
- •Texte – contexte
- •Voilà ce qu’en dit Roland Barthes de façon très poétique :
- •Dénotation – connotation
- •Il va sans dire que les mots ogre et bouc émissaire, en combinaison avec la première personne du singulier, perdent leur sème d’appréciation négative et présagent un démenti ironique.
- •Automne – été
- •Ici les rôles des saisons changent : l’automne est associé à la mort, à la tombe, alors que l’été s’épanouit dans toute sa splendeur.
- •Hiver – printemps
- •Ils feront beaucoup de choses avec le soleil
- •Cohésion
- •Vient de la ville.
- •Voyons maintenant comment ce construit la cohésion de la poésie :
- •Modalité du texte
- •Intégration et finalité du texte
- •Le sens implicite
- •Répétitions
- •Il ne faut pas oublier non plus que toute la poésie médiévale (avant tout, celle des troubadours et des trouvères) était chantée et avait un accompagnement musical.
- •Mots-clés ou dominantes
- •Il y a dans la poésie française toute une série de mots qu’on pourrait appeler des ‘dominantes universelles’ parce qu’elles se rencontrent chez de nombreux auteurs.
- •La dominante ‘vent’ dans la poésie de Paul Eluard
Intégration et finalité du texte
En divisant un texte en parties et en analysant minutieusement chacune d’elle (surtout s’il s’agit d’un texte en prose ou un long poème) on donne parfois à celles-ci une signification plus grandes qu’elles ne méritent en réalité (on peut évoquer à ce propos le proverbe : les arbres cachent la forêt).
On comprend que les méthodes de l’analyse du texte comme un signe entier (macrostructure) diffèrent de celles de l’analyse de ses parties (microstructures). Il ne suffit pas d’examiner en détail les éléments, il faut savoir les regrouper dans un ensemble.
L’intégration est une notion utilisée, en particulier, dans la théorie des systèmes, elle marque le processus de la mise en relation des parties différenciées dans un ensemble.
Lorsqu’il s’agit d’un texte littéraire l’intégration qui est sa catégorie inhérente représente un processus : en lisant un roman nous lions le début à la suite et à la fin en formant progressivement un système uni. L’intégration des parties y est assurée par la cohésion : des liens lexicaux, grammaticaux, sémantiques qui se créent progressivement.
Si la cohésion est une catégorie logique, l’intégration est plutôt une catégorie psychologique. Elle se base moins sur les liens formels que sur les relations d’association et de présupposition.
Le processus de l’intégration suppose souvent la nécessité de relire le texte. Chaque nouvelle lecture, notamment s’il s’agit d’un texte poétique, ajoute quelque chose de nouveau à la perception, approfondit le sens, fait naître diverses associations qui ne sont pas toujours définissables logiquement, mais qui peuvent être liées avec l’état d’âme du lecteur, son vécu, ses sensations au moment de la lecture, etc.
L’intégration est donc une catégorie latente, souvent difficile à formaliser. Mais puisqu’un texte est une unité organisée, ses catégories, malgré leur caractère souvent flou, forment un système. L’intégration et la finalité4 sont intimement liées. Comme dit l’Encyclopaedia Universalis37, l’action finaliste suppose un effort persistant.
La finalité d’un texte littéraire est en fonction de la conception de l’auteur. Le texte est considéré comme achevé quand l’auteur avait exposé tout ce qu’il avait voulu dire suivant sa conception. Cette vision ne coїncide pas toujours avec celle du lecteur. Voilà pourquoi un lecteur peu avisé se plaint parfois de ce que l’auteur n’a pas tout dit sur le destin de ses personnages, sur le développement du sujet, etc.
(On connaît l’histoire anecdotique de la ‘mort’ de Sherlock Holmes quand les lecteurs ont demandé à Konan Doyle de le ranimer.) Mais l’impression d’inachevé, du non-« puisement de l’action finaliste peut entrer dans les intentions de l’auteur. Rappelons-nous le célèbre poème du poète russe Alexandre Pouchkine « Evguény Onéguine » où des chapitres entiers sont intentionnellement représentés par des points de suspension.
En parlant de l’intégration du texte, surtout d’un texte en prose, il faut souligner le rôle du titre qui forme souvent la dominante du récit : ainsi, les titre des romans comme « L’étranger » ou « La peste » d’Albert Camus sont une appréciation symbolique des événements décrits, alors que « Notre Dame de Paris » de Victor Hugo ou « Madame Bovary » de Guistave Flaubert indique, aussi de façon symbolique, le sujet des romans respectifs. A. Camus souligne que le roman donne à la vie une forme qu’elle ne possède pas, qu’il forme des mondes achevés où les mots de la fin sont dits. On peut en déduire que la vie réelle est dans un mouvement perpétuel, qu’elle est infinie, alors qu’un texte est fini et sa vie intérieure s’achève avec sa fin. Nous reviendrons encore au rôle du titre en parlant du sens implicite de l’oeuvre poétique.
Dans un texte poétique la corrélation, l’interdépendance et le croisement font la loi. Le principe de l’interdépendance de toutes les unités textuelles et leur rapport à l’ensemble de l’oeuvre donne un sens à chacun de ses éléments.
Présupposition - c’est la connaissance de fond, commune à tous ceux qui participent à l’acte de la communication. On distingue dans la linguistique moderne :
la présupposition phrastique – dans chaque phrase il y a des éléments qui sont connus a priori, qui appartiennent au vécu de chaque personne de la même culture et dont la perception est le plus souvent automatique et inconsciente. Ainsi, quand nous lisons chez J. Prévert : devant la porte de l’usine le travailleur s’arrête, nous savons ce que c’est qu’une usine, qu’on y entre par une porte d’entrée, etc.
La présupposition des parties du texte – dans une oeuvre poétique le titre est souvent prospectivement lié avec le sujet de la poésie qui ne demande plus d’explication. Ainsi, chez Paul Eluard :
L’AMOUREUSE
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.
Dans les douze vers de cette poésie le pronom ‘elle’ se répète cinq fois, renforsé par l’adjectif possessif ‘ses’ (2) en renvoyant le lecteur au titre de la poésie qui lui sert de clé.
Isotopie
La notion de l’isotopie dont la définition appartient à A-J. Greimas38 s’est révélée très importante pour la pénétration dans le sens implicite d’un texte poétique. Selon lui, la cohérence du discours est fondée sur la répétition d'éléments semblables ou compatibles. Il s’agit donc, lors de l’analyse d’un texte concret, de repérer des sèmes d'une catégorie dominante, qui se répètent et qui joue un rôle important dans ce texte, l'isotopie pouvant parcourir celui-ci du début jusqu'à la fin. Une telle opération suppose une sorte d'inventaire de catégories sémiques (ou classèmes). Ce sont, par exemple, les oppositions de base du type : animé/inanimé, spatialité/non spatialité, temporalité/non temporalité, continu/discontinu, etc. Il faut donc trouver dans le texte analysé les éléments qui se répètent et opérer une certaine hiérarchisation entre les différentes isotopies. On peut noter aussi l’existence de pluri-isotopies cumulant dans un même lexème les sèmes différents. Cela permet de représenter un texte comme une sorte de structure ‘feuilletée’ où chaque couche est à décrire séparément, mais dont la signification générale se laisse voir à partir de l’ensemble des ‘couches’ – lectures. Cette somme de lectures (qui doit donc toujours dépasser 1) forme le sens explicite et implicite de l’oeuvre analysée.
En procédant au décodage d’un texte poétique il semble utile de recourir à la triade introduite par le groupe linguistique µ dirigé par J. Dubois : logos – anthropos – cosmos (langue – homme – cosmos) qui unit l’homme et le discours, d’une part, et l’homme et le monde, d’autre part.
Analysons à titre d’exemple la poésie de Paul Eluard «Notre vie » (écrite après la mort de sa femme que ses proches appelaient Nusch).
NOTRE VIE
Notre vie tu l’as faite elle est ensevelie
Aurore d’une ville un beau mai
Ur laquelle la terre a refermé son poing
Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires
Et la mort entre en moi comme dans un moulin
Notre vie disais-tu si contente de vivre
Et de donner la vie à tout ce que nous aimions
Mais la mort a rompu l’équilibre du temps
La mort qui vient la mort qui va la mort vécue
La mort visible boit et mange à mes dépens
Morte visible Nusch invisible et plus dure
Que la soif et la faim à mon corps épuisé
Masque de neige sur la terre et sous la terre
Source de larmes dans la nuit masque d’aveugle
Mon passé se dissout je fais place au silence
Par sa composition la poésie se divise en deux parties presque égales : 7+8 vers. Marquons les deux isotopies dominantes : la vie (i1), la mort (i2). Indiquons le thème de la vie par un + et celui de la mort par un -, leur accumulation dans le même lexème par le signe ±. Faisons maintenant une analyse schématique des isotopies de la poésie :
Notre vie – tu l’as faite – ensevelie ++ -
Aurore – ville – beau matin – mai ++++
Sur laquelle (ville) – terre – a refermé son poing ++ -
Aurore en moi – 17 années claires ++
Mort – entre en moi – comme dans un moulin - ± ±
Vie – contente de vivre ++
Donner la vie – ce que nous aimions ++
Mort – a rompu – équilibre du temps - - +
Mort – vient – mort – va – mort – vécue - ± - ± - ±
Mort – visible – boit et mange – à mes dépens - ± ± -
Mort – visible – Nusch – invisible - dure - ± ± - -
Soif – faim – corps épuisé - - -
Masque de neige – sur et sous la terre - ±
Source – larmes – nuit – masque d’aveugle ± - - -
Mon passé – se dissout – je fais place au silence + - -
Au total :
Parties - vers |
+ |
- |
± |
|
14 |
3 |
2 |
|
2 |
19 |
9 |
Remarquons que l’isotopie ‘positive’ (‘vie’) domine dans la première partie (14) et l’isotopie ‘négative’ (‘mort’) dans la deuxième (19).
Prêtons une attention particulière aux bi-isotopies (±). Dansla première partie il y en a deux : le verbe ‘entrer’, verbe du mouvement qui est la qualité immanente de la vie s’y combine avec ‘la mort’ en se métaphorisant : la mort entre en moi comme dans un moulin. Le moulin est généralement le symbole du mouvement, de la vie. Notons aussi que l’expression familière ‘entrer comme dans un moulin’ signifie : aller et venir, circuler sans arrêt. C’est dans ce vers que réside la principale pluri-isotopie de cette partie : l’enchevêtrement de la vie et de la mort. Les vers 6-7 sont une hymne à la vie : tous les mots y ont le sème ‘vie’, ce qui tranche sur la deuxième partie, sur les huit vers où la mort règne. Notons 9 unités bi-isotopiques de la deuxième partie : les verbes du mouvement – aller, venir, les verbes marquant les actions typiques pour les êtres vivants : boire, manger ; l’adjectif visible (2 fois) lequel prend le sens négatif en contact avec ‘la mort’ ; le participe ‘vécue’ – le passé marquant la fin de la vie ; le nom source, positif sans contexte ; l’expression qui serait neutre sans contexte : sur la terre et sous la terre.
Le mot-clé de la deuxième partie est l’adjectif ‘dure’ qui cumule deux acceptions : a) dans le rang des objets : morte (= corps inanimé) – dure ; b) dans le rang métaphorique: plus dure que la soif et la faim ; remarquons ici même un écho : morte (corps inanimé) – corps épuisé (animé). La deuxième partie est basée sur les oppositions : mort (nom abstrait) – morte (nom concret) ; morte – Nusch: opposition entre un nom sans article, donc, pris dans toute son abstraction et le plus concret des noms – Nusch, nom propre ; visible – invisible, avec le revirement logique : ‘visible’ se rapporte d’abord à la mort – nom abstrait, puis à la morte – corps physique qui logiquement ne saurait être invisible ; ‘invisible’ se rapporte à Nusch, nom familier de la personne, marquant ainsi la disparition de la vie.
La poésie se base sur le principe d’écholalie (répétition) qui prend les formes différentes, notamment :
La synonymie (au large sens du mot) : ensevelie – la terre a refermé son poing ; boire et manger – la soif et la faim ; aurore – beau matin ; vivre – donner la vie ; morte – corps épuisé.
La répétition du même mot ou de ses variantes : aurore d’une ville – aurore en moi ; mort visible – morte visible ; masque de neige – masque d’aveugle ; sur la terre – sous la terre.
Le caractère dramatique du poème découle de ce que les deux isotopies s’entrelacent, Que les passages qui peuvent être synonymisés se rapportent tantôt à i1, tantôt à i2.
Il est à noter également l’emploi des pronoms personnels et des adjectifs possessifs de la première et de la deuxième personne :
I partie |
vers 1-5 |
notre – tu – moi |
I partie |
vers 6-7 |
notre – tu - nous |
II partie |
vers 8-15 |
mes (dépens) – mon (corps) – mon (passé) |
Dans la première partie ‘je’ et ‘tu’ s’unissent en ‘nous’. Dans la deuxième partie ‘tu’ s’efface, ainsi qu ‘nous’, il ne reste que ‘je’. De cette façon on découvre la troisième isotopie du texte (i3) – la solitude. L’union de plus en plus étroite de i1 et de i2, le renforcement de i2 dû à son animation presque paradoxale, l’existence latende de i3, le thème de la solitude, tout cela renforce le caractère dramatique de la poésie. L’antinomie tragique entre: donner la vie à ce que nous aimions et la mort vécue consiste en ce que la susceptibilité d’animer par la force de l’amour ce qui n’est pas vivant fait ranimer la mort-même. Dans le conflit de deux mondes : anthropos – cosmos, c’est le dernier qui triophe. Cependant, la profondeur du texte ne se limite pas aux trois isotopies mentionnées : la vie, la mort, la solitude. On y trouve aussi i4 - l’amour , exprimée non seulement par le sens général du poème, mais aussi par les mots nous aimions qui se trouvent en position accentuée, à la fin de la première partie, avec le verbe à l’Imparfait et le dernier ‘nous’. Par conséquent, on peut constater encore une fois une sorte de dédoublement entre le passé : la vie et l’amour vécus, et le présent qui témoigne de l’irréversibilité du passé. Le même dédoublement se fait sentir dans le dernier vers : mon passé (= notre vie) – se dissout (disparition) – je fais place (action) – au silence (état). Sous ‘silence’ on peut entendre la fin de la parole, l’absence du bruit, mais aussi la fin de la vie. Cette opposition révèle encore une isotopie textuelle du type logos : parler – silence, ainsi, i5 – parole.
De cette façon, la profondeur du texte peut être égale à cinq isotopies dont deux sont à la surface, se révèlent dans le contexte explicite : i1 – la vie, i2 – la mort ; les trois autres : i3 – la solitude, i4 – l’amour et i5 – la parole – appartiennent au contexte implicite, mais existent objectivement, s’expriment à travers les unités lexicales concrètes et leurs relations réciproques.
On voit que pour comprendre toutes les nuances du texte donné, le lecteur ne doit pas être un récepteur passif du message, mais faire un effort actif de décodage pour pénétrer dans la profondeur du texte, pour découvrir son message latent.