Добавил:
Опубликованный материал нарушает ваши авторские права? Сообщите нам.
Вуз: Предмет: Файл:
Учебники / Оноре де Бальзак _Отец Горио _.doc
Скачиваний:
56
Добавлен:
13.06.2014
Размер:
949.76 Кб
Скачать

Vous êtes charitable, vous reconnaîtrez ce bon avis en soulageant la misère d'un

ancien préfet de Napoléon qui se trouve dans le dernier besoin.

Rastignac étourdi se laisse prendre dix louis par l'homme à cheveux blancs, et

descend avec les sept mille francs, ne comprenant encore rien au jeu, mais

stupéfié de son bonheur.

- Ah çà! où me mènerez-vous maintenant, dit-il en montrant les sept mille francs

à madame de Nucingen quand la portière fut refermée.

Delphine le serra par une étreinte folle et l'embrassa vivement, mais sans

passion. " Vous m'avez sauvée! " Des larmes de joie coulèrent en abondance sur

ses joues. je vais tout vous dire, mon ami. Vous serez mon ami, n'est-ce pas?

Vous me voyez riche, opulente, rien ne me manque ou je parais ne manquer de

rien! Eh bien! sachez que monsieur de Nucingen ne me laisse pas disposer d'un

sou: il paye toute la maison, mes voitures, mes loges; il m'alloue pour ma

toilette une somme insuffisante, il me réduit à une misère secrète par calcul.

Je suis trop fière pour l'implorer. Ne serais-je pas la dernière des créatures

si j'achetais son argent au prix où il veut me le vendre! Comment, moi riche de

sept cent mille francs, me suis-je laissé dépouiller? par fierté, par

indignation. Nous sommes si jeunes, si naïves, quand nous commençons la vie

conjugale! La parole par laquelle il fallait demander de l'argent à mon mari me

déchirait la bouche je n'osais jamais, je mangeais l'argent de mes économies et

celui que me donnait mon pauvre père; puis je me suis endettée. Le mariage est

pour moi la plus horrible des déceptions, je ne puis vous en parler: qu'il vous

suffise de savoir que je me jetterais par la fenêtre s'il fallait vivre avec

Nucingen autrement qu'en ayant chacun notre appartement séparé. Quand il a fallu

lui déclarer mes dettes de jeune femme, des bijoux, des fantaisies (mon pauvre

père nous avait accoutumées à ne nous rien refuser), j'ai souffert le martyre

mais enfin j'ai trouvé le courage de les dire. N'avais-je pas une fortune à moi?

Nucingen s'est emporté, il m'a dit que je le ruinerais, des horreurs! J'aurais

Voulu être à cent pieds sous terre. Comme il avait pris ma dot, il a payé; mais

en stipulant désormais pour mes dépenses personnelles une pension à laquelle je

me suis résignée, afin d'avoir la paix. Depuis, j'ai voulu répondre à

l'amour-propre de quelqu'un que vous connaissez, dit-elle. Si j'ai été trompée

par lui, je serais mal venue à ne pas rendre justice à la noblesse de son

caractère. Mais enfin il m'a quittée indignement! On ne devrait jamais

abandonner une femme à laquelle on a jeté, dans un jour de détresse, un tas

d'or! On doit l'aimer toujours! Vous, belle âme de vingt et un ans, vous jeune

et pur, vous me demanderez comment une femme peut accepter de l'or d'un homme?

Mon Dieu! n'est-il pas naturel de tout partager avec l'être auquel nous devons

notre bonheur? Quand on s'est tout donné, qui pourrait s'inquiéter d'une

parcelle de ce tout? L'argent ne devient quelque chose qu'au moment où le

sentiment n'est plus. N'est-on pas lié pour la vie? Qui de nous prévoit une

séparation en se croyant bien aimée? Vous nous jurez un amour éternel, comment

avoir alors des intérêts distincts? Vous ne savez pas ce que j'ai souffert

aujourd'hui, lorsque Nucingen m'a positivement refusé de me donner six mille

francs, lui qui les donne tous les mois à sa maîtresse, une fille de l'Opéra! je