
Селях, Евчик - Теория фонетики
.docm t г г w i t
F i g. 7. Spectrogrammes des mots mer, rouette. On voit facilement les changements de la direction des formants vocaliques (transitions).
A partir des faits acoustiques, on peut établir une division du matériel sonore du langage en sons périodiques qukse répètent à intervalles réguliers et ont une hauteur constante, et en sons non-périodiques, vibrations à intervalles irréguliers et de hauteur inégale (fig. 8). Les sons périodiques constituent les sons musicaux, les voyelles , les non-périodiques forment des bruits qui sont à la base de toute consonne.
F i g. 8. Vibrations périodiques et non-périodiques du son. 25
CLASSEMENT ACOUSTIQUE DES SONS
Voyelles. Le spectrographe nous fournit des données sur les fréquences caractéristiques des voyelles et des consonnes. Pour les voyelles le formant bas (F^) varie entre 250 et 800 p/s, le formant haut (F2) entre 600 et 2800 p/s [ 2, p.20-21 ; 54, p. 49] .
Selon que les deux formants se trouvent au milieu du spectre ou à deux extrémite's du spectre nettement séparées, il est possible de classer acoustiquement les voyelles en compactes et diffuse s. La distinction entre compactes et diffuses (en termes articulatoires, ouvertes et fermées) est une opposition de base du langage humain. Si on prononce successivement les voyelles [ i, e, fi , a ] le formant haut descend et le formant bas monte. Donc les voyelles [i], [e] sont diffuses, [e ], [a] sont compactes (fig. 9). On peut observer le caractère différent des voyelles dans la représentation schématique de leurs formants. Dans le spectre de la voyelle [a] les formants haut et bas sont rapprochés (zone 700/800-1300 Hz), ce qui fait le type compact, tandis que le spectre de [i] se caractérise par les formants éloignés (zone 250-2700Hz/ /2800 Hz) ce qui crée le type diffus.
2700/2800--------
2300/2500 •
2000
/300 •
1200
7OD/80Û-
550/600-
400'
250-
L e Type diffus
650/700
Typ9 compact
F i g. 9. Représentation schématique des formants vocaliques(d'après G.Straka).
En prononçant les voyelles [ i, u] on ne modifie pas le formant bas, mais le formant haut baisse. On dira que la voyelle [i] a un timbre aigu ou clair, tandis que la voyelle [u] a un timbre grave ou s о m b r e. La distinction entre aiguës et graves (en termes articulatoires, antérieures et postérieures) est aussi une opposition de base du langage humain. Le compact [a] occupe à ce point de vue une place intermédiaire (neutre).
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D'après la place de deux formants, il est possible de grouper les voyelles dans une figure géométrique (fig. 10).
a.LQuës graves
20O
У __________и
300
500 600 700 800
l
compactes
3000
2000
fOOff
500
Fig. 10. Schéma acoustique des voyelles françaises (d'après P.Delattre): en ordonnée — le formant bas, en abcisse — le formant haut.
Consonnes. Les bruits consonantiques sont différenciés par la concentration plus ou moins grande de l'énergie sonore à différentes zones sur l'échelle des fréquences. Parmi les constrictives c'est le bruit propre à la consonne [s] qui contient les fréquences les plus hautes: jusqu'à 8000-9000 Hz. Les fréquences du [Я sont un peu plus basses: 6000-7000 Hz.
On est encore mal "renseigne sur la structure acoustique de certaines consonnes, mais ce qu'on sait déjà permet néanmoins de grouper les consonnes en types acoustiques, comparables à ceux distingué^ parmi les voyelles. Un bruit avec prédominance des fréquences hautes a un caractère aigu, tandis que la pre'dominance des fréquences basses lui donne un caractère grave. Ainsi, par exemple, le bruit de l'explosion du [p] est plus bas que celui du [t] et par là plus grave. Le [p] est une consonne grave, le [t] est une consonne aiguë, tandis que le [k], sur ce plan, est intermédiaire. Le [s] est plus aigu que le [$] et ainsi de suite.
Les consonnes [t] et [p] sont opposées P(b) à [k] comme diffuses à la compacte. On peut symboliser ces faits par le triangle (fig. • Ш_________________________________
F i g. 11. Triangle symbolisant l'opposition acoustique des consonnes françaises.
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On oppose aussi les consonnes articulées avec participation de vibrations périodiques aux consonnes articulées sans vibrations glottiques (laryngées) ce qui correspond au classement des consonnes en sourdes et sonores. L'analyse acoustique a révélé d'ailleurs que la structure des voyelles contient souvent des bruits, qui sont dénués d'importance linguistique, d'autre part,certaines consonnes [m, n, 1, r] ont une structure acoustique qui rappelle celle des voyelles.
ASPECT FONCTIONNEL PHONÈMES. VARIANTES DES PHONÈMES. SONS
Selon A.Martinet [90, p. 13 ], le langage humain est caractérisé par une double articulation qui se manifeste sur deux plans différents. La première articulation du langage est celle selon laquelle une chaîne parlée s'analyse en unités successives douées d'un sens et d'une forme phonique. Ainsi la phrase J'ai mal à la tête comporte six unités de première articulation:/' (pour je), ai, mal, à, la, tête. Les unités de première articulation, ou monèmes, co'incident avec ce qu'on appelle mots dans la langue courante.
Les unités de première articulation ne sauraient être analysées en unités sémantiques plus petites. Mais la forme sonore de ces unités peut être décomposée en unités phoniques qui contribuent à distinguer tête, par exemple, des autres unités comme bête, tante ou terre. C'est la deuxième articulation du langage dont les éléments forment dans chaque langue un système d'unités en nombre fini, connues sous le nom de phonèmes. Le mot tête, par exemple, comporte trois unités successives de seconde articulation, donc trois phonèmes: [t], [e], [t] . C'est grâce à la deuxième articulation que la langue, utilisant un nombre restreint d'unités discrètes, sert de moyen d'expression et de communication sans limite.
Il se dégage de ces réflexions que le phonème représente dans le système d'u ne langue l'unité phonique minimale destinée à distinguer les unit e's significatives les unes des autre s: les morphèmes, les mots et même les unités plus complexes. Par exemple, les mots blond et blanc ne se distinguent que par leurs éléments vocaliques [S] et [a], les consonnes restant les mêmes. Si l'on introduit ces mots dans deux phrases: Elle a les cheveux blonds — Elle a les cheveux blancs, on aperçoit que la substitution du phonème [o ] par [ a] change complètement le sens de tout l'énoncé.
La théorie du phonème à été élaborée par B. de Courtenay et développée par les linguistes de plusieurs écoles phonologiques: l'école de Leningrad fondée par l'académicien L.Scerba et représentée par
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L Zinder, M.Matoussévitch; l'école de Moscou représentée par R.Ava-nessov, P.Kouznétsov, A.Reformatsky et S.Bernstein; l'école de Prague formée par N.Troubetzkoy dont on trouve les adeptes dans différents pays (R.Jakobson, G.Gougenheim, AJVIartinet, K.Togeby). Malgré' les quelques divergences de points de vue qui concernent essentiellement les méthodes d'analyse phonologique (voir en détails l'aperçu de diverses théories du phonème fait par N.Chigarevskaià [55. p. 28-34]),les représentants de différentes écoles phonologiques s'accordent sur les grandes lignes du concept de phonème.
La fonction distin'tive ou différenciative se présente comme capitale pour le phonème en tant qu'unité de la langue. Cepe-dant le rôle distinctif du phonème ne se manifeste que grâce à sa possibilité de se combiner et, par là, de constituer des unités hiérarchiquement plus complexes et douées de sens. C'est pour cette raison que nombre de linguistes (L.âc'erba, K.Barychnikova, L.Zinder, N.Chigarevskaià, E.Buyssens) attribuent au phonème une double fonction, celle de constituer et de distinguer les unités significatives, leurs formes et leurs catégories.
Néanmoins, la valeur distinctive est celle qui s'impose en premier lieu lorsqu'on identifie les phonèmes dans diverses langues. Il arrive souvent que les sons qui présentent dans deux langues des caractéristiques articulatoires et physiques identiques, se rapportent à un seul phonème dans une langue, alors qu'ils représentent deux phonèmes distincts dans une autre langue.
La comparaison des ressources distinctives du français et du russe fait ressortir beaucoup de divergences dans le domaine du classement des phonèmes dans les deux langues.
Ainsi, on retrouve en français aussi bien qu'en russe les voyelles ouvertes et les voyelles fermées: le "e" ouvert et fermé, le "o" ouvert et fermé, etc. En français, la différenciation entre le [e ] et le [e], le [o] et le [o] joue un rôle fonctionnel, car elle contribue à distinguer dé de dais, fée de fait, sotte de saute, molle de môle, il s'agit donc de deux paires de phonèmes distincts. La modification du degré d'aperture des voyelles mentionnées plus haut n'est pas ressentie par les Russes, elle se fait automatiquement suivant la position du son dans le mot: la voyelle se prononce comme fermée entre deux consonnes mouillées — петь, elle s'ouvre en contact avec une consonne dure — цепь, этот. Il en résulte que les voyelles ouvertes et fermées constituent en russe des variantes du même phonème, soit du [e] ou du [o].
A la différence du vocalisme, le système consonantique du russe possède plus d'éléments distinctifs que celui du français. Par exemple, le russe utilise largement la distinction fonctionnelle entre les consonnes dures et les consonnes mouillées (пыл ~ пыль, мол ~ моль, мил ~
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миль), tandis qu'en français cette distinction se re'duit à un seul couple de phonèmes [n] ~ [ji] qui, d'ailleurs, perd de plus en plus du terrain.
La distinction entre les phonèmes s'effectue à la base des traits diffe'rentiels qui ont reçu en phonologie le nom de traits pertinents. "Parmi les caractéristiques de toute unité phonique il en est que le linguiste retient, qui sont pertinentes, d'autres sont écartées comme non pertinentes. Sont pertinentes toutes les caractéristiques phoniques qui ont une valeur distinctive dans la langue en question" [88, p. 44]. Par exemple, les phonèmes vocaliques français [e] et [£] se distinguent par le trait pertinent qui est le degré' d'aperture, alors que le [y] s'oppose au [i] par le trait de labialisation.
Il faut remarquer que ce qui est pertinent dans un système linguistique peut ne pas l'être dans un autre. Ainsi, la nasalite' des voyelles apparaît comme un trait pertinent en français ce qui n'est pas le cas du russe. A l'inverse, la mouillure des consonnes se manifeste d'une façon pertinente dans le système consonantique du russe, tandis qu'en français cette caracte'ristique ne peut pas être envisagée comme pertinente.
L'importance des caractéristiques pertinentes pour l'identification des phonèmes a permis à de nombreux linguistes, à partir de la théorie de N.Troubetzkoy, de définir le phonème en tant qu'un faisceau de traits différentiels.
D'autre part, la description du système phonématique ne doit pas négliger les caractéristiques non pertinentes des phonèmes. L'étude des traits non pertinents permet de déterminer parmi la multitude des réalisations phoniques différentes celles qu'on doit considérer en tant que variantes d'un seul et même phonème, car dans les unités dont il fait partie le phonème apparaît sous forme de variantes. Les variantes peuvent être alors définies comme réalisations différentes d'un mé4me phonème.
Les facteurs qui déterminent les variantes du phonème sont assez divers. C'est le contexte phonique qui en est le plus souvent responsable. Les variantes conditionnées par l'entourage phonique ont reçu le nom de variantes combinatoires ou contextuelles, appelées allopvhones par certains linguistes — L.Zinder, E.Buyssens, etc. (pour L.Scerba ce ne sont que des nuances du phonème).
A titre d'exemple citons la consonne française [1]. La voyelle qui suit modifie considérablement la nature articulatoire et acoustique de cette consonne: dans le mot lune, c'est une variante labialisee qui est réalisée devant le [y], dans le mot lire c'est une variante palatalisée devant le [i], dans le mot lasse on a une variante vélarisée. Réalisé en fin de mot après une consonne, ce phonème apparaît sous forme d'une variante assourdie: [pœp]] . Parmi les variantes des phonèmes russes on peut citer différentes réalisations du phonème [e] suivant l'entourage consonantique (voir p. 29<). Comme les variantes combinatoires ne se
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trouvent jamais dans le même contexte, on dit qu'elles sont en distribution complémentaire.
Parmi les variantes des phonèmes on trouve celles qui sont conditionnées par l'accentuation; dans ce cas on parle de variantes p о -sitionnelles. Par exemple, les voyelles françaises s'allongent sous l'accent ce qui apparaît clairement devant les consonnes dites allongeantes [r], [v], [3], [z] et le groupe [vr] .
Outre les variantes combinatoires et positionnelles.inconscientes pour le sujet parlant et qui passent inaperçues pour l'auditeur, il existe encore des variantes phonématiques possédant "une valeur d'indication" [88, p. 48] . On classe dans ce groupe les variantes stylistiques qui marquent le style ou servent d'indice d'expressivité comme, par exemple, le [m] allongé dans le mot magnifique sous l'accent d'insistance.
On y trouve aussi les variantes individuelles ou libres déterminées par les habitudes individuelles ou régionales; elles peuvent donner des indications sur la personne qui parle, son âge, son origine ou son milieu social. Il y a des Français qui prononcent le "r" grasseyé, puis d'autres, moins nombreux, qui articulent cette consonne en faisant vibrer la pointe de la langue, le "r" roulé. Le "r" roulé peut être soit une variante individuelle du phonème [ r], soit une variante régionale révélant, par exemple, l'accent du Midi.
Les réalisations articulatoires et physiques d'un même phonème, aussi multiples qu'elles soient, se manifestent dans certaines limites en dehors desquelles ce phonème n'est plus reconnu comme tel. Ce fait doit être pris en considération par ceux qui étudient une langue étrangère, le français, par exemple, afin d'éviter les fautes phonétiques et, par là, les fautes phonologiques.
Il est important de faire la distinction entre les variantes des phonèmes (allophones) et le sons. Selon L.Zinder, l'allophone est une unité de premier degré d'abstraction, représentée dans le langage réel par une série de sons qui n'apparaissent que dans un contexte déterminé. Les caractéristiques physiques et articulatoires des sons qui entrent dans un même allophone sont conditionnées par les particularités de l'appareil phonatoire de celui qui parle, son état physique ou psychique, la situation concrète de la parole, etc. Bref, le son se définit comme une unité matérielle se rapportant uniquement à la parole, comme un segment de la parole dans lequel fonctionne le phonème par l'intermédiaire de ses variantes ou allophones. Vu la diversité des caractéristiques réelles des sons, BJVlalmberg affirme que le nombre de sons est presque inde'-fini dans chaque langue.
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RAPPORTS DES PHONÈMES
Les traits pertinents d'un phonème ne se de'gagent que par son opposition aux autres phonèmes d'une même langue.
Ainsi, en opposant le [p] au [b] on voit que le rapport entre ces phonèmes est caractérise' par la présence de la sonorité dans le premier et son absence dans le second. Les deux phonèmes s'opposent donc par le trait de sonorité. Un autre type d'opposition rapproche les phonèmes [p, b] d'un côté et le phonème [m], de l'autre: tout en présentant quelques traits communs, notamment le caractère occlusif et bilabial, le [p] et le [b] s'opposent au [m] par l'absence de nasalité.
Lorsque la même caractéristique différencie plusieurs couples de phonèmes, on dit qu'ils sont corrélés et que leur ensemble forme une corrélation. Par exemple, les oppositions [e] ~ [e], [œ] ~ [ 0], [o ] ~ [ o] forment une corrélation dans le système vocalique du français; la marque de cette opposition est le degré'd'aperture. Pourtant il serait erroné' d'affirmer que tous les phonèmes d'une langue entrent dans des corrélations. Les sonantes [r] et [1] restent en dehors des corrélations dans le système consonantique du français, ce qui vaut aussi pour d'autres langues.
Certaines oppositions phone'matiques sont possibles dans tous les contextes, d'autres sont limitées à des positions bien détermine'es, d'où la distinction entre les oppositions constantes et les oppositions neutralisa blé s. Lorsqu'une opposition perd son pouvoir distinctif dans certains contextes, on dit qu'if ya neutralisation de cette opposition. La position où une telle opposition est neutralisée s'appelle position de neutralisation. Soit l'opposition [e] ~ [é] en français: elle est neutralisée en syllabe ferme'e du mot (beige, sèche, mer, etc.), car on n'y retrouve qu'un seul phonème [e] .
L'étendue de la neutralisation d'une opposition peut varier d'une langue à l'autre. Par exemple, en russe les oppositions [p] ~ [b], [t] ~ [d], [k] ~ [9 ], etc. se neutralisent en fin de mot. Il en est de même en allemand où Rad et Rat se prononcent de fapon identique. Mais ce n'est pas le cas du français ou de l'anglais ou rate et rade,cat et cad restent assez distincts.
Certains linguistes utilisent le terme d'archiphonème pour designer l'unité', qui est réalisée en position de neutralisation (voir, par exemple, les ouvrages de A.Martinet). L'archiphonème peut être alors défini comme l'ensemble de traits pertinents communs à deux phonèmes opposés. Ainsi, dans le cas de la neutralisation de l'opposition [6] ~ [e] en français, on serait en pre'sence de l'archiphonème [E] caractérise' par les traits communs suivants: l'antériorité'et le'non-arrondissement.
Il faut pourtant remarquer que l'utilisation du concept d'archipho-
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neme dans l'étude phonologique se trouve contestée par bien des linguistes qui préfèrent parler dans ce cas des alternances des phonèmes.
PRINCIPES D'IDENTIFICATION DES PHONEMES
Les linguistes se servent de plusieurs critères dans l'identification des phonèmes. De tous les critères celui de commutation ou de substitution semble capital pour dégager, de façon décisive, les phonèmes d'une langue. Ainsi, en rapprochant les mots banc, pan, dent, temps, faon, vent, etc. on arrive à isoler les unités différenciatives [b], [P], [d], [t], etc.; la substitution ou commutation de ces unités à l'initiale des mots a pour conséquence la modification de leur forme phonique et, par la, de leur valeur lexicale. La commutation des voyelles dans les mots ta, taie, thé, tu, tout, tôt, temps, etc. amènent aussi à la différenciation des mots; c'est pour cela que les unités [ci], [e ], [e], [У] » tul > [°1 ' [3-1 > e^c- peuvent être envisagées en tant que phonèmes distincts. Le critère de commutation est surtout efficace pour le rapprochement des couples de mots qu'on appelle paires minimales ou quasi-homophones (saute ~ sotte, fait ~ fée, jeûna ~ jaune, mal ~ mtle, apporter ~ aborder, etc. où le rôle distinctif des phonèmes apparaît d'une façon très nette.
Il se peut cependant qu'on ne trouve point de quasi-homophones dans la langue pour définir les phonèmes en raison du caractère réduit de l'emploi de certains d'entre eux. Pour prouver l'inde'pendance phonologique des unités phoniques on se sert alors d'un autre critère, non moins important: on rapproche les mots où les sons en question, placés dans un contexte identique, se distinguent nettement. Citons l'exemple des mots animal et bémol pour distinguer le [a] du [o], ameuter et permuter pour différencier le [œ] du [y].
Il existe encore un critère important pour établir la valeur phonologique d'un son, c'est son adjonction au mot ou son retranchement du mot ayant pour résultat la modification du sens de celui-là: border ~ aborder, tiers ~ hier, face ~ efface, émission ~ mission.
SYSTEME DE PHONEMES DU FRANÇAIS
Les premières remarques sur la phonologie du français présentées par A.Martinet datent de 1933 [86] et la première description complète du système de phonèmes français, celle de G.Gougenheim, fait jour en 1935 [69]. Dans ces travaux d'approche le système phonématique se présente comme parfaitement stable et identique chez tous les sujets.Alors il faut attendre l'époque des enquêtes qui apportent la preuve que les Franpais cultives ne s'accordent ni sur le nombre de phonèmes qu'ils distinguent, ni sur la façon dont ils les réalisent. Une enquête récente
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menée sous la direction de A.Martinet et de H.Walter [91; 104; 105] a mis en évidence les tendances évolutives du phonétisme français moderne: oppositions en voie de disparition, début de tendances à la confusion de deux phonèmes, ou au contraire renforcement de distinctions entre deux unités phoniques. Il en résulte une présentation dynamique du système phonématique français qui, à cote' des zones de grande stabilité, montre certaines divergences qui sont l'indice dévolutions à venir.
Système vocalique
Dans la description des oppositions vocaliques du français il faut tenir compte de quatre traits différentiels: le degré' d'aperture, la profondeur d'articulation, la labialisation et la nasalisation.
Les oppositions des voyelles différenciées par le d e g r é d'à p e r -t u r e sont assez nombreuses, elles entrent dans la corrélation voyelles fermées~ voyelles ouvertes. De toutes ces oppositions la distinction entre les voyelles orales du deuxième et du troisième degré'd'aperture [£ ] ~ [e], [ce] ~ [fi], [о] ~ [o] présente le plus de difficulté' pour l'analyse à cause de leur instabilité' et la restriction de leur pouvoir distinctif en français moderne.
Les voyelles opposées par la profondeur d'articulation forment la corrélation voyelles antérieures ~ voyelles postérieures. La majorité des oppositions entre les voyelles antérieures et les voyelles postérieures sont stables, c'est-à-dire maintenues par tous les sujets dans toutes les positions possibles.il s'agit, par exemple, des oppositions [y] ~ [u] — pur ~pour, [0] ~ [o] — feu ~ faux, [œ] ~ [o] —peur ~ port, etc. Une place à part est occupée par l'opposition entre le [a] antérieur et le [a] postérieur, .l'opposition qui par la diversité' de son comportement fonctionnel pose beaucoup de problèmes devant les linguistes et les usagers de la langue française.
Le trait de 1 a b i a 1 i s a t i о n est d'une grande importance pour le phonétisme du français car il se trouve à la base des oppositions entre les voyelles labiales (arrondies) et les voyelles non labiales ( non arrondies) qui se manifestent par une stabilité parfaite dans leur réalisation, sauf l'opposition [£] ~ [ce].
La nasalisation des voyelles se pre'sente comme un trait particulier du système phonématique du français. En effet,parmi les langues européennes modernes on trouve encore le polonais et le portugais qui possèdent des voyelles nasales, mais par leur nature articulatoire et acoustique aussi bien que par leur fonctionnement elles diffèrent considérablement de celles du français (voir à ce sujet [55, p.85] ). Les voyelles nasales françaises forment des oppositions extrêmement fréquentes avec les voyelles orales correspondantes:6eaw£/~ bonté, faute ~ fonte, loger ~ longer, cette ~ seinte, sec ~ cinq, attendre ~ entendre, passer ~
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penser, etc. Ces oppositions se maintiennent régulièrement dans toutes les positions à l'exception de certains cas de la liaison avec les voyelles nasales: un bon avocat [œbonavo'ka], un ancien élève [ôénasjene'l&:u] .
Les voyelles nasales s'ordonnent en une série d'avant où le [& ] non arrondi s'oppose au [ce] arrondi (brin ~ brun) et une se'rie d'arrière où le [a] non arrondi s'oppose au [3] arrondi comme dans blanc ~ blond. De ces deux oppositions, seule [a] ~ [ô] est stable en français moderne.
Le système vocalique du français moderne renferme une seule opposition quantitative, celle d'un [£•] bref et d'un [£:] long, qui représente le dernier vestige de la corrélation de longueur caractérisant toutes les voyelles françaises au XVIIe et au XVIIIe siècles.
Comme il a déjà été signalé, le système vocalique actuel renferme les oppositions stables respectées par tous les sujets et dans toutes les positions, ainsi que les oppositions instables qui se divisent en deux catégories: ^
1. Les oppositions instables neutralisables, à savoir celles qui, d'une part, ne peuvent se manifester que dans certaines positions étant neutralisées ailleurs et qui, d'autre part, connaissent des flottements de réalisation d'un sujet à l'autre. Ces oppositions sont au nombre de quatre et concernent les degrés d'aperture moyenne [e] ~ [e], [о] ~ [o], [œ] ~ [0] et la distinction de durée entre le [&] et le [e:].
2. Les oppositions instables non neutralisables, c'est-à-dire celles qui ne sont observées que par une partie des locuteurs de façon plus ou moins constante, mais sans aucune restriction sur le plan de leur position. Il n'y a que deux oppositions de ce type: [a] ~ [a] et [&] ~ [œ].
Analyse des oppositions vocaliques instables
Comme les oppositions instables reflètent des changements en cours aboutissant à un nouvel état du vocalisme français, il est important de les analyser plus en détails.
Opposition [e] ~ [e ]
La position de pertinence de l'opposition [e] ~ [&] est la syllabe finale ouverte ou absolue. On trouve en français un grand nombre de mots différenciés par la commutation de ces deux voyelles: pre' -1 près, fée ~ fait, epée ~ épais, piqué ~ piquet, thé ~ taie, valh'e ~ valet, clé ~ claie, etc. Cette opposition contribue également à distinguer les formes grammaticales des verbes: chantez ~ chantait, ferai ~ ferais, etc.
Les enquêtes, connues depuis 1941, montrent un maintien assez
stable de l'opposition [e] ~ [e ] en finale ouverte. Ainsi, dans l'enquête
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de A.Martinet les sujets parisiens observent l'opposition [e] ~ [£ ] à 96% , les chiffres relevés lors du sondage de G.Deyhime (98%de distinction) et de la dernière enquête de A.Martinet et H.Walter (94%) confirment le caractère constant de cette opposition.
Une circonstance vient quand même perturber la pertinence de l'opposition [e] ~ [£ ] en finale ouverte, c'est la diversité'de répartition des deux phonèmes concernant un certain groupe de mots, en particulier ceux avec les finales -ai, -et (voir p. 106').
Pourtant la confrontation des résultats obtenus lors de différentes enquêtes manifeste une forte pre'dilection à l'utilisation du [& ] ouvert en dépit des prescriptions orthoépiques préconisant l'emploi du [e] ferme', par exemple pour vais, sais, quai, j'ai ou pour le futur simple des verbes (je verrai). Les seules réalisations stables du phonème [e ] restent d'origine graphique avec les finales -é, -er, -ez.
En syllabe finale ferme'e l'opposition [e] ~ [c ] se trouve neutralisée: seul le [e] est atteste' dans les mots cher, beige, nette, pièce. La règle est absolue et la neutralisation des voyelles en question ne fait aucun doute.
En syllabe ferme'e non finale on pourrait e'galement s'attendre à la réalisation d'un seul phonème [£ ] ouvert en vertu de la loi de position qui énonce: timbre ouvert en syllabe ferme'e. En effet, bon nombre de linguistes s'accordent pour dire qu'en syllabe ferme'e, qu'elle soit finale ou non finale, seul le [&] ouvert est possible en français contemporain. Pourtant les résultats de la recherche récente de H.Walter contredisent cette affirmation par les chiffres que voici: 31% de [e] ferme's et 69%de [6] ouverts en syllabe ferme'e non finale [104, p.181] . La prononciation avec le [e] ou le [S] est largement déterminée par différents facteurs, notamment par le contexte phonique. Ainsi dans le mot asservir on prononce presque toujours la voyelle [fi] devant le [r] alors que le mot él(e)vé est réalise' avec un [e] ferme' ce qui est dû probablement à l'harmonisation vocalique.
En syllabe ouverte non finale la situation se révèle encore plus complexe. On y observe cependant trois faits corrélatifs:
1) de nombreux flottements dans la réalisation d'une même unité' lexicale: on peut entendre prononcer les mots maison, essence, terrible, etc. avec un [e] ou un [e ] ;
2) l'utilisation en grand nombre d'un timbre interme'diaire ou moyen;
3) l'influence du timbre de la voyelle accentue'e (l'harmonisation vocalique) -.plaisir [ple'zi:r] mais épaisse [t'pfis] .
Il résulte de ces observations qu'en syllabe ouverte non finale, tout comme en syllabe fermée (finale ou non finale), l'opposition [e] ~ [e] se neutralise, à la seule différence que les produits de neutralisation y sont plus varie's. La neutralisation se fait même dans des quasi-homophones tels que pêcheur ~ pécheur, raisonne ~ résonne.
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Opposition [о] ~ [о]
La position de pertinence de l'opposition [о] ~ [о] est la syllabe finale fermée. Pour une unité lexicale déterminée l'emploi du [o] fermé ou du [o] ouvert se fait avec une régularité' remarquable en liaison étroite avec la graphie.
En français il existe assez peu de paires de mots dites minimales, différenciés par la commutation des phonèmes [o] ~ [o] . A titre d'exemple citons saule ~ sol, sole; hausse ~ os, haute ~ hotte, côte ~ cotte, rauque ~ roc, etc. Pourtant la rareté des paires minimales ne vient pas perturber la stabilité' parfaite de l'opposition [o] ~ [o] , abstraction faite de quelques cas de neutralisation conditionnée par le con-
texte.
La neutralisation est observée devant le [z] où le seul [o] est possible: rosé ['roz], dose ['do 2], morose [mo'ro:z] , etc. Elle se fait aussi devant le [g] et le [ji] ou l'on trouve toujours le [o] ouvert: phonologue [fonolog], monologue [mono'log], ^gigogne [3Î'93M, charogne [J a 'го/г] , etc. Devant le [r] on atteste également la voyelle [t>] (aurore [o'ro:r], Maure ['mo:r]), mais la neutralisation n'est pas générale: certains locuteurs prononcent le [o] ferme' dans des mots comme dinosaure, saur, taure, ou la graphie "au" a pu être de'termi-nante.
L'opposition [о] ~ [o] se trouve neutralisée en syllabe finale ouverte. On entend un seul [o] dans chapeau, pot, mot, couteau, etc.
En syllabe fermée non finale on observe une nette prédominance du [o] ce qui s'explique en grande partie par les particularités de graphie (cf. postal [pos'tal], donnerait [don're], Voltaire [vol'tsi], horloge
Comme dans le cas de l'opposition [e] ~ [6] , les réalisations du [o] et du [o] en syllabe ouverte non finale sont plus variées que dans toutes les autres positions (voir p. 107). Pourtant la distinction entre le [o] et le [o] s'y trouve maintenue avec beaucoup plus de rigueur, ce qui est assure' par trois phénomènes observés: 1) l'existence de l'opposition dans les paires minimales de type beauté ~ botté, rôder ~ roder; 2) la réduction de l'emploi du timbre intermédiaire par rapport à l'opposition [e] ~ [£]; 3) une faible manifestation de l'harmonisation vocalique, bien que la prononciation du mot mauvais avec le [o] et du mot obus avec le [o] s'explique plutôt par l'influence du timbre de la voyelle accentuée. Dans tous les cas, lorsqu'il y a hésitation, c'est toujours au profit du [a] ouvert dont la fréquence en cette position est de beaucoup supérieure à celle du [o] ferme'. Néanmoins, l'enquête menée sous la direction de A.Martinet et H.Walter a révélé une tendance croissante, surtout chez les sujets jeunes, à favoriser la prononciation de la voyelle fermée [o] à l'imitation, paraît- il, de la finale absolue [105, p. 116] .
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Opposition [jef] ~ [œ ]
L'opposition [0] ~ [œ] a une situation particulière dans le système des voyelles françaises et ceci pour deux raisons: 1) la position de pertinence où l'opposition [œ] ~ [0] assure la distinction entre les mots se trouve réduite à des cas très rares; 2) la majorité des réalisations du [ce] et du [0] ne font pas l'objet du choix de la part du locuteur, car elles sont conditionnées par le contexte phonique (voir p. 108).
On ne trouve dans la langue française que deux couples de mots différenciés par la commutation [œ] ~ [ 0] en syllabe fermée finale: jeune ['зсеп] ~ jeûne ['з0:п], (ils) veulent ['irael] ~ veule ['u;ef:l]. C'est pour cette raison que l'opposition [œ] ~ [,0]est classée parmi les oppositions au rendement fonctionnel faible. Encore convient-il d'ajouter que la distinction des mots jeune ~ jeûne, veulent ~ veule n'est pas réalisée par tous les francophones: certaines personnes les prononcent indifféremment avec le même timbre.
A partir de toutes ces réflexions on pourrait conclure que l'opposition [œ] ~ [#] a disparu du système vocalique du français et que les réalisations du [œ] ouvert ou du [ 0] fermé ne sont autre chose que des variantes conditionnées par le contexte. Pourtant trois faits contredisent cette hypothèse et témoignent de l'existence de l'opposition [œ] ~ [0] malgré son rôle fonctionnel minime:
1) le maintien de cette opposition par une partie des sujets dans les paires minimales jeune ~ jeune, (ils) veulent ~ veule;
2) sa neutralisation en [fi] à la finale absolue (pneu ['pn0], douteux [du't^], paresseux [pare's0],) ou devant la consonne [z] (coûteuse [ku't0:z], affreuse [a'ùpiz]);
3) la possibilité de sa neutralisation en voyelle de timbre interme'-diaire dans la syllabe non finale ouverte.
L'analyse comparée du comportement des trois oppositions de la corrélation voyelle fermée ~ voyelle ouverte montrent que seule l'opposition [o] ~ [o] se maintient avec assez de stabilité dans la majorité des positions, alors que les deux autres connaissent des divergences plus ou moins considérables et un nombre assez élevé de neutralisations, surtout en syllabe inaccentuée, ce qui est prouvé par des analyses instrumentales [31].
Opposition [a] ~ [û-]
Pratiquement l'opposition [a] ~ [a] peut se manifester dans n'importe quelle position, soit en finale absolue (la [la] ~ las [la], ma [ma] ~ mat [ma]), en syllabe finale fermée (patte ['pat] ~ pâte ['pa:t], mal ['mal] -mâle ['m a :1], chasse ['5as] ~ châsse [ fja:s], ou en syllabe non finale (aller [aie] ~ hdler [aie] ). Il devrait en résulter une parfaite stabilité de cette opposition. En effet, elle l'était au cours
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du XVIIIe siècle où l'articulation de la voyelle [a], naguère qualifiée de longue, est alors reconnue comme postérieure et figure dans les descriptions du "bon usage".
Pendant tout le XIXe siècle la distinction entre les réalisations antérieures et postérieures est encore pratiquée avec assez de netteté. Mais depuis le début de notre siècle commence le processus de l'élimination de l'opposition du système vocalique français, ce qui est révélé par des enquêtes successives. Si l'on ne prend qu'un seul exemple, celui de la paire minimale patte ~ pâte, on trouve que A.Martinet (1941) donne 100% de distinction, G.Deyhime (1963) - 87%, P.Leon (1966) obtient auprès des jeunes Parisiens seulement 41% de distinction. De nos jours la perte de la distinction est en pleine évolution et la répartition des timbres est assez arbitraire: on peut entendre, par exemple, sable avec un [a] et table avec un [a], encore que l'inverse soit nettement plus
fréquent.
A.Martinet explique l'instabilité de l'opposition [a] ~ [a] par sa situation particulière dans le système vocalique [89, p.183] . En effet, l'opposition voyelle antérieure ~ voyelle poste'-rieur e qui distingue [y] de [u], [0] de [oj, [œ] de [0] se présente dans des conditions plus favorables que celle qui caractérise [a] ~ [tt]. Le maintien de la distinction entre [y] ~ [u],[0] ~ [o] et [œ] ~ [o] est assuré par la présence d'un trait concomitant, notamment par l'arrondissement labial, alors que dans le cas de [a] ~ [CL] ce trait de labialisation n'entre pas en jeu.
Il .résulte de l'analyse de la réalisation des deux "a" que le processus de l'élimination de l'opposition s'effectue par disparition progressive du phonème [a.] . L'opposition se neutralise au profit du [a] antérieur dont la fréquence d'emploi est nettement supérieure. Chez certains sujets la perte de la distinction entre le [a] et le [a] va dans le sens du rapprochement de leurs articulations, ce qui a pour résultat la réalisation d'un timbre intermédiaire au moyen. Certains autres, qui sont encore plus rares, utilisent pour différencier les deux voyelles le trait de durée, et non de timbre.
Opposition [6] ~ [ce]
Les voyelles nasales différenciées par le trait de labialisation forment une corrélation où entrent les oppositions [£]~[5], [?] ~ [œ].Le maintien de l'opposition [a ] ~ [3 ] en français moderne ne pose point de problèmes malgré une légère tendance à prononcer le [&] avec les lèvres arrondies. Au contraire, l'élimination de l'opposition [£] ~ [ce] par la perte de la voyelle arrondie [ce] observée encore au XIXe siècle, est aujourd'hui une chose admise et prouvée: un nombre toujours crois-
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sant de sujets parlants réalisent l'article inde'fini un avec la voyelle nasale [6 ]. La cause essentielle de la divergence dans le comportement de ces deux couples de phonèmes nasals se trouve dans leur rendement fonctionnel. On peut trouver en français un grand nombre de mots distingués par l'opposition [a] ~ [5] : banc ~ bon, vent ~ vont, pan ~ pont, bande ~ bonde, ranger ~ ronger, etc.; on dit alors que cette opposition a un rendement fonctionnel assez important. L'opposition [£] ~ [œ], par contre, est caractérisé^ par un rendement fonctionnel très faible parce qu'on trouve à peine deux ou trois couples de mots distingués par la présence du [ê] ou du [œ] ; il s'agit dans ce cas des paires toujours citées Alain ~ alun, brin ~ brun, empreinte ~ emprunte. Une autre explication de la disparition de l'opposition ["&] ~ [œ] est d'ordre articulatoire. Comme on a déjà constate7, le phonème [œ] diffère du \& ] par l'arrondissement des lèvres. Or, cet arrondissement des voyelles fermées, comme le [ y] ou le [ u], devient beaucoup plus de'-licat pour des articulations ouvertes, surtout pour les voyelles nasales, très ouvertes en français [51, p.68-72] ce qui contribue à la perte de la voyelle arrondie [ œ] .
Opposition [6] ~ [€ '•]
Comme il a déjà été dit, l'opposition [£-] bref ~ [£:] long représente la dernière manifestation de la distinction de longueur qui caracté-risait autrefois toutes les voyelles françaises. En effet, on peut constater en relisant les grammaires du XVIIIe siècle, comme celle de G.Vaudelin, que le système vocalique du français comprenait 24 voyelles, 12 d'entre elles étant brèves et 12 longues. Cette opposition jouait alors un rôle morphologique important,car elle permettait de distinguer le singulier du pluriel, le masculin du féminin. Ainsi on prononçait avec un son bref — aime', perdu, ami (au masculin), avec un son long — aimée, perdue, amie (au féminin).
Depuis certaines oppositions de longueur (oppositions quantitatives) ont éte^ transformées en oppositions de timbre (oppositions qualitatives); il s'agit notamment de [œ] ~ [0], [a] ~ [a], [D] ~ [o] où la marque de longueur accompagnant la réalisation des voyelles [ o], [&] et [0] ne représente pas actuellement un trait pertinent à cause de son caractère peu régulier. Pour les degrés les plus fermés [i], [y], [u] les voyelles longues ont disparu sans laisser de traces.
La seule opposition de longueur qui se soit maintenue tant bien que mal jusqu'à nos jours, c'est l'opposition [£ ] ~ [£,:] qu'on retrouve généralement dans les couples de mots tels que bette [btt] ~ bête [bt:t], mettre [mttr] ~ maure [m£:tr], belle [bel] ~ bêle [b£:l], lettre [IttrJ ~ l'être [l&:tr] . Cependant on assiste depuis quelques décennies à la tendance à l'élimination accélérée de l'opposition [£-] ~
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[£. :] ce qui s'explique par son caractère isolé dans le système du français contemporain, vu l'absence des autres oppositions quantitatives. Des enquêtes récentes, en particulier celle de A.Martinet et H.Walter, de'-rnontrent que seul un petit nombre de sujets les plus âgés maintiennent encore l'opposition [£] ~ [e:], tandis que les locuteurs jeunes ne la pratiquent pas.
En raison d'une très faible manifestation de l'opposition [fi ] ~ [e,:] certains linguistes ne comptent plus le phonème [G :] parmi les voyelles orales du français. D'autres, y compris N.Katagoscina [25], tout en admettant le caractère sporadique de la distinction de longueur,trouvent nécessaire de maintenir l'opposition [£,] ~ [e-:] dans le système phoné-matique actuel.
L'examen de la réalisation des oppositions des voyelles laisse à penser que le système vocalique du français moderne est en pleine évolution. Selon B.Malmberg, il existe deux systèmes vocaliques en français moderne: le système maxima qui caractérise toutes les ressources dis-tinctives, même les moins stables, et le système minima présentant le minimum absolu qu'il faut respecter pour se faire comprendre [83,p.24] (fig.12,13).
i e
0
*r oe э i œ э
à a 5
F i g. 12. Système vocalique maxima.
tj U
E Ф 0 A
5
F i g. 13. Système vocalique minima.
Statut phonologique du [э] instable
Le [э] instable a fait l'objet d'un très grand nombre de recherches linguistiques. Néanmoins plusieurs problèmes concernant les caractéristiques phonétiques de ce son, sa valeur fonctionnelle et sa réalisation sont loin d'avoir une solution exhaustive. Parmi les questions se rapportant au [э] caduc celle de son statut phonologique constitue un des points délicats de la phonologie française.
Tous les points de vue sur le statut de cette voyelle peuvent être classés de la façon suivante:
1) le [э] instable constitue un phonème qui trouve sa place dans le système vocalique du français;
4l
2) le [э ] instable n'est pas considère comme un phonème à part;
3) cette voyelle jouit d'un statut particulier dans ia phonologie du français.
Parmi les linguistes qui considèrent le [э] instable comme un phonème indépendant on trouve G.Straka, K.Togeby, J.Varney-Pleasants, E.Companys, W.Zwanenburg, l'académicien soviétique L.Scerba. Pour l'identification du phonème [э] on cite des oppositions du type ne ~ noeud, je ~ jeu, cela ~ ceux-là, jeune vaurien ~ je n(e) veux rien, etc. où la commutation [Э] ~ [0], [3] ~ [œ] semble jouer un rôle distinctif. Ces oppositions ne sont pas pourtant convaincantes en raison des conditions différentes de la réalisation des voyelles qu'on suppose opposées: la voyelle [э] se trouve généralement inaccentuée, alors que les phonèmes [ 0], [œ] dans des mots comme ceux, jeu, nœud, jeune sont susceptibles de porter un accent.
Les couples de mots tels que l'être ~ le hêtre, Геаи ~ le haut, l'un ~ le Hun où la présence du [Э] paraît assumer une fonction distinctive n'apportent pas d'argumentation solide en faveur du statut phonéma-tique de ce son parce que sa réalisation devant le "h" aspiré est prévisible.,
L.Scerba attribue au [э] instable le statut de phonème en raison de son alternance avec le zéro de son. Par le rapprochement des couples comme demander ~ à d(e)mander, peupler ~ à peupler il tend à prouver que le [э] alternant avec le zéro phonique constitue un phonème indépendant par rapport au phonème [œ] toujours présent dans le mot. Le point de vue de L.Scerba reste également contestable et ceci pour deux raisons: 1) l'alternance du [Э] instable avec le zéro phonique conditionnée par le contexte ou d'autres facteurs (stylistiques, par exemple) ne conduit pas au changement du sens des mots; 2) les réalisations du phonème [œ] que L.S5erba oppose au [э] en vertu de sa stabilité ne sont pa,s toujours pertinentes, surtout en français familier (jeunesse [3 nts], déjeuner [d&3nej). Donc l'alternance du [э] avec le zéro de son ne saurait être traitée en marque phonologique [55, p. 711.
Néanmoins il y a des cas ou l'opposition [э ] ~ zéro de son n'est pas conditionnée par le contexte ce qui fait preuve du pouvoir distinctif du [э] instable et, par conséquent, de son statut de phonème: il s'agit des oppositions de type pelage ~ plage, pelisse ~ plisse, ferons ~ front, belon ~ blond, pelait ~ plaît. Mais ces oppositions se trouvent elles aussi compromises sur deux points:
1) les mots comme ferons, pelisse, pelait font partie du lexique courant et se prononcent fréquemment sans [э] dans le langage quotidien; dans ce cas l'opposition [э] ~ zéro de son se trouve neutralise'e;
2) les mots pelage, belon, où le [э] instable se trouve presque toujours maintenu se rapportent au vocabulaire d'emploi rare ce qui
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témoigne d'un rendement fonctionnel extrêmement pauvre des oppositions de type pelage ~ plage aussi bien que du caractère marginal de la valeur distinctive du [a ].
L'analyse des possibilités distinctives du [9] instable amène donc à la conclusion que ce son ne constitue pas un phonème indépendant. Qu'est-ce qu'il représente alors s'il n'est pas un phonème?
Certains linguistes, N.Chigarevskaià entre autres, estiment que le [э] instable n'est qu'une variante du phonème [œ] réalisée en syllabe ouverte non accentuée, vu la confusion fréquente des articulations du [Э] avec celles du [œ] . Ce point de vue implique la nécessité d'envisager la réalisation phonétique du [Э ] . Il faut remarquer que de nombreuses descriptions du timbre de ce son sont loin de présenter un caractère convergent. La plupart des linguistes (L.Armstrong, L.Barret, E.Companys) considèrent qu'il s'agit d'un son intermédiare entre le [œ] et le [0] prononcé le plus souvent avec un arrondissement des lèvres un peu plus faible. D'autres .moins nombreux (M.Cohen, Ph.Martinon, B.Malmberg) le décrivent comme un [œ] ouvert, toujours bref, moins intense et moins tendu.
C.Brichler-Labaeye [51] et J.Varney-Pleasants [103] ont précise' lors des analyses instrumentales que le point d'articulation du [э] est plus en arrière que pour le [œ] et le [0]. Toutes les deux déclarent que le [э] ne se confond ni avec le [œ] ni avec le [ 0] . Il re'sulte de ces observations qu'au point de vue articulatoire le [э] instable ne peut pas être considéré comme une simple variante des phonèmes [ce] ou [0] et que ses réalisations phonétiques portent un caractère extrêmement varié. Les modifications observées concernent le degré d'aperture, la profondeur de l'articulation et même la labialisation de la voyelle. Le champ de dispersion des articulations du [Э ] instable recouvre les phonèmes [œ], [0], [o] auxquelles on peut ajouter la réalisation du [Э] comme voyelle neutre ou centrale avec un timbre un peu délabialisé proche du [e ] .L'apparition de telle ou telle variante du [ э] instable est conditionnée en grande partie par le contexte et sa position par rapport à l'accent.
Un autre point de vue sur le statut phonologique du [э], celui qui nous semble le mieux justifié, se résume de la façon suivante: le [э] instable constitue une unité à part dans le système phonologique du français en vertu de sa réalisation phonétique et son fonctionnement bien particuliers. Cette conception du [э] instable est avancée dans les ouvrages de K.Parychnikova, N.Katagosè'ina et précisée dans l'étude instrumentale de L.Morozova [ 29].
Le statut particulier du [Э] instable se manifeste dans sa possibilité d'assumer plusieurs fonctions, notamment la fonction prosodique, délimitative et stylistique en dehors de la fonction distinctive, marginale pour cette voyelle.