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Raymond Queneau - Zazie dans le métro.doc
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16.09.2019
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  • Il est pas là, votre coquin, dit Zazie.

  • Pointancor, dit la dame. Pointancor.

  • Bin sûr. Y a jamais de flics dans les bistros. C'est défendu.

  • Là, dit la veuve finement, tu vas être coyonnée. Il est allé se vêtir civilement.

  • Et vous serez foutue de le reconnaître dans cet état?

  • Je l'aime, dit la veuve Mouaque.

  • En attendant, dit Zazie rondement, descendez donc boire un glasse avec nous. Il est peut-être au sous-sol après tout. Peut-être qu'il l'a fait esprès.

  • Faut pas egzagérer. Il est flic, pas espion.

  • Qu'est-ce que vous en savez? Il vous a fait des confidences? Déjà?

  • J'ai confiance, dit la rombière non moins extatiquement qu'énigmatiquement.

Zazie haussa les épaules encore une fois.

— Allez… un glasse, ça vous renouvellera les idées.

— Pourquoi pas, dit la veuve qui, ayant regardé l'heure, venait de constater qu'elle avait encore dix minutes à attendre son fligolo.

Du haut de l'escalier, on apercevait des petites boules glisser alertement sur des tapis verts et, d'autres plus légères, zébrer le brouillard qui s'éle­vait des demis de bière et des bretelles humides. Zazie et la veuve Mouaque aperçurent le groupe compact des voyageurs agrégé autour de Gabriel qui était en train de méditer un carambolage d'une haute difficulté. L'ayant réussi, il fut acclamé en dea idiomes divers.

— Ils sont contents, hein, dit Zazie toute fière de son tonton.

La dame, du chef, eut l'air d'approuver.

  • Ce qu'ils peuvent être cons, ajouta Zazie avec attendrissement. Et encore ils n'ont rien vu. Quand Gabriel va se montrer en tutu, la gueule qu'ils vont faire.

La dame daigna sourire.

  • Qu'est-ce que c'est au juste qu'une tante? lui demanda familièrement Zazie en vieille copine. Une pédale? une lope? un pédé? un hormosessuel? Y a des nuances?

  • Ma pauvre enfant, dit en soupirant la veuve qui de temps à autre retrouvait des débris de mora­lité pour les autres dans les ruines de la sienne pulvé­risée par les attraits du flicmane.

Gabriel qui venait de louper un queuté-six-bandes les aperçut alors et leur fit un petit salut de la main. Puis il reprit froidement le cours de sa série, négli­geant l'échec de son dernier carambolage.

  • Je remonte, dit la veuve avec décision.

  • Bonnes fleurs bleues, dit Zazie qui alla voir le billard de plus près.

La boule motrice était située en f2, l'autre boule blanche en g3 et la rouge en h4. Gabriel s'apprêtait à masser et, dans ce but, bleuissait son procédé. II dit:

  • Elle est drôlement collante, la rombière.

  • Elle a un fleurte terrible avec le flicmane qu'est venu te causer quand on s'est ramenés au bistro.

  • On s'en fout. Pour le moment, laisse-moi jouer. Pas de blagues. Du calme. Du sang-froid.

Au milieu de l'admiration générale, il leva sa queue en l'air pour percuter ensuite la boule motrice afin de lui faire décrire un arc de parabole. Le coup porté, déviant de sa juste application, s'en fut sabrer le tapis d'une zébrure qui représentait une valeur marchande tarifée par les patrons de l'éta­blissement. Les voyageurs qui, sur des engins voi­sins, s'étaient efforcés de produire un résultat semblable sans y être parvenus, manifestèrent leur admiration. Il était temps d'aller dîner.

Après avoir fait la quête pour payer les frais et réglé la note équitablement, Gabriel, ayant récupéré son monde, y compris les joueurs de pimpon, le mena casser la graine à la surface du sol. La bras­serie au rez-de-chaussée lui parut convenir à cette entreprise et il s'affala sur une banquette avant d'avoir vu la veuve Mouaque et Trouscaillon à une table vise-à-vise. Ils lui firent des signes guillerets et Gabriel eut du mal à reconnaître le flicmane dans l'endimanché qui prenait des mines à côté de la rombière. N'écoutant que les intermittences de son cœur bon, Gabriel les convia du geste à se joindre à sa smalah, ce dont ne se firent faute. Les étrangers s'étranglaient d'enthousiasme devant tant de cou­leur locale, cependant que des garçons vêtus d'un pagne commençaient à servir, accompagnée de demis de bière enrhumés, une choucroute pouacre parsemée de saucisses paneuses, de lard chanci, de jambon tanné et de patates germées, apportant ainsi à l'appréciation inconsidérée de palais bien disposés la ffine efflorescence de la cuisine ffransouèze.

Zazie, goûtant au mets, déclara tout net que c'était de la merde. Le flicard élevé par sa mère concierge dans une solide tradition de bœuf miron­ton, la rombière quant à elle experte en frites authentiques, Gabriel lui-même bien qu'habitué aux nourritures étranges qu'on sert dans les cabarets, s'empressèrent de suggérer à l'enfant ce silence lâche qui permet aux gargotiers de corrompre le goût public sur le plan de la politique intérieure et, sur le plan de la politique extérieure, de dénaturer à l'usage des étrangers l'héritage magnifique que les cuisines de France ont reçu des Gaulois, à qui l'on doit, en outre, comme chacun sait, les braies, la tonnellerie et l'art non figuratif.

  • Vous m'empêcherez tout de même pas de dire, dit Zazie, que c' (geste) est dégueulasse.

  • Bien sûr, bien sûr, dit Gabriel, je veux pas te forcer. Je suis compréhensif moi, pas vrai, madame?

  • Des fois, dit la veuve Mouaque. Des fois.

  • C'est pas tellement ça, dit Trouscaillon, c'est à cause de la politesse.

  • Politesse mon cul, dit Zazie.

  • Vous, dit Gabriel au flicmane, je vous prie de me laisser élever cette môme comme je l'entends. C'est moi qui en ai la responsibilitas. Pas vrai, Zazie?

  • Paraît, dit Zazie. En tout cas, moi, rien à faire pour que je bouffe cette saloperie.

  • Mademoiselle désire? s'enquit hypocritement un loufiat vicieux qui flairait la bagarre.

  • Jveux ottchose, dit Zazie.

  • Notre choucroute alsacienne ne plaît pas à la petite demoiselle? demanda le vicieux loufiat.

Il voulait faire de l'ironie, le cou.

— Non, dit Gabriel avec force et autorité, ça lui plaît pas.

Le loufiat considéra pendant quelques instant le format de Gabriel, puis en la personne de Trous­caillon subodora le flic. Tant d'atouts réunis dans la seule main d'une fillette l'incitèrent à boucler sa grande gueule. Il allait donc faire une démonstration de plat ventre, lorsqu'un gérant, plus con encore, s'avisa d'intervindre. Il fit aussitôt son numéro de charme.

— De couaille, de couaille, qu'il pépia, des étran­gers qui se permettent de causer cuisine? Bin merde alors, i sont culottés les touristes st'année. I vont peut-être se mettre à prétendre qu'i s'y connaissent en bectance, les enfouarés.

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