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L'Ultime Secret.doc
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19.08.2019
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Isabelle se trompa d'oreille et lui murmura dans la mau­vaise:

  • Je suis si contente que tu sois...

Elle hésita à peine:

  • ... vivant.

Le docteur Fincher vous a précisé «oreille gauche» mais c'est oreille gauche pour moi, donc pour vous qui êtes en face c'est oreille droite. La droite!

Heureusement son oreille valide était devenue beaucoup plus sensible et, même si on lui soufflait dans son pavillon mort, il parvenait à distinguer les sons.

Bertrand enchaîna rapidement dans la même oreille:

— Nous sommes tous tellement contents que tu t'en sois tiré, et à la banque on attend ton retour de pied ferme. En tout cas, moi je t'attends pour une prochaine partie d'échecs, dès que tu seras rétabli. Il faut que tu te reposes pour récupé­rer, hein, ne fais pas le mariolle, n'essaie pas de sortir trop tôt.

Pas de risque.

Et n'étant pas sûr d'avoir été compris, Bertrand fit le geste de bouger une pièce d'échecs et lui donna une tape amicale.

Jean-Louis Martin était rassuré. Tout ce qui lui importait, c'était qu'ils ne l'aient pas oublié.

Ah, mes amis! J'existe donc encore pour vous. Comme c’est important à mes yeux de le savoir.

  • Je sais que tu vas t'en sortir, souffla Isabelle, près de son oreille insensible.

  • Oui, Papa, reviens vite à la maison, reprirent les trois filles dans le même pavillon.

  • Je crois que tu es tombé dans le meilleur service de neurologie d'Europe, dit Bertrand. Ce type qui nous a fait entrer, avec les lunettes et le grand front, il paraît que c'est une pointure.

Mais déjà le docteur Fincher revenait et leur signalait qu'il ne fallait pas fatiguer son patient et que pour aujourd'hui ce serait suffisant. Ils n'auraient qu'à revenir le lendemain. Le bateau-taxi viendrait les chercher à onze heures.

Non, laisse-les encore avec moi. J'ai besoin de leur présence.

  • Allez, remets-toi vite, dit Bertrand.

Fincher se mit face à l'unique œil valide de son patient.

  • Vous avez là une jolie famille. Bravo, monsieur Martin.

Le malade du LIS baissa lentement sa paupière en signe d'approbation et de remerciement.

— Votre oreille et votre œil sont la base à partir de laquelle je compte reconquérir tout le territoire nerveux. C'est pos­sible.

Le docteur Fincher s'adressait à lui avec une intensité renouvelée.

— En fait, tout dépend de vous. Vous êtes un explorateur. Vous défrichez un territoire inconnu. Votre propre cerveau. C'est le nouvel eldorado du troisième millénaire. Après avoir conquis l'espace, l'homme n'a plus qu'à conquérir sa propre cervelle, la structure la plus complexe de l'univers. Nous, les scientifiques, observons de l'extérieur, vous, vous allez tout expérimenter de l'intérieur.

Jean-Louis Martin eut envie de croire en cette possibilité. Il eut envie d'être un explorateur à la pointe de la connaissance humaine. Il eut envie d'être un héros moderne.

— Vous pourrez réussir si vous êtes motivé. La motivation, voilà la clef de tous les comportements. Je le vérifie en permanence sur mes malades, mais aussi sur les souris de mon labo­ratoire, et je peux vous le répéter: «Vouloir c'est pouvoir.»

25.

Le capitaine Umberto dévoile un émetteur à infrarouges, deux battants s'écartent et le Charon pénètre dans un petit chenal qui mène à un port aménagé sous le fort dans le creux de la falaise. Ils accostent un ponton de bois.

— Je vais vous attendre là.

En guise d'au revoir, il saisit la main de Lucrèce, la caresse et l'embrasse, puis il lui glisse un objet léger.

Elle regarde ce qu'il y a dans sa main et découvre un paquet de cigarettes.

  • Je ne fume plus, dit-elle.

  • Prenez quand même. Ça vous servira de sésame. Lucrèce hausse les épaules et range le paquet. Elle remet avec plaisir le pied sur la terre ferme. Ses oreilles internes encore sous le choc lui laissent les jambes flageolantes. Isidore la soutient.

— Respirez bien, Lucrèce, respirez.

Umberto ouvre une grande porte d'acier et les fait entrer à l'intérieur de l'hôpital proprement dit. Il referme la grosse serrure derrière eux. Ils ne peuvent réprimer un infime tres­saillement. La peur de l'hôpital psychiatrique.

Je ne suis pas folle, pense Lucrèce.

Je ne suis pas fou, pense Isidore.

Bruit de double tour de la grosse serrure. Et si je devais prouver que je suis sensé, s'inquiète Isidore.

Les deux journalistes lèvent les yeux. La roche est mêlée à de grosses pierres scellées par du ciment. Ils montent.

Ils gravissent les marches avec effort.

En haut, un homme replet à la fine barbe en collier, aux allures d'instituteur et en gros pull de coton, leur barre le chemin, les poings sur les hanches.

  • Qu'est-ce que vous fabriquez là, vous!

  • Nous sommes journalistes, avance Lucrèce.

L'homme hésite puis se présente.

  • Je suis le docteur Robert.

Il les guide vers un escalier abrupt qui mène à une esplanade.

— Nous pouvons effectuer une visite rapide mais je vous demanderai de rester discrets et de ne pas interférer avec les comportements des malades.

Les voici au centre de l'hôpital. Autour d'eux, des gens en vêtements de ville déambulent sur une pelouse en discutant. Ils surprennent une conversation entre deux malades:

— Moi, paranoïaque? Ça ne va pas, ce sont les autres font courir ce bruit...

D'autres, assis, sont en train de lire un journal ou de jouer aux échecs. Dans un coin on joue au football, plus loin on joue au badminton.

  • Je sais, cela peut étonner quand on n'est pas de la mai­son. Fincher a interdit aux malades de traîner en pyjama et il a aussi défendu aux infirmiers et aux médecins de porter la blouse blanche. Ainsi, il a supprimé le fossé entre soigneurs et soignés.

  • C'est pas un peu déstabilisant? demande Isidore.

  • Au début, moi-même je m'emmêlais les pinceaux. Mais cela oblige à se montrer plus attentif. Le docteur Fincher venait de l'Hôtel-Dieu à Paris. Il avait travaillé avec le docteur Henri Grivois qui a importé en France les nouvelles métho­des de psychiatrie canadiennes.

Le docteur Robert les dirige vers un bâtiment surmonté de l'inscription SALVADOR DALI.

A l'intérieur, au lieu des traditionnels murs blancs d'hôpi­taux, il y a des fresques peintes du plancher au plafond.

— La grande idée de Fincher était de rappeler à chaque malade qu'il pouvait transformer son handicap en avantage. Il voulait qu'ils assument leur soi-disant défaillance et qu'ils l'utilisent comme un atout. Chaque pièce est un hommage à l'artiste qui a réussi précisément grâce à sa différence.

Ils pénètrent dans le dortoir Salvador Dali. Isidore et Lucrèce examinent les murs peints, ce ne sont pas que des fresques évoquant l'œuvre de Dali mais des reproductions parfaites de ses tableaux les plus connus.

Le docteur Robert conduit les journalistes vers un autre bâtiment.

— Pour les paranoïaques: Maurits Cornelis Escher.

Les murs sont décorés de fresques représentant des formes géométriques impossibles.

  • C'est un vrai musée, cet hôpital. Ces peintures murales sont superbes. Qui a peint ça?

  • Pour obtenir ce degré de fidélité par rapport à l'œuvre, nous avons fait appel aux maniaques du bâtiment Van Gogh et je peux vous affirmer que ces copies sont fidèles aux origi­naux. Comme Van Gogh qui recherchait le jaune parfait et qui reproduisait mille tournesols avec d'infimes tonalités de jaunes différents pour retrouver la meilleure représentation de cette couleur, les malades d'ici peuvent chercher long­temps avant de retrouver la couleur exacte souhaitée. Ils sont perfectionnistes au dernier degré.

Ils poursuivent la visite.

— Pour les schizophrènes: le peintre flamand Jérôme Bosch. Les schizophrènes sont très sensibles. Ils captent toutes les ondes, toutes les vibrations et c'est ce qui les fait souffrir et les rend géniaux.

Ils retournent dans la cour et circulent au milieu des patients divers qui, pour la plupart, les saluent poliment. Cer­tains parlent à haute voix à des interlocuteurs imaginaires.

Le docteur Robert explique:

— Ce qu'il y a de troublant, c'est la similitude de ce qui nous préoccupe, seule l'amplitude diffère. Regardez cet homme, il a la phobie des ondes de téléphones portables, alors il met en permanence ce casque de moto. Mais qui ne s'est jamais interrogé sur leur nocivité potentielle?

Un groupe de maniaques est en train de retoucher une fresque. Le docteur Robert affiche un air satisfait.

  • Fincher a innové dans tous les domaines, y compris le travail. Il a observé les malades comme personne avant lui. Avec humilité. Sans idée préconçue. Au lieu de les considérer comme des êtres dont il fallait stopper la capacité de destruction ou de gêne pour l'entourage, il a essayé de valoriser ce qu il y avait de meilleur en eux et a cherché à le renforcer. Alors il les a mis face à ce que l'humanité produisait de plus beau. De la peinture, mais aussi de la musique, des films, des ordinateurs. Et il les a laissés faire. Ils se dirigeaient naturelle­ment vers l'art, qui exprime leur angoisse ou leur préoccupa­tion, mais aussi leur langage. Au lieu de les enfermer, il les a observés. Au lieu de leur parler de leur handicap, il leur a parlé de la beauté en général. Alors certains ont eu envie d'œuvrer à leur tour.

  • Et ça a été facile?

  • Très difficile. Les paranos n'aiment pas les schizos, méprisent les hystériques qui le leur rendent bien. Mais dans l'art, ils ont trouvé une sorte de terrain neutre et même de complémentarité. Fincher avait une jolie phrase: «Quand les autres vous font un reproche ils vous renseignent sur ce qui pourrait devenir votre force.»

Une vieille dame, l'air très pressé, accourt vers eux et saute sur la montre de la jeune journaliste pour consulter son cadran.

La jeune journaliste s'aperçoit que la dame a elle-même au poignet une montre. Mais elle tremble tellement qu'elle doit être incapable de la regarder.

— Il est seize heures vingt, dit Lucrèce.

Mais l'autre court déjà dans une autre direction. Le doc­teur Robert leur confie à l'oreille:

— Maladie de Parkinson. C'est le genre de maladie qu'on commence à soigner avec de la dopamine. Dans cet hôpital on ne soigne pas simplement les troubles de la pensée, on soigne aussi toutes les maladies du système nerveux: les Alzheimer, les épileptiques, les Parkinsoniens.

Un malade vient vers lui, fait une grimace et agite une réglette.

  • C'est quoi ça? demande Isidore.

  • Le dolorimètre. C'est en quelque sorte le thermomètre de douleur. Quand un malade vous dit qu'il a mal, il n'est pas facile de savoir si sa souffrance nécessite l'utilisation de morphine ou pas. Alors on leur a demandé de graduer la notion de «j'ai mal» de un à vingt. Ils indiquent ainsi leur douleur subjective.

Deux ouvriers sont en train de poser une plaque commémorative à l'effigie de Fincher. En dessous est gravée sa devise: «Un homme motivé n'a pas de limites.»

Les malades se regroupent pour contempler la plaque. Cer­tains semblent très émus. Une dizaine applaudissent.

— Tout le monde l'appréciait ici, reprend le barbu. Quand Fincher a joué son tournoi contre Deep Blue IV, on a installé un grand écran de télévision dans la cour principale, et vous auriez dû voir, c'était l'ambiance des matchs de foot. Tous hurlaient: «Allez, Sammy! Allez, Sammy!» Ils l'appelaient par son prénom.

Le docteur Robert ouvre la porte d'un bâtiment Animale­rie et dévoile sur des étagères des centaines de souris en cages.

— Ça vous intéresse?

Lucrèce se penche sur les cages et remarque que la plupart des rongeurs ont le crâne rasé et que des fils électriques leur sortent de la tête.

— Ce sont des souris tests. Nous provoquons des crises d'épilepsie puis nous observons comment les médicaments arrêtent leurs crises. Fincher n'était pas qu'un directeur d'hô­pital il restait aussi un scientifique. Avec son équipe il testait de nouvelles voies de recherches.

Les souris sont intéressées par les nouveaux venus et les reniflent à travers les barreaux de leurs cages.

  • On dirait qu'elles veulent nous dire quelque chose, remarque subrepticement Lucrèce.

  • Celles-ci sont plus intelligentes que la moyenne. Leurs parents étaient des souris de cirque et elles ont été éduquées depuis leur naissance à se sentir à l'aise dans les tests. Ensuite nous les plaçons dans ces cages avec les labyrinthes et les jeux pour vérifier si leur intelligence a été altérée.

Les deux journalistes regardent deux souris qui se battent en se frappant avec leurs petites pattes. L'une des belligérantes finit par saigner du museau.

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