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L'Ultime Secret.doc
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19.08.2019
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Ils sont tous tellement prévisibles.

Du coup elle n'introduit plus aucun homme dans son châ­teau rêvé.

Elle s'installe dans la salle de musculation et pratique du sport dans sa tête. Mais le sport, même imaginaire, donne soif et faim. Elle a envie de manger. Elle imagine un énorme réfrigérateur qu'elle ouvre et qui est rempli de victuailles. C'est rassurant. Elle invite alors des copines pour un festin. Elle prépare des «trucs qui font grossir». Du gratin dauphi­nois, des lasagnes, des quiches lorraines, des tomates farcies (sans la peau qu'elle digère mal), des brochettes de poulet à la sauce saté, un soufflé au saumon. Et le plus pervers de tous les plats: du cassoulet toulousain avec son confit d'oie et ses haricots gras (ça, même en songe, elle ne se l'autorisait pas jusque-là!).

75.

Samuel Fincher et Jean-Louis Martin répétèrent l'expérience, cette fois-ci non plus avec une femelle en chaleur mais avec de la nourriture. Ils privèrent Freud de manger pendant deux jours. Puis Samuel Fincher le remit dans la cage aux deux sorties. D'un côté un tas de mets alléchants: fromage, pomme, gâteau aux amandes. De l'autre, le levier.

76.

Elle est assise avec ses meilleures amies en train de manger et de parler de leur sujet favori: les hommes. Elles sirotent du café en se gavant de gros gâteaux à la crème. Soudain un manque se fait sentir. Une cigarette. Elle demande à ses amies si elles en ont une et les autres répondent «oui bien sûr». Elles lui donnent du feu, elle fume. Et pourtant son corps demeure inassouvi en nicotine. Lucrèce réclame alors de nou­velles cigarettes qu'elle aspire toutes en même temps. Elle ajoute sur ses bras des patchs à la nicotine. Elle s'en met partout. Mais il lui manque toujours de la nicotine dans le sang. Ses amies lui donnent des chewing-gums à la nicotine. Elle est toujours en manque.

Quelque chose d'étonnant se passe: les murs se lézardent. Ses amies se lézardent. La nourriture pourrit à toute vitesse. Ses amies, effrayées, voient des morceaux de leurs corps tom­ber comme si elles étaient atteintes de la lèpre. Tout pourrit autour d'elle et se désagrège.

Elle seule reste intacte dans un monde lisse à l'infini, une sorte de boule de billard gigantesque. Seule sur une planète lisse, sans la moindre étoile ou la moindre lune dans le ciel. Une immense sensation d'angoisse l'envahit. Elle se réveille, ouvre les yeux dans le noir. Vite, il faut reconstruire le châ­teau imaginaire. Elle s'y emploie, remonte un à un chaque mur, pose le toit. Elle rappelle ses amies. Elles arrivent genti­ment avec un chariot rempli de milliers de paquets de cigaret­tes. Elle les fume dix par dix. Et se sent encore en manque. Le toit du château s'effrite. Les murs s'effondrent comme un château de sable. Ses amies se transforment en petits crabes serrant dans leurs pinces une cigarette fumante. Elle les saisit, et les crabes s'enfoncent dans le sable. Elle se retrouve de nouveau seule près d'un tas de sable avec son immense besoin de nicotine dans le sang.

Elle se réveille à nouveau.

Si je n 'arrive pas à me construire un imaginaire intérieur suffisamment solide, mon psychisme va s'effondrer. Je vais devenir folle.

Elle sait qu'après le rêve viendront les hallucinations, après les hallucinations viendra l'angoisse, après l'angoisse les pro­blèmes psychomoteurs. Il ne faut pas se laisser aller. Penser. Organiser sa pensée. Bâtir une pensée solide qui résiste au temps.

Elle tombe à terre et ne bouge plus.

Un rai de lumière. Il provient de l'œil-de-bœuf. On regarde si elle dort.

Ne pas bouger.

La porte s'ouvre et un infirmier dépose un plateau-repas. Elle ne sait pas quelle heure il est, mais elle reconnaît l'odeur d'un petit déjeuner. Une nuit entière s'est donc écoulée. Elle entrouvre l'œil gauche.

Son cortex occipital voit l'homme. Son cortex temporal associatif lui dit: «C'est l'occasion ou jamais.» Son cortex préfrontal complète: «Il faut le mettre hors service sans que cela fasse de bruit, sans qu'il referme la porte, sans qu'il donne l'alerte.» Son cortex moteur envoie alors très vite un signal aux muscles concernés par l'affaire. Leur puissance est dosée au plus fin.

Avant que l'homme ait pu refermer la porte, elle est debout et lui décoche un coup de pied à la pointe du menton dans un mouvement qui à la fois déchire sa robe pourpre et étend l'infirmier raide au sol.

Elle enfile ses chaussures, saisit une tartine beurrée, la dévore en courant et file dans les couloirs. La mie de la tartine est mâchée, mouillée de salive, elle se transforme en une boule qui descend dans son œsophage, arrive dans l'estomac. Les sucs gastriques la dissolvent. La boule de nourriture des­cend dans l'intestin où les enzymes tirent les sucres de la farine cuite qui traversent la paroi intestinale et se répandent dans ses veines. Ces sucres sont acheminés vers la zone la plus haute de Lucrèce, sa tête. Son cerveau n'a jamais été aussi content de réfléchir et d'entreprendre des actions dans le réel. Un cerveau nourri dans un corps qui agit. Elle sent tous ses lobes qui se réveillent. Le premier cerveau, le cerveau reptilien qui contrôle ses pulsions vitales de survie, goûte le moindre souffle d'air, le moindre contact de ses pieds sur le sol, la moindre vision d'un couloir.

Son cerveau limbique, celui qui n'apparaît que chez les mammifères et qui gère la mémoire et l'apprentissage, cher­che à se souvenir de chaque endroit qu'elle traverse, à analyser les lieux, se cacher au moindre bruit.

Enfin son cerveau cortical lui permet de forger une straté­gie pour sortir de cet enfer.

Tout est stratégie.

Analyse, synthèse, logique, ruse. Elle est prête à agir pour se tirer de là.

La deuxième boule de mie de la tartine qui descend dans l'œsophage sert à nourrir les muscles de ses jambes, très solli­cités eux aussi.

Elle rase les murs pour éviter les caméras de surveillance.

77.

Freud était un peu perturbée.

Fincher et Martin décidèrent de mettre un parcours au point pour observer jusqu'à quel point Freud était capable de se surpasser afin d'atteindre le levier qui délivrait une décharge dans la zone dite de l'Ultime Secret.

Le neuropsychiatre avait disposé une caméra dans son laboratoire pour que Jean-Louis Martin suive tout. En retour, Jean-Louis Martin lui adressait ses remarques et celles-ci apparaissaient sur un écran au-dessus de la paillasse.

La souris, d'abord surprise, aperçut au loin dans le labyrin­the transparent le levier et commença à galoper dans cette direction.

78.

Elle pénètre dans le bureau du fond. Par la fenêtre, elle constate qu'il fait encore nuit. Le soleil ne s'est pas encore levé. Il faut vite en profiter. La pendule indique 6 heures. Tout le monde dort. Elle a un peu de temps devant elle. Elle tente d'utiliser le téléphone mais celui-ci n'a qu'une ligne interne. Il ne faut pas rêver: les malades ne sont pas censés communiquer avec l'extérieur.

Mon portable dans le tiroir.

Elle s'empare d'un fil de fer et commence à trafiquer la serrure

79.

La première épreuve était une porte dont les deux battants étaient retenus par un nœud qu'il fallait défaire. Motivée par la vision du levier, la souris utilisa ses pattes et ses dents pour déchirer méthodiquement les fils.

80.

Le pêne cède. Le tiroir s'ouvre et elle récupère rapidement son téléphone portable. Elle tente d'appeler Isidore mais l'ap­pareil est inutilisable car sa batterie est à plat.

Elle remarque un placard avec des bacs à fiches. Celles-ci portent le nom de tous les malades qui ont été soignés ici: du boulanger au maire de la ville, du préposé aux postes aux milliardaires dont le yacht a mouillé dans le port de Cannes. Tant ont trébuché un jour ou l'autre et sont venus à Sainte-Marguerite. En haut de chaque fiche, une photo, à côté de chaque photo un questionnaire rempli à la main. Les questions portent sur les peurs, sur les espoirs, sur les déceptions, sur les traumatismes de chacun.

Une colonne stipule: «Racontez le moment le plus péni­ble que vous ayez vécu avant l'âge de dix ans.»

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