acclamations mal contenues eclatent. Je souris, heureuse qu’on crie а ma place. Je me souviens de lui alors, debout, retourne vers moi, saluant la salle. Il ne me voyait pas.

Ce fut le passage а vide, la respiration avant le saut. La partition prevoyait а la grace de Dieu — et de celui qui joue le hoquet d'une syncope. Et c'est dans mon chateau, lа-haut sur le rocher, juste au- dessus du virage, que je retournai remplir mon sac troue. Les pieds engloutis dans les sables mouvants, je batissais eperdu­ment l'echafaudage branlant de ma nou­velle vie de jeune fille.

J’avais des amants, plusieurs а la fois. Un homme marie, qui avait attendu que sa femme parte avec ses deux petits, qui avait attendu aussi que je grandisse, car la premiere fois que nous avions travaille ensemble je n’avais que treize ans. Je le retrouvai quelques annees apres, il ne m'avait pas oubliee. Il avait compte les jours, et le soir du depart de sa bien- aimee, il etait dans mon lit.

Je l'aimais bien, il aimait l'amour. Il me parlait de sa femme ; me disait qu'elle fai­sait du trente-quatre en pantalon, et qu'elle avait su rester mince apres ses accou­chements. Il repetait que lors du dernier weeo-end passe ensemble dans la piscine du regisseur principal, nous voir nager l'une а cote de l'autre l'avait excite. Je ne trouvais pas cela bien, mais depuis quelque temps je voguais dans la vie bete­ment. L'ennui faisait de moi une idiote, attiree par tout ce qui se dit ou se fait,couchant, fumant, buvant. La vie coulait sur moi comme les hommes et l'alcool, qui me rendaient triste et exuberante.

Cela ne dura pas plus d’un printemps. J’envoyai balader rapidement l'un d’entre eux, le plus amoureux peut-etre, le pre­mier. Je gardais le deuxieme, l’officiel clan­destin. Le troisieme m’avait tout de suite degoutee. Il ne me posseda qu’une fois, et je suis restee des heures entieres assise sur un talus d’herbe fraiche, le corps sali, avec l'envie de vomir. J’aurais voulu me decou­per en morceaux, ne plus etre moi-meme, faire disparaitre ses mains qui m'avaient touchee, son sexe, son souvenir, me fondre en plomb et bruler ces impuretes.

Cette annee-lа, un ami producteur de films qui, par hasard, avait produit au theatre On ne badine pas avec l'amour, et moi-meme avions trouve а la derniere minute deux chambres а l’hotel Majestic, а Cannes. L’une etait petite et pas chere — une chambre de depannage en quelque sorte —, l’autre venait а l'instant de se liberer: c'etait une suite, grande et chere. Il s’amusa de la situation, en retraca le symbolisme et m'offrit dans un elan de bonheur simple de m'installer dans la suite des stars. J’y restai une nuit.

C’etait la derniere du vieux palais blanc. Moi aussi, j'etais habillee en blanc d’une combinaison dos nu, une salopette ele­gante en satin de coton, le cou barre d’un petit col. Je marchais sur le tapis rouge, j'etais une enfant grande, la foule et les invites du festival me remarquaient. Le matin, je plongeais dans la piscine deserte de l'hotel. Je traversais le hall encore mouillee, mal enveloppee dans la serviette de bain, pieds nus sur la moquette grise qui epongeait au passage l'eau degouli­nant du maillot et de mes cheveux que je n'avais pas essores. La chaleur de l’air m’avait fait oublier qu’il fallait se secher. Entre les habits sombres des maitres d’ho­tel, je me faufilais jusqu’aux ascenseurs. Dans la cage, les pieds nus recroquevilles entoures de semelles menacantes et dures, m’enroulant pudiquement dans ma ser­viette humide, je me faisais toute petite entre deux hommes jumeaux vetus de smooings identiques, fatigues, exhalant des vapeurs froides de cigare et de parfum poivre. Je montais me changer, eux ren­traient se coucher

.Cet ami producteur nous a fait nous rencontrer. Nous etions tous les trois assis а la terrasse de l'hotel, je ne sais plus comment, je ne m’en souviens pas. Lui m’avait vue dans la piscine, moi je regar­dais ailleurs, j’etais jeune. Il s'est imagine des choses, m’a-t-il dit plus tard, il ne sait pas quoi: le souffle d’une vie entiere qui passe en une seconde, ou quelque chose comme ca.

«Comme une colombe porteuse d’un message. »

Cette main longue et seche etait amie. Elle me frola delicatement l’epaule avec l'energie saine d’un ange qui caresse la peau et la purifie d’un seul attouchement. Je me sentais coupable et j’avais envie de pleurer, je me retrouvais comme quand j’etais petite, triste et jolie comme une poupee qui pleure quand elle ecrase par inadvertance un escargot cache sous une feuille sur un chemin mouille. Le bruit et la sensation de la coquille qui se brise sous le pied, et il est trop tard, c’est la mort de l’animal, les petits bouts de coquillage eparpilles en mille morceaux, mystere de pierre et de vie, inrecollables.

Quand il a descendu l'escalier, je n'etais pas plus grande et j’avais toujours cette envie de pleurer.

Il est yenu jusqu'а moi. Comment savait-il? A contre-courant de ma vie, il est venu а rebrousse-chemin, lave par les poils geants de la fourrure d’un chien, sauvage et pur, suivant son pur instinct d’homme. Il est venu me chercher. Il s’est approche poliment, comme le prince d'un conte sous le tilleul en fleurs. Assise а la lourde table de fer ajouree de dessins ronds, les coudes en V sur le plateau, je l'ecoutais me parler, prise en faute par tant de clairvoyance. Il me racontait son film, rien de plus, je decelais en lui un double. Je ne me l'expliquais pas, j'etais bien. Je savais qu’il me protegeait.

« Car l’Amour possede deux visages, l’un blanc et l’autre noir ; deux corps, l'un lisse, l'autre velu. Il a deux mains, deux pieds, deux queues; il a de chaque membre, en verite, un double exactement contraire, mais si etroitement lie а lui qu'on ne peut l’en disjoindre. » Virginia Woolf s’inquie­tait de l'amour, moi je le decouvrais.

Et pourtant ce sont les hommes qui ontpeur des femmes. Sommes-nous velues? Ou cachons-nous notre queue? Dans le dos ! Saьl Bellow dit que les femmes man­gent de la salade verte et boivent du sang humain, et tous les autres aussi, qui nous decrivent comme des creatures du Mal — la Bible en premier lieu. Si je m'in­terroge, je me fais peur а moi-meme. J’en ai vu des regards intrigues, mefiants, ne sachant pas s’il fallait se livrer ou se reti­rer. J’ai tente de rassurer, d'expliquer, j'ai meme jure ce dont je n'etais pas sure moi-meme — que je suis incapable de traitrise. J'y crois toujours. Les hommes jugent par les actes, les femmes par la foi. Nous ne voyons pas la folie, elle est en nous, comme l'hysterie dans notre ventre. Nous nous voyons laides quand nous sommes un peu plus jolies d'etre plus douces et moins appretees, et nous nous croyons belles quand nous sommes sures de nous, donc un tantinet plus vulgaires, c’est-а-dire communes.

Nous sommes le commun, nous sommes la terre. Nous vivons sous terre et man­geons de la terre, fertiles, obscures, lourdes. Leurs pieds а eux se collent, s’em­petrent, et nous ne bougeons pas. Les stars de cinema, les vraies, ne sont stars que quand elles ne le savent pas encore. Die- trich dans L’Ange bleu, Marilyn, figurante petite et grosse comme elle a su — ou pas su — le rester jusqu'а sa mort. Et Garbo comme on ne sait pas, unique, androgyne, echappant aux regles communes des femmes et trop belle pour les hommes. On lisait dejа sur le visage d’Orlando les traces d’une feminite imminente. «Sur l’homme obscur est repandue la tres gra­cieuse effusion de l'ombre. »

Est-ce cela qui m’a rassuree? Sentir dans la fine decoupe de son oeil s’immis­cer une lueur platine, timidement battue par des cils noirs legers. Une tempe etiree sur un os blanc, hautement place, ques­tionnant le regard de l’homme affirma­tif, de l'homme encore petit garcon qui marque lа un point non resolu de sa vie, l'homme fragilise par une mere trop peu presente dont il a appris les sorcelleries, et par une guerre femelle et assassine, qui l’a couve comme son enfant, l'a protege sous ses bombes — mere monstrueuse qui copulait avec le Diable devant l'orphelin trahi et solitaire.