- •Raymond Queneau Zazie dans le métro
- •Il resaisit la valoche d'une main et de l'autre il entraîna Zazie.
- •Vous, dit Zazîe avec indulgence, vous êtes tous les deux des ptits marants.
- •Il ajoute, accablé:
- •Il se prit la tête à deux mains et fit le futile simulacre de se la vouloir arracher. Puis il continua son discours en ces termes:
- •II a bien raison, dit Charles. Après tout, c'est pas à moi qu'il faut raconter tes histoires.
- •Il admire l'ongle qu'il vient de terminer, celui de l'auriculaire, et passe à celui de l'annulaire.
- •Il rapporte, dit Zazie. C'est vilain.
- •Il avait peut-être lu un mauvais livre, suggère quelqu'un.
- •Izont des bloudjinnzes, leurs surplus américains?
- •Vous auriez pas des bloudjînnzes pour la petite? qu'il demande au revendeur. C'est bien ça ce qui te plairait?
- •Il marche devant, sûr de lui. Zazie suit, louchant sur le paquet. Il l'entraîne comme ça jusqu'à un café-restaurant. Ils s'assoient. Le paquet se place sur une chaise, hors de la portée de Zazie.
- •Vous me croyez pas?
- •Il fit ensuite appel à la foule s'amassant:
- •I va te faire dire tout ce qu'il voudra.
- •Il ne s'en va pas? demanda doucement Marceline.
- •Vous entendez, qu'il lui dit. Vous avez bien réfléchi? c'est terrible, vous savez les gosses.
- •Vvui, vuvurrèrent Turandot et Mado Ptits-pieds avec discrétion.
- •Il répond des trucs pas sérieux comme: et ton oiseau à toi, tu te l'es fait dénicher souvent? Des blagues, quoi (soupir). I veut pas mcomprendre.
- •Vous n'avez rien à me défendre, mon cher, je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous.
- •Il ajouta:
- •Vous allez finir par me le faire croire.
- •Il se tirait sur la moustache en biglant, morose, de nouveau le Sacré-Cœur.
- •Il en a de bonnes, grogna Gabriel en arrêtant sa poursuite.
- •Il leur a tapé dans l'œil, dit Fédor Balanovitch à Zazie restée comme lui en arrière.
- •Il va parler, dit la dame polyglotte à ses congénères en leur idiome natif.
- •Il n'y a pas moyen de causer avec vous, dit la veuve en ramassant différents objets éparpillés sur l'asphalte.
- •Vzêtes une fine mouche, dit Gabriel. En fait je nl'ai sur les bras que depuis hier.
- •Il n'y a pas de quoi.
- •Il me plaît de plus en plus, dit la veuve Mouaque à mi-voix.
- •Vous, avez l'air de quidnappeurs, dit le Sanctimontronais plaisamment.
- •Vous la connaissez? demanda la veuve Mouaque avec indifférence.
- •Vzavez votre carte grise?
- •Il me semble que j'ai déjà vu sa tête quelque part, dit Gabriel.
- •Vzêtes des ptits rusés tous les deux, dit Zazie.
- •Ils doivent commencer à s'emmerder, dit Fédor Balanovitch. Il serait temps que tu les emmènes à tes billards pour les distraire un chouïa. Pauvres innocents qui croient que c'est ça, Paris.
- •Il est pas là, votre coquin, dit Zazie.
- •Il interpella quelques-uns d'entre eux (gestes).
- •Il ajoute que c'est pas tout ça, faut qu'il aille prévenir Marceline.
- •Vous disputez pas, dit Madeleine, moi jvais prévenir madame Marceline et m'habiller chouette pour faire honneur à notre Gaby.
- •Il essuya ses lèvres gluantes avec le revers de sa main (gauche) et, sur ce, commença la séance de charme annoncée.
- •Il parut inquiet.
- •Il s'interrompit pour rêvasser un brin.
- •Vous en avez de la veine, dit Trouscaillon distraitement.
- •I sramène pas vite avec son bahut, dit Turandot.
- •Vous ne voudriez pas. Mais ils sont doux comme l'hysope.
- •Voilà ce que c'est quand on n'a pas de prestige, dit Gridoux. Le moindre gougnafîer vous crache alors en pleine gueule. C'est pas avec moi qu'elle oserait.
- •Il alla choisir dans le tas le moins amoché. Qu'il remorqua.
Il est pas là, votre coquin, dit Zazie.
Pointancor, dit la dame. Pointancor.
Bin sûr. Y a jamais de flics dans les bistros. C'est défendu.
Là, dit la veuve finement, tu vas être coyonnée. Il est allé se vêtir civilement.
Et vous serez foutue de le reconnaître dans cet état?
Je l'aime, dit la veuve Mouaque.
En attendant, dit Zazie rondement, descendez donc boire un glasse avec nous. Il est peut-être au sous-sol après tout. Peut-être qu'il l'a fait esprès.
Faut pas egzagérer. Il est flic, pas espion.
Qu'est-ce que vous en savez? Il vous a fait des confidences? Déjà?
J'ai confiance, dit la rombière non moins extatiquement qu'énigmatiquement.
Zazie haussa les épaules encore une fois.
— Allez… un glasse, ça vous renouvellera les idées.
— Pourquoi pas, dit la veuve qui, ayant regardé l'heure, venait de constater qu'elle avait encore dix minutes à attendre son fligolo.
Du haut de l'escalier, on apercevait des petites boules glisser alertement sur des tapis verts et, d'autres plus légères, zébrer le brouillard qui s'élevait des demis de bière et des bretelles humides. Zazie et la veuve Mouaque aperçurent le groupe compact des voyageurs agrégé autour de Gabriel qui était en train de méditer un carambolage d'une haute difficulté. L'ayant réussi, il fut acclamé en dea idiomes divers.
— Ils sont contents, hein, dit Zazie toute fière de son tonton.
La dame, du chef, eut l'air d'approuver.
Ce qu'ils peuvent être cons, ajouta Zazie avec attendrissement. Et encore ils n'ont rien vu. Quand Gabriel va se montrer en tutu, la gueule qu'ils vont faire.
La dame daigna sourire.
Qu'est-ce que c'est au juste qu'une tante? lui demanda familièrement Zazie en vieille copine. Une pédale? une lope? un pédé? un hormosessuel? Y a des nuances?
Ma pauvre enfant, dit en soupirant la veuve qui de temps à autre retrouvait des débris de moralité pour les autres dans les ruines de la sienne pulvérisée par les attraits du flicmane.
Gabriel qui venait de louper un queuté-six-bandes les aperçut alors et leur fit un petit salut de la main. Puis il reprit froidement le cours de sa série, négligeant l'échec de son dernier carambolage.
Je remonte, dit la veuve avec décision.
Bonnes fleurs bleues, dit Zazie qui alla voir le billard de plus près.
La boule motrice était située en f2, l'autre boule blanche en g3 et la rouge en h4. Gabriel s'apprêtait à masser et, dans ce but, bleuissait son procédé. II dit:
Elle est drôlement collante, la rombière.
Elle a un fleurte terrible avec le flicmane qu'est venu te causer quand on s'est ramenés au bistro.
On s'en fout. Pour le moment, laisse-moi jouer. Pas de blagues. Du calme. Du sang-froid.
Au milieu de l'admiration générale, il leva sa queue en l'air pour percuter ensuite la boule motrice afin de lui faire décrire un arc de parabole. Le coup porté, déviant de sa juste application, s'en fut sabrer le tapis d'une zébrure qui représentait une valeur marchande tarifée par les patrons de l'établissement. Les voyageurs qui, sur des engins voisins, s'étaient efforcés de produire un résultat semblable sans y être parvenus, manifestèrent leur admiration. Il était temps d'aller dîner.
Après avoir fait la quête pour payer les frais et réglé la note équitablement, Gabriel, ayant récupéré son monde, y compris les joueurs de pimpon, le mena casser la graine à la surface du sol. La brasserie au rez-de-chaussée lui parut convenir à cette entreprise et il s'affala sur une banquette avant d'avoir vu la veuve Mouaque et Trouscaillon à une table vise-à-vise. Ils lui firent des signes guillerets et Gabriel eut du mal à reconnaître le flicmane dans l'endimanché qui prenait des mines à côté de la rombière. N'écoutant que les intermittences de son cœur bon, Gabriel les convia du geste à se joindre à sa smalah, ce dont ne se firent faute. Les étrangers s'étranglaient d'enthousiasme devant tant de couleur locale, cependant que des garçons vêtus d'un pagne commençaient à servir, accompagnée de demis de bière enrhumés, une choucroute pouacre parsemée de saucisses paneuses, de lard chanci, de jambon tanné et de patates germées, apportant ainsi à l'appréciation inconsidérée de palais bien disposés la ffine efflorescence de la cuisine ffransouèze.
Zazie, goûtant au mets, déclara tout net que c'était de la merde. Le flicard élevé par sa mère concierge dans une solide tradition de bœuf mironton, la rombière quant à elle experte en frites authentiques, Gabriel lui-même bien qu'habitué aux nourritures étranges qu'on sert dans les cabarets, s'empressèrent de suggérer à l'enfant ce silence lâche qui permet aux gargotiers de corrompre le goût public sur le plan de la politique intérieure et, sur le plan de la politique extérieure, de dénaturer à l'usage des étrangers l'héritage magnifique que les cuisines de France ont reçu des Gaulois, à qui l'on doit, en outre, comme chacun sait, les braies, la tonnellerie et l'art non figuratif.
Vous m'empêcherez tout de même pas de dire, dit Zazie, que c' (geste) est dégueulasse.
Bien sûr, bien sûr, dit Gabriel, je veux pas te forcer. Je suis compréhensif moi, pas vrai, madame?
Des fois, dit la veuve Mouaque. Des fois.
C'est pas tellement ça, dit Trouscaillon, c'est à cause de la politesse.
Politesse mon cul, dit Zazie.
Vous, dit Gabriel au flicmane, je vous prie de me laisser élever cette môme comme je l'entends. C'est moi qui en ai la responsibilitas. Pas vrai, Zazie?
Paraît, dit Zazie. En tout cas, moi, rien à faire pour que je bouffe cette saloperie.
Mademoiselle désire? s'enquit hypocritement un loufiat vicieux qui flairait la bagarre.
Jveux ottchose, dit Zazie.
Notre choucroute alsacienne ne plaît pas à la petite demoiselle? demanda le vicieux loufiat.
Il voulait faire de l'ironie, le cou.
— Non, dit Gabriel avec force et autorité, ça lui plaît pas.
Le loufiat considéra pendant quelques instant le format de Gabriel, puis en la personne de Trouscaillon subodora le flic. Tant d'atouts réunis dans la seule main d'une fillette l'incitèrent à boucler sa grande gueule. Il allait donc faire une démonstration de plat ventre, lorsqu'un gérant, plus con encore, s'avisa d'intervindre. Il fit aussitôt son numéro de charme.
— De couaille, de couaille, qu'il pépia, des étrangers qui se permettent de causer cuisine? Bin merde alors, i sont culottés les touristes st'année. I vont peut-être se mettre à prétendre qu'i s'y connaissent en bectance, les enfouarés.