Добавил:
Опубликованный материал нарушает ваши авторские права? Сообщите нам.
Вуз: Предмет: Файл:
_10_Эмиль Золя для эл версии.doc
Скачиваний:
4
Добавлен:
30.04.2021
Размер:
80.38 Кб
Скачать

§ 7 Emile Zola (1840-1902)

C'est à huit ans, après la mort de son père, qu'Emile Zola doit quitter la ville de son enfance, Aix-en-Provence. Sa famille monte à Paris. Les débuts étaient difficiles pour le jeune homme avide de s'imposer à la société. Cependant, depuis 1862 il travaille comme employé chez Hachette puis dans divers journaux. Le chef de publicité chez Hachette l'amène progressivement à la littérature. En 1867 il publie son premier roman réaliste Thérèse Raquin. Peu après Emile Zola prend parti contre l'Empire. En 1868 lui vient l'idée de faire l'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire en s'aidant des découvertes récentes sur l'hérédité. C'est ainsi que la série des Rougon-Macquart (L'Assomoir, 1877; Pot-Bouille, 1882; Germinal, 1885; La Bête humain, 1890 ...) repose sur la théorie de l'hérédité: l'auteur suit, dans les vingt volumes, les cinq générations d'une même famille, en montant l'importance des déterminismes génétiques et sociaux sur l'évolution des personnages. L'école naturaliste est née. Mais le génie de Zola et l'exactitude scientifique avec laquelle l'auteur décrit les mœurs du Second Empire ont complètement dépassé le cadre de cette démonstration. Porte-parole des mineurs, des ouvriers, de tous les opprimés de la société capitaliste triomphante, il réussit particulièrement bien à suggérer la formation d'une âme collective.

Germinal est un roman politique envisagé pour écrire une grêve de mineurs sous le Second Empire. A la date où Zola élabore son projet, janvier 1884, le sujet est d'une actualité brûlante: les mineurs d'Anzin, dans le Valenciennois, viennent de déclancher l'une des grèves les plus longues de leur histoire. Zola se rend sur place pour visiter les mines et mener son enquête documentaire.

Etienne Lantier, fils de Gervaise Macquart, l'héroïne de L'Assomoir, arrive à Montsou, bourg minier du Nord, pour travailler au puits du Voreux. C'est un ouvrier autodidacte, acquis aux idées de Marx et de Proudhon. La direction voulant imposer une baisse de salaire, Lantier décide les mineurs à faire grève. La grève se prolonge, et les ouvriers affamés, détruisent les installations de la mine. On fait donner la troupe contre les mineurs et le conflit s'achève dans le sang. Maheu, chez qui loge Lantier, est tué. Etienne est sauvé par une équipe de secours après avoir vu mourir à ses côtés Catherine Maheu, qu'il aimait. Il retourne à Paris, et les mineurs, à leur condition misérable.

La mine du Voreux est la bouche d'un monstre dévorant représente un symbole des forces parmi lesquelles l'homme évolue.

APRÈS LA GRÈVE

Peu à peu, les chemins déserts se peuplaient, des charbonniers passaient continuellement près d'Etienne, la face blême, silencieux. La Compagnie, disait-on, abusait de son triomphe. Après deux mois et demi de grève, vaincus par la faim, lorsqu'ils étaient retournés aux fosses, ils avaient dû accepter le tarif de boisage, cette baisse de salaire déguisée, exécrable à présent, ensanglantée du sang des camarades. On leur volait une heure de travail, on les faisait mentir à leur serment de ne pas se soumettre, et ce parjure imposé leur restait en travers de la gorge, comme une poche de fiel. Le travail recommençait partout, à Mirou, à Madeleine, à Crèvecoeur, à la Victoire. Partout, dans la brume du matin, le long des chemins noyés de ténèbres, le troupeau piétinait, des files d'hommes trottant le nez vers la terre, ainsi que du bétail mené à l'abattoir. Ils grelottaient sous leurs minces vêtements de toile, ils croisaient les bras, gonflaient le dos, que le briquet, logé entre la chemise et la veste, rendait bossu. Et, dans ce retour en masse, dans ces ombres muettes, toutes noires, sans un rire, sans un regard de côté, on sentait les dents serrées de colère, le cœur gonflé de haine, l'unique résignation à la nécessité du ventre.

Plus il approchait de la fosse, et plus Etienne voyait leur nombre s'accroître. Presque tous marchaient isolés, ceux qui venaient par groupes, se suivaient à la file, éreintés déjà, las des autres et d'eux-mêmes. Il en aperçut un, très vieux, dont les yeux luisaient, pareils à des charbons, sous un front livide. Un autre, un jeune soufflait, d'un souffle contenu de tempête. Beaucoup avaient leurs sabots à la main; et l'on entendait à peine sur le sol le bruit mou de leurs gros bas de laine. C'était un ruissellement sans fin, une débâcle, une marche forcée d'armée battue, allant toujours la tête basse, enragée sourdement du besoin de reprendre la lutte et de se venger.

Lorsque Etienne arriva, Jean-Bart sortait de l'ombre, les lanternes accrochées aux tréteaux brûlaient encore, dans l'aube naissante. Au-dessus des bâtiments obscurs, un échappement s'élevait comme une aigrette blanche, délicatement teintée de carmin. Il passa par l'escalier du criblage, pour se rendre à la recette.

La descente commençait, des ouvriers montaient de la baraque. Un instant, il resta immobile, dans ce vacarme et cette agitation. Des roulements de berlines ébranlaient des dalles de fonte, les bobines tournaient, déroulaient les câbles, au milieu des éclats du porte-voix, de la sonnerie des timbres, des coups de massue sur le billot du signal; et il retrouvait le monstre avalant sa ration de chair humaine, les cages émergeant, replongeant, engouffrant des charges d'hommes, sans un arrêt, avec le coup de gosier facile d'un géant vorace. Depuis son accident, il avait une horreur nerveuse de la mine. Ces cages qui s'enfonçaient, lui tiraient les entrailles. Il dut tourner la tête, le puits l'exaspérait.

Mais, dans la vaste salle encore sombre, que les lanternes épuisées éclairaient d'une clarté louche, il n'apercevait aucun visage ami. Les mineurs qui attendaient là, pieds nus, la lampe à la main, le regardaient de leurs gros yeux inquiets, puis baissaient le front, se reculaient d'un air de honte. Eux, sans doute, le connaissaient, et ils n'avaient plus de rancune contre lui, ils semblaient au contraire le craindre, rougissant à l'idée qu'il leur reprochait d'être des lâches. Cette attitude lui gonfla le coeur, il oubliait que ces misérables l'avaient lapidé, il recommençait le rêve de les changer en héros, de diriger le peuple, cette force de la nature qui se dévorait elle-même.

Une cage embarqua des hommes, la fournée disparut, et comme d'autres arrivaient, il vit enfin un de ses lieutenants de la grève, un brave qui avait juré de mourir.

– Toi aussi! murmura-t-il, navré.

L'autre pâlit, les lèvres tremblantes; puis, avec un geste d’excuse:

– Que veux-tu ? j'ai une femme.

Maintenant, dans le nouveau flot monté de la baraque, il les reconnaissait tous.

– Toi aussi! toi aussi! toi aussi!

Et tous frémissaient, bégayaient d'une voix étouffée :

– J'ai une mère... J'ai des enfants... Il faut du pain.

La cage ne reparaissait pas, ils l'attendirent, mornes, dans une telle souffrance de leur défaite, que leurs regards évitaient de se rencontrer, fixés obstinément sur le puits.

– Et la Maheude ? demanda Etienne.

Ils ne répondirent point. Un fit signe qu'elle allait venir. D'autres levèrent leurs bras, tremblants de pitié: ah! la pauvre femme! quelle misère! Le silence continuait, et quand le camarade leur tendit la main, pour leur dire adieu, tous la lui serrèrent fortement, tous mirent dans cette étreinte muette la rage d'avoir cédé, l'espoir fiévreux de la revanche. La cage était là, ils s'embarquèrent, ils s'abîmèrent, mangés par le gouffre.

Pierron avait paru, avec la lampe à feu libre des Dorions, fixée dans le cuir de sa barrette. Il s'approcha pourtant lorsque le jeune homme lui eut annoncé son départ. Ils causèrent.

– La Maheude ne vient donc pas ce matin? demanda-t-il à Pierron, au bout d'un instant.

– Hein? la Maheude. La voici.

En effet, la Maheude arrivait de la baraque, avec sa lampe, vêtue de la culotte et de la veste, la tête serrée dans le béguin. C'était par une exception charitable que la Compagnie, apitoyée sur le sort de cette malheureuse, si cruellement frappée, avait bien voulu la laisser redescendre à l'âge de quarante ans; et, comme il semblait difficile de la remettre au roulage, on l'employait à la manœuvre d'un petit ventilateur, qu'on venait d'installer dans la galerie nord, dans ces régions d'enfer, sous le Tartaret, où l'aérage ne se faisait pas. Pendant dix heures, les reins cassés, elle tournait sa roue, au fond d'un boyau ardent, la chair cuite par quarante degrés de chaleur. Elle gagnait trente sous.

Lorsque Etienne l'aperçut, lamentable dans ses vêtements d'homme, la gorge et le ventre comme enflés encore de l'humidité des tailles, il bégaya de saisissement, il ne trouvait pas les phrases pour expliquer qu'il partait et qu'il avait désiré lui faire ses adieux.

Elle le regardait sans l'écouter, elle dit enfin, en le tutoyant:

– Hein? ça t'étonne de me voir... C'est bien vrai que je menaçais d'étrangler le premier des miens qui redescendrait; et voilà que je redescends, je devrais m'étrangler moi-même, n'est-ce pas?... Ah! va, ce serait déjà fait, s'il n'y avait pas le vieux et les petits à la maison!

Et elle continua, de sa voix basse et fatiguée. Elle ne s'excusait pas, elle racontait simplement les choses, qu'ils avaient failli crever, et qu'elle s'était décidée, pour qu'on ne les renvoyât pas du coron.

– Comment se porte le vieux? demanda Etienne.

– Il est toujours bien doux et bien propre. Mais la caboche s'en est allée complètement... Son histoire nous a causé tout de même beaucoup de tort, car il n'aura jamais sa pension, un de ces messieurs m'a dit que ce serait immoral, si on lui en donnait une.

– Jeanlin travaille?

– Oui, ces messieurs lui ont trouvé de la besogne, au jour. Il gagne vingt sous... Oh! je ne me plains pas, les chefs se sont montrés très bons, comme ils me l'ont expliqué eux-mêmes... Les vingt sous du gamin, et mes trente sous à moi, ça fait cinquante sous. Si nous n'étions pas six, on aurait de quoi manger. Estelle dévore maintenant, et le pis, c'est qu'il faudra attendre quatre ou cinq ans, avant que Lénore et Henri soient en âge de venir à la fosse.

Etienne ne put retenir un geste douloureux.

– Eux aussi!

Une rougeur était montée aux joues blêmes de la Maheude, tandis que ses yeux s'allumaient. Mais ses épaules s'affaissèrent, comme sous l'écrasement du destin.

– Que veux-tu? eux après les autres... Tous y ont laissé la peau, c'est leur tour.

Elle se tut. Par les grandes fenêtres poussiéreuses, le petit jour entrait, noyant les lanternes d'une lueur grise; et le branle de la machine reprenait toutes les trois minutes, les câbles se déroulaient, les cages continuaient à engloutir des hommes.

Emile Zola «Germinal»