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Anatole France (1844-1924)

Né à Paris, fils d’un libraire, Anatole Thibault s’initie dès l’enfance au culte des beaux livres. Son père, libraire au quai Malaquais, était connu sous le pseudonyme de « France », que son fils devait illustrer. Anatole France grandit donc au milieu des livres et fut toujours un acharné « bouquineur ». La vaste érudition, philosophique et littéraire, dont ses ourvres témoignent, est le fruit de longues études. Il se prépara longtemps à son métier d’écrivain, lisant et méditant, composant quelques vers dans le goût parnassien et collaborant à des travaux de librairie. Il débute enfin par un chef-d’oeuvre, Le Crime de Sylvestre Bonnard.

Il évoque ensuite ses souvenirs d’enfance dans Le Livre de mon Ami (1885) et aborde le roman historique dans Thaïs (1889). Puis il revient au conte philosophique avec La Rôtisserie de la Reine Pédauque(1892) et Les Opinions de Jérôme Coignard(1893). Il sait composer un récit avec un art extrême, il a le sens du pittoresque, il observe la vie contemporaine avec une rare sagacité, il sait analyser le coeur humain avec clairvoyance, mais la saveur de son oeuvre est dans la pensée philosophique, éparse en d’ingénieuses conversations, en des méditations subtiles.

Anatole France est un très grand artiste ; il a toujours gardé le culte de la beauté, seule chose il n’ait point douté. Son oeuvre est la fleur du génie gréco-latin : en plein symbolisme, son style est d’une pureté, d’une clarté et d’une harmonie, inégalées semble-t-il. Il a tous les tons, du pathétique éloquent à l’ironie souriante.

Le Crime de Sylvestre Bonnard

Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut, s’est endormi sur son bureau et rêve qu’une petite fée lui apparaît, assise sur le dos d’une vieille Chronique de Nuremberg. Selon la manière favorite d’Anatole France, l’amusante conversation entre le respectable érudit et la « petite personne » va nous conduire à des réflexions sur la science et le rêve poétique qui sortent du cadre de cette anecdote pleine d’humour.

Je vis tout à coup, sans m’être aperçu de sa venue, une petite personne assise sur le dos du livre, un genou replié et une jambe pendante, à peu près dans l’attitude que prennent sur leur cheval les amazones d’Hyde-Park ou du bois de Boulogne. Elle était si petite que son pied ballant ne descendait pas jusqu’à la table sur laquelle s’étalait en serpent la queue de sa robe. Mais son visage et ses formes étaient d’une femme adulte.

(A la magnificence du costume médiéval, à la baguette de coudrier, Sylvestre Bonnard reconnaît une fée. Il se dispose à l’acueillir respectueusement, quand elle le traite avec espièglerie, lui jette des coquilles au visage et lui chatouille les narines avec sa plume d’oie !)

« Madame, dis-je avec politesse et dignité, vous accordez l’honneur de votre visite non à un morveux ni à un rustre, mais bien à un bibliothécaire assez heureux pour vous connaître et qui sait que jadis vous emmêliez dans les crèches les crins de la jument, buviez le lait dans les jattes écumeuses, couliez des graines à gratter dans les dos des aïeules, faisiez pétiller l’âtre au nez des bonnes gens et, pour tout dire, mettiez le désordre et la gaieté dans la maison. Vous pouviez vous vantez, de plus, d’avoir, le soir, dans les bois, fait les plus jolies peurs du monde aux couples attardés. Mais je vous croyais évanouie à jamais depuis trois siècles au moins. Se peut-il, madame, qu’on vous voie en ce temps de chemins de fer et de télégraphes ? Ma concierge, qui fut nourrice en son temps, ne sait pas votre histoire, et mon petit voisin, que sa bonne mouche encore, affirme que vous n’existiez pas..

-Qu’en dites-vous ? s’écria-t-elle d’une voix argentine, en se campant dans sa petite taille royale d’un façon cavalière et en fouettant comme un hippogripffe le dos de la Chronique de Nuremberg.

-Je ne sais, lui répondis-je en me frottant les yeux.

Cette réponse, empreinte d’un scepticisme profondément scientifique, fit sur mon interlocutrice le plus déplorable effet.

« Monsieur Sylvestre Bonnard, me dit-elle, vous n’êtes qu’un cuistre. Je m’en étais toujours doutée. Le plus petit des marmots qui vont par les chemins avec un pan de chemise à la fente de leur culotte me connaît mieux que tous les gens à lunettes de vos Instituts et de vos Académies. Savoir n’est rien, imaginer est tout. Rien n’existe que ce qu’on imagine. Je suis imaginaire. C’est exister, cela, je pense. On me rêve et je parais ! Tout n’est que rêve, et, puisque personne ne rêve de vous, Sylvestre Bonnard, c’est vous qui n’existez pas. Je charme le monde, je suis partout, sur un rayon de lune, dans le frisson d’une source cachée, dans le feuillage mouvant qui chante, dans les blanches vapeurs qui montent, chaque matin, du creux des prairies, au milieu des bruyères rosés, partout !.. On me voit, on m’aime. On soupire, on frissonne sur la trace légère de mes pas qui font chanter les feuilles mortes. Je fais sourire les petits enfants, je donne de l’esprit aux plus épaisses nourrices. Penchée sur les berceaux, je lutine, je console et j’endors, et vous doutez que j’existe : Sylvestre Bonnard, votre chaude douillette recouvre le cuir d’un âne ».

Elle se tut ; l’indignation gonflait ses fines narines et, tandis que j’admirais, malgré mon dépit, la colère héroïque de cette petite personne, elle promena ma plume dans l’encrier, comme un aviron dans un lac, et me le jeta au nez le bec en avant. Je me frottai le visage que je sentis tout mouillé d’encre. Elle avait disparu...

(Sylvestre Bonnard consacre sa vie à la recherche d’un manuscrit rare : l’auteur raille doucement cette innocente passion. Mais la vie du vieil érudit se trouve boulversée par la rencontre de la petite-fille d’une femme qu’il a aimé timidement autrefois. Pour arracher la jeune orpheline à l’égoïsme d’un tuteur malhonnête, l’austère savant va commetre « un crime » si l’on juge d’après les lois : il enlève sa protégée ; puis il la marie à un de ses étudiants.)

D’après Anatole France, Le Crime de Sylvestre Bonnard.

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