
Anne Ducrey
Littérature comparée – Paris-Sorbonne (Paris IV)
Memento méthodologique : le commentaire composé
Réflexions générales :
Avant tout, gardez toujours présente à l’esprit la nature de l’objet que vous étudiez : il s’agit d’une fiction, c’est-à-dire d’un univers qui se construit dans le texte et que seuls font exister les mots, et plus largement encore le système de signes linguistiques ou non qui le constituent. Opérez donc bien la différence entre l’image du monde que nous offre le roman ou le poème d’une part, et le référent (ou réel), i.e. ce qui a une existence hors du texte de l’autre.
Votre objectif doit être de vous placer en position de commentateur, de vous mettre à distance pour déjouer les ruses du récit, les pièges qu’il vous tend (pensez à la façon dont fonctionnent les romans policiers qui parviennent à garder secrète l’identité du coupable jusqu’au bout). Votre intérêt, vos émotions (sympathie ou antipathie), les jugements que vous portez en tant que lecteur, sont autant de preuves d’un certain fonctionnement du texte, et surtout des invitations à aller plus loin et à vous interroger justement sur ce fonctionnement du texte. Autrement dit, la compréhension littérale, les sentiments que vous éprouvez en tant que lecteur ne sont que des points de départ susceptibles de fournir des pistes pour vous aider à « démonter » ( = faire apparaître les procédés d’écriture) le texte et à montrer comment il fonctionne.
N’oubliez pas que vous êtes plus que de simples lecteurs, vous êtes des lecteurs avertis (c’est ce qui vous distingue de Madame Bovary ou de Don Quichotte !), des techniciens en somme, autrement dit des spécialistes du fonctionnement du texte. La question qui doit gouverner tout votre propos est celle du COMMENT ? Par quels procédés, un simple assemblage de signes verbaux et non verbaux (découpage en chapitres, ponctuation, blancs, astérisques…) peut-il produire de tels effets (voir plus haut : attente, sympathie, amusement…) ? Pour expliquer un texte (analyse linéaire), commenter un passage (commentaire composé), vous devez vous poser ces questions :
qu’est-ce qui m’est raconté ?
de quelle façon ces informations me sont-elles transmises ?
pourquoi ? (interrogez-vous sur les intentions de l’auteur, cela vous permettra de répondre à la question primordiale des enjeux d’un texte dans l’économie générale de l’oeuvre)
avec quels effets ?
Ne pensez pas que répondre à la question « comment ? » consiste en un simple relevé de procédés littéraires. Ce n’est là qu’une description du texte, voire un catalogue de figures de style, et c’est très loin de ce que l’on attend de vous. Il vous faudra mettre en relation ces caractéristiques du texte, ces procédés que vous avez notés, avec l’impression qu’ils produisent sur le lecteur, autrement dit le but qu’ils poursuivent, l’intention qui les guide. Tout relevé doit déboucher sur une interprétation, sur l’énoncé d’un sens. Vous ferez apparaître ainsi la fameuse solidarité d’un fond et d’une forme (attention, ce n’est pas un plan que je vous propose !)
Petit rappel en ce qui concerne la paraphrase : c’est le travers opposé à celui qui consiste à relever les procédés littéraires sans jamais leur donner un sens, et il est tout aussi critiquable. La paraphrase revient à raconter le texte, les indices les plus fréquents sont les adverbes temporels qui émaillent vos propos : « X dit que…, à la suite de quoi il entreprend de… Ensuite Y va se promener… quant à W, il décide de …» Pour éviter de faire de la paraphrase, vous devez toujours avoir présent à l’esprit que votre rôle consiste à expliquer comment le texte fonctionne.