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N.N.Lopatnikova

N.A.Movchovitch

Lexicologie du français moderne.

Table de matieres.

Introduction ………………………………………………………………………………………………………1

Chapitre I: Notions de base …………………………………………………………………………………….1

Chapitre II: Le mot………………………………………………………………………………………………..6

Première partie

Les sources d`enrichissement du vocabulaire français.

La langue en tant que phénomène social………………………………………………………………………...21

Chapitre I: L`évolution sémantique des unités lexicales……………………………………………………....23

Chapitre II: La formation des mots……………………………………………………………………………..37

Chapitre III: La formation des locutions phraséologiques………………………………………………………55

Chapitre IV: Les empruntes……………………………………………………………………………………..62

Deuxième parti

Stratification fonctionelle du vocabulaire en français moderne

Les groupements lexicaux……………………………………………………………………………………….74

Chapitre I: Caractéristique du fonds usuel du vocabulaire du français moderne………………………………74

Chapitre II: Différenciation territoriale et sociale du lexique du français moderne……………………………77

Chapitre III: Mots et calques internationaux dans le vocabulaire du français moderne………………………...85

Chapitre IV: Eléments nouveaux et archaiques dans le vocabulaire du français moderne……………………...86

Troisième partie

Structuration sémantique et formelle du vocabulaire du français moderne

Les sous-systèmes dus aux relations assotiatives au sein du vocabulaire français……………………………..90

Chapitre I: Les synonymes…………………………………………………………………………………….91

Chapitre II: Les antonymes…………………………………………………………………………………….98

Chapitre III: Les homonymes………………………………………………………………………………….100

Quatrième partie

Notes lexicographiques

Types de dictionnaires………………………………………………………………………………………….103

Chapitre I: Les dictionnaires unilingues………………………………………………………………………104

Chapitre II: Les dictionnaires bilingues………………………………………………………………………..116

INTRODUCTION

CHAPITRE I

NOTIONS DE BASE

§ 1. Objet d'étude de la lexicologie. Le terme « lexicologie », de provenance grecque, se compose de deux racines : « lexic(o) » de « lexikon » qui signifie « lexique » et « logie » de «logos» qui veut dire « mot, discours, traité, étude ».

En effet, la lexicologie a pour objet d'étude le vocabulaire ou le lexique d'une langue, autrement dit, l'ensemble des mots et de leurs équiva­lents considérés dans leur développement et leurs liens réciproques.

Le vocabulaire constitue une partie intégrante de la langue. Aucune langue ne peut exister sans mots. C'est d'après la richesse du vocabulaire qu'on juge de la richesse de la langue en entier. De là découle l'importance des études lexicologiques.

La lexicologie peut être historique et descriptive, elle peut être orien­tée vers une ou plusieurs langues. La lexicologie historique envisage le développement du vocabulaire d'une langue dès origines jusqu 'à nos jours, autant dire qu'elle en fait une étude diachronique. Elle profite largement des données de la linguistique comparée dont une des tâches est la confron­tation des vocables de deux ou plusieurs langues afin d'en établir la paren­té et la généalogie.

La lexicologie descriptive s'intéresse au vocabulaire d'une langue dans le cadre d'une période déterminée, elle en fait un tableau synchronique. La lexicologie descriptive bénéficie des études typologiques qui re­cherchent non pas à établir des rapports généalogiques, mais à décrire les affinités et les différences entre des langues indépendamment des liens de parenté.

Il n'y aguère de barrière infranchissable entre la lexicologie descripti­ve et la lexicologie historique, vu qu'une langue vivante envisagée à une époque déterminée ne cesse de se développer.

Ce cours de lexicologie sera une étude du vocabulaire du français moderne, considéré comme un phénomène dynamique. Quant à l'inter­prétation du terme « français moderne » nous nous rallions à l'argumen­tation de G. Molinié qui le situe dans la tranche temporelle allant du XVIIe siècle à l'époque actuelle.

Notons que la lexicologie est une science relativement jeune qui offre au savant un vaste champ d'action avec maintes surprises et découvertes.

§ 2. Les aspects synchronique et diachronique des études lexico-logiques. La langue prise dans son ensemble est caractérisée par une grande stabilité. Pourtant elle ne demeure pas immuable. C'est en premier lieu le vocabulaire qui subit des changements rapides, se développe, s'enrichit, se perfectionne au cours des siècles.

La lexicologie du français moderne est orientée vers le fonctionne­ment actuel des unités lexicales en tant qu'éléments de la communica­tion. Cependant la nature des faits lexicologiques tels qu'ils nous sont parvenus ne saurait être expliquée uniquement à partir de l'état présent du vocabulaire. Afin de pénétrer plus profondément les phénomènes du vo­cabulaire français d'aujourd'hui, afin d'en révéler les tendances actuelles il est nécessaire de tenir compte des données de la lexicologie historique.

Ainsi, c'est l'histoire de la langue qui nous renseigne sur le rôle des divers moyens de formation dans l'enrichissement du vocabulaire. Une étude diachronique du lexique nous apprend que certains moyens de for­mation conservent depuis des siècles leur vitalité et leur productivité (par exemple, la formation des substantifs abstraits à l'aide des suffixes -ation, -(e)ment, -âge, -ité, -isme), d'autres ont acquis depuis peu une importan­ce particulière (ainsi, la formation de substantifs avec les suffixes -tron, -rama, -matique). d'autres encore perdent leur ancienne producti­vité (telle, la formation des substantifs avec les suffixes -esse, -ice, -ie).

Les phénomènes du français moderne tels que la polysémie, l'homo­nymie, la synonymie et autres ne peuvent être expliqués que par le déve­loppement historique du vocabulaire.

Le vocabulaire de toute langue est excessivement composite. Son renouvellement constant est fonction de facteurs très variés qui ne se laissent pas toujours facilement révéler. C'est pourquoi l'étude du voca­bulaire dans toute la diversité de ses phénomènes présente une tâche ardue. Pourtant le vocabulaire n'est point une création arbitraire. Malgré les influences individuelles et accidentelles qu'il peut subir, le vocabu­laire d'une langue se développe progressivement selon ses propres lois qui en déterminent les particularités. L'abondance des homonymes en français en comparaison du russe n'est pas fortuite ; ce n'est guère un fait du hasard que la création de mots nouveaux par le passage d'une catégorie lexico-grammaticale dans une autre (blanc adj. - le blanc [des yeux] subst.) soit plus productive en français qu'en russe. Ces traits distinctifs du vocabulaire français doivent être mis en évidence dans le cours de lexicologie.

Si l'approche diachronique permet d'expliquer l'état actuel du voca­bulaire, l'approche synchronique aide à révéler les facteurs qui en déter­minent le mouvement progressif. En effet, le développement du vocabulaire se fait à partir de nombreux modèles d'ordre formel ou sé­mantique qui sont autant d'abstractions de rapports différents existant entre les vocables à une époque donnée. On pourrait citer l'exemple du suffixe -on tiré du mot électron et servant à former des termes de physi­que (positon, négaton). L'apparition de ce suffixe est due à l'opposition du mot électron aux mots de la même famille électrique, électricité.

Le suffixe -ingd'origine anglaise a des chances de s'imposer au français du fait qu'il se laisse facilement dégager d'un grand nombre d'em­prunts faits à l'anglais. Tel a été le sort de nombreux suffixes d'origine latine qui aujourd'hui font partie du répertoire des suffixes français. Par conséquent, les multiples liens qui s'établissent entre les unités lexicales aune époque donnée créent les conditions linguistiques de l'évolution du vocabulaire. Ainsi la synchronie se rattache intimement à la diachronie.

§ 3. Le vocabulaire en tant que système. Le vocabulaire n'est pas une agglomération d'éléments disparates, c'est un ensemble d'unités lexi­cales formant système où tout se tient. C'est que les vocables de toute langue, tout en présentant des imités indépendantes, ne sont pas pour autant isolés les uns des autres. Dans la synchronie le fonctionnement de chaque unité dépend dans une certaine mesure du fonctionnement des autres unités. Pour s'en rendre compte il suffit d'examiner de plus près une série de synonymes. Ainsi dans la série hardiesse, audace, intrépidi­té, témérité chacun des membres se distingue par quelque indice séman­tique qui en constitue l'individualité et la raison d'être : hardiesse désigne une qualité louable qui pousse à tout oser, audace suppose une hardiesse excessive, immodérée, intrépidité implique le mépris du danger, témérité rend l'idée d'une hardiesse excessive qui agit au hasard et, par consé­quent prend une nuance dépréciative.

On peut prévoir, sans risque de se tromper, que si encore un synony­me venait à surgir il aurait reçu une signification en fonction de celles de « ses prédécesseurs ». Et, au contraire, il est probable que la disparition d'un des synonymes serait suivie de la modification sémantique d'un autre membre de la série qui aurait absorbé la signification du synonyme disparu.

Dans la diachronie les moindres modifications survenues à quelque vocable se font infailliblement sentir dans d'autres vocables reliés au pre­mier par des liens divers. Il est aisé de s'en apercevoir. Les modifications sémantiques d'un mot peuvent se répercuter sur les mots de la même famille. Au début du XXe siècle le mot parrainage signifiait uniquement « qualité, fonctions de parrain ou de marraine », mais sous l'influence de parrainer - «шефствовать» (néologisme sémantique des années 30), ce mot a reçu une acception nouvelle - «шефство». Le mot habit vou­lait dire autrefois « état » - «состояние» ; en prenant le sens de « vêtement » il a entraîné dans son développement sémantique le verbe habiller formé de bille - « partie d'un arbre, d'un tronc préparée pour être travaillée » ; l'apparition des dérivés habilleur, habillement, déshabiller est due à l'évolution sémantique du verbe. L'emploi particulier d'un mot peut également avoir pour résultat la modification de sa significa­tion. Ainsi, par exemple, un mot qui se trouve constamment en voisinage d'un autre mot dans la parole peut subir l'influence sémantique de ce dernier. Tels sont les cas des substantifs pas, point de même que rien, personne, guère qui ont fini par exprimer la négation sous l'in­fluence de ne auquel ils étaient rattachés.

Il s'ensuit que dans l'étude du vocabulaire une importance particu­lière revient aux rapports réciproques qui s'établissent entre les unités lexicales.

Le système du lexique, comme tout autre système, suppose l'exis­tence d'oppositions. Ces oppositions s'appuient sur des rapports associa­tifs ou virtuels existant au niveau de la langue-système. Elles appartiennent au plan paradigmatique. Chaque unité lexicale entretient, en effet, divers rapports associatifs avec les autres unités. Prenons l'exemple de F. de Saussure qui est celui du mot enseignement. À partir du radical enseigne­ment est en rapport paradigmatique avec enseigner, enseignons, ensei­gnant, etc. : envisagé sous l'angle sémantique il s'associe à instruction, apprentissage, éducation, etc. L'ensemble des unités entretenant entre elles un type de rapport paradigmatique constitue un paradigme. On ran­ge parmi les paradigmes lexicaux les groupes lexico-sémantiques, les sy­nonymes, les familles dérivationnelles, les homonymes, etc.

Le lexique qui fait partie du système de la langue représente donc à son tour un système de systèmes.

Les rapports systémiques se manifestent non seulement au sein de la langue, mais également dans la parole. Au niveau de la parole les voca­bles réalisent leur faculté de s'agencer les ans avec les autres selon certainеs règles. Cette prédisposition inhérentes aux vocables est due avant tout à l'organisation syntaxique de l'énoncé qui implique l'existence de différents termes de la proposition. Ces derniers peuvent se réaliser seu­lement sous forme de parties du discours déterminées. Ainsi la fonction de sujet sera rendue par un substantif, un pronom personnel, un verbe à l'infinitif, mais jamais par un verbe à la forme personnelle. Par contre, un verbe à la forme personnelle sera toujours un prédicat.

Cette prédisposition des vocables est aussi commandée par des par­ticularités lexico-sémantiques. L'emploi d'un mot avec un autre n'est possible qu'à condition qu'il y ait entre eux un trait sémantique (ou sème) commun. Par exemple, l'emploi de aboyer avec chien (renard, chacal, etc.) est régulier du fait que ces mots comportent le sème commun « ani­mal ». Nous assistons ici au phénomène de coordination sémantique.

Donc, il faut reconnaître l'existence de rapports privilégiés entre cer­taines unités lexicales dans le discours.

Les rapports linéaires qui existent entre deux ou plusieurs unités sont appelés rapports syntagmatiques.

Le caractère systémique du vocabulaire repose sur les rapports paradigmatiques et syntagmatiques qui s'établissent entre les unités lexicales.

Le vocabulaire du français moderne représente un système formé au cours d'un long développement historique. C'est précisément parce qu'il forme système que le vocabulaire peut et doit servir d'objet à une étude spéciale.

Toutefois le lexique offre les traits d'un système particulier qui le distingue des autres systèmes de la langue, des systèmes phonétique et grammatical (morphologique et syntaxique).

Plus que n'importe quel autre système le système du vocabulaire subit l'effet des facteurs extralinguistiques, avant tout d'ordre social et culturel. Cette influence est directe. Il s'ensuit que le vocabulaire, étant d'une grande mobilité, représente un système ouvert, autrement dit, il s'enrichit constamment de nouvelles unités lexicales.

Une autre particularité du lexique en tant que système consiste dans le manque de régularité, de rigueur dans les oppositions lexico-sémanti­ques, ce qui entraîne des limites plutôt floues entre les sous-systèmes. Il en est ainsi jusqu'à la signification lexicale qui ne peut être définie dans toute son étendue.

Il n'en reste pas moins vrai qu'il y a une interdépendance entre les unités lexicales qui en détermine dans une large mesure le fonctionne­ment dans la synchronie et l'évolution dans la diachronie.

§ 4. Le lien entre la lexicologie et les autres branches de la lin­guistique. Le système de la langue présente un ensemble d'unités hiérar­chisées qui diffèrent par leur complexité et leur fonctionnement. En allant des unités plus simples aux plus complexes on distingue les phonèmes, les morphèmes, les mots, les propositions. Chacun de ces types d'unités constitue ce qu'on appelle un niveau de structure. Ce sont respectivement les niveaux phonologique, morphologique, lexical, syntaxique. Les uni­tés de chaque niveau, en se combinant entre elles, forment les unités du niveau supérieur ; elles sont formées, à leur tour, d'unités du niveau infé­rieur.

La lexicologie étudie les unités du niveau lexical : les mots et leurs équivalents fonctionnels. Comme les mots sont en connexion avec les unités des niveaux immédiatement inférieur et supérieur, la lexicologie se trouve étroitement rattachée à la morphologie et à la syntaxe - ces deux parties de la grammaire.

En effet, la lexicologie ne peut entièrement négliger les catégories grammaticales des mots et leur structure formelle qui sont du ressort de la morphologie. Le lien entre la lexicologie et la morphologie est particuliè­rement manifeste dans le domaine de la formation des mots. Les procé­dés et modèles de formation sont examinés par ces deux disciplines, mais sous des angles différents : la lexicologie s'intéresse à leur rôle dans l'en­richissement du vocabulaire, alors que la morphologie y voit des caracté­ristiques particulières propres aux parties du discours, elle en fait ressortir les valeurs grammaticales. Les principes de la classification lexico-grammaticale des mots sont également importants pour les études morpholo­giques et lexicologiques. Ainsi, par exemple, la répartition des mots parmi les parties du discours varie selon qu'on traite les unités telles que -clé, -pilote, -fleuve dans position-clé, école-pilote, roman-fleuve de mots ou de morphèmes (cf. l'élément -thèque qui se laisse interpréter comme ra­cine ou comme suffixe selon les approches différentes). Notons aussi qu'une forme grammaticale peut se lexicaliser : à reculons, à tâtons.

Les contacts entre la lexicologie et la syntaxe sont aussi nombreux. Un des points de convergence est formé par les locutions phraséologiques dont le fonctionnement syntaxique rejoint celui des mots.

La lexicologie s'unit à la phonétique (phonologie). La pensée de l'homme trouve sa réalisation dans la matière sonore qui constitue lei tissu de toute langue. Comme toute autre langue le français possède son propre système phonique caractérisé, entre autres, par les particularit de la structure sonore des mots qui ne sont pas sans intérêt pour la lexicologie. Il importe notamment de relever les traits spécifiques de la prononciation dialectale qui offre des déviations à la norme littéraire. Il est de même nécessaire d'avoir en vue que la prononciation des emprunts faits aux autres langues peut sensiblement s'écarter des règles de la prononcia­tion française.

La lexicologie est aussi en contact avec la stylistique. Elle prend en considération l'emploi des vocables dans les styles variés de la langue.

Nous avons déjà constaté que la lexicologie se rattachait à l'histoire de la langue. Pour juger correctement des faits du français contemporain il est indispensable de s'appuyer sur le passé de la langue.

Ainsi la lexicologie qui étudie un des niveaux de la langue et repré­sente une discipline autonome ne peut être isolée des autres branches de la linguistique.

§ 5. Méthodes d'analyse lexicologique. Une méthode de cognition ne peut être véritablement scientifique qu'à condition de se tourner vers les lois objectives de la réalité. La méthode dialectique se propose préci­sément de révéler les lois authentiques du développement de la nature et de la société. Elle constitue la base philosophique et méthodologique des études linguistiques comme de toute autre recherche scientifique.

Le développement de la langue, le vocabulaire y compris, s'effectue conformément aux lois dialectiques. Ces lois sont nécessaires et objecti­ves, elles régissent la marche de la langue vers son perfectionnement.

Nous avons établi que le vocabulaire représentait un système au sein du système de la langue étant donné que les faits lexicaux entretiennent des liens réciproques et sont en corrélation avec les autres phénomènes linguistiques. L'approche systémique dans les études linguistiques est conforme aux principes dialectiques.

Compte tenu du caractère social de la langue il est indispensable d'envisager les faits linguistiques en liaison avec les phénomènes so­ciaux. Ceci est surtout important dans les recherches lexicologiques du fait que l'influence de la société sur le vocabulaire est particulièrement manifeste.

Toute langue vivante est en perpétuel mouvement. De là découle l'exigence d'étudier les faits linguistiques dans leur devenir. La méthode dialectique considère le processus de développement comme un mouvement progressif, ascendant. Ce développement se traduit par le passage d'un qualitatif ancien à un nouvel état qualitatif qui va de l'inférieur au périeur. Cette thèse fondamentale de la dialectique s'applique aussi bien à la langue qu 'à tout autre phénomène de la vie sociale ou de la nature. Le passage de l'ancienne qualité à la qualité nouvelle ne se fait guère dans la langue par changements soudains, par explosions brusques. Toutefois le processus du développement de la langue (de même que de tout autre phénomène) ne s'effectue pas sur le plan d'une évolution harmonieuse, mais sur celui de lamise au jour des contradictions inhérentes aux phéno­mènes, reposant sur un conflit, une compétition entre des tendances con­traires. Les éléments et les phénomènes nouveaux de la langue, et, partant, ceux du vocabulaire ne triomphent guère d'un coup des éléments et des phénomènes anciens, ces derniers ayant une longue tradition d'emploi. Comme règle, la qualité nouvelle l'emporte sur l'ancienne lorsqu'elle sert mieux les besoins de communication des hommes entre eux.

Avant de devenir un fait de la langue toute innovation occasionnelle doit se perpétuer à l'infini afin d'être assimilée et adoptée parla collecti­vité linguistique. Ainsi se réalise la loi dialectique du passage de la quan­tité à la qualité.

La méthode dialectique assure la juste compréhension et l'interpré­tation scientifique des lois qui président au développement du vocabulai­re de toute langue vivante. Elle trouve son incarnation dans un certain nombre de méthodes scientifiques générales et spéciales. Les méthodes générales concernent toute science. Les méthodes spéciales portent sur une science déterminée, en l'occurrence, sur la lexicologie.

Toute étude scientifique commence par l'observation des faits, ce qui permet par la suite de procéder à l'analyse et de faire des généralisations. L'observation constitue l'étape empirique de toute recherche. Pour un lin­guiste, qu'il soit phonéticien, grammairien ou lexicologue, la méthode d'observation n'est applicable qu'au niveau de la parole (parlée ou écrite).

L'expérience scientifique est une autre méthode générale. Le lexico­logue y a recours lorsqu'il soumet les résultats de son analyse à une véri­fication objective, par exemple, à une espèce d'expertise réalisée par des usagers de la langue.

La méthode statistique est d'une grande importance pour toutes les sciences. Elle rend un service aux lexicologues et aux lexicographes qui se proposent de mettre en valeur l'aspect quantitatif des phénomènes lexi­caux au sein de la langue, de déceler le nombre d'occurrences des unités lexicales employées dans la parole selon les conditions et les buts de l'énoncé. C'est en procédant par la méthode statistique qu'il devient pos­sible de créer des dictionnaires de fréquence.

Parmi les méthodes générales appliquées en lexicologie nommons aussi la méthode de modélisation qui consiste dans l'utilisation de modè­les (patterns ou schémas) visant à déceler la structure abstraite et les ca­ractères fondamentaux d'un phénomène. Les lexicologues font, en particulier, usage de la méthode de modélisation dans l'examen de la formation et de l'évolution sémantique des mots du fait que l'enrichisse­ment du vocabulaire s'effectue conformément à certains modèles.

Pareillement aux autres branches de la linguistique, la lexicologie fait appel à des méthodes ou procédures plus spéciales portant tantôt sur le vocabulaire dans son ensemble, tantôt sur des phénomènes lexicaux isolés. Parmi les plus répandues sont les procédures de segmentation, l'analyse en éléments constituants, l'analyse componentielle, les métho­des distributionnelle, contextuelle et transformationnelle.

La segmentation est une procédure qui consiste à découper l'énoncé en unités discrètes de niveaux différents : mots, morphèmes, phonèmes. Cette procédure s'appuie sur les opérations de substitution et de combi­naison qui permettent de grouper les différentes unités en classes homogènes. Ainsi, dans la séquence Mon fils lit la possibilité de substituer son à mon, père à fils, mange à lit nous autorise à qualifier respectivement ces éléments comme de même nature. Cette constatation est confirmée par la régularité des combinaisons suivantes : mon père lit, son fils man­ge. La segmentation concourt à préciser le statut des unités linguistiques, en particulier, à leur classification en parties du discours.

À la procédure de segmentation se rattache l'analyse en éléments constituants immédiats. Cette dernière part du principe que les unités complexes (phrases, syntagmes, mots construits) sont formées non pas d'une simple suite d'éléments discrets, mais d'une combinaison d'élé­ments d'un niveau inférieur qui en sont les constituants immédiats. Ainsi les constituants immédiats de la phrase Mon fils dort profondément sont : mon fils /dort profondément. Ces derniers auront à leur tour pour constituants immédiats Mon fils et dort profondément. Enfin pour profondé-­ment on dégagera profond-ément.

Le lexicologue s'intéresse particulièrement aux constituants immédiats des mots construits. À l'égal de la phrase un mot construit peut avoir une structure hiérarchisée comportant différents constituants immédiats. Tel le mot patriotisme qui se laissera graduellement découper de la façon suivante: patriot-/-isme et patri-/-ot(e). L'analyse des mots construits en consti­tuants immédiats met en évidence leur structure formative. Combinée avec la substitution elle permet d'établir les classes lexico-grammaticales des bases formatives, d'établir les rapports synonymiques entre les affixes.

L'analyse distributionnelle a pour objectif de relever les environne­ments des unités de langue, à savoir, décrire ces unités par leur aptitude (possibilité ou impossibilité) à s'associer entre elles. La distribution d'une unité de langue est la somme de tous ses environnements. Ainsi pour le verbe acheter (à la forme personnelle) la distribution de gauche sera la femme, l'enfant, le client, etc., la distribution de droite - du pain, de la viande, des fruits, etc. L'analyse distributionnelle permet au lexicologue de déceler les facultés combinatoires des mots et de leurs éléments consti­tuants (constituants immédiats, morphèmes, phonèmes).

L'analyse distributionnelle rejoint la méthode contextuelle qui consis­te dans la présentation des phénomènes linguistiques dans un contexte ver­bal déterminé. Cette dernière méthode est largement utilisée dans les récents ouvrages lexicographiques visant à fournir aux usagers un riche inventaire d'emploi des vocables afin d'en rendre plus tangibles les nuances sémanti­ques et l'usage.

Vu que tout mot construit peut être transformé en une construction syntaxique la méthode transformationnelle s'avère utile lorsqu'on veut en préciser le caractère et le degré de motivation. Par exemple, la transforma­tion te jardinet-petit jardin nous autorise à affirmer que ce mot construit est motivé par le mot jardin qui en est la base dérivationnelle ; en plus, elle permet de constater le plus haut degré de la motivation puisque les deux éléments constituant le mot jardinet : jardin-et sont suffisants pour en déterminer le sens (le suffixe -et à valeur diminutive équivalant sémanti-quement à « petit ». Par contre, la transformation de graveur -personne qui grave, tout en nous renseignant sur le mot de base (graver), n'en épui­se pas la signification qui est « personne dont le métier est de graver » (cf. : faucheur - « personne qui fauche ») ; ce fait signale une motivation inférieure, dite idiomatique.

Il n'est pas toujours aisé d'établir la direction dérivative pour deux mots qui supposent un rapport dérivationnel. Tel est, par exemple, le cas de socialisme et socialiste. La méthode transformationnelle permet, en l'occurrence, d'expliciter la direction dérivative : socialiste devra être in­terprété comme étant dérivé de socialisme du fait que la transformation socialiste -partisan du socialisme est plus régulière que la transforma­tion socialisme - doctrine des socialistes. Ainsi la méthode transforma­tionnelle rend un service aux lexicologues dans l'examen des rapports dérivationnels existant au sein du vocabulaire.

Dans les études portant sur le contenu sémantique des vocables on fait appel à l'analyse componentielle (ou sémique). Cette dernière vise à déceler les unités minimales de signification (composants sémantiques, traits sémantiques ou sèmes) d'une unité lexicale (mot ou locution). L'ana­lyse componentielle met en évidence non seulement la structure profonde de la signification, mais aussi les rapports sémantiques qui existent en­tre les vocables faisant partie des séries synonymiques, des groupes lexico-sémantiques, des champs syntagmatiques et autres groupements.

Les méthodes spéciales appliquées en lexicologie visent à décrire de façon plus explicite la forme et le contenu des unités lexicales, ainsi que les rapports formels et sémantiques qu'elles entretiennent.

CHAPITRE II

LE MOT

§ 6. Le mot- unité sémantico-structurelle fondamentale de la lan­gue. Le mot est reconnu par la grande majorité des linguistes comme étant une des unités fondamentales, voire l'unité de base de la langue. Cette opinion qui n'a pas été mise en doute pendant des siècles a été toutefois revisée par certains linguistes du XXe siècle. Parmi ces derniers il faut nommer des représentants de l'école structuraliste, et en premier lieu les linguistes américains Z.S. Harris, E.A.Nida, H. A. Gleason, selon lesquels non pas le mot, mais le morphème serait l'unité de base de la langue. Conformément à cette conception la langue se laisserait ramener aux mor­phèmes et à leurs combinaisons.

Dans la linguistique française on pourrait mentionner Ch. Bally qui bien avant les structuralistes américains avait déjà exprimé des doutes sur la possibilité d'identifier le mot. Son scepticisme vis-à-vis du mot perce nettement dans la citation suivante : « La notion de mot passe géné­ralement pour claire ; c'est en réalité une des plus ambiguës qu'on ren­contre en linguistique ». Après une tentative de démontrer les difficultés que soulève l'identification du mot Ch. Bally aboutit à la con­clusion qu'« il faut... s'affranchir de la notion incertaine de mot ». En revanche, il propose la notion de sémantème (ou sème) qui serait « un signe exprimant une idée purement lexicale », et la notion de molécule syntaxique ou « tout complexe formé d'un sémantème et d'un ou plusieurs signes grammaticaux, actualisateurs ou ligaments, nécessaires et suffisants pour qu'il puisse fonctionner dans une phrase ». La notion de « sémantème » est illustrée par des exemples tels que loup, louveteau, rougeâtre. etc., celle de « molécule syntaxique » par ce loup, un gros loup, marchons ! Ainsi Ch. Bally sépare l'aspect lexico-sémantique d'un mot non-actualisé dans la langue-système de la forme de ce mot actualisé dans la parole.

Plus tard A. Martinet a aussi rejeté la notion de mot en lui substituant celle de « mo n è m e » qui lui a paru plus justifiée que celle de mot. Selon lui, les monèmes sont les unités minima­les de sens (autonomes ou non-autonomes). Ainsi dans nous travaillons on aura, selon A. Martinet, trois monèmes : nous travaill-ons.

Parmi les monèmes il distingue les lexèmes-monèmes de type ouvert (dans l'exemple cité : travaill-) et les morphèmes-monèmes de type fermé (nous et -ons).

Cette tendance à supprimer la notion de mot des études linguistiques n'est pas fortuite. D'une part, elle s'explique par les tentatives infructueu­ses de donner une définition universelle du mot. Le linguiste russe L. Tcherba a insisté sur l'impossibilité d'une pareille définition : « En effet, qu'est-ce que le mot » ? - s'interroge-t-il ; suit la réponse : « il me paraît que dans les langues différentes ce n'est pas pareil. De là découle que la notion de « mot en général » n'existe pas. Les mots appartenant à des langues de typologie différente sont marqués par des dissemblances telle­ment accusées que leur confrontation devient une tâche ardue. Cette con­frontation est parfois plus aisée à partir des morphèmes.

D'autre part, cette conception se rattache à l'analyse descriptive des idiomes parlés par les tribus indiennes de l'Amérique du Nord et de l'Amé­rique Centrale effectuée au début du XXe siècle. L'étude de ces idiomes a été entreprise à partir des morphèmes. Cette approche avait une raison d'être, vu les possibilités de son application pratique dans l'examen plus ou moins sommaire des langues à systèmes inconnus. Toutefois elle se révèle insuffisante aussitôt qu'on veut pénétrer plus profondément le sys­tème d'une langue qui a été l'objet de nombreuses études.

Cette conception qui attribue au morphème une position centrale dans le système de la langue est incompatible avec la thèse reconnue par la plupart des linguistes selon laquelle la langue est un instrument de la connaissance de la réalité objective.

Le morphème est pareillement au mot une unité significative de la lan­gue, mais, à l'opposé du mot, il ne peut nommer, désigner en direct les objets et les phénomènes de la réalité. Cette faculté qui est propre au mot par excel­lence met en contact notre conscience et le monde extérieur, elle permet de l'analyser, de le pénétrer et parvenir à le connaître. Cette propriété en fait une unité fondamentale et indispensable de toute langue.

Outre ce trait distinctif fondamental du mot il y a lieu de signaler quelques-unes de ses autres particularités qui en font une unité de base de la langue.

Le mot est une unité polyfonctionnelle. Il peut remplir toutes les fonc­tions propres aux autres unités significatives : fonctions nominative, signi­ficative, communicative, pragmatique. L'envergure du fonctionnement du mot est si grande qu'il peut se transformer en morphème, d'un côté (ex. : march - dans nous marchons) et constituer une proposition, de l'autre (ex. : marchons ! silence /). Ce fait permet de conclure que les frontières entre le mot et les autres unités significatives restent ouvertes.

Le caractère polyfonctionnel du mot en fait une unité quasi universel­le. Précisons toutefois que le mot peut ne pas réaliser dans la parole l'en­semble de ses fonctions virtuelles (ainsi, par exemple, la fonction pragmatique).

L'asymétrie qui est propre aux unités de la langue en général est par­ticulièrement caractéristique du mot. Cette asymétrie du mot se manifeste visiblement dans la complexité de sa structure sémantique. Le même mot a le don de rendre des significations différentes. Les significations mêmes contiennent des éléments appartenant à des niveaux différents d'abstrac­tion. Ainsi le mot exprime des significations catégorielles : l'objet, l'ac­tion, la qualité. Ces significations sont à la base de la distinction des parties du discours. À un niveau plus bas le mot exprime des significations telles que la nombrabitité/la non-nombrabilité, un objet inanimé/un être animé. A un niveau encore plus bas le mot traduit diverses significations lexicales différencielles.

Notons encore que le mot constitue une réalité psychologique c'est avant tout les mots qui permettent de mémoriser nos connaissances et de les communiquer.

Ainsi le mot est une unité bien réelle caractérisée par des traits qui lui appartiennent en propre. C'est l'unité structuro-sémantique et référentielle par excellence. Malgré les diversités qui apparaissent d'une langue à l'autre le mot existe dans toutes les langues à ses deux niveaux : langue-système et parole. Les mots (et, ajoutons, les équivalents de mots) consti­tuent le matériau nécessaire de toute langue.

§ 7. Le mot (son enveloppe matérielle) et la notion. La majorité des linguistes reconnaît l'existence d'un lien indissoluble entre la pensée de l'homme et la langue. L'homme pense au moyen de notions qui se combi­nent en jugements, il communique sa pensée à l'aide de mots qui s'agen­cent en propositions. Ces catégories logiques et linguistiques apparaissent toujours dans leur liaison étroite.

Notre pensée ne trouve sa réalisation que dans la matière, en l'occur­rence, dans la matière sonore (ou graphique, son succédané) sous forme de mots et de propositions qui servent à rendre des notions et des jugements. On peut parler de notions pour autant qu'elles sont matérialisées sous for­me de mots (ou d'équivalents de mots). Ceux des linguistes ont tort qui affirment, qu'il existe une pensée abstraite non formulée en paroles, que la pensée la plus simple ne peut être rendue que d'une façon schématique et déformée. Il faut donner raison à F. de Saussure lorsqu'il dit que le son et la pensée sont inséparables de la même manière que le recto d'une feuille de papier est solidaire du verso.

Permettons-nous encore cette comparaison fort réussie du dramaturge allemand H. von Kleist : « L'idée ne préexiste pas au langage, elle se for­me en lui et par lui. Le Français dit: l’appétit vient en mangeant ; cette loi empirique reste vraie quand on la parodie en disant: l’idée vient en par­lant ».

Le rôle des mots ne se borne pas à transposer la notion dans la forme verbale, mais à servir de médiateur actif et indispensable dans là formation de la notion, pour son devenir. Le mot participe lui-même à la formation de la notion, autant dire que tout mot généralise.

Le mot et la notion présentent une unité dialectique. Examinons le processus de cognition. Dans quel rapport se trouvent le mot et la notion ? Dans quel rapport se trouvent la notion et l'objet de la réalité ? On distin­gue deux degrés de la connaissance.

Le premier degré consiste dans la sensation. dans la formation de perceptions et de représentations à partir de la sensation. La sensation est le lien immédiat entre la réalité, le monde extérieur et la conscience La sensation sert de base à la perception et la représentation. Le proces­sus de perception s'effectue quand on perçoit directement un objet par les sens. La perception est l'ensemble des sensations produites par un objet. On peut se représenter un objet sans le percevoir directement, à l'aide de la mémoire ou de l'imagination. Alors on est en présence du processus de la représentation. La représentation est l'image mentale de l'objet qui n'est pas perçu directement par les sens. Ainsi l'homme en­tre en contact avec la réalité par les sensations, les perceptions et les représentations. Mais ce n'est que le premier stade du processus de la connaissance.

Le deuxième degré de la connaissance suppose la généralisation des phénomènes isolés, la formation des notions (ou concepts) et des jugements.

Par la généralisation théorique, abstraite des perceptions et des re­présentations, on forme des notions, des concepts. La notion, le concept fait ressortir les propriétés essentielles des objets, des phénomènes de la réalité sans en fixer les propriétés accidentelles.

Si nous regardons une rivière nous la percevons : si plus tard nous évoquons le souvenir de cette même rivière, nous nous la représentons. L'image concrète de cette rivière est dans le premier cas, une perception dans le deuxième - une représentation. En faisant ressortir les propriétés essentielles des rivières en général, c'est-à-dire le courant de l'eau avec ses deux rives naturelles (à l'opposé d'un canal) etc., nous formons une notion. La notion (ou le concept) n'est plus une image mentale concrète, c'est une abstraction une généralisation théorique. Le mot rivière s'unit à la notion «rivière» ; il sert à nommer non pas une rivière déterminée, mais n'importe quelle rivière, la «rivière» en général, autrement dit ce mot exprime la notion de « rivière » généralisée, abstraite. Le mot géné­ralise principalement grâce à sa faculté d'exprimer des notions

La notion (ou le concept) peut être rendue par des moyens linguisti­ques différents : par des mots, des groupes de mots. C'est pourtant le mot par excellence, qui sert de moyen pour exprimer la notion. La faculté d'exprimer des notions ou des concepts est une des caractéristiques fon­damentales des mots et de leurs équivalents.

Donc, le mot et la notion (le concept) constituent une unité dialecti­que. Pourtant unité ne veut pas dire identité. De même qu'il n'y a pas d'équivalence, voire, de symétrie, entre la pensée et la langue, il n'y a point d'identité entre le mot et la notion. Un mot, précisément son enveloppe matérielle, peut être lié à plusieurs notions et inversement, la même notion est parfois rendue par des mots différents

Il est nécessaire de faire la distinction entre les notions de la vie courante, ou les notions coutumières. et les concepts à valeur scientifi­que Ainsi, le mot soleil exprime tout aussi bien une notion coutumière qu'un concept scientifique. Le concept scientifique reflète les propriétés véritablement essentielles des objets et des phénomènes consciem­ment dégagés dans le but spécial de mieux pénétrer et comprendre la réalité objective.

Les concepts scientifiques sont exprimés par les nombreux termes appartenant aux diverses terminologies

La notion coutumière reflète dans notre conscience les propriétés essentielles distinctives des objets et des phénomènes. Les notions coutumières n'exigent pas de définitions précises et complètes au même titre que les concepts scientifiques qui veulent une extrême précision. Dans son activité journalière l'homme a surtout affaire aux notions coutumières qui servaient la pensée humaine déjà bien avant l'apparition des sciences. Aujourd'hui comme autrefois la plupart des mots d'un emploi commun expriment dans le langage principalement des notions coutumières.

Les notions coutumières de même que les concepts scientifiques se précisent et se perfectionnent grâce au processus universel de la connais­sance de la réalité objective.

Les notions, les concepts peuvent être réels et irréels. Ils sont réels à condition de refléter les propriétés des objets et des phénomènes de la réa­lité objective Tels sont électricité, atome, oxygène, hydrogène , matière, réalité, jugement, concept, science, mot, morphème, préfixe, suffixe, hom­me, enfant, société, etc. Les notions, les concepts irréels sont aussi des généralisations abstraites, mais ils ne reflètent pas des objets et des phéno­mènes existants ; tels sont panacée, pierre philowphale, phlogistique, centaure, chimère, sphinx, harpie, fée, sirène, lutin, licorne, etc. Les no­tions et les concepts irréels ne sont pourtant pas entièrement détachés de la réalité objective. Ils reflètent des morceaux, des fragments de la réalité, combinés arbitrairement grâce à l'imagination. L'homme vérifie la justes­se et l'objectivité de ses connaissances en se réglant sur la pratique quoti­dienne. C'est la pratique quotidienne qui permet de distinguer ce qui est juste de ce qui est faux dans nos perceptions, nos représentations, nos no­tions et jugements. Elle est la base du processus de la cognition à son pre­mier et son deuxième degré. La pratique sociale est le critère objectif de toute connaissance.

Ainsi, les deux degrés de la connaissance sont inséparables. Le lien indissoluble des notions (ou concepts) avec les représentations et les perceptions détermine la faculté du mot d'exprimer non seulement des no­tions, mais aussi des représentations. En effet, le mot tableau, pris en dehors de la parole, à l'état isolé, exprime une notion ; il se rattache à une représentation, à une image concrète, déterminée pour le maître qui s'adres­se en classe à un de ses élèves avec la phrase Venez au tableau !

Les mots et leurs équivalents pris en tant qu'unités de la langue ex­priment des notions et des concepts. Dans l'énoncé ils peuvent être liés à des représentations, aussi bien qu'à des notions (cf . Le chat est un ani­mal domestique et Prépare la pâtée pour le chat).

§ 8. Le mot est-il un signe arbitraire ? Dans la linguistique occi­dentale, et également dans la linguistique russe, le mot est souvent conçu comme un signe de l'objet, du phénomène qu'il désigne. Cette concep­tion remonte à la théorie du signe de F de Saussure. Le signe linguistique, selon F. de Saussure, est «... une entité psychique à deux faces, qui peut être représentée par la figure:

mage acoustique

où l'image acoustique n'est point le son matériel (« chose purement phy­sique »), mais l'empreinte psychique de ce son (« elle est sensorielle »)

Cette conception suscite des objections d'une part, elle donne libre cours aux théories idéalistes du mot, en le détachant de la réalité objective : d'autre part, elle pousse à l'agnosticisme.

F. de Saussure prive le mot de sa substance matérielle ; à l'enveloppe sonore (ou la graphie) il substitue une image acoustique qui réside dans notre cerveau et représente un phénomène purement psychique. En réali­té le mot comporte nécessairement un aspect matériel (sonore ou graphi­que) du fait que la langue en tant que moyen de communication s'appuie sur la matière qui non seulement réalise notre pensée, mais lui sert de véhicule.

F. de Saussure insiste avec raison sur le caractère nécessairement arbitraire du signe. En effet, tout signe doit être arbitraire. Dans le sché­ma saussurien le concept, faisant partie intégrante du signe, se laisse in­terpréter comme possédant lui aussi les caractères d'un signe arbitraire, ce qui découle de l'assertion suivante de F. de Saussure . « puisque nous entendons par signe le total (souligné par WZ, ) résultant de l'association d'un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est arbitraire ». Toutefois le concept (la notion) ne peut être traîté de signe ou d'ingrédient d'un signe arbitraire étant donné qu'il représente une généralisation des phénomènes de la réalité qui s'opè­re dans notre cerveau. Si le terme signe suppose un lien conventionnel, arbitraire, le terme généralisation implique un lien réel. En effet, la notion généralise, elle reflète lès particularités essentielles d'un objet ou d'un phé­nomène de la réalité.

Donc, à travers la notion le mot reflète la réalité objective. C'est jus­tement pour cette raison que le mot en tant qu'unité dialectique de l'enve­loppe matérielle et de la notion présente un instrument efficace de la connaissance de la réalité des phénomènes. Même les notions irréelles, qui constituent d'ailleurs un nombre minime, ne sont point détachées de la réalité et, par conséquent, ne sont point absolument arbitraires. Grâce à la pratique quotidienne qui est le critère suprême de la justesse de toutes nos connaissances leur nombre va décroissant.

De la théorie du signe linguistique de F. de Saussure découle le carac­tère arbitraire du mot en général et du concept en particulier, ce qui défor­me la réalité. En attribuant au concept les propriétés d'un signe on érige un mur entre notre conscience et la réalité objective ; de là il ne reste qu'un pas à faire pour proclamer le monde inconnaissable et présenter l'homme comme inapte à le comprendre et pénétrer ses lois.

Rien d'étonnant à ce que la théorie de F. de Saussure ait inspiré nombre de doctrines idéalistes d'après lesquelles le mot serait plutôt un obstacle qu'un instrument nécessaire dans le processus de la connais­sance.

Si le caractère objectif de la notion ne laisse pas de doute, la pré­sence dans le mot de traits propres au signe n'est pas moins évidente. L'enveloppe matérielle du mot (sons ou graphie), quoique déterminée historiquement, est parfaitement arbitraire à une époque donnée. Si l'enveloppe matérielle n'était point arbitraire une même notion aurait été rendue par les mêmes mots dans les langues différentes, autrement dit les vocabulaires de toutes les langues auraient été identiques ce qui n'est pas le cas (cf. : rascasse - paccкaз,cheval- шваль,vote – вот, pire- пиp,tri - три).Donc, le terme signe est justifié lorsque employé pour désigner l'enveloppe sonore (ou graphique) du mot et son rapport avec le concept à une époque donnée, mais nullement le concept comme tel. Remarquons qu'à l’encontre des signes qui font partie de quelque code, l'enveloppe sonore du mot et son lien avec le concept sont histori­quement déterminés.

Il est notoire que l'enveloppe sonore (ou la graphie) du mot doit néces­sairement avoir la valeur d'un signe arbitraire. C'est précisément cette pro­priété du mot qui en fait une unité asymétrique, condition nécessaire de son fonctionnement. Si la substance matérielle du mot n'était pas arbitraire, mais conditionnée par la notion (si elle était en quelque sorte le symbole d'une notion et d'un objet) les mots n'auraient pas eu cette puissance communicatrice dont ils sont pourvus en réalité, ils n'auraient jamais pu traduire des contenus sémantiques différents, condition nécessaire du développement de toute langue (cf. les onomatopées qui symbolisent la notion qu'ils expri­ment : coucou, tic-tac et qui sont généralement monosémiques).

§ 9. Les fonctions des mots. Nous avons signalé le rôle du mot en tant qu'instrument de la connaissance. Toutefois la raison d'être des mots, tout comme de la langue en entier, est de servir à la communication des hommes entre eux. Cette fonction capitale de la langue a été négligée par F. de Saussure qui a privé le signe linguistique de toute matérialité. C'est seulement à condition d'être matériel que le mot peut transmettre une information. En tant qu'élément de la communication le mot possède plusieurs fonctions.

La grande majorité des vocables est susceptible d'exprimer des notions (ou concepts) ; il serait juste de dire que ces vocables remplissent la fonction cognitive (intellectuelle ou dénotative). Cette fonction est en rapport direct avec une autre faculté propre aux mots, celle de nommer, de désigner les objets de la réalité ou leurs propriétés ; cette autre faculté des mots en constitue la fonction référentielle (ou désignative). Certains mots ont une valeur affective, ils servent à traduire les sentiments de l'homme, son attitude émotionnelle envers la réalité ; ce sont des mots à fonction émotive (ou affective).

Les fonctions cognitive, émotive, et référentielle des mots sont recon­nues par la majorité des linguistes. Parmi ces fonctions la fonction référen­tielle caractérise le mot par excellence.

Les mots et leurs équivalents se distinguent quant aux fonctions qu'ils exercent dans la langue.

La plupart des mots autonomes, tels que les substantifs, les adjectifs qualificatifs, les adverbes, les verbes ont également la faculté d'exprimer des notions et celle de nommer les objets et leurs indices ; tels sont : hom­me, tête, main ; brave, vigoureux ; travailler, penser, etc. Ils sont appelés mots pleins.

Parmi les mots exprimant des notions il faut signaler ceux qui expri­ment des notions dites uniques. Ce sont les noms propres dénommant des lieux géographiques tels que : Moscou, Paris, la France, les Alpes, le Caucase, etc., ou des noms d'objets uniques tels que : le soleil, la terre, la lune, etc.

Parmi les mots autonomes on distingue les noms propres de personnes et d'animaux dont la fonction désignative est prioritaire : Pierre, Michel, Lucie, Médor, Minouche, etc. Ce sont aussi des mots-substituts dont les pronoms comme, par exemple : Qui parle ? Cet étudiant a tort, celui-ci a raison. Certains sont venus en retard, etc.

Nombreux sont les mots autonomes qui exercent à la fois les fonctions cognitive et émotive ; ce sont entre autres : cagoulard, mouchard, barbaque - « mauvaise viande » ; crève-cœur - « grand déplaisir mêlé de dépit » qui rendent des nuances émotionnelles dépréciatives ; bichon, biquet, lapin qui sont des termes d'affection. Parmi les mots autonomes remplissant uniquement la fonction émotive viennent se placer les interjections : oh, hélas, peuh, tiens, fi, zut, oh là là, allons, va, aïe, bof, etc.

Les mots non-autonomes ou mots-outils sont aussi caractérisés pari la fonction cognitive, cependant elle est d'autre nature : elle se situe non plus au niveau lexical, mais au niveau grammatical de la langue. Certains mots-outils traduisent les rapports existant entre les notions et les juge­ments (tels sont les prépositions, les conjonctions, les pronoms relatifs, les verbes auxiliaires copules) ; d'autres précisent, en les présentant sous jma. aspect particulier, les notions rendues par les mots qu'ils accompagnent (ainsi les déterminatifs : articles, adjectifs possessifs et démonstra-ptifs, les particules).

Signalons à part les termes modaux qui n'expriment pas des notions. |ïnais l'attitude du sujet parlant envers ce qu'il dit, par exemple : évidentument, probablement, peut-être, n 'importe, etc.

Remarquons qu'aux yeux de certains linguistes tout mot posséderait l forcément la fonction cognitive. Ainsi les noms propres de personnes et Ld'animaux rendraient la notion très générale de l'homme ou de l'animal or est toujours un chien, tandis que Paul s'associe régulièrement à fl'homme). Les interjections ne traduiraient pas les émotions du locuteur Ien direct, mais par le truchement des notions correspondantes (Pouah ! tiendrait l'idée d'un grand dégoût, tiens ! - celle d'une surprise). Cette iception, qui ne manque pas d'intérêt, fait toutefois violence aux phé-|nomènes linguistiques.

Si l'on compare, quant à leur contenu sémantique, les mots homme et Emile pris isolément la différence apparaîtra nettement. Le mothom-rendra effectivement la notion générale d'« être humain doué d'in-slligence et possédant l'usage de la parole », il n'en sera rien pour nile qui n'exprimera pas plus la notion d'« homme » que Minouche elle de « chat ». En effet, il est impossible de dégager une classe de îrsonnes dénommées Emile possédant en commun des traits caracté­ristiques. On ne peut que constater un certain rapport entre le prénom nile et la notion « homme » « être humain mâle »). Donc, au niveau de la langue-système Emile et Minouche sont dépourvus de la fonction agnitive. Il en est autrement au niveau de la parole. C'est justement ici |ue les noms propres de personnes et d'animaux se conduisent à l'égal Ses noms communs. En effet, les premiers, aussi bien que les derniers, exprimeront des notions particulières (cf. : Jean viendra - Cet homme fviendra).

Donc, les noms propres de personnes et d'animaux posséderont la fonction cognitive (et, évidemment, la fonction référentielle) au niveau ; la parole.

Aussitôt qu'un nom propre acquiert la faculté d'exprimer une notion générale (cf. : un Harpagon, un Tartufe) il sera promu au rang des noms communs et deviendra un mot à fonction cognitive au niveau de la lan-jPgue. Le passage d'un nom propre dans la catégorie des noms commun peut être dû à une connotation qu'on lui attribue sans aucune raison va­lable.

Confrontons à présent pouah ! et dégoût. Si dégoût rend bien une notion déterminée tout en la nommant, pouah ! traduit en direct un senti­ment, une émotion causée par un phénomène de la réalité. Tout comme les notions les émotions reflètent la réalité. Toutefois ces réverbérations émotionnelles se situent à un niveau inférieur en comparaison de la no­tion. Donc, les interjections possèdent exclusivement la fonction affecti­ve qui apparaît aux deux niveaux de la langue. C'est dans le fait que les interjections rendent nos sentiments et non pas des notions qu'il faut cher­cher l'explication du caractère souvent flottant, imprécis de leur signifi­cation.

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