
Ange ou demon ?
A l’alchimie des couleurs vives des vahinés se mêlait une odeur puissante et douce qui remplissait la pièce. Le « Chopin-Gauguin » ne ressemblait en rien à ce que Philippok imaginait de la vie soviétique. A côtés des tableaux du maître fondateur de l’école de Pont-Aven, une multitude de couleurs composaient l’ensemble des éléments du décor. Mais cette décadence ne semblait pas troubler notre petit héros. Assis sur de profonds coussins rouges écarlates, aux côtés de ses deux petits anges protecteurs, Philippok pensait pour la première fois à autre chose qu’au record du mythique Stakhanov. Il s’abreuvait des paroles inconnues que transportait la pale clarté des lampes en sélénite. La fascination monta soudainement, lorsque s’installa au piano en bois massif, une étrange vieille femme. Malgré un âge fort avancé et un début de bosse qui jaillissait de son dos, les yeux de notre travailleur d’élite se mirent à scintiller. Puis ce fut au tour de son cœur de s’emballer quand les premiers effluves musicaux se libérèrent des touches d’ivoire et d’ébène. Les étincelles sonores semblaient se transformer en caresse puissante, éveillant un désir soudain de luxure…« Ваш стакан водки. пожалуйста ». Les vibrations sensorielles rompirent à la phrase prononcée par une jeune serveuse. Natacha qui avait eu l’idée de faire goûter les spécialités locales au petit Philippok, poussa alors un léger rictus en direction de la femme au nez crochu. Le verre de vodka avait cassé le sortilège. Nina Petrovna Raspoutina venait subitement de disparaitre de la scène. Cependant loin d’être débarrassé des vertiges de l’amour, la voix féerique de la jeune fille aux yeux pleins d’azur et d’étoiles, venait de ranimer en Philippok les flammes dévorantes de la passion.
Zemfira ou la strategie de nina
Cloitrée dans son bureau du DFST, Nina Petrovna qui était devenue responsable de la chaire de langue française, suite au décès mystérieux du membre fondateur, ruminait de rage. Elle, la fille du grand Raspoutine, venait de subir le plus grand échec de sa vie. Seul un bon vieux camembert coulant pouvait l’aider à réfléchir. De son côté le petit Philippok, malgré toutes les merveilles visitées au fil des jours passés, ne pouvait s’enlever de l’esprit les yeux bleus pleins de tendresse de cette Vénus des temps modernes. Il ignorait tout d’elle, jusqu’à son prénom. Mais les souvenirs de sa chevelure profonde, de son sourire, de sa voix, le hantaient. Nina qui ne cessait de scruter le passage de notre héros au siège du PCU, se devait de réagir. Certes, le petit français n’avait pas encore eu le courage de faire le premier pas, mais elle ne pouvait pas prendre le risque que le destin de Philippok s’entrecroise avec une autre qu’elle. N’ayant plus de camembert pour l’aider à se détendre, elle décida subitement d’allumer le poste radiophonique.
« Какая красота: дождь идёт Я одна, на тротуарах пузыри Я считаю их, я не знаю вас Больше… »
C’est à ce moment que lui vint une idée machiavélique. Son large sourire laissa alors entrevoir une dent en or à travers le miroir. Le lendemain, un colis postal adressé à ’une certaine Y, arrivait au 136, rue Artioma.
, LE COLIS POSTAL
C’était un matin comme tous les autres matins quand arriva sur son lieu de travail, la dénommée Y. Le réveil avait sonné…l’œil droit comme à son habitude avait devancé l’œil gauche…puis premier regard vers la fenêtre…ciel couvert…un matin comme les autres, pensa-t’elle. Deux tasses de café Jacobs après, Y se précipita sous la douche. Les minutes de sommeil en plus étaient précieuses, comme chaque matin, et comme à l’accoutumée elle vivait une sorte de course contre la montre. Pourtant comme à chaque fois, Y parvenait à déjouer le fil mystérieux des Parques. Un matin comme les autres, puisqu’elle franchit selon son habitude la porte d’entrée à 10h00 précises.
Comme tous les autres matins, Y se dirigea vers le vestiaire pour y poser son sac, sa veste, et y revêtir sa tenue de travail : une chemise manche courte à carreaux, un pantalon droit noir, agrémenté d’un élégant tablier avec ceinture. Elle attacha ses longs cheveux bouclés en une longue queue de cheval, laissant juste une frange délicate à l’avant de son front. Quand elle entendit Olga, elle était fin prête. La responsable du « Chopin-Gauguin » se trouvait assise à sa place habituelle près du comptoir. Elle salua Y par son prénom et l’invita à prendre place à côté d’elle. « Un admirateur secret ? » lui demanda t-elle. N’attendant pas sa réponse Olga sourire aux lèvres lui tendit un colis. Les yeux bleus amandes de Y n’en revenaient pas…un tee-shirt de Zemfira Talgatovna Ramazanova…un matin en fin de compte peut-être pas comme les autres…