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Marcel ayme

LES CLOCHARDS

Dominique, non sans effort, entrait dans le jeu de Maillard et posait des questions.

— Qu'est-ce que je fais ? répondait Maillard. C'est 90 une sacrée histoire. Je suis sorti de l'hôpital il y a

quinze jours. Dans le temps, je déchargeais des péni­ches, tantôt ici, tantôt là. C'est du travail. Il y en a qui m'ont connu, mais on ne sait pas où ils sont. Un jour ici, un jour là, tu comprends, mais il y en

95 a qui m'ont connu. Ils me disaient Maillard comme tu me dirais Maillard. J'avais une bonne vie, je peux bien le dire aujourd'hui.

Maillard demeura pensif un instant, comme s'il avait perdu le fil de son histoire.

îoo Alors ? interrogea mollement Dominique. Qu'est-ce qui t'est arrivé?

— Un jour, ils m'ont ramassé sur mon tas de sable, ils m'ont mené à l'hôpital. Quand je suis sorti, j'étais comme un vieux avec des guibolles en laine, des bras

105 en laine, tout en laine. Un vieux, je te dis. D'abord, je ne voulais pas le croire. Il faisait un petit soleil pas bien chaud, mais soleil quand même ; je suis monté vers les chantiers, au quai de la Râpée. Je m'approche d'un gamin qui chargeait du sable dans une benne. Un

no travail assez doux. Il me tend sa pelle, mais à la deuxième pelletée, les bras ne voulaient plus, et tout le reste, parce que ce n'est pas seulement l'affaire des bras. Quand j'ai vu ça, j'ai eu peur... ah, mon Dieu, si j'ai eu peur. Je me suis sauvé par ici, je ne sais

115 pas où. J'avais encore cent francs en poche, et main­tenant, tu sais où j'en suis : huit francs cinquante...

Maillard eut un geste d'effroi et serra l'épaule de Dominique.

  • Voilà quinze jours que je traîne par les rues ; il

y a du monde. 120

  • Comme tu dis, approuva Dominique, il y a du monde.

  • Quand je voyais tout ce monde qui passait, je me sentais plus d'aplomb, d'abord. On se figure... hein, qu'est-ce qu'on se figure ? Le monde peut bien 125 passer, ce n'est pas ça qui engraisse. Pourtant, il y en a qui m'ont connu.

  • Tu n'es quand même pas à plaindre, dit Domi­nique. Il te reste des sous. Et puis, tu es bien habillé,

ru as le genre ouvrier propre. A ta place, j'essaierais no quelque chose...

  • Quoi faire? Pour travailler, il faut être fort. Dominique se mit à jurer ; une rafale dé vent venait

de s'engouffrer dans sa veste qui claquait comme un drapeau. 135

  • Quoi faire ? répéta Maillard d'une voix pressante.

  • C'est vrai, grommela Dominique, tu n'as pas l'in­telligence. A ton air cul, on voit bien que tu as toujours travaillé comme les bêtes. Il n'y a rien à faire pour toi.

  • Je ne dis pas que j'ai l'intelligence, protesta le ho vieux. Quand même, il y en a qui m'ont connu. Je ne me laissais manquer de rien. Je me rappelle une fois, on était plusieurs, on était en train de manger un morceau ; il y en a un grand qui a dit devant tous les autres : « Maillard — c'était moi — Maillard, c'est 145 l'homme qui sait prendre son travail. » Toi, tu dis que je n'ai pas l'intelligence; bien entendu; je n'ai pas la prétention non plus, mais je te redis ce qu'il m*a dit. Ce qui m'a manqué tout d'un coup, à moi, c'est les forces. Je suis comme un vieux. 150

  • Dominique n'écoutait plus. Il essayait de somno­ler tout debout. Maillard le secoua et lui rappela dis­crètement leur marché :

  • Au matin, on sera tout de même content de boire 155 un café.

  • Ah, là, là, gronda Dominique, en voilà du potin pour un café. Tu crois peut-être que je vais causer toute la nuit, sans m'arrêter ? Tu ne veux pas non plus que je te tienne la main?

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