
Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.
A l'époque où les proverbes ont été élaborés par la sagesse populaire, chacun savait que tuer un ours était fort dangereux et redouté. Il n'existait pas d'arme à feu ce qui obligeait le chasseur à s'approcher de près de ce grand fauve européen et donc de prendre des risques. Par ailleurs la force et l'habileté de cet animal faisait que l'on n'était jamais sûr de l'attraper. Dans ces circonstances, vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué manifestait de la présomption chez le vendeur. Ainsi, combien, présumant de leurs propres forces et sous estimant l'habileté de l'ours, se sont vus contraints de rembourser sans parler de devoir subir en plus les railleries des autres. Aujourd'hui, le proverbe est utilisé soit pour inciter à la prudence des personnes qui ont bâti des projets sur des événements qui n'ont pas encore eu lieu (voir la fable de Perrette et le pot au lait de Jean de la Fontaine), soit pour pour commenter l'échec d'un projet qui était fondé sur des éléments dont la personne n'avait pas totalement la maîtrise. En d'autres termes, l'usage de ce proverbe a pour but de renvoyer les auditeurs à plus de respect du réel et à ne pas prendre leurs désirs pour des choses accomplies. Avec l'imaginaire, on peut aller sur la lune, dans la réalité, c'est tout autre chose. C'est le signe d'une vraie sagesse que de savoir bâtir des projets et de les mener à terme.
Jeu de mains, jeu de vilains
Voici encore un beau proverbe construit sur un rythme poétique et la sobriété qui sied à de telles expressions. Qui n'a jamais vu des enfants commencer à jouer avec leurs mains, se poussant, se chamaillant gentiment puis, le temps passant, se faire mal parce que les gestes n'étaient pas toujours maîtrisés. Surviennet alors des représailles mutuelles. Larmes et cris viennent alors conclure un jeu de mains innocent qui a évolué en un jeu de vilains.
Cette expérience commune propre à toute vie de famille et de cour d'école, nous rappelle que certains jeux peuvent dégénérer s'ils ne sont pas encadrés par des règles, tout spécialement s'ils utilisent le corps. Mais d'une manière plus large, ce proverbe nous invite à la prudence lorsque nous rentrons dans un système sans règle. Il faut beaucoup de vertus, de part et d'autre, pour ne pas faire dégénérer une relation qui ne contient pas en elle-même sa force de régulation.
L'argent ne fait pas le bonheur
Quoique bien connu, cet adage mérite d'être rappelé. Si la sagesse populaire a rapproché ces deux désirs du coeur de l'homme, ce n'est sans doute pas par hazard. L'un et l'autre sont l'objet du désir du coeur de l'homme mais l'expérience nous a appris que ces deux désirs n'étaient pas toujours compatibles.
Chacun sait que la soif d'argent mise au premier rang des préoccupations quotidiennes a détruit plus d'une vie familiale ou professionnelle. Les chrétiens se souviennent de la parole exigeante du Christ : "vous ne pouvez servir deux maîtres à la fois". Autrement dit, il s'agit de replacer l'argent pour ce qu'il est : un moyen utile (et précieux) pour les échanges économiques et la vie quotidienne. En termes plus croyant, de se souvenir que l'argent n'est qu'une créature et qu'à trop vouloir le servir, l'amasser, on devient idolatre.
Mais pour autant, on se gardera d'être trop primaire à l'égard de l'argent. Ceux qui en manquent cruellement au point de vivre dans la misère savent combien l'effort de survie peut occuper tout le champ de la conscience. Les chrétiens savent aussi que le Christ utilisait l'argent de son temps puisque le groupe des disciples avaient une bourse pour donner aux pauvres et qu'ils payaient des droits de péage pour entrer dans une ville.
En définitive il s'agit de ne pas confondre un moyen de vie quotidienne avec le but de l'éternité qu'est le bonheur ou la béatitude. Chacun sait que le bonheur ne peut s'acheter. L'usage de l'argent-moyen peut avoir son influence sur notre quête finale. Que l'on soit généreux ou égoïste, désintéressé ou avide est révélateur du sens de la vie qui nous habite. Les chrétiens savent que Jésus était libre à l'égard de l'argent : il rendait à César ce qui était à César et à Dieu ce qui était à Dieu. Il n'est pas toujours facile de savoir quoi faire de son argent. Voici une petite grille toute simple : Ce que je compte acquérir avec ce moyen est-il nécessaire, utile ou futile ? Et si je pense être dans le futile, ne puis-je pas faire un don à ceux qui manquent du nécessaire ?
L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.
Ce proverbe laisse entendre que l'avenir, un avenir réussi s'entend, est plus facile à obtenir quand on se lève tôt que lorsque on se lève tard.Quand, régulièrement, on se lève tôt, on dispose de plus de temps pour étudier, travailler, gagner sa vie,... Ensuite, si on se lève tôt, c'est probablement que l'on s'est couché tôt. Cela manifeste une hygiène de vie, laquelle est propice à une bonne santé. Si l'on s'est couché tard, que l'on mène une vie trépidante et stressante, chacun comprendra que la santé risque de pâtir un jour ou l'autre. Ce faisant, en se levant tôt, on a l'esprit clair et le travail est plus productif. C'est une question morale de savoir à quelles activités nous consacrons nos heures les plus lucides, celles où nos facultés de concentration et de production intellectuelle sont les plus efficaces. Ceux qui sont toujours entre deux eaux, deux vins, deux soirées ou deux avions ne vivent sans doute pas aussi bien que ceux qui ont une vie régulière. Enfin, lorsque l'on se couche tôt pour se lever tôt, on ne dépense pas son argent pour des sorties couteuses. Ces "non-dépenses" permettent ainsi d'économiser pour des projets à plus long terme, et préparent l'avenir.
C'est sûr, l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.
L'enfer est pavé de bonnes intentions.
Cette expression très populaire signifie que pour avoir une vie moralement bonne, il ne suffit pas d'en avoir l'intention. Encore faut-il passer aux actes concrets. Ce proverbe pourrait encore s'appliquer à tous ceux qui se sont lancé dans l'action avec les meilleures intentions du monde mais sans préparation, sans faire l'effort de voir plus loin que le bout de leur nez, bref, sans penser aux conséquences de leurs actes. La morale invite alors chacun à faire l'effort d'élargir son point de vue. Ce n'est d'ailleurs pas facile. En effet, qui peut prétendre connaître la totalité des conséquences de son acte ? Personne.
Dès lors, agit moralement toute personne qui tente de réduire au maximum les incertitudes liées à ses actes et qui ensuite sait prendre une décision concrète et en assume les conséquences.
Déjà, les chrétiens, et sans doute bien d'autres à leur époque avaient l'intuition de la nécessaire cohérence entre les intentions et les actes. ainsi saint Jacques n'hésite pas à fustiger les premiers chrétiens qui se contentaient de belles paroles. "La foi qui n'aurait pas d'oeuvre est morte. (...) C'est par mes oeuvres que je montrerai ma foi" (Jc 2, 17-18).
L'herbe du pré d'à-côté est toujours plus verte
Ce proverbe qui donne la parole à l'âne mis au pâturage est d'une grande sagesse. Il manifeste que l'on n'est jamais satisfait du pré dans lequel on a été envoyé paître. L'herbe du pré d'à-côté paraît toujours plus verte, pous appétissante, plus fraîche. Sans doute parce que l'on ne la connaît pas. Sans doute aussi parce que l'on se focalise sur les inconvénients que l'on a dans son propre pré et que l'on ne voit que les avantages de l'autre. Or, si c'est peut-être vrai, l'âne a pu oublier qu'un pré ce n'est pas que de l'herbe, c'est aussi l'abreuvoir avec sa quantité d'eau et la fréquence de son renouvellement, c'est aussi l'arbre sous lequel il pourra se mettre lorsque les rayons du soleil se feront ardents en plein été, ce sont les autres qui ont été mis dans le même pré que lui... Ainsi en est-il dans la vie quotidienne, On n'est jamais satisfait de la totalité des paramètres qui constituent notre vie. Au travail, on peut se plaindre de son salaire, de l'ambiance, d'un ou de plusieurs collègues, de la distance pour s'y rendre, des conditions de retraite, ... Dans un couple, on trouve toujours chez un autre ce que l'on ne trouve pas chez son conjoint : une forme d'intelligence, un style d'humour, une disponibilité, des valeurs, une santé, une belle-famille, ... La maturité consiste à avoir compris que si l'on passait dans le pré d'à-côté, on perdrait des choses au profit d'autres. Ayant compris cela, on peut faire le deuil de ne pas avoir tous les avantages... et de ne pas apporter non plus que des avantages (chacun de nous a aussi des limites, personne n'est louis d'or pour tout le monde). Bien souvent, ceux qui ont beaucoup "bougé" s'aperçoivent "qu'au début, ce n'était pas si mal". Sage est celui qui trouve son bonheur dans ce qu'il a.
La curiosité est un vilain défaut
Il y a curiosité et curiosité. Dire d'une personne ou d'un jeune qu'il a un esprit curieux c'est lui reconnaître une qualité plutôt qu'un défaut. En effet, la curiosité qui fait se poser les questions, les bonnes questions, est un atout pour comprendre notre monde et y évoluer avec de plus en plus de maîtrise. La curiosité est à la base de toute recherche et de tout progrès.
Au contraire de la curiosité "scientifique", il existe des curiosités malsaines. En effet, on peut aussi chercher à savoir des choses pour des motifs malhonnêtes, ou encore à propose d'événements qui n'appartiennent qu'à ceux qui les vivent, ou encore parce que notre maturité ne permet pas d'absorber un certain niveau d'information. Cette curiosité malsaine est à mettre en face d'une vertu nécessaire à la vie de toute société, la vertu de chasteté.
Cette dernière accepte de ne pas tout savoir de la vie des autres et laisse volontairement un espace de discrétion et d'ignorance qu'elle assume comme un espace de vie. Non, les gens n'ont pas besoin de tout savoir sur tout le monde.
Notre société moderne expose sans doute beaucoup plus qu'il n'est nécessaire la vie des gens, qu'ils soient célèbres ou non. Il y a là un jeu subtile et parfois pervers entre les exhibitionnistes et les voyeurs. Un peu plus de pudeur et de chasteté feraient du bien à tout le monde.
La faim fait sortir le loup du bois
Beaucoup de proverbes tournent autour de la question de la nourriture. Celui-ci tire sa substance de l'expérience bien connue des loups qui, en temps ordinaires, vivent à distance des hommes. Mais lorsque la nourriture vient à manquer, ils n'hésitent pas à quitter la sécurité du bois où ils ont leurs habitudes pour trouver ce dont ils ont besoin pour vivre auprès des maisons. Autrement dit, lorsque sa vie est en jeu, le loup est prêt à prendre des risques. Un risque proportionné à l'enjeu : sa survie ! Ce proverbe a un double usage dans le monde des hommes. Soit on se sert de la faim supposée de telle ou telle personne pour la faire sortir de l'anonymat de la foule. Ainsi, on l'affame, on attise sa curiosité et ses désirs de telle sorte qu'en face de "l'objet" convoité elle perde toute prudence et se montre au grand jour. Soit on découvre ce qui était l'objet du désir ce cette personne en voyant celle-ci prendre des risques qu'on ne lui connaissait pas. De manière plus personnelle, il est intéressant de voir quel est le poids de nos faims et de nos désirs à travers les risques qu'ils nous font prendre. D'une certaine manière, nous pourrions dire que la faim et les désirs sont de puissants moteurs de l'action ou encore que nos actions révèlent parfois les désirs et les faims qui nous habitent.
La fin ne justifie pas les moyens.
Ce proverbe signifie que parvenir à une bonne fin ne justifie pas tous les moyens. Un moyen peut se décrire par la bonté intrinsèque qu'il met en oeuvre mais aussi par la dimension proportionnée qu'il entretient avec la fin qui est visée. Le lecteur comprendra aisément que, ordinairement, il n'est pas nécessaire de prendre sa voiture pour se rendre à son travail qui se trouve à 50 mètres de chez soi (disproportion du moyen). On ne peut accepter non plus que quelqu'un grille un feu rouge pour arriver à l'heure au cinéma (mauvais moyen).
On sait que Machiavel avait déployé une théorie politique qui s'appuyait sur le fait justement que la fin justifiait les moyens. Ce "machiavélisme", ainsi caricaturé, n'est pas acceptable tant au niveau politique que personnel. Il bafoue ce qui fonde la stabilité des relations humaines : la vérité. Il engendre le soupçon permanent et conduit à des systèmes politiques qui relèvent de la dictature et qui sont incompatibles avec la démocratie. En l'occurence, le propre d'une démocratie est de tenir en son sein une instance indépendante chargée d'analyser et de critiquer les dérives du pouvoir.
La question de la torture comme moyen pour obtenir des informations à fin de sauver des vies humaines est un cas très douloureux qui a mobilisé de longue date la réflexion des moralistes. Généralement, la torture est condamnée comme moyen parce qu'elle réduit la victime à un simple contenu d'informations, qu'elle avilit le tortionnaire qui fait souffrir son semblable, et parce qu'on n'est jamais sûr que l'information délivrée est une véritable information. Enfin, vouloir comparer la vie et la santé d'un homme à celles dont on pense pouvoir sauver la vie au dépend de celle-ci est une lubie. Comparer les vies humaines par leur qualité, leur nombre, leur âge, ... c'est entrer sur la dangereuse voie de la sélection humaine et de l'eugénisme.
La paresse est la mère de tous les vices
La paresse ou l'oisiveté consiste en l'expérience d'une lourdeur et d'une force d'inertie dans le coeur de l'homme telles que ne rien faire lui paraît préférable à toute action positive. Le goût pour agir ou servir disparaît au profit d'un centrement sur soi et d'une pesanteur spirituelle. Cette expérience de la paresse qui est le dégoût de l'action vient souvent à l'heure de midi. Cette heure où l'on a l'impression que le soleil ne bouge plus, que le temps s'est arrêté donne l'impression que l'on a tout le temps de faire ce que l'on a à faire contrairement au soir et au matin qui donnent l'impression de voir le soleil bouger beaucoup plus vite et que le temps va nous manquer. D'une emanière un peu caricaturale la sagesse populaire a gardé cette impression que c'est à l'heure ou le soleil est à son zénith que survient le "démon de midi".
Dans cette situation, le paresseux est livré à l'écoute de son corps et des divagations non maîtrisées de son esprit. C'est alors que les pulsions du corps liées à la nourriture et à la sexualité (gourmandise et luxure) peuvent emporter le sujet. A la lourdeur spirituelle s'ajoutent alors la lourdeur des kilogrammes.
Mais l'esprit peut se laisser aller dans des imaginations de tous ordres (l'imaginaire est tout puissant) comme la reconstruction de son univers de vie déconnecté du réel et de la vie concrète des gens. On peut alors imaginer les autres bien différents et souvent bien pire que ce qu'ils sont (médisance) ou encore construire toutes les justifications possibles pour justifier sa paresse (mauvaise foi). On peut retrouver ici le proverbe commenté : .
Ainsi donc, on le voit bien, la paresse est le contexte où tous les vices vont pouvoir trouver à s'exprimer ou à se développer. Le paresseux perd son temps.
La raison du plus fort est toujours la meilleure
Cette maxime, tirée de la morale de la fable " Le loup et l'agneau " de Jean de la Fontaine doit être entendue avec beaucoup de prudence. Elle est plus un constat désabusé et amer qu'une sagesse. Ici la force est articulée au meilleur, qui est un superlatif du bien. Or n'est-ce pas confondre encore le moyen et la fin ? La valeur d'un acte ne dépend pas seulement du moyen utilisé, fut-il puissant mais aussi de l'intention de l'auteur et de la fin effectivement atteinte. Tous les proverbes et adages qui confondent ces trois dimensions de l'acte sont déshumanisants. Ce qui est douloureux dans cette expression est que le travail de la raison et la quête de vérité qui lui est souvent associée se trouvent emportés non par une raison plus forte mais par la force physique qui peut contraindre par delà toute vérité et toute justice. Ce constat que beaucoup de " petites gens " ont fait dans leur vie faute de posséder la force de l'argent, la connaissance des rouages de la justice et des relations bien placées est plus que réel. Cette maxime pourrait bien nourrir l'idéologie de tous les utilitaristes de notre époque Cependant, il ne faut pas oublier que celui qui vivrait selon ce principe risque toujours, du moins dans les pays démocratiques, de tomber sur quelqu'un qui saura appliquer la force du droit que la justice ne réserve pas seulement aux puissants. De plus ce type de fonctionnement ne tient pas dans la durée et oblige l'auteur à un nomadisme social. En effet, lorsque l'on a trompé ou usé de force au-delà de toute raison, on a peut-être gagné une partie mais il faut souvent se faire oublier sous peine de prendre un retour de bâton. Les commerçants savent bien que leur habileté à vanter leurs marchandises pourrait leur faire vendre n'importe quoi ou presque. Mais ils ne vendraient pas deux fois au même client. En revanche, ceux qui auront donné la primauté à la qualité des informations, à un vrai travail de la raison sur de bons produits auront toutes les chances non seulement de conserver leur clientèle mais de l'accroître. Ceci manifeste donc, qu'à long terme, la raison du plus fort est rarement la meilleure !
Le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Ce proverbe signifie qu'à l'époque où il n'y avait pas d'électricité et où l'on ne pouvait jouer qu'à la lumière d'une chandelle, les moyens (la chandelle) à fournir pour obtenir la fin (le jeu entre amis, voire l'enjeu d'un jeu d'argent) sont disproportionnés. En l'occurence, la chandelle serait d'un prix trop élevé pour obtenir l'enjeu en question.
Autrement dit, ce proverbe nous renvoie à la notion de proportion entre les moyens que je mets en oeuvre et le résultat ou la fin que je veux obtenir. Deux critères majeurs devraient nous empêcher de passer à l'acte : La disproportion entre le moyen et la fin (écraser une mouche avec une bombe atomique) ou utiliser un mauvais moyen pour obtenir une bonne fin (torturer quelqu'un pour sauver des gens).
Le mieux est l’ennemi du bien.
Ce proverbe bien connu gagne à être médité en profondeur. En effet, le mieux paraît l’objectif à atteindre et pourquoi se refuserait-on le mieux en quelque domaine que ce soit : ordinateur, voiture, confort de la maison, vie relationnelle, présentation d’un plat cuisiné, rédaction d’un rapport, présentation sophistiquée sur grand écran, vie de couple, santé, intelligence des enfants… Or la quête du mieux au dépend du bien qui est déjà satisfaisant engendre souvent trois inconvénients. Le premier consiste à devoir investir énormément pour améliorer d’un pour cent supplémentaire ce qui était déjà bien. C’est-à-dire que les moyens pour obtenir une petite progression supplémentaire sont disproportionnés par rapport à l’objectif. Le jeu en valait-il donc la chandelle ? Le second inconvénient est plus fondamental. La quête obsédante du mieux doit nous poser la question de notre rapport au manque, à l’imperfection, à nos limites financières, intellectuelles, … Celui ou celle qui cherche sans cesse le mieux est souvent condamné à la tristesse et à être invivable pour ses proches puisque cette personne n'est jamais satisfaite. Certes, il ne faut pas prendre prétexte de cette remarque pour ne pas améliorer ce qui peut et doit l’être. C’est aux vertus de prudence et de courage qu’il faut confier le soin de savoir si l’on est allé trop loin ou s’il faut poursuivre l’effort. Savoir se contenter de ce que l’on a est souvent le début de la sagesse et du bonheur. Enfin, si le mieux et l’ennemi du bien, c’est que, très concrètement, en voulant aller au mieux, au plus près du possible, on risque d’aller au-delà de la limite et de détruire ce que l’on avait mis tant de temps à bâtir. Ainsi, repositionner une carte dans un château de cartes qui tenait debout malgré une architecture de guingois risque de le faire s’écrouler. Pablo Picasso disait : « Une peinture n’est jamais finie. Mais un jour, on décide de l’arrêter ».
Le paresseux dit qu'il y a un lion sur la route
Ce proverbe est tiré de la Bible. Il signifie que lorsque l'on n'a pas envie de travailler, ce qui est le propre du paresseux, on invente des dangers qui nous obligent à ne pas bouger pour motif de prudence. Les apparences sont alors sauves. A l'époque où le travail principal était agricole, il fallait sortir de chez soi pour se rendre aux champs. C'est donc sur la route que l'on trouvait un obstacle insurmontable : un lion. Aujourd'hui, Il existe d'autres lions pour justifier la paresse : le verglas lorsque le temps est limite (Qu'est-ce qui peut valoir le risque d'un accident ?) ; une fatigue accumulée qui nous rendrait moins productif (qui oserait mettre les autres en danger par des fautes de vigilance ?) ; ... La personne courageuse, quant à elle, ne s'écoute pas trop et affronte ses propres limites avec persévérance sans baisser les bras.
Le vieillard se chauffe avec le bois ramassé dans sa jeunesse
Ce proverbe tiré de la culture d'amis africains attire notre attention sur le rapport que nous entretenons avec notre avenir et notre passé.
Lorsque le poids des ans se fait sentir, on n'a plus forcément la force d'aller ramasser du bois pour se chauffer. On puise donc dans les réserves amassées préalablement. Ces réserves dépendent de l'usage des forces que l'on avait dans notre jeunesse. A-t-on été prévoyant ou insouciant ? La fable de la cigale et de la fourmi de Jean de la Fontaine dit exactement cela.
Sur un plan plus symbolique, le proverbe nous rappelle que les comportements de notre jeunesse auront une influence sur nos vieux jours et la manière de les vivre.
C'est l'orgueil de la jeunesse que "d'oublier" qu'un jour elle vieillira et qu'il est prudent d'en tenir compte. Il y a des manières de "profiter de sa jeunesse" qui oblitèrent la poursuite de sa vie que ce soit sur le plan affectif ou professionnel.
Les bons comptes font les bons amis.
Voila un vrai proverbe. La brièveté de la formule et la répétition du terme « bon » dans les deux parties confèrent à l’expression la qualité même d’un proverbe. Au sens littéral, nous comprenons vite que les bons comptes renvoient au fait qu’il n’y a pas de dette entre les amis ou encore qu’il n’y a pas eu tromperie dans des échanges commerciaux. A quelle condition l’amitié et l’argent peuvent-ils faire bon ménage ? Telle est la question que le proverbe nous pose. L’expression proverbiale suggère deux choses : d’une part que de mauvais comptes sont capables de briser une amitié. On ne peut invoquer durablement l’amitié pour couvrir l’injustice. Les meilleurs amis du monde ne le resteront pas longtemps si l’un des deux met l’autre dans l’injustice et l’embarras. D’autre part, on peut aussi comprendre que la formule bien comprise agit à rebours : c’est parce que l’on est amis que l’on sera particulièrement vigilant à avoir de bons comptes. L’amitié s’en trouvera alors renforcée. Se vérifiera alors l’expression que « les bons comptes font les bons amis ».
Les conseilleurs ne sont pas les payeurs.
Ce proverbe est bien connu des moralistes. Il manifeste la distance inévitable qui existe entre la personne qui donne un avis ou un conseil et celle qui va décider et subir les conséquences concrètes de sa décision. En définitive, chacun reste seul en face de sa décision. C'est pourquoi, les moralistes sont invités à une grande prudence lorsqu'ils sont consultés.
Le Christ lui-même avait bien conscience de cet écart. Il n'hésita pas à reprocher aux pharisiens de lier de pesants fardeaux sur les épaules des gens et de ne pas vouloir les aider du petit doigt. Par là, les moralistes doivent comprendre que leurs paroles ont des conséquences et qu'ils sont invités à être aussi responsables de leurs paroles ! (Mt 23, 4).
Les petits ruisseaux font les grandes rivières.
Ce proverbe part d'une observation que chacun peut faire. Les rivières et les fleuves ne sortent pas de terre aussi imposants qu'on les connaît lorsqu'ils arrivent à la mer. C'est la conjonction de sources et de quantités de ruisseaux qui, se jetant dans la rivière lui permet de devenir plus grande, de prendre la dimension d'un fleuve. Avec un peu de recul, ce proverbe nous rappelle que les grandes choses de la vie ont commencé par des petits événements, modestes que l'on a su articuler entre eux. Chaque jour qui passe n'est peut-être pas glorieux mais mis bout à bout ils ont permis de réaliser un ouvrage qui a de l'ampleur. Ainsi, celui qui fait un puzzle de 1000 pièces ne fait pas un geste plus difficile en posant la dernière pièce qu'en associant les deux premières. Ce proverbe est souvent utilisé dans le monde de la finance ou des entreprises. Les petits bénéfices réguliers et nombreux font les grandes fortunes. Autrement dit, le proverbe des petits ruisseaux nous invite à ne pas dénigrer les petites choses de la vie. Sans elles, rien de grand ne serait fait. D'où l'importance de se souvenir que les grandes oeuvres ne sont que la partie émergée d'un iceberg qui flotte sur le travail discret d'une multitude de "petites mains". Bienheureux ceux qui ont des yeux pour voir au-delà de ce qui brille.
Médecin, soigne-toi toi-même.
Ce proverbe qui nous est connu depuis la rédaction des Evangiles convoque celui à qui il est adressé á vivre en cohérence avec lui-même. Ici, le médecin, pour montrer qu'il est un bon médecin, doit en faire la preuve sur lui-même. S'il n'arrive pas à se soigner lui-même, comment arrivera-t-il à soigner les autres ? On le comprend d'autant mieux quand on sait que soigner consiste souvent à donner des potions ou des drogues comme on disait dans l'ancien temps. En les utilisant sur lui, il montre que ses potions ne sont pas dangereuses mais en plus qu'elles guérissent. Par extension, ce proverbe nous rappelle que l'on est d'autant plus crédible que l'on est compétent dans le domaine où l'on prétend donner des conseils et que l'on met en pratique pour soi-même ce que l'on dit pour les autres.
Ne pas avoir les deux pieds dans le même sabot
Dire que quelqu'un n'a pas les deux pieds dans le même sabot (la chaussure en bois des pauvres gens) c'est affirmer qu'il est plutôt dégourdi ou encore qu'il est agile avec ses membres. De façon plus imagée, cela signifie qu'il a l'esprit délié, imaginatif et créatif. Pour bien le comprendre, il suffit d'imaginer une personne qui aurait les deux pieds dans la même chaussure. Elle n'irait pas loin avant de tomber. Outre le bon sens qui se déploie dans le proverbe, il est heureux qu'il insiste sur le côté positif de ce qui est observé. Il est préférable de dire de quelqu'un qu'il n'a pas les deux, pieds dans le même sabot, c'est lui faire un compliment, que d'affirmer qu'il a les deux pieds dans le même sabot, ce serait alors pointer sa faiblesse et dire qu'il est "coincé" ou maladroit.
Nul grand homme pour son valet
A l'époque où les grands hommes de ce monde cumulaient richesses et responsabilités, ils avaient des valets de chambre. Fréquentant l'intimité de leur maître, les valets avaient accès à la face caché de leur vie avec son lot de misères et de faiblesses. Ce " grand homme " public redevenait comme tout le monde dans la vie privée. C'est sagesse que de se souvenir que face aux grandes questions de la vie (mort, souffrance, maladie, conjugalité, éducation des enfants, …), nous sommes tous logés à la même enseigne. Cette égalité des êtres humains est fondamentale. Pourtant, cette remarque populaire procède de la même attitude que celle qui consiste à s'attarder sur les apparences, qu'elles soient publiques ou privées. Même en privé, on peut encore jouer un rôle. Enfin, elle joue l'égalité par le bas. Antoine de Saint-Exupéry voyait plus loin en faisant dire au renard que " l'essentiel était invisible " La foi chrétienne, a appris du Christ qu'il ne fallait pas s'arrêter aux apparences qu'elles soient publiques ou privées : " tu ne regardes pas au rang des personnes" Mt 22, 16. En fait, dans le cœur de Dieu, chacun est grand et d'un prix infini : " Tu as du prix à mes yeux". Le Christ a choisi de se faire le serviteur de tous. Cela nous invite alors à accepter que chacun soit supérieur à nous-mêmes. Cf. Ph 2.
On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
(A la demande d'un internaute).
Ce proverbe veut dire qu’il y a toujours un prix à payer pour obtenir quelque chose. Mais ce serait faire une analyse trop courte que d’arrêter notre commentaire à ce point. Ce prix contient, en fait, une dimension dramatique, voire tragique : il s’agit d’un prix douloureux pour obtenir les choses que l’ont veut. Or non seulement la nature sapientielle du proverbe induit que ce prix douloureux est nécessaire, mais en plus qu’il est légitime et acceptable. Ce proverbe est particulièrement cité dans la mentalité utilitariste de notre temps qui accepte volontiers que le prix à payer pour maximiser les profits pour le plus grand nombre soit l’appauvrissement de quelques uns. La richesse obtenue (l’omelette pour les riches) se fait sur le dos brisé de quelques uns (la coquille des pauvres). Autrement dit, ce proverbe laisse entendre que pour obtenir des choses, il est légitime de faire payer d’autres à notre place. (Cf. les deux brigands qui veulent tuer Tintin dans « l’oreille cassée »). Ce serait alors un usage abusif et inadmissible de ce proverbe. Plus intéressant est le proverbe ainsi libellé : « On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ». Ce second proverbe renvoie au principe de réalité qui veut que les choses et les services ont en général en coût pour la personne qui veut les obtenir. Un coût qui n’est pas à faire supporter par d’autres.
Petit à petit l'oiseau fait son nid
Ce proverbe invite celui à qui il est adressé à prendre son temps pour faire les choses et à ne pas s'inquiéter, outre mesure, du temps qu'il faut pour réaliser un projet. D'autres proverbes évoquent la même réalité : "Paris ne s'est pas fait en un jour" ; "Goutte à goutte l'oued fait son lit" peut-on entendre de l'autre côté de la Méditérannée. L'autre proverbe : "" travaille la même idée mais en insistant plus sur le contraste petit-grand.
Ici, l'accent porte plutôt sur le temps qui est l'allié de toutes nos réalisations. Le proverbe invite à la patience et plus encore à la persévérance pour atteindre nos objectifs. Sans être un disciple de Jean-Jacques Rousseau, la nature peut ici nous servir de bon maître.
Pierre qui roule n'amasse pas mousse
Ce proverbe se fonde sur un constat de la nature. Une pierre qui roule (un galet dans une rivière, un caillou qui dévale une montagne, ...) est toujours un galet sans mousse. Seules les pierres immobiles, dont une des faces est constamment exposée au vent dominant humide, finissent par se recouvrir de mousse. Ici, ce sont le temps et la stabilité qui sont les conditions de possibilité du développement de la mousse. Citer ce proverbe est une manière de dénoncer ceux qui brassent de l'air, bougent tout le temps ou qui sont affairés sans rien faire. Ceux-là ne produisent pas grand chose, sinon du vent et de l'agitation. Seuls ceux qui prennent le temps de demeurer un certain temps sur une place peuvent en profiter et amasser de la mousse c'est-à-dire s'enrichir vraiment de leur environnement. Sont ainsi mises en valeurs deux vertus fondamentales dans la vie humaine : la patience et la constance.
Poussière aux pieds vaut mieux que poussière au derrière
(à la demande d' un internaute)
Ce proverbe d'origine africaine veut montrer que la localisation de la poussière sur le corps humain est révélatrice des activités de cet homme. Dans des latitudes où la poussière est chose commune dans les maisons ou sur les routes, avoir de la poussière au derrière montre que l'on est resté assis toute la journée; avoir de la poussière sur les pieds montre que l'on a été travailler.
De tout temps les cultures ont dénigré la et fait l'éloge du travail.
Quand le chat est parti les souris dansent
Ce proverbe laisse entendre que lorsque les motifs de la crainte d'une sanction ont disparu (le chat), alors on peut faire ce que l'on veut (danser pour les souris). En effet, lorsqu'un chat est à la maison, les souris ne sortent pas n'importe quand ni n'importe comment. D'une manière plus générale, on peut comprendre que la présence d'une autorité avec un fort pouvoir de sanction est la clef de voûte d'une certaine stabilité sociale et que son absence engendre l'anarchie. L'interprétation générale de ce proverbe est d'affirmer la nécessité de la présence d'une forte autorité pour qu'il y ait une paix sociale. Nous pourrions aussi examiner la danse des souris, non pas comme une régression vers l'anarchie, mais parfois comme une certaine transgression d'un ordre établi (Cf. les carnavals) quitte à y revenir dès le retour (souhaité) du chat. Toutes les institutions savent combien il importe " d'organiser " ce genre de danse des souris. Cela fait partie des respirations nécessaires de tout groupe social. Enfin, nous pourrions aussi nous poser la question au plan individuel et non pas collectif. Finalement, comment est-ce que je me tiens lorsque je suis confronté à ma seule responsabilité ? Est-ce que je fais n'importe quoi ? Ou bien suis-je capable d'avoir " une ligne de conduite ". Il est alors intéressant de faire l'expérience du départ du chat pour repérer ce à quoi je tiens vraiment dans ma manière de vivre, ce qui me tient et ce qui me structure.
Il y a plusieurs évangiles qui évoquent l'attitude du serviteur lorsque le maître est parti. Celui qui sera trouvé fidèle à sa tâche est valorisé de plusieurs manières différentes : - Le maître l'établira sur tous ses biens (Mt 24, 47) - Il entre dans la joie de son Seigneur (Mt 25, 21) - Heureux ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller ! En vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table et, passant de l'un à l'autre, il les servira.(Lc 12, 37)
Qui aime bien, châtie bien.
Que voilà une redoutable expression qui associe dans un même mouvement l'amour et le châtiment, la tendresse et la violence. Elle se comprend généralement dans le cadre éducatif d'une relation parents-enfants. Ce proverbe manifeste tout d'abord qu'il n'y a pas d'amour authentique sans un rapport à la loi. En effet, il ne peut y avoir de " châtiment " s'il n'y a pas eu de transgression à l'égard d'une règle connue des deux parties. Et c'est assez juste que de dire cela. L'amour a ses exigences et ne peut tout couvrir sous peine de se dévaloriser. L'amour authentique, celui qui veut la vie de l'autre pour lui-même ne peut pas accepter de bon cœur que l'être aimé se détruise. Et lorsqu'il a charge d'éducation, il est parfois nécessaire d'user de " punition " pour faire comprendre par le déplaisir ce qu'aux âges les plus jeunes on ne peut comprendre autrement. Les théories sur le développement moral de la personne (Piaget, Kohlberg), montrent à l'envie qu'il existe justement un développement moral de l'enfant et qu'il est pertinent de ne pas user d'arguments et d'attitudes qui ne soient en rapport avec l'âge de cet enfant. Les " châtiments ", pour reprendre le vocabulaire du proverbe, sont nécessaires. Evitons donc, sur ce sujet toute démagogie facile. Il faut aussi faire évoluer ses pratiques éducatives en fonction de l'évolution de cet enfant. C'est là un art véritable. Ceci dit, qu'est-ce donc qu'un châtiment, et plus encore que bien châtier ? C'est, semble-t-il, dans les synonymes de bien que nous allons trouver la solution à notre question. Il ne s'agit pas tant de châtier beaucoup ou volontiers, que de châtier de manière proportionnée et ajustée au bien de l'enfant. Cet art s'apprend sur le terrain et il n'est pas aisé de savoir si l'on a été trop sévère ou pas assez. Le pire dans une charge éducative, serait de croire qu'il ne doit jamais y avoir de sanction. En effet, la sanction (bonne ou mauvaise), contribue éminemment à l'intégration du sens symbolique de la loi. Sans loi l'homme ne se structure pas, devient irresponsable pour lui-même et les autres et ne peut alors mener de projet à bien. Loin de nous, cependant l'idée de faire l'apologie des châtiments corporels. Ces deux mots sont tellement associés dans l'imaginaire collectif. S'il s'agit de servir le bien de l'enfant, il n'est donc pas nécessaire de l'abîmer par les coups comme on l'a fait à d'autres époques. Un bon éducateur saura néanmoins trouver la sanction juste et proportionnée dans la culture qui est la nôtre de telle sorte que petit à petit, la personne en croissance intègre qu'il y a des chemins de morts et de chemin de vie et que tout ne se vaut pas. " Choisis la vie !" dit Dieu dans le livre d'Isaïe.
Qui fait l'ange fait la bête.
Voila un proverbe dont le ressort repose autant sur son rythme, sa briéveté que sur le contraste des termes. Traditionnellement l'ange est du côté du bien et la bête symbolise le diable qui se cache parfois sous le déguisement trompeur d'un personnage séduisant, d'un ange de lumière. La première interprétation consiste à dire que la sagesse de ce proverbe réside dans la dénonciation d'attitudes tellement bienveillantes qu'elles en deviennent aveugles sur les ambiguités de ce monde. Or ne pas les voir, c'est, au fond, les favoriser et leur laisser toute la place. Faire l'ange est ici faire le jeu de la bête. La seconde approche est plus radicale. En utilisant le proverbe pour décrire l'attitude de tel ou tel, on veut dénoncer un fourbe qui a voulu prendre une apparence trop belle pour être vraie. Le loup, pour entrer dans la bergerie prend toujours l'apparence de l'agneau. En définitive, l'usage du proverbe a pour but de rappeler que le réel est toujours marqué de limites et d'ambiguités. C'est un avantage de les connaître, c'est une imprudence de les ignorer, une erreur de ne jamais vouloir en tenir compte.
Qui paye ses dettes s'enrichit.
Ce proverbe semble contradictoire. En effet, lorsque l'on paye ses dettes, on perd de l'argent immédiatement disponible et à cet égard, on est moins riche. En réalité, ce n'est pas tout à fait exact. Avoir des dettes coûte de l'argent. Cela coûte les intérêts. Les personnes endetttées le savent bien. Aussi, lorsque l'on rembourse ses dettes, on n'a plus à payer les intérêts et c'est de leur somme que l'on s'enrichit ensuite. De plus, n'est-ce pas parce que l'on s'est enrichi que l'on peut payer ses dettes ?
Qui trop embrasse, mal étreint
Il ne faut pas trop vite voir dans ce proverbe une question sexuelle. Avant de signifier "donner un baiser", embrasser indique simplement tenir des objets dans ses bras. Puis dans un second temps, tenir une personne entre ses bras. Enfin, on a gardé dans le verbe d'embrasser l'image de l'acte qui se déroule souvent lorsque l'on se tient dans les bras l'un de l'autre : on se donne des baisers. En fait, ce proverbe signifie littéralement que lorsque l'on met trop de choses dans ses bras, on les tient moins bien, on les étreints moins bien et on risque de les faire tomber. On use de ce proverbe pour mieux faire comprendre qu'il est plus prudent de faire moins de choses pour mieux les faire. La valeur sous-jacente est que peu de choses bien faites sont plus importantes que beaucoup mal faites. En vérité, qui trop embrasse finit par ne rien étreindre et à brasser du vent. Néanmoins, s'il fallait en venir aux connotations psycho-affectives que la culture française permet autour des verbes embrasser et étreindre, il est possible de dire qu'il fonctionne aussi sur le terrain de l'affectivité et dans le même sens. Ainsi beaucoup de jeunes s'aperçoivent après coup que ce n'est pas le nombre de partenaires qui importe mais la qualité de la relation que l'on construit patiemment, petit à petit. Ceux qui "embrassent" trop font du surplace dans leur vie affective et finissent par se retrouver seuls. Pour conclure, le proverbe invite donc à faire le deuil de tout tenir, de tout posséder au profit d'actions limitées mais porteuses d'avenir parce que mieux assurées. Le bonheur n'est pas tant dans la saturation des désirs (ce qui s'avère vite impossible) que dans la capacité à choisir un chemin (et donc à renoncer à tous les autres). Le bonheur est toujours courageux.
Qui veut aller loin ménage sa monture
Ce proverbe nous ramène à l’époque où l’on voyageait à cheval. C’est par le procédé de la métonymie que l’on assimile la monture au cheval. On monte à cheval. Comme tout être vivant, le cheval a besoin de repos, de nourriture. Celui qui veut aller loin doit donc respecter la santé de son cheval sous peine de le perdre en route et de ne pas aller aussi loin qu’il l’aurait voulu. Ainsi donc, pour mener à bien nos projets, il convient de nous respecter nous-mêmes, nous qui sommes notre propre monture. Une vie équilibrée par une nourriture saine et un rythme de vie adéquat sont des éléments de base pour réussir n’importe quelle entreprise de longue haleine. Par extension, ce proverbe signifie que lorsque l’on a un projet, rien ne sert d’aller trop vite. C’est la volonté d’atteindre l’objectif qui engendre une gestion prudente des ressources nécessaires pour y parvenir. La patience et l’économie sont les vertus de ceux qui ont des projets qui leur tiennent à cœur.
Qui vole un œuf vole un bœuf.
(A la demande d'une internaute)
Ce proverbe tire sa force évocatrice de son dynamisme poétique. Ce qui en fait un véritable proverbe. On pourrait le rapprocher d'une autre expression : mettre le doigt dans l'engrenage. Ce proverbe nous dit qu'en définitive il y a plus d'écart entre ne pas voler et voler un œuf qu'entre voler un œuf et voler un boeuf. La transgression de la loi que constitue le premier vol est plus grave que l'évolution de la gravité du vol. Car comme l'affirme une autre expression plus familière : lorsque l'on a franchi les bornes, il n'y a plus de limite. Une fois que le sujet est dans la transgression, la distance qui sépare l'œuf du bœuf n'est pas seulement sémantique (la lettre b) ou de volume, elle est surtout de l'ordre du degré et non de la rupture. Le premier vol était, quant à lui, une vraie rupture par rapport à la loi de l'honnêteté et du respect de la propriété privée Ainsi donc, ce proverbe a pour but d'inciter celui ou celle qui l'écoute à ne jamais commencer à transgresser la loi sous peine de prendre le risque d'être entraîné au-delà de son intention première.
Toute vérité n'est pas bonne à dire
Cette remarque est particulièrment intéressante parce que particulièrement difficile. Disons qu'elle est à la fois dangereuse et empreinte d'une certaine sagesse.
Elle dangereuse en ce sens que sa mise en application est extrêmement complexe. En effet, quels sont les critères qui permettront de dire qu'une vérité est bonne à dire ou non ? Ne risque-t-on pas d'être laxiste à l'égard de la vérité ? Ne risque-t-on pas de mettre en oeuvre ce dicton en fonction des circonstances et des situations ? En vue de quoi, une vérité ne serait pas bonne à dire ? Mon intérêt immédiat ? L'intérêt de tel personne, tel enfant qui ne serait pas capable de recevoir telle ou telle révélation ?
Il s'agit, dès lors qu'on perçoit les risques évidents de perte des valeurs et de relativisme, de se redire pourquoi le service de la vérité est structurant pour toute personne humaine et pour la société dans son ensemble. La vérité est fondamentale pour la stabilité d'une vie sociale, d'une vie politique démocratique, d'une vie économique... Sans vérité, il n'est que chaos. Et il importe qu'existe une ou plusieurs instances publique dont la charge consiste à faire la lumière sur les événements. La justice est l'institution fondamentale qui doit préserver le contexte de vérité des relations humaines. La presse, libre et responsable, y contribue aussi pour sa part.
On le voit bien, la vérité est donc au service de la vie. Elle est organiquement reliée aux grandes valeurs du respect d'autrui, de la vie conjugale, de la propriété individuelle et des exigences de la vie en société qui se doit de protéger les plus faibles (lesquels seraient les premières victimes d'une situation de mensonge institutionnalisée).
Le seul cas où il est envisageable de ne pas dire la vérité c'est-à-dire de se taire (il n'est pas toujours nécessaire de mentir pour ne pas dire la vérité) c'est lorsque celui ou celle qui exige la vérité l'exige pour aller contre le voeu même de la vérité : la vie sociale et personnelle de tous et de chacun. On ne peut exiger la vérité contre ce qu'elle veut promouvoir de toutes ses forces comme la paix et la vie. Ce serait la pervertir.
Même le Christ a été affronté à cette question. Mt 21, 23-27 :
Il était entré dans le Temple et il enseignait, quand les grands prêtres et les anciens du peuple s'approchèrent et lui dirent " Par quelle autorité fais-tu cela ? Et qui t'a donné cette autorité ? " Jésus leur répondit : " De mon côté, je vais vous poser une question, une seule ; si vous m'y répondez, moi aussi je vous dirai par quelle autorité je fais cela. Le baptême de Jean, d'où était-il ? Du Ciel ou des hommes ? " Mais ils se faisaient en eux-mêmes ce raisonnement : " Si nous disons : "Du Ciel", il nous dira : "Pourquoi donc n'avez-vous pas cru en lui ?" Et si nous disons : "Des hommes", nous avons à craindre la foule, car tous tiennent Jean pour un prophète. " Et ils firent à Jésus cette réponse : " Nous ne savons pas. " De son côté il répliqua : " Moi non plus, je ne vous dis pas par quelle autorité je fais cela. "
Le Christ ne peut donner la vérité à qui n'a pas le coeur droit pour l'entendre. Exiger la vérité ne peut se faire qu'à la condition d'être vrai avec cette vérité. La redondance de la formule n'est qu'apparente. Ce que l'on dit ici, c'est que l'on ne peut prendre les valeurs séparées les unes des autres sans tomber dans la perversion.