
Селях, Евчик - Теория фонетики
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La fonction prosodique du [э] instable consiste en ce que la réali-sation de ce son contribue à maintenir la structure syllabique propre à la langue française dont la syllabe-type est la syllabe ouverte: des autres élèves [de - zo - tra - ze -'lt:v], proprement [pro - ргэ - 'mû], acheter [а-5э -'te], le petite [la - рэ-'tit] .
La fonction prosodique du [э] se révèle encore dans les cas ou sa réalisation est liée à la structure rythmique de l'énonce. En effet, pour e'viter deux accents de suite on prononcera:/'ai trouvé une jo'lie pelouse, mais on dira plutôt sans [d ]; il y a des 'fleurs sur la 'p(e)louse. L'influence du facteur rythmique sur la re'alisation du [э] se voit surtout dans des mots composés comme garde-meuble, garde-barrière, porte-plume, porte-monnaie dont le premier éle'ment est susceptible de porter un accent. En effet, dans des conditions articulatoires et distributionnelles identiques, le [э] instable se maintient à la joncture de deux éléments du mot compose7 lorsque le premier est suivi d'un monosyllabe : 'garde-"meuble, 'garde-fou, 'portée-plume. Au contraire, s'il est suivi de plus d'une syllabe, le [э] instable tombe aisément:'gard(e)-barrière, 'port(e)-crdyon, 'gard(e)-cô'tier. C'est peut-être par le facteur rythmique qu'on pourrait expliquer l'introduction du [э] dans ours blanc, même si la graphie du mot ne le prévoit pas.
Les particularités de la distribution du [э] instable dans la chaîne parlée permettent de l'utiliser pour la de'marcation des mots ou des unités accentuelles. La fonction de'marcative ou délimitative du [э] s'exerce dans le cas de la congruence des limites de la syllabe et du mot, par exemple: quelque chose de ample, je crois que oui, le un, le „i" etc. Le besoin de la délimitation conditionne le maintien du [э] instable dans les groupes de mots tels que laisse-le entrer, regarde-le aller. Le rôle délimitatif de cette voyelle apparaît clairement dans la distribution syllabique des groupes de trois consonnes qui se révèle fort différente selon que ce groupe soit réalisé à la joncture interne (à l'inte'rieur du mot) ou à la joncture externe (à la limite des éléments d'un mot compose', des mots et des unite's accentuelles). Ainsi les résultats de Г enquête de P.Léon [75] donnent 90% de [9] prononces dans appartement, 78%de [э] supprimés dans porte-manteau et 96%de [Э] supprimés dans porte manquée.
Malgré' la différence d'opinions sur le statut phonologique, le timbre et la distribution du [э] instable les linguistes s'accordent à affirmer que cette unité phonique sert de moyen stylistique le plus sûr. Le nombre de [Э] prononce's décroît lorsqu'on passe du langage soutenu au langage familier. Toutefois, la distribution des [э] prononcés ou omis suivant la position ou le contexte phonique est souvent plus important que leur occurence même dans un tel ou tel style du discours.
Le langage poétique a ses propres règles de la prononciation du [э] instable. Le code poétique exige ainsi le maintien du [y] devant
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consonne, même à la fin des mots. Citons, par exemple, ce vers alexandrin de Lamartine: Terre, soleil, vallons, belle et douce nature. (A u -t о m n e). Le [э] instable prononce' systématiquement devant les consonnes contribue, d'une part, à observer la mesure du vers, à ralentir le rythme, un autre élément du code poétique, et, d'autre part, à augmenter la musicalité du vers.
Système consonantique
Les types d'oppositions qu'on dégage dans le système consonantique du français sont moins nombreux que ceux qui caractérisent les voyelles. On n'y retrouve que deux corrélations pertinentes: 1) la corrélation de sonorité qui réunit les consonnes sonores opposées aux consonnes sourdes; 2) la corrélation de nasalité formée par les consonnes orales opposées au consonnes nasales.
Opposition consonne sonore ~ consonne sourde
L'opposition consonne sonore~consonne sourde est la plus importante dans le système consonantique du français. Elle renferme toutes les consonnes-bruits qui se répartissent en deux classes: les occlusives [p] ~ [b], [t] ~ [d], [k] ~ [g] et les constrictives
[f] ~ [ir], [s] ~ [z], [J] ~ [j]. A la différence des consonnes-bruits, les sonantes n'entrent pas dans cette corrélation, parce qu'elles sont sonores par excellence et la sonorité perd pour elles sa valeur distinctive.
La distinction entre les consonnes sonores et les consonnes sourdes est d'un grand rendement fonctionnel en français; elle est valable dans toutes les positions du mot: à l'initiale, à la finale, aussi bien qu'en position intervocalique. Citons quelques exemples: à l'initiale: pas ~ bas, temps ~ dent, quand ~ gant, cri ~ gris, faut ~ vaut, celle ~ zèle, chant ~ Jean; en position intervocalique: dépit ~ débit, défaire ~ des verres, manchon ~ mangeons; à la finale: Alpes ~ Albe, vente ~ vende, roc ~ rogue, vif ~ vive, fasse ~ phase, bouche ~ bouge.
Ce qui caractérise surtout cette opposition en français, c'est son maintien à la finale. En effet, par ce trait particulier le français se distingue nettement d'autres langues, notamment de l'allemand, du russe ou du biélorusse qui ne connaissent que les consonnes sourdes à la finale.
Ce type d'opposition joue un rôle morphologique important, surtout dans la distinction entre le masculin et le féminin des adjectifs: bref ~ brève, actif ~ active, grand ami ~ grande amie.
Il faut noter que les sourdes se distinguent des sonores non seulement par l'absence de sonorité qui leur est propre, mais aussi par une articu-
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lation plus e'nergique, plus forte. Les consonnes sourdes sont appelles fortes par opposition aux consonnes sonores qui sont douces.
Il importe alors de déterminer laquelle de ces deux caractéristiques, la sonorité' ou la force, doit être considérée comme pertinente dans la distinction entre les consonnes sourdes et sonores. A première vue il semble logique de considérer la sonorité' comme le trait essentiel et d'attribuer à la force un rôle secondaire. C'est effectivement le cas dans un grand nombre de langues. Mais en français le problème est plus de'-licat. La complexité des faits en français se révèle surtout dans le cas d'assimilation consonantique qui se produit normalement à la rencontre de deux consonnes différentes au point de vue de la sonorité, que ce soit à l'intérieur d'un seul mot ou dans un groupe accentue!: médecin [m&t'se], absent [ap'stx], bec de gaz [be-g da'oo'z], une robe teinte [yn rop'te:t] En effet, en position d'assimilation la distinction de sonorité disparaît étant donne' que toute consonne sonore devient sourde en contact avec une consonne sourde et inversement. Quant à la différence de force, elle persiste même dans le cas d'assimilation, c'est-à-dire qu'une sourde devenue sonore garde son caractère de forte alors qu'une sonore reste toujours douce, ce qui permet de distinguer vous l'achetez de vous la j(e)tez. Ceci étant, certains linguistes, comme par exemple B.Malmberg [81, p.18], considèrent la différence de force en tant que trait essentiel des consonnes françaises en attribuant à la sonorité un caractère accessoire. Il semble pourtant plus raisonnable d'admettre que la sonorité' et la force vont de pair dans la distinction entre les sonores et les sourdes et que l'une est aussi pertinente que l'autre. C'est le point de vue de A.Martinet, de H.Walter ainsi que de certains autres linguistes Л
Consonnes nasales
L'opposition consonne orale~consonne nasale est également d'une grande importance pour les consonnes occlusives. Elle affecte les bilabiales [p] ~ [b] s'opposant par ce trait à la consonne nasale [m],aussi bien que les apicales [t], [d] qui forment une opposition avec la consonne [n] : [b] ~ [m] — bonté''~ monté, beau ~ mot, robe ~ Rome, habit ~ ami; [p] ~ [m] —peau ~ mot, père ~ mère, Poitiers ~ moitié, crêpe ~ crème; [d] ~ [n] — dette ~ nette, raide ~ reine; [t] ~ [n] — thé ~ nez, cette ~ saine.
Il faut mentionner deux cas particuliers où l'opposition consonne orale~ consonne nasal'e peut se neutraliser au
B.Malmberg a, par la suite, change d'opinion en proposant de considérer la so-noritç comme le trait pertinent dans les cas normaux qui, en position d'assimilation, est remplacé par la force, trait généralement redondant [84, p. 87].
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profit d'une seule consonne nasale: 1) lorsqu'une consonne orale suit une voyelle nasale (somptuaire [8от'Це:г], vingt-deux [vsn'd^] ); 2) lorsqu'elle précède une consonne nasale (maintenant [m£?no], et demi [en'mi], tout de même [tun'mtm]. Il s'agit là des phénomènes d'assimilation de nasalite' dont la re'alisation de'pend en grande partie du débit et du style de prononciation. C'est notamment le style familier qui admet une fre'quence éleve'e de ce type d'assimilation.
L'opposition [n] ~ [71] restant la seule de la corrélation qui renfermait encore la distinction entre le [1] поп-mouillé et le [1] mouille' tend actuellement à l'élimination par la perte de la palatale [71]. Il est évident que c'est la position isolée de la consonne [71] dans le système actuel qui provoque l'instabilité' de sa réalisation, notamment sa confusion avec le groupe consonantique [nj] . Cette confusion, observée encore au début de notre siècle, a tendance à progresser et à changer de sens. Si dans la première moitié' du siècle la confusion se faisait en faveur de l'articulation unique [71], aujourd'hui elle va dans le sens inverse, et c'est le groupe consonantique [nj] qui gagne du terrain. De façon très précise P.Simon [ 101] apporte la preuve expérimentale de la prédominance de ce groupe [nj], surtout en position intervocalique (montag-gnard [rn5ta'nja:r], vignoble [Vi'nJDbl], baignoire [be'njwa:r]. La palatale [71] se maintient avec plus de rigueur devant consonne (enseignement [Sse/t'mS], éloignement [elwaji'mâ], ainsi qu'en position finale (vigne [Viji], ligne ['liji], maligne [ma'li/i] ).
L'instabilité de la consonne nasale palatale []г] en français moderne est équilibrée par l'emploi de plus en plus fréquent de la nasale vélaire [rj] dans les formes en -ing empruntées à l'anglais (camping, shopping, footing, etc.) pour lesquelles on atteste différentes prononciations en finale, notamment [TJ] , []г], [jig ], [Jiji] . Par exemple, le mot camping enregistre' dans le Dictionnaire de A.Martinet et H.Walter f 91] est prononcé7 [kapirj] par la majorité' des informateurs; les autres >ariantes moins fréquentes sont [ka'pyi], [Wpijift], [ka'pi/î<7] • Comme la productivité' du suffixe -ing semble augmenter en français, même pour les mots non empruntes tels que caravaning, on parle de l'apparition d'un nouveau phonème [rj ].
Semi-voyelles, (gemi-consonnes)
Le statut phonologique des semi-voyelles [j], [w], [ц,], appele'es aussi semi-consonnes, soulève de nombreuses discussions de la part des linguistes ce qui témoigne de la difficulté de leur classement.
De toutes les analyses faites deux opinions essentielles se dégagent: 1) les semi-voyelles ne représentent pas de phonèmes indépendants dans le système actuel et doivent être considérés comme les variantes des phonèmes vocaliques correspondants [i], [u] , [y];
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2) les mêmes semi-voyelles sont trois phonèmes indépendants faisant partie du système consonantique du français.
Parmi les linguistes qui refusent aux semi-voyelles le statut de phonèmes on trouve N.Katagoscina, A.Martinet, H.Walter, K.Togeby. Ils classent ces sons dans le groupe de variantes vocaliques en raison de leur alternance avec les voyelles correspondantes en position prévocalique: pied ['pje], nuit ['ni^i], violent [^p'la], noisette [nwa'zet]. Il faut pourtant noter que la règle n'est pas absolue et que certains mots connaissent une double prononciation devant voyelle. Par exemple, les mots du type jouer, échouer, tuer, lier peuvent se prononcer avec une voyelle [ju'e], [eju'e], [ty'e], [li'e] ou bien avec une semi-voyelle fcwe], [e'jwe], [Ч^е], ['lje] . Ces exemples prouvent avec évidence qu'il ne s'agit pas là de variantes combinatoires, parce que les variantes d'un même phonème se réalisent dans des contextes phonétiques différents et ne se trouvent jamais en même position. Les facteurs qui déterminent l'emploi d'une voyelle ou d'une semi-voyelle sont plutôt d'ordre extraphonique, à savoir l'analogie, l'orthographe, l'étymologie, le style, etc.
Ainsi, la prononciation vocalique et par conséquent dissyllabique qu'on observe souvent dans les mots du type jouer, tuer, lier peut s'expliquer par l'influence analogique des formes accentuées je joue, je tue, je lie. L'analogie peut atteindre mime des mots dérivés ou apparentés: jouet [3u'&] ou ['3W£] . D'autre part, les variations de la réalisation des voyelles et des semi-voyelles en position prévocalique sont déterminées par des raisons étymologiques: les mots à prononciation monosyllabique unanime avec [j], [w] ou [y,] sont essentiellement ceux qui, comme pied, tiède, rien, nuit, comportaient une diphtongue en ancien français, tandis que les mots qui font apparaître les divergences, comme lion ou skier, sont pour la plupart ceux qui contenaient un hiatus (rencontre de deux voyelles) dans l'ancienne langue.
Il faut encore mentionner la tendance à l'emploi des articulations vocaliques (diérèse) dans la versification exige' par le code poétique. Ainsi dans ce vers de A. de Musset Un grand lion soulève de la poésie Venise le mot lion est prononcé en deux syllabes [li - '5] afin de maintenir la structure métrique propre à cette poésie.
L'examen des mots caractérisés par une double prononciation prouve avec évidence que les semi-voyelles ne peuvent pas être considérés en tant que variantes combinatoires des voyelles correspondantes et qu'il faut les classer parmi les phonèmes consonantiques. C'est le point de vue de K.Barychnikova, N.Chigarevskaià, M.Gordina, B.Malmberg. Le caractère consonantique de ces sons apparaît clairement dans l'impossibilité' de former le noyau syllabique: ils constituent une seule et même syllabe avec la voyelle qui suit. Certains linguistes attestent aux semi-voyelles le caractère consonantique en raison de l'absence de la liaison et de l'élision avec les mots commençant par ces sons, p.ex.: le yacht,
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les yachts, la Yougoslavie, de yatagan, le huit, de ouate. La liaison et l'élision se font surtout avec les mots dont la formation date de l'époque où les sons à l'initiale étaient des voyelles: les oiseaux, l'oiseau, l'huile,
etc. >
II faut enfin mentionner une situation particulière de la semi-voyelle
[j] par rapport aux autres semi-voyelles: elle s'oppose à la voyelle [i]
en finale de mot ou de syllabe ce qui prouve de façon indéniable son
statut de phonème: abeille [a'bej] ~ abbaye [abe'i], paye ['p&j] ~
pays [pe'i], caillement [kaj'ma] ~ caïman [kai'ma] .
Consonnes gémine'es
La gémination des consonnes consiste dans le fait de leur dédouble-ment dont le trait essentiel semble être la présence de la coupe syllabique entre les deux consonnes identiques: ap — pa, at — ta, in — né, etc. Du point de vue articulatoire la gémination se présente de deux façons:
1. La réalisation d'une vraie consonne double, chacun des deux sons conservant les trois phases d'articulation: la mise en place (l'implosion), la tenue et la détente (l'explosion). Dans ce cas on aura deux implosions, deux tenues et deux explosions. L'articulation double amène à la formation du groupe [tat] ou Jtht] (netteté- [netate] ou [netnte] selon que l'articulation entière est accompagnée ou non des
vibrations des cordes vocales.
2. La réalisation d'une consonne gémine'e caractérisée par l'absence de la troisième phase dans l'articulation du premier son et par le manque de la première phase dans la prononciation du deuxième son. La tenue du second vient se greffer sur celle du premier, et l'on peut constater un fléchissement, une diminution de tension musculaire entre les deux tenues. C'est dans ce point que se produit la coupe syllabique du mot.
Il faut noter que la prononciation d'une consonne double dans le sens propre de ce mot, c'est-à-dire l'observation par chacune des consonnes des trois phases d'articulation, est exceptionnelle en français, on ne la retrouve que dans un langage soutenu, et même dans ce type de langage il s'agit souvent des particularités individuelles.
Le français utilise des consonnes gémine'es dans les cas suivants:
1. Les verbes irréguliers mourir, courir, acquérir, conquérir se prononcent régulièrement avec un [r] géminé au futur et au conditionnel présent pour les opposer aux formes correspondantes de l'imparfait: il mourrait — il mourait, je courrais —je courais, ils acquerraient—ils acquéraient.
2. Une géminée se réalise régulièrement à l'intérieur d'un mot par suite de la chute du [Э] instable: intim(e)ment, net(e)té, éclair(e)ra,^ la-d(e)dans. Ce type de gémination se manifeste à la joncture interne (à la frontière des morphèmes) et a un rendement fonctionnel considérable,
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car il sert à distinguer entre il éclaira et il éclair(e)ra, la dent et là-d(e)dans, intimant etintim(e)ment, etc.
3. Une géminée apparaît sans exception à la joncture externe entre deux mots faisant partie d'un groupe accentuel dont l'un se termine et l'autre commence par la même consonne: petite table, ils montent tous, tu m(e) mens, elle Va vu, grande dette, une noix. Il s'agit également d'une gemmation utilisée souvent à des fins distinctives pour opposer une oie à une noix, il a dit à // l'a dit, tu mens à tu m(e) mens, mon père entre à mon père rentre, etc.
4. Une géminée peut se réaliser dans certains mots savants dont l'orthographe influence la prononciation: addition, immanent, illogique, irrémédiable, Hollande, aggraver, mammifère. Dans ces cas la gemmation n'a pas de rôle fonctionnel ce qui détermine son caractère non-obligatoire: les deux prononciations, celle à consonne simple et celle à géminée sont considérées comme variantes stylistiques ou individuelles. Selon M.Grammont , "la prononciation d'une consonne double à l'intérieur d'un^mot est contraire au ge'nie de la langue française, puisqu'elle a simplifie' toutes les consonnes doubles dans les mots de son vieux fonds" [70, p.90] . Telle est l'opinion de certains autres linguistes (Ch.Bruneau, G.Gougenheim, A.Martinet) qui remarquent que la prononciation d'une consonne géminée est un trait de pédantisme ou d'emphase.
Il faut pourtant noter que les constatations des orthoépistes se trouvent actuellement contrariées par l'usage réel où le phénomène de ge'mination semble s'étendre de plus en plus. Chez certaines personnes instruites on entend fréquemment au sommet [ о sDirim& ], un satellite [sat&l'lit] . On observe même la gémination dans des mots dont l'orthographe contient'une consonne simple :cfesp/iizes diluviennes [ dilly Vjen] . Dans le parler de tous les jours on entend presque régulièrement [ 3 alle'uy] pour je l'ai vu, [imslla'di] pour il me l'a dit. Cette prononciation, emphatique de son origine, a perdu ce caractère particulier pour devenir un phénomène phonétique normal.
A partir des observations sur l'extension de la ge'mination dans l'usage contemporain on pourrait conclure qu'elle tend à devenir un phénomène stable dans le système français.
On distingue généralement une consonne géminée d'une consonne longue prononcée sous l'accent emphatique avec une tenue prolonge'e: magnifique ["m :ajai'f ik], évidamment [e"u:ida'mft], épouvantable [e"p:uvS.tabl] . Dans le cas de l'allongement consonantique la coupe syllabique tombe avant la consonne: [e - "v.i - da -'mu]. Pourtant dans son e'tude expérimentale sur la durée des consonnes M.Durand confirme l'absence d'une distinction régulière entre les consonnes géminées et les consonnes longues. En d'autres termes, les géminées françaises se réalisent ordinairement comme des consonnes longues sauf si on articule soigneusement.
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Cependant la possibilité qui existe de distinguer, si c'est nécessaire, la gemmation de l'allongement permet de considérer ces deux phénomènes comme faisant partie, chacun sur son plan, du système phonétique de la langue française.
NIVEAU PROSODIQUE DU SYSTÈME PHONÉTIQUE DEFINITION DE LA PROSODIE. FONCTIONS DE LA PROSODIE
La prosodie ou l'intonation représente la somme de faits phoniques qui accompagnent ou caractérisent le discours etqui ne coïncident pas avec les phonèmes [74, p. 311].
Les termes "intonation" et "prosodie" ne sont pas identiques surtout à cause de l'emploi abusif du terme "intonation". Un certain nombre de linguistes,(P.Delattre, I.Lehiste) comprennent sous le terme d'"into-nation" les variations de la mélodie de l'énoncé. Dans leurs travaux ayant plutôt une orientation pédagogique le terme "intonation" est employé au sens restreint. Cette définition appliquée à l'intonation est une des plus fre'quentes. D'autres encore (P.-R.Léon, D.Crystal) emploient le terme "intonation" au sens large ayant en vue tous les trois composants du langage oral: le ton, la durée et l'intensité.
L'absence d'une confusion pareille dans l'emploi du terme "prosodie" permet de le choisir comme ayant une définition plus concrète. On classe dans la prosodie tous les faits phoniques de la parole qui n'entrent pas dans le cadre çhonématique (K.Barychnikova, A.Martinet, G.Faure).
La prosodie est conçue en tant que phénomène phonétique complexe. Il s'agit non seulement d'un ensemble des inflexions de la voix qu'on nomme la mélodie de la langue, mais aussi de l'énergie réalisée au cours de l'émission ainsi que du débit de l'énoncé, des pauses, des accents, du rythme et du timbre prosodique^.
Comme tout fait phonique de la parole, la prosodie peut être soumise à l'examen sous quatre aspects: physiologique, acoustique, perceptif et fonctionnel.
L'aspect physiologique de l'étude prosodique prévoit l'analyse de l'activité des cordes vocales et de l'ensemble des organes phonatoires qui est à la base de la formation des variations prosodiques.
Les variations du timbre sont très importantes pour l'analyse prosodique du langage émotif. Les rapports étroits entre le timbre et d'autres moyens prosodiques (mélodie, durée, intensité) prouvent qu'il peut être envisage' comme un des composants de la prosodie. Or, le timbre n'est pas encore assez étudie', on connaît peu ses correlats articulatoires er acoustiques.
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Aujourd'hui on tente d'e'tablir par la méthode électromyographique le rôle des divers muscles du larynx et de la pression sous-glottique dans la réalisation des syllabes perçues comme proéminentes.
L'a spect acoustique de l'étude prosodique prévoit la mesure des paramètres physiques de l'onde sonore: fréquence du ton fondamental, intensité' et dure'e. On étudie actuellement la part de chaque paramètre dans la formation des structures prosodiques significatives. Les paramètres acoustiques sont liés nécessairement à toute activité langagière. Dans la chaîne parlée ils se présentent sous leurs variations constantes. Ainsi A.Martinet note que les faits prosodiques sont des faits phoniques présents dans tout énoncé parlé: "Que l'énergie (intensité) avec laquelle on articule soit considérable ou limitée, elle est toujours là à un degré quelconque. Dès que la voix se fait entendre, il faut bien que les vibrations de la glotte aient une fréquence, ce qui donne a chaque instant une hauteur mélodique déterminée. La durée est un aspect physique inéluctable de la parole puisque des énoncés se développent dans le temps. On comprendra, dans ces conditions, que linguistiquement ces faits ne puissent guère valoir par leur présence ou leur absence en un point, mais plutôt par leurs modalités variables d'une partie à l'autre de l'énoncé*' [90, p. 83].
Le degré de l'intensité de l'articulation et la hauteur mélodique se modifiant d'une syllabe à l'autre, sont des modifications qualitatives de prosodie. Quant aux variations de durée elles peuvent être envisagées en tant que modifications quantitatives.
L'a spect perceptif de l'étude prosodique prévoit l'analyse des rapports des paramètres acoustiques et des éléments perceptibles de la prosodie. On conçoit traditionnellement que les modifications de la fréquence du ton fondamental sont perçues comme une certaine hauteur mélodique. Les variations d'intensité sont interprétées souvent par l'oreille comme différents degrés de force dans l'émission des éléments de la chaîne parlée. Les changements de durée sont corrélés, au niveau perceptif, à ceux du débit.
Il faut noter cependant que l'oreille humaine reçoit des impressions globales de l'énoncé. La structure prosodique est alors perçue dans son ensemble comme contour mélodique avec des mouvements du ton montants et descendants, avec toute sorte de proéminences syllabiques, avec des pauses de différente longueur, etc. [10, p. 49; 14, p. 55]. Actuellement on a déjà établi que la perception n'est pas toujours la correspondance exacte de la production, car l'oreille est incapable de reconnaître avec précision la part qui revient à chaque paramètre acoustique dans la structure prosodique.
Par exemple on ne perçoit pas nécessairement comme la plus forte la syllabe enregistrée comme la plus intense par un appareil électroacoustique. De plus, la perception de la force avec laquelle on émet
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une syllabe dépend non seulement de son intensité mais aussi de sa durée et de sa hauteur. Egalement la perception de la hauteur tonale n'est pas exactement liée aux modifications de la fréquence du ton fondamental mais aussi aux autres caractéristiques acoustiques: l'intensité et la dure'e. C'est à cause de cela que dans des recherches actuelles les'phonéticiens emploient des tableaux de correction permettant de tenir compte de la façon dont l'oreille intègre les uns en fonction des autres la durée, l'intensité et la hauteur de ton.
L'aspect perceptif reste essentiel dans l'analyse prosodique, l'aspect acoustique lui étant complémentaire: les données acoustiques ne peuvent être envisagées comme objectives qu'après être vérifiées par les phonéticiens au moyen de la méthode auditive. [ 11]
Aspect phonologique (linguistique) a pour base l'idée que la structuration prosodique de l'énoncé se réfère au système aussi limité et économique que le système de phonèmes. Cela veut dire que dans chaque langue il existe un système prosodématique déterminé par un nombre limite' d'unités discrètes, prosodèmes [65, p.93-108; 84, p. 10].
Le système prosodique est un composant important du langage au même titre que le système d'unités lexicales et grammaticales. Ce qui rend le système prosodique indispensable c'est sa possibilité d'exprimer des contenus variés qu'on n'aurait pas pu formuler à l'aide des signes lexicaux et grammaticaux. A titre d'exemple F.Carton commente l'histoire du télégramme envoyé par un fils qui n'a plus le sou: "Envoyez-moi de l'argent": la maman est apitoyée parce qu'elle le sent en détresse, le père refuse de secourir parce qu'il trouve au texte un ton comminatoire qui lui déplaît. Donc, restant toujours la même du point de vue de sa structure grammaticale et lexicale, cette phrase peut produire une impression tout à fait différente selon la structure prosodique qu'on lui rend.
L'aspect phonologique de la prosodie prévoit l'étude de ses fonctions. L'analyse des ouvrages sur la prosodie des différentes langues permet de voir que l'opinion des linguistes sur les fonctions des faits prosodiques est loin d'é4re fixée. Certaines d'entre eux avouent le rôle significatif de la prosodie en la classant parmi les faits de grammaire.
Actuellement la recherche des relations directes entre les unités prosodiques et grammaticales peut être envisagée comme une étape déjà passée et l'application à la prosodie des fonctions telles que grammaticale, syntaxique, syntagmatique n'est pas complètement justifiée. Car la phonétique étant liée avec la grammaire ne la dessert pas: ces deux systèmes de la langue sont indépendants bien que complémentaires (BJVIalmberg).
Il en est de même des relations de la phonétique et du lexique. Chacun sait que le sens d'une phrase est plus que la somme des sens
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des mots qui la composent. Comme écrit K.Barychnikova, en prononçant une phrase nous la chargeons d'une signification unique et «'est à
la prosodie que cette fonction reste réservée [11, p.11-12].
Cela étant, les faits prosodiques forment un système souverain, ns assument dans le discours des fonctions déterminantes. La difficulté' de séparer les fonctions prosodiques vient de ce que dans le discours oral l'information est donnée par plusieurs systèmes: phonétique, grammatical et lexical,tous présents à la fois, et n'importe lequel peut dominer l'autre [E.Uldall] .
Cependant on peut nettement distinguer trois fonctions essentielles de la prosodie [41; 90; 64; 11] :
La fonction distinctive qui permet la compréhension du contenu et sert à la distinction des types communicatifs du message. C'est plutôt la mélodie qui est chargée de cette fonction dans la chaîne parlée.
La fonction délimitative ou démarcative qui vise à de'-gager les limites des unités significatives et de les hiérarchiser dans le discours.
Dans l'inventaire des éléments prosodiques ce sont les différents types d'accents et de proéminences syllabiques qui assument cette fonction organisatrice parfois dénommée accentuelle ou contrastive.
La fonction expressive selon laquelle on nuance le sens par l'expression de toutes sortes de connotations modales et émotionnelles (on souligne l'importance de certaines unités, on exprime son attitude envers le sujet de conversation, ainsi que toutes sortes de sentiments: étonnement, joie, etc.) et donc on produit sur l'auditeur une certaine impression prévue.
On peut rendre au message cette information supplémentaire à l'aide des moyens prosodiques différents:
a) par l'allongement expressif des voyelles ce qui rompt le schéma syllabique attendu: homme extraordinaire — [onf~èks"tro:rdiln£:r] ;
b) par un accent d'insistance qui modifie sensiblement la courbe prosodique:
Et tu dis qu4ls n'aiment pas les étrangers? — Oh! ils aiment les gouverner!
c) par la prononciation syllabique du mot accentue': [% - k~3 - tes -'tabjj, [£-krwa-'jabl] ;
d) par une pause devant le mot mis en relief: Qu'elle vienne ... immédiatement! Si le mot qui suit la pause commence par une voyelle, celle-ci est parfois prononcée avec un coup de glotte;
e) par l'emploi de l'implication: on ne dit pas bonjour de la même façon selon que l'on implique monsieur ou mon vieux (Les exemples sont empruntés à M.Mùller-Hauser et F.Carton [93, p.17-25; 54, p. 116]).
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UNITÉS PROSODIQUES
La phonétique fonctionnelle se propose comme but principal la description de la forme ou structure de l'expression linguistique dans deux plans: syntagmatique et paradigmatique. Le plan syntag-m a t i q u e prévoit l'étude des résultats de la segmentation linéaire du discours en unités prosodiques. L'unité prosodique minimale qui se dégage sur le plan syntagmatique est la syllabe, l'unité hiérarchique plus grande est l'unité accentuelle, ensuite vient la phrase, unité principale de communication.
Le plan paradigmatique prétend fournir une description du nombre limité d'unités prosodiques significatives, des proso-dèmes, reçus au cours de l'analyse par oppositions.
SYLLABE
La syllabe est une des notions fondamentales de la phonétique. Les méthodes de lecture s'appelaient jadis syllabaires et les premiers pas du développement de l'écriture prouvent que l'unité minimale y était la syllabe. Les unités anciennes des systèmes phonologiques indo-européens étaient des phonèmes syllabiques. La segmentation du langage en syllabes précédait sa division eti lettres. Même les premiers alphabets étaient syllabiques et il a fallu beaucoup de temps pour en délimiter les éléments plus petits. Il est manifeste que la division de la chaîne parlée en syllabes précédait sa division en mots.
A la première approche la notion de syllabe (bien définie par Aris-tote) est en français assez claire: à l'intérieur d'une syllabe les consonnes présupposent l'existence des voyelles, mais non l'inverse. Quelques voyelles peuvent constituer a elles seules une syllabe et même une phrase ("Où? "). La syllabe est une structure phonétique formée par là combinaison de voyelles et de consonnes dont le noyau est une voyelle.! La consonne ne forme pas généralement le sommet syllabique ce qui est conforme à l'étymologie du mot consonne — " qui sonne avec" (lat. cônsonus, cf. grec, symphônia). On peut accumuler plusieurs consonnes: [t, tk, tkp], ce ne sont que des éléments marginaux parce qu'elles ne forment jamais une syllabe. En revanche si l'on dit [&] c'en est une: haie, aie, est, etc.
Cependant le problème de la syllabe est loin d'avoir reçu une solution satisfaisante. Parmi les problèmes à résoudre on peut nommer celui de son origine (sa nature), de la répartititon syllabique de la chaîne parlée, de la structure de syllabe.
1 Cependant dans l'interjection "psst" c'est la consonne "s" qui forme le noyau syllabique.
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I
Théories sur la nature de la syllabe
On compte plusieurs théories de la syllabe, à savoir: la théorie expira-toire (1), la the'orie de sonorité' (2), de l'effort articulatoire (3), de tension musculaire (4).
1. Dans les premières études grammaticales on considérait la syllabe d'un point de vue purement physiologique. Selon cette conception qui reste en vigueur jusqu'à nos jours, chaque syllabe serait formée par une seule et unique expiration (H.Sweet).
Cependant de nombreux phonéticiens se sont rendus compte qu'on pouvait prononcer et qu'on prononçait généralement dans un seul mouvement expiratoire plusieurs syllabes successives. En effet, une expiration englobe toute une série de syllabes formant un ensemble appelé' "groupe de souffle" (P.Passy). Le nombre de syllabes constituant un tel groupe dépend de la capacité pulmonaire, du mode d'économie respiratoire du locuteur, etc.
2. La théorie de sonorité proposée par O.Jespersen affirme que la syllabe contient "le pique" de sonorité détâché des autres par des "vallées" (où la sonorité est moindre) qui servent de lieu de syllabation. La sonorité est présentée comme la prédominance du ton musical au bruit. Cette théorie est une bonne description de la syllabe idéale mais elle ne dit pas ce qui est en toutes circonstances essentiel à la syllabe. Elle ne dit rien non plus sur la frontière syllabique ce qui est important surtout en cas d'accumulation de consonnes.
3. Une autre voie a été tracée par F. de Saussure dans son "Cours de linguistique ge'nérale". Selon sa théorie, dite théorie de l'effort articulatoire, la syllabe est composée de deux phases dont la phase initiale est explosive (désignée par le signe <) et la phase finale implosive (de'-signée par le signet ). Ainsi, le mot particulièrement peut être divise en cinq syllabes comme: [^àr - ti - ky - lj£r - ma] ou bien comme:
т ( ^) 4 *^ i^ ^Ai -^^/ X" r^. -,
[par-ti - kyl -jtr- ma] .
L'idée de F. de Saussure était excellente, mais elle suppose des regroupements des sons très réguliers, ce qui se trouve en désaccord avec la réalité. De plus elle n'est pas en mesure de faire comprendre certains phénomènes comme les différences de syllabation dans diverses langues ou le caractère monosyllabique des mots du type Obst (allem. — fruit).
4. La théorie syllabique de M.Grammont dite théorie de tension musculaire suppose que l'effort musculaire buccal et laryngien a deux aspects: la tension musculaire peut croître et décroître au cours de l'émission d'un son. Une syllabe est constituée donc par une tension croissante et une tension décroissante. D'après M.Grammont, les voyelles ne possèdent que la tension décroissante. Les consonnes se classent en cinq groupes selon le degré de tension musculaire:
degré 0:p,t,k,b, d,g ;
degrél:f,z/,s, z,J,j ;
degré 2: m, njz;
degré 3:1, r;
degré4: j, w, ^ .
Les consonnes peuvent être à tension croissante ou décroissante suivant leur position dans la syllabe. Au début de la syllabe elles possèdent la tension croissante, à la fin de la syllabe elles sont décroissantes:
a
La frontière syllabique passe devant la consonne à tension croissante, mais après la consonne à tension décroissante. Si les consonnes sont géminées, ayant deux sommets de tension, la coupe syllabique passe au sein de cette double consonne.
La théorie de M.Grammont. fut développée par L.Scerba. Le point capital dans la théorie de L.Scerba c'est l'idée que l'intensité d'une consonne change au cours de son émission. Le fait qu'une consonne soit susceptible de varier l'intensité au cours de la prononciation et donc de se trouver en position croissante ou décroissante explique les différences de syllabation des mêmes complexes sonores [23, p.255] . Selon L.Scerba,en russe la tension des consonnes est liée à l'accent. Ainsi, la
première consonne prononcée après l'accent, possède la tension décroissante, donc le mot 'место est divisé comme мес-то, dans toutes les autres positions les consonnes sont à tension croissante et le mot мес'та est divisé alors comme ме-ста.
La répartition syllabique ne coincide pas toujours dans des langues différentes. Il en est ainsi en français et en russe. L.Sc'erba le montre sur l'exemple des mots ac-teur et а-ктер: la consonne "k" du mot français est décroissante, celle du mot russe est croissante.
Coupe syllabique en français
La coupe syllabique en français ne se produit normalement qu'entre deux sons consécutifs dans la séquence voyelle-consonne: p.ex. pa-no-ra-ma. Les difficultés surviennent en cas d'accumulation des consonnes dans la chaîne parlée. Il est à noter que la syllabation est plus ou moins bien expliquée par des théories sur la nature de la syllabe, parmi lesquelles c'est la théorie de tension musculaire qui attache le plus d'attention à ce problème. Cependant cette théorie seule n'est pas ca-
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pable d'expliquer tous les cas difficiles de syllabation. Au cours des expériences spécialement organisées P.Delattre est venu à la conclusion qu'il y a en français 6 principes qui gouvernent la coupe syllabique: 1) différence d'aperture; 2) différence de force d'articulation; 3) loi du moindre effort; 4) direction de la suite des mouvements articulatoires; 5) distance des lieux d'articulation; 6) place des consonnes par rapport à l'accent [59, p. 150-162] .
Selon P.Delattre, ces principes ne sont pas des règles absolues mais des tendances. Procédons à leur analyse plus de'taille'e.
1. Différence d'aperture. Ala suite de M.Grammont, P.Delattre distingue cinq degrés d'aperture pour les consonnes. Les consonnes qui n'ont pas ou ont peu de différence d'aperture peuvent être classées comme unies ou bien comme sépare'es: [af - sa] ou [a -fsa], [ad - да] ou [a - dga] . Par contre, les groupes de consonnes dont l'union ou la se'paration est marquée de la façon la plus claire sont ceux dans lesquelles la différence entre'les deux consonnes est la plus forte: [a - pla], [ar - ka].
2. Différence de force d'articulation. Le fait que la première consonne a une force d'articulation supérieure à la deuxième favorise l'union des deux consonnes: [a-pri] et inversement [ar-pi].
D'après P.Delattre, on peut distinguer cinq degrés de force d'articulation pour les consonnes:
degré l:k,t,p;
degW2:f,l;
degre'3:n, m, s,j , g, d, b;
degre'4:;z,j;
degré5:v,3,z, r.
Ce principe contribue à expliquer des cas particuliers de la formation des syllabes.Ainsi,la prononciation [kl] est possible surtout à cause de la force d'articulation inférieure de la deuxième consonne;mais dans le groupe inverse[1 - k] le fait que c'est la première consonne dont la force d'articulation est plus petite contribue à se'parer les consonnes: elle é-claire, mais cal-cul.
3. Loi du moindre effort. Cette loi joue un rôle qui favorise la séparation des consonnes, car il est plus aise' de séparer les consonnes que de les prononcer ensemble. Cela contribue à expliquer les exemples suivants: la séparation dans orné est plus facile que l'union dans minerai.
3. Direction de la suite des mouvements articula t о i r e s. Si le lieu d'articulation de la deuxième consonne est plus en arrière que celui de la première (direction avant — arrière) l'union des deux consonnes s'en trouve favorisée car cela rend plus commode
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la mise en place des organes d'articulation. Ainsi l'union est plus favo-rise'e dans amna que dans anma, dans apta que dans atpa.
4. Distance des lieux d'articulation. La proximité' des lieux d'articulation des deux consonnes favorise leur union et inversement. Exemples: en ce qui concerne les deux consonnes apta est plus uni que akta, akra que apra, etc.
5. Place des consonnes par rapport à l'accent. Le fait que la voyelle qui suit n'est pas sous l'accent de groupe favorise l'union des deux consonnes et inversement. Ce principe n'inte'resse que les groupes sans tendance bien déterminée. Exemples: a-ptitude — adap-té; di-sloque' — dis-loque.
Donc, on voit que les théories sur la nature de la syllabe pullulent. Comme propose à juste titre F.Carton, pour donner l'explication convenable à la formation et au fonctionnement de la syllabe, il faut pre'ciser l'aspect de son étude: physiologique, acoustique, perceptif ou fonctionnel [54, p. 77-80].
Aspect physiologique. La syllabe est l'unité' minimale de prononciation: au cours des expériences spéciales on a prouve' que jusqu'au plus grand ralentissement du langage parlé, les syllabes maintiennent leur existence et que le langage n'est jamais décompose' en sons séparés.
C'est la théorie de tension musculaire qui choisit comme point de départ le travail de l'appareil phonatoire: quand on parle, la bouche se ferme et s'ouvre tour à tour pour émettre les voyelles et les consonnes: en gros, la voyelle est un éle'ment ouvert, la consonne,un élément fermé. Selon les langues il existe une différence dans la division de la chaîne parlée en syllabes ouvertes et fermées: alors que les Français prononcent [ke- le- It - va - tt- le- te,-го- зе^], les Allemands et les Russes disent: [k&l- el&v- a- tel- e- tfc- го- зе^] (Quel élève a-t-elle interroge? ). Ce phénomène trouve son explication dans la distribution différente des tensions croissantes et décroissantes dans les langues en question. Préférer une syllabe ouverte c'est une caractéristique du français. On dit que la syllabe est ouverte quand elle est terminée par une voyelle, la bouche étant ouverte: mou, roux. La syllabe ferme'e est ter-mine'e par une consonne, la bouche étant fermée: bec, tâche.
Aspect acoustique. PDelattre et l'e'quipe des Laboratoires Haskins, a New York, ont constaté que les consonnes sont identifiées grâce à deux facteurs acoustiques: le bruit de la détente et les changements de direction des formants vocaliques (transitions).
Dans le cas d'une consonne intervocalique réalisée par synthèse, [ара], la présence d'une transition a la,.fin de la voyelle qui précède donne a 100% l'impression d'une consonne implosive (qui ferme une syllabe), on entend alors [ ap - a] .Si la transition se trouve au début de la deuxième voyelle,on entend [ a - pa], c'est-à-dire,la consonne est explosive (qui commence une syllabe).La tâche des linguistes est a rechercher les
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faits articulatoires qui sont à l'origine de ces faits acoustiques.
Aspect perceptif. Tous les membres d'une communauté' linguistique ont un sentiment commun de la syllabe. C'est une notion qui a une réalité perceptive et qui est pédagogiquement nécessaire. L'enfant sent que la phrase française est formée de syllabes et non de mots isolés. C'est pourquoi un apprentissage fondé exclusivement sur une saisie globale des mots isole's ne tiendrait pas compte du sentiment linguistique de l'enfant. F.Carton rappelle des coupures révélatrices citées par M.Grammont dans des lettres écrites par les enfants: Giait vu la dresse de ton nami (J'y ai vu l'adresse de ton ami). L'enfant n'a pas coupé n'importe comment: sachant qu'il faut couper, il a respecte' la syllaba-tion phonétique: [3Je- vy-la- drss -da - t5- na -mi] et il a tenu compte de la liaison (nami) et de l'élision (la dresse).
Il faut dire que ce n'est pas рчг hasard que l'enfant a préfère' la syllabe. Aujourd'hui au cours des expériences dirigées ivers l'e'tude des unite's minimales de perception du langage il est prouvé qu'on identifie le mieux le son après avoir analyse toute la syllabe et qu'on met moins de temps pour identifier une syllabe qu'un mot isolé [Z.Dsaparidze] . Ces résultats donnent le droit de conclure que c'est la syllabe qui est l'unité minimale de perception du langage humain.
Cependant l'aspect perceptif de la syllabe prévoit encore l'e'tude de plusieurs problèmes parmi lesquels on peut nommer la détermination du rôle des éléments consonantiques et vocaliques dans l'identification auditive des syllabes, ainsi que l'e'tude des rapports de la syllabe articulée avec la syllabe perçue et avec les éléments acoustiques du langage.
Aspect fonctionnel. La syllabe comme unité du système linguistique assume plusieurs fonctions:
1. Elle sert à. l'organisation du matériel sonore du langage, car c'est justement dans la syllabe que des phonèmes trouvent leur réalisation. (P.Kouznétzov, L.Zlatooustova). Objectivement, tout son possède ses propres traits acoustiques tels que la fréquence du ton fondamental, l'intensité et la durée, mais ils ne reçoivent une signification linguistique que dans la syllabe, unité minimale d'articulation et de perception du langage.
2. Grâce à sa possibilité' d'être accentuée, la syllabe participe à la formation de la structure phonétique du mot isolé, unité inte'grale de la langue (V.Artiomov, A.Sauvageot). Le rôle de l'accent en tant que facteur principal de regroupement des syllabes en mots dans les langues indo-europe'ennes a été mentionnée plusieurs fois par des linguistes (G.Torsouév, L.Bondarko, AMartinet).
3. La syllabe participe à la formation de la structure prosodique de la phrase, unité' essentielle du discours. Comme élément de la phrase la syllabe garde son individualité' d'unité minimale prosodique parce qu'elle
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se distingue par ses caractéristiques prosodiques des syllabes environnantes. La possibilité d'être proéminente assure à la syllabe sa fonction de marquer dans la phrase les limites des groupes de sens et de devenir par conséquent l'unité'centrale d'analyse prosodique (BJVIalmberg). Dans l'analyse de la coupe syllabique du point de vue fonctionnel les frontières syllabiques ont reçu lenomde"joncturès". On distingue la joncture externe qui est réalisée entre deux mots et la joncture interne qui se réalise à l'inte'rieur du mot. A comparer:
Joncture externe — l'homme niait.
Joncture interne — la calomnie.
Des recherches effectuées par des phonéticiens sovie'tiques et étrangers ont révélé la fonction démarcative de la joncture syllabique. Ainsi dans son ouvrage consacré à l'étude des modifications des jonctures syllabiques du type VC/CV en français contemporain A.V.Yankounas [46, p. 22] a démontre' que la joncture syllabique peut indiquer les limites des unités prosodiques de hiérarchie différente: dans le cas de la joncture externe les consonnes sont relativement indépendantes et gardent leur timbre même si elles ne sont pas séparées par une pause. Cependant si la joncture est interne les consonnes sont très unies et leur interaction étroite mène aux modifications de leur timbre. Les modifications plus sensibles sont relevées dans les cas de joncture occlusive + constrictive qui se transforment alors en affriquée. A comparer: