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LINGUISTIQUE DU TEXTE POETIQUE2.doc
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01.04.2025
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Il y a dans la poésie française toute une série de mots qu’on pourrait appeler des ‘dominantes universelles’ parce qu’elles se rencontrent chez de nombreux auteurs.

Parmi ces mots un rôle particulier revient aux quatre éléments de la nature : le feu, l’eau, la terre, l’air (le vent).

La dominante ‘vent’ dans la poésie de Paul Eluard

Le poète-symboliste russe Alexandre Blok a dit que dans chaque oeuvre poétique il y a quelques mots qui brillent comme des étoiles et qui sont la raison d’être de l’oeuvre. Ce sont justement ces mots qu’on appelle mots-clés ou dominantes. Essayons de déterminer les traits essentiels de l’image du vent dans l’oeuvre du grand poète français du vingtième siècle Paul Eluard.

Dans sa poésie on trouve plusieurs lexèmes qui forment une série synonymique autour du mot-identificateur ‘vent’ :

Vent, brise, ouragan, tempête.

Le poète voit le vent ‘en couleurs’. On trouve chez lui : le vent noir, le vent d’acajou – les déterminants qui n’ont rien à voir avec la caract »ristique naturelle de l’élément.

Il faut dire que chez Paul Eluard l’image du vent acquiert des formes extrêmement variées. ‘Son vent’, tout en restant un élément naturel, prend des caractères insolites :

Comme le vent des mers terribles comme le vent

Qui rampe lentement sur tous les horizons...

Ou bien :

... il y a des femmes au visage pâle

D’autres comme le ciel à la veille du vent...

Parfois le vent se solidifie, devient une chose, un objet :

La fleur de chardon construit un château

Elle monte aux échelles du vent

Ces images féeriques nous introduisent dans un monde enchanté, où la fleur est personnifiée et le vent est réifié.

N’oublions pas que Paul Eluard est un poète profondément national. On retrouve chez lui les airs de la vieille poésie française. Comme chez les poètes du Moyen Age, (mais aussi chez son ami, également poète-surréaliste Jacques Prévert) le vent peut entrer dans ses textes dans une série énumérative figurant à côté des autres éléments :

J’ai peint des cieux toujours pareils

la mer qui a tous les bateaux

la neige le vent et la pluie

Comment ne pas penser au poète du Moyen Age Charles d’Orléans (1391-1465) :

Le temps a laissé son manteau de vent, de froidure et de pluie...

L’originalité de l’emploi des mots-clés chez Paul Eluard consiste aussi en ce qu’il unit souvent au lexème ‘vent’ des images différentes, mais ayant le même sème commun : la vitesse :

les vents et les oiseaux s’unissent...

le cerf et le vent...

Le parallélisme syntaxique des vers et des images qui se base souvent sur des comparaisons ayant une forme identique, renforcée par de discrètes allitérations, est un des procédés favoris de son oeuvre :

Le vent passe en les branches mortes

Comme ma pensée en les livres

L’herbe soulève la neige

Comme la pierre d’un tombeau

Moi je dors dans la tempête

Et je m’éveille les yeux clairs...

Le parallélisme se résume parfois en tautologie :

Je glisse sur le toit des vents

Je glisse sur le toit des mers...

Dans certaines images parallèles on serait tenté de voir le credo poétique et philosophique d’Eluard :

L’oiseau s’est confondu avec le vent

Le ciel avec sa vérité

L’homme avec sa réalité...

L’oiseau – le ciel – l’homme – forment le monde objectif du poète ; le vent – la vérité – la réalité – entrent dans le rang des valeurs morales et nous initient à une réalité vraie, celle d’un homme libre comme le vent.

Les vers de Paul Eluard se caractérisent par le phénomène du ‘clignotement du sens’, en employant le terme proposé par Greimas44 par une isotopie dont le centre peut être constitué par un ou plusieurs verbes plongés dans un contexte métaphorique, par exemple : le vent à la gorge trouée tourne et tombe. L’omission du complément du nom redonnerait aux verbes un sens réel : le vent tourne et tombe.

Le principe de la compression du vers s’élève à la perfection dans la poésie de Paul Eluard. Ce principe consiste à cumuler des images logiquement incompatibles, dont les unes sont déterminées et les autres, généralement plus métaphorisées, sont déternantes :

Le vant coule en criant le long d’une aile...

Aucun manuel d’aérodynamique ne saurait décrire de façon plus persuasive le phénomène du rapide déplacement de l’air. L’impression du vol rapide de l’oiseau est créée de façon analogue avec l’image précédente : le tour gérondif étant omis, le vers reprend un caractère strictement objectif. Le miracle de la surprise est dû à la compression du vers qui crée non seulement toute une série de présuppositions, mais aussi des déductions partant de l’image ébauchée. Dans le gérondif – en criant – on entend le sifflement des masse d’air fendues par une aile et en même temps on perçoit le vent comme un être vivant, sa personnification restant bien sensible.

La lecture de Paul Eluard permet de dégager quelques procédés de la compression des vers. De façon conventionnelle on pourrait les représenter ainsi :

  1. matériel + matériel = immatériel ;

  2. matériel + immatériel = immatériel ;

  3. immatériel + immatériel = immatériel.

Illustrons cetrte idée par quelques exemples concrets :

  1. La nature s’est prise aux filets de la vie

L’arbre ton ombre montre sa chaire nue : le ciel

Il a la voix du sable et les gestes du vent

Et tout ce que tu dis bouge derrière toi

La voix du sable et les gestes du vent – ce sont des métaphores ‘matériellement’ explicables : le sable grince sous les pieds, le vent bouge. Mais leur union parallèle et leur attribution à l’antécédent ‘ciel’ les dématérialise tout en créant une image biocosmique.

  1. Des menaces montrent les dents

Mordent le rire

Arrachent les plumes du vent

Les feuilles mortes de la fuite

Dans les deux derniers vers le déterminant et le déterminé sont unis par un lien associatif éloigné, ce qui approfondit le sens implicite : les plumes du vent – association avec le vol rapide d’un oiseau ; les feuilles mortes de la fuite – la fuite est un départ, les feuilles mortes symbolisent l’automne, la flétrissure, le départ de ce monde ; le verbe arracher dont le sujet est menaces suggère un acte de violence, de meurtre.

  1. Chat

Mais la nuit l’homme voit ses yeux

Dont la pâleur

Est le seul don

Ils sont trop gros pour qu’il les cache

Et trop lourds pour le vent perdu de rêve

L’adjectif perdu dématérialise le premier élément vent, sujet de détermination. En l’unissant à un autre élément ‘immatériel’ – le rêve – l’auteur aboutit à une image inquiétante, insolite, mais d’autant plus suggestive.

On peut dire que l’oeuvre poétique de Paul Eluard est une confirmation de l’idée que poète formule en parlant de Charles Baudelaire : «l’image par analogie (ceci est comme cela) et a par identification (ceci est cela) se détachent aisément du poème, tendent à devenir poèmes elles-mêmes, en s’isolant. A moins que les deux termes ne s’enchevêtrent aussi étroitement l’un que l’autre à tous les éléments du poème ».45

Rappelons encore ces mots d’André Breton : « Seul le déclic analogique nous passionne : c’est seulement par lui que nous pouvons agir sur le moteur du monde »46.

En lisant Paul Eluard on voit que le poète, ayant détruit la cage du surréalisme devenu trop exigüe, n’a jamais renoncé à son principe : le renouveau du langage poétique par la voie du rapprochement et de l’identification des notions logiquement très éloignées l’une de l’autre.

1 M.Proust À la recherche du temps perdu. Le narrateur mange une madeleine (un gâteau) et ceci déclenche un souvenir (en fait, plus qu'un souvenir), il revit une scène de son enfance dans laquelle il mangeait des madeleines... L'expression désigne maintenant un acte, apparemment négligeable, mais qui porte une charge émotionnelle et qui nous rappelle quelque chose du passé

2 Guillaume (William) d'Ockham  (v.1285 - 1347) était un philosophe, logicien et théologien  anglais, considéré comme le plus éminent représentant de l'école scolastique nominaliste

3 L'autotélisme désigne en arts le fait d'avoir soi-même pour but, en parlant d'un objet artistique (du grec auto-, « soi-même », et -telos, « but »).

4 En philosophie, caractère de ce qui a une fin, un objectif.

5 Elsa – Elsa Triolet – romancière, femme de Louis Aragon

6 Anaphore – répétition des mots au début des vers successifs; épanaphore – répétition des mots à la fin d’un vers et au début du vers suivant.

1 Якобсон Р.. Лингвистика и поэтика//Структурализм: “за” и “против”- М. 1975, - с. 193-230

2 Манн Ю. В. Поэтика Гоголя. М.: Худож. лит., 1988. С. 3.

3 Борев Ю. Б. Эстетика. М.: Политиздат, 1988. С. 255-262.

4 Chapitre IX : Histoire et Poésie

5 Bachelard G. La psychanalyse du feu Paris Gallimard.1949. 184 p.

6 Béquin A. Poésie de la présence. De Chrétien de Troiye à Pierre Emmanuel. – Paris. Seuil. 1964 p.6.

7 R.Barthes L’aventure sémiologique – P.Seuil 1985.

8 Структурализм: "за" и "против". М., 1975

9 R. Jakobson Essais de linguistique générale, trad. par Ruwet, t.1, 1963, p.218.

10 Jakobson R. Huit question de poétique – Seuil, Paris, 1977, 188 p., p.26.

11 Baudelaire Ch. Les fleurs du mal et autres poèmes. – Paris. Garnier-Flammarion. 1964.. – 252 p^.

12 Бахтин М. Проблемы поэтики Достоевского – М. 1972 – 470 c..

13 Лотман Ю. Структура художественного текста. – М. 1970. – 210 с.

14 Nathalie Piégay-Gros Introduction à l’intertextualité. – P. Armand Colin 2002. – .238 p.

15 Aragon L. Chroniques du Bel Canto – Genève. 1947. – 470 p.

16 R.Jakobson op.cit.

17 ???

18 Roland Barthes Prise de vues http://asl.univ-montp3.fr/e41slym/Barthes_THEORIE_DU_TEXTE.pdf

19 Pagès A., Pagès-Pindon J. Le français en seconde. Nathan. 1987.

20???

21 Umberto Eco Interprétation et surinterprétation. Traduit de l’anglais. Presses Universitaires de France 2002, 3-e éd. 140 p.

22 Slama-Cazacu T. Langage et contexte. Le problème du langage dans la conception de l’expression et de l’interprétation par des organisations contextuelles. – S’Gravenage. 1961. – 225 p.

23 Гальперин И. Текст как объект лингвистического исследования. – М. 1981. 138 с.

24 Baudelaire Ch. Les fleurs du mal et autres poèmes. – P. Garnier-Flammarion. – 252 p.

25 J. Cohen, Structure du langage poétique, Flammarion, 1966. p.189

26 Cité d’après Cuarón Guarza La connotati ón : problemas del significado – México. 1978.

27 Le Nouveau petit Robert. P. éd. 1997.

28 Martinet A. Connotaion ; poésie et culture// To Honor R.Jakobson. – New York.1963. T !2. 346 p.

29 Le Guern M. Sémantique de la métaphore et de la comparaison. – P. 1973. 252 p.

30 Арнольд И. Стилистика современного английского языка. – Л. 1981. – 295 с.

31 Meschonnic H. Pour la poétique. I. Essais. – P. 1973. 178 p.

32 Oeuvres complètes de Paul Verlaine. Les poètes maudits. – F.Messein. Paris. 1912. – 437 p. p.393-394.

33 І.В.Смущинська Суб’єктивна модальність французької прози, 6Київ. Київський університет. 2001. 255 с. с.21.

34 Hegel G. Phénoménologie de l’expérience esthétique. v. II. Trad de l’allemand. P. 1995-1997.

35 René Char, préface aux PoésiesUne saison en enferIlluminations de Rimbaud, éditions - NRF Poésie/Gallimard, 1956. 

36  Maurice Blanchot, Faux-pas, - P. Gallimard. 1943

37 Encyclopaedia Universalis en ligne. http://www.universalis.fr/

38 Greimas F.-J. La sémantique structurale. Recherche et méthode. – P. 1966. 234 p.

39 Пронников В., Ладанов И. Японцы. Этнопсихологические очерки. – М. 1985. 122 с.

40 Сильман Т. Подтекст как лингвистическое явление.//Научные доклады выс шей школы. Филологические науки. – М. 1969. № 1. с. 12-21.

41 Op.cit.

42 Marouzeau J. Lexique de la terminologie linguistique. 3-e éd. –P 1951.

43 Op.cit.

44 Greimas F.-J. Op.cit.

45 Baudelaire Ch Op .cit.

46 Breton A. La Clé des champs. – P. 1957. – 362 p.

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