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LINGUISTIQUE DU TEXTE POETIQUE

« Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours – de poésie jamais » Charles Baudelaire

1.PARTIE THEORIQUE

Problèmes généraux

Avant de parler de la poésie comme un phénomène particulier de l’activité humaine, on doit dire quelques mots sur la poétique.

Cette dernière a le sens plus large que celui de l’étude de la poésie au strict sens du mot. On emploie ce terme dans trois sens :

  1. La poétique au sens étroit étudie le système des moyens permettant de transformer la langue en une oeuvre poétique1

  2. En sens plus large la poétique entend l’étude des particularités langagières et structurelles du texte des belles-lettres2

  3. Certains considèrent également la poétique en tant que partie de l’esthétique en la rapportant non seulement aux belles-lettres, mais aussi à l’art en général.3

Tous les ouvrages sur la théorie de la littérature ont pour point de départ « La Poétique » oeuvre d’Aristote, célèbre philosophe grec (384 -322 av.J.C.) Dans sa Poétique Aristote reprend le concept de mimesis à Platon en présentant l’art comme une imitation, mais il la présente de façon différente, en avançant la notion du plaisir esthétique sous un jour tout à fait nouveau. Pour lui, il s'agit, non seulement d'imiter une action dans son ensemble, mais aussi des faits, capables d'exciter la terreur et la pitié. Ces émotions naissent surtout, lorsque les faits s'enchaînent contre notre attente 4.

En abordant la poésie française, il faut dire que malgré de grands changements survenus dans l’étude de cette forme de l’activité humaine, la notion du plaisir esthétique y reste fondamentale.

Il faut dire qu’une oeuvre poétique représente un monde particulier qui vit selon ses propres lois, mais cependant elle ne constitue pas un système autonome. Elle est étroitement liée aux autres oeuvres du même auteur, ce qui permet de considérer l’ensemble comme une macrostructure comprenant une série de microstrucures, à commencer par le niveau formel : la répétition de certains éléments – et jusqu’au niveau sémantique : la répétition du même motif, thème, image. En même temps, l’oeuvre de chaque poète est l’apanage (direct ou indirect) de plusieurs écoles poétiques, puisque ce poète se base non seulement sur la psychologie, la philosophie, la culture de son époque, mais aussi sur l’ensemble de moyens poétiques élaborés.

Il paraît au premier abord qu’il ne pourrait exister une science se livrant à l’étude de la poésie. Comme disait G.Bachelard, cette manière qu’a l’homme de ‘rêver la matière’, de ‘construire un autre monde’, parallèle à celui des sciences, est la poésie.5

Beaucoup d’autres chercheurs parlent du caractère mystique de la poésie : « Au-delà de tous ces abandons à la multiplicité des figures de l’esprit et de la variété inépuisable des formes et des choses, le propos du poète est de rejoindre l’unité essentielle : une unité de l’esprit et du monde, cherchée passionnément, pathétiquement, aussi bien dans la contemplation du spectacle extérieur que dans l’appréhension des données obscures du monde profond. Cette recherche de l’unité donne à l’image, à la métaphore, une double fonction : elle sert, d’une part, par l’accumulation même des images les plus disparates à opérer une sorte de destruction de l’univers sensible ; l’esprit, entraîné dans ce tourbillon, ne peut se fixer sur aucun objet, et tous ceux qui sont évoqués, par rapides allusions, ne le sont qu’en fonction de qulque autre chose, d’innpmmé et d’ineffable, vers quoi s’oriente peu à peu le poète. Mais, d’autre part, l’image tend à saisir, pour autant que cela est possible, cette présence concrète d’au-delà de moi, cette évidence d’une région de nous-mêmes plus profonde que nous », écrit A.Béquin6 dans le chapitre intitulé « Poésie et mystique ». Il veut démontrer que l’écriture d’un texte poétique s’apparente à l’examen de l’inconscient.

Pourtant, comme il existe « une science des rêves », une étude de l’inconscient qu’est la psychanalyse, il peut y avoir une « science de la poésie » qu’est la linguistique du texte poétique ou la poétique tout court. Voilà ce qu’en dit le célèbre linguistes français Roland Barthes : « Grâce aux travaux du cercle de

Prague et à ceux de Jakobson, on s'est enhardi à remanier la répartition traditionnelle des discours : toute une part de la littérature est passée à la linguistique (au niveau de la recherche, sinon de l'enseignement), sous le nom de poétique ... et a échappé de la sorte à la juridiction de l'histoire de la littérature, conçue comme simple histoire des idées et des genres »7.

R.Jakobson affirme que puisque la poétique étudie les differentia specifica de l’art de la parole par rapport aux autres arts, elle doit occuper la place centrale dans les études de la critique littéraire.8 Il dit aussi, et c’est une pensée très importante : « La fonction poétique n'est pas la seule fonction de l'art du langage, elle en est seulement la fonction dominante, déterminante, cependant que dans les autres activités verbales elle ne joue qu'un rôle subsidiaire, accessoire. Cette fonction, qui met en évidence le côté palpable des signes, approfondit par là même la dichotomie fondamentale des signes et des objets. Aussi, traitant de la fonction poétique, la linguistique ne peut se limiter au domaine de la poésie »9

Très importante est aussi cette idée de Jakobson : « Mais comment la poéticité se manifeste-t-elle ? En ceci que le mot est ressenti comme mot et non comme simple substitut de l’objet nommé ni comme explosion d’émotion. En ceci, que les mots et leur syntaxe, leur signification, leur forme externe et interne ne sont pas des indices indifférents de la réalité, mais possèdent leur propre poids et leur propre valeur »10.

On peut dire que la perception du texte poétique est la forme supérieure du décodage des textes qui exige un travail actif de la part du lecteur. Et c’est cela qui effraie certaines personnes disant ne pas aimer la poésie. A la différence d’un texte en prose où le contenu attrayant peut dans certains cas l’emporter sur ses qualités esthétiques, ramenant la profondeur du texte à zéro (certains romans policiers ou d’aventures, par exemple), le texte poétique demande toujours de la part du lecteur non seulement un certain ‘accordage’ sentimental et intellectuel avec l’auteur, mais aussi une certaine base littéraire et linguistique, ainsi qu’une attention particulière à chaque mot et à ses liens multiples. Il demande aussi de prêter une attention particulière à toutes les modifications qu’un mot subit dans le contexte d’une oeuvre poétique.

Ce n’est pas un fait de hasard s’il n’existe pas d’expression ‘un amateur de prose’, alors que le titre d’un amateur de poésie et aussi naturel que celui d’un amateur de musique, de peinture, d’un amateur d’art en général. La poésie (si elle bonne) est un domaine particulier où le mot retrouve une existence nouvelle, où la forme fusionne avec le sens, devenant significative, où le mot devient musique (on parle de la musique des vers – rappelons –nous à ce propos les « Romances sans paroles » de Paul Verlaine). C’est un domaine où le mot acquiert la plus grande expressivité sonore sans rien perdre de son contenu. Pourtant, comme pour une pièce de musique, il arrive que le sens devienne subjectif, flou, insaisissable. Ce qui unit surtout la poésie à la musique, c’est leur susceptibilité à toutes les deux de choisir une tonalité particulière en donnant à l’oeuvre un caractère achevé et intègre. Comme dit Charles Baudelaire, « la poésie touche à la musique par une prosodie dont les racines plongent plus avant dans l’âme humaine que ne l’indique aucune théorie classique »11.

En paraphrasant M.Bakhtine on peut affirmer que la différence essentielle entre un texte poétique et celui en prose consiste dans l’impossibilité d’employer dans le cadre de la même oeuvre lyrique les mots des types différents, nettement distincts, sans les avoir réduit au même dénominateur.12 Suivant Y.Lotmann, le texte est un signe intègre13. Cette définition s’applique en premier lieu à une oeuvre poétique. Selon N.Piégay-Gros, ce ne sont pas les éléments qui présupposent le tout, mais c’est le tout qui présuppose ses éléments14. La poésie, qui, selon une expression heureuse de Maiakovsky, est un voyage dans le domaine de l’inconnu, est en même temps l’objet de connaissance. « Comme toute chose humaine, la poésie est objet de connaissance. Si bien que pour toute théorie qui vous en sera donnée, demandez-vous si si elle augmente ou diminue la part du mystère poétique. Dans le premier cas, elle est bonne à jeter aux chiens, elle n’est encore une fois qu’un trucage intéressé, essai de brouiller le jeu ; dans le second seulement, elle sert à la fois la poésie et l’homme dont les destins se confondent, et rend à la poésie sa place dans la société humaine qui est de lumière, non des ténèbres », disait le poète Louis Aragon15.

Or, l’analyse d’une oeuvre poétique doit se concentrer sur ses couches profondes, expliciter les liens latents (mais qui existent de façon objective) sans déformer le texte. Il faut impérativement tenir compte du style individuel de chaque auteur. Du point de vue linguistique ‘style’ veut dire sélection des moyens de communication et organisation de l’expression d’une manière spécifique, propre à l’auteur du message. Par conséquent, on peut parler du style en tant qu’organisation personnelle des moyens d’expression.

L’interprétation d’un texte littéraire, c’est son ‘décodage’. Selon Jakobson la communication se passe d’après ce schéma :

Envoyeur du

message

Contexte

Message

Receveur du message

Contact

Code

Selon le linguiste, la concentration sur le message comme tel constitue la fonction poétique de la langue16. On comprend qu’aucun texte décodé (et, en premier lieu, le texte poétique décodé) n’est identique au message envoyé. Même le plus fin et le plus érudit des lecteurs ne saurait se mettre à la place du poète au moment où il a écrit le texte donné. Qui plus est, le poète lui-même n’est pas toujours en mesure de commenter rationnellement son oeuvre, car l’inspiration s’apparente de l’inconscient. En supposant que la quantité d’information transmise égale 1, l’information reçue et décodée variera dans les limites de 0 à 1, sans jamais atteindre 1.

Texte – contexte

Précisons d’abord la notion du texte. Son étymologie même est significative. Employé pour la première fois par Chrétien de Troyes dans le sens de « livre d’Evangile », le mot provient du latin « textus » signifiant littéralement « tissé ». il prend le sens moderne au XIIIe siècle dans l’oeuvre de Jean de Meung, érudit et poète français, auteur de la seconde partie du « Roman de la Rose », poème dont la philosophie qui célèbre la nature et la raison,, annonce les humanistes du XVIe siècle17 les définitions du texte varient suivant l’angle sous lequel la production linguistique est considérée.

Voilà ce qu’en dit Roland Barthes de façon très poétique :

« Qu'est-ce qu'un texte, pour l'opinion courante ? C'est la surface phénoménale de l'œuvre littéraire ; c'est le tissu des mots engagés dans l'œuvre et agencés de façon à imposer un sens stable et autant que possible unique. En dépit du caractère partiel et modeste de la notion (ce n'est, après tout, qu'un objet, perceptible par le sens visuel), le texte participe à la gloire spirituelle de l'œuvre, dont il est le servant prosaïque mais nécessaire. Lié constitutivement à l'écriture (le texte, c'est ce qui est écrit), peut-être parce que le dessin même des lettres, bien qu'il reste linéaire, suggère plus que la parole, l'entrelacs d'un tissu (étymologiquement, « texte » veut dire « tissu ») il est, dans l'œuvre, ce qui suscite la garantie de la chose écrite, dont il rassemble les fonctions de sauvegarde : d'une part, la stabilité, la permanence de l'inscription, destinée à corriger la fragilité et l'imprécision de la mémoire ; et d'autre part la légalité de la lettre, trace irrécusable, indélébile, pense-t-on, du sens que l'auteur de l'œuvre y a intentionnellement déposé ; le texte est une arme contre le temps, l'oubli, et contre les roueries de la parole, qui, si facilement, se reprend, s'altère, se renie. »18

Et de façon plus pragmatique le linguiste Alain Pagès le définit ainsi : « On appellera texte toute production écrite ou orale qui met la langue en oeuvre, c’est-à-dire toute production du discours. Le texte dépasse généralement le cadre de la phrase ».19

Un texte littéraire est un document qui se caractérise par sa finalité. Chaque texte littéraire est un monde possédant ses propres notions du temps et de l’espace qui ne correspondent pas à celles de la vie réelle. L’essentiel d’un texte écrit, c’est son caractère organisé, médité, où, comme on dit encore, sublimé. Donc, chaque texte littéraire représente un document écrit, créé suivant le type et le but de l’énoncé, par exemple, un roman, un récit, un poème...

Généralement le texte littéraire comprend un titre (à l’exception de certaines poésies, de certaines informations courtes dans la presse) et une série d’unités superphrastiques liées du point de vue lexical, grammatical et stylistique. Citons ici cette remarque importante de T.A.van Dijk où il parle du texte comme d’une entité discursive : «La structure sémantique d’un discours est définie à deux niveaux, à savoir : au niveau de microstructure et à celui de la macrostructure. La microstructure est le niveau local du discours, c’est-à-dire, la structure des propositions individuelles et de leurs relations. La macrostructure est de nature plus globale et caractérise le discours comme une entité. Ces niveaux sont reliés par un ensemble de règles sémantiques de projection, les macrorègles »20.

Chaque texte peut aussi être considéré comme un dialogue entre l’auteur et le lecteur. Le degré d’adéquation de la compréhension d’un texte littéraire et surtout d’un texte poétique dépend de l’imagination du lecteur, de son intuition, mais aussi de sa culture et de ses goûts littéraires.

Citons encore à ce propos ces mots de Umberto Eco :

« Un texte de création est toujours une Oeuvre Ouverte. ... j’accepte l’idée selon laquelle un texte peut avoir de nombreux sens. Je refuse d’admettre qu’un texte peut avoir n’importe quel sens »21.

En procédant à l’analyse linguo-stylistique du texte poétique il faut déterminer les principales notions relatives à cette analyse.

La première notion qu’il faut envisager c’est celle du contexte.

La linguiste roumaine T.Slama-Cazacu définit le contexte comme une organisation dont les propriétés linguistiques sont déterminées par l’intention de la communication, par le sens communiqué, par la possibilité d’interprétation de la part du récepteur. Ainsi, sous le contexte elle entend non seulement l’environnement formel de l’unité envisagée (le plus souvent c’est le mot), mais aussi des visées psychologiques et sociales de la communication ? T. Slama-Cazacu détermine les particularités suivantes du contexte :

  1. Le contexte a le rôle de choisir un certain mot, mais aussi d’en préciser le sens ;

  2. Le contexte individualise le sens en puisant dans la généralité de la notion la note particulière qui convient à l’objet ou au phénomène particulier impliqué dans la situation et en contribuant ainsi davantage à en préciser le sens ;

  3. Le contexte peut souvent créer lui-même une signification à un mot dans le cas où il est le seul moyen qui rende possible la compréhension correcte ou lorsqu’il s’agit d’une expression trop succinte ;

  4. Le contexte peut (du fait que son souvenir devient pour quelqu’un la « charge » sémantique du mot) transformer une signification.

La linguiste définit aussi trois types du contexte : le contexte explicite – verbal et auxiliaire (gestes, etc.), c’est-à-dire l’expression proprement dite ; le contexte linguistique (discursif ou verbal) – le plus restreint, constitué par l’alignement des mots ; le contexte implicite – qui contient tout ce que le récepteur connaît de la personne qui parle22. Notons que cette dernière espèce a une signification particulière pour une oeuvre poétique.

Donnons quelques exemples pour illustrer les quatre points cités :

  1. Vert – le mot peut avoir plusieurs sens qui se précisent dans : mêmes yeux verts ;

  2. Froid – le sens est individualisé dans ce vers de Baudelaire : La froide cruauté de ce soleil de glace ;

  3. Gouffre – le contexte donne une signification particulière, non seulement métaphorique, mais aussi restrictive à ce mot dans : Du fond du gouffre obscur où mon coeur est tombé ;

  4. Et enfin, l’exemple classique du mot dont la charge sémantique a été inculquée par un écrivain, c’est la célèbre ‘madeleine’ de Marcel Proust1.

Précisons encore quelques notions générales sur lesquelles se base la linguistique du texte en spécifiant les traits qui sont propres particulièrement au texte poétique.

Types de l’information.

Chaque texte contient une certaine information. D’après I. Galpérine23 on distingue trois types de l’information dans un texte :

  1. factuelle,

  2. conceptuelle ;

  3. implicite.

  1. Information factuelle concerne les renseignements sur les faits, les événements qui se passent dans le monde réel ou imaginaire. Elle est explicite, les mots y sont employés dans leur sens propre :

Marie-Anna jouait au piano une chanson d’Edith Piaf (M. Aymé)

  1. Informtion conceptuelle est propre avant tout aux textes littéraires. On la reçoit de la lecture du texte entier, elle communique au lecteur l’avis personnel de l’écrivain sur les faits qu’il décrit, sur la psychologie des personnages, etc. Elle demande un effort intellectuel et émotionnel de la part du lecteur, un décodage attentif de l’information, donc, un travail créateur. Par exemple, on utilisera ce type de l’information en répondant à la question : Qui est Julien Sorel ?

  2. Information implicite ou, comme on l’appelle encore, la lecture (l’écriture) au second degré. Est une information latente qui se base sur la capacité des unités linguistiques d’engendrer des associations, de parler au lecteur par allusion. Elle se réalise dans un large contexte.

Dans un texte de prose classique les deux premiers types de l’information sont obligatoires et les troisième facultatif. Dans un texte poétique, mais aussi souvent dans la prose moderne, l’information factuelle est minimale et l’information implicite est toujours présente.

L’idiome poétique n’est jamais que le matériau d’un autre langage qui ne contredit pas le premier, mais qui est un langage profond, symbolique et qui est un langage des sens multiples.

L’entropie (grec – retour en arrière) est définie dans les sciences exactes comme : grandeur caractérisant le désordre d'un système. Baisser l’entropie veut dire augmenter le volume de l’information reçue.

L’entropie d’un texte se définit par rapport à :

  1. un certain volume sémantique h, c’est-à-dire, la capacité de la langue de mettre une certaine information dans un texte d’une longueur donnée ;

  2. la souplesse de la langue, H, - la capacité de la langue de rendre le même contenu par divers moyens équivalents.

  3. Grâce à h on exprime l’information factuelle et en partie conceptuelle. Grâce à H on peut exprimer le sens implicite, procéder de façon détournés, allusive.

Le sens implicite de l’oeuvre n’est pas toujours saisi à la première lecture, il demande souvent un effort intellectuel et émotionnel particulier de la part du lecteur. Il ne faut pas confondre la notion du sens implicite et celle des tropes. Le premier est toujours latent, il se construit au gré de la lecture, alors que les tropes dont on parlera plus tard en détail, sont toujours explicites.

Dans les belles-lettres modernes les limites entre la poésie et la prose sont souvent conventionnelles. C’est surtout significatif pour la poésie française où les contraintes de la versification syllabique incitent les poètes à briser ses assises et à s’adresser au ‘vers libre’. Pourtant, il faut bien se rendre compte : jamais une « vraie prose », même rimée, ne deviendra une oeuvre poétique. Et jamais un poème envers ou « en prose » ne pourra être raconté avec les mots de tous les jours. Ce sont les poètes eux-mêmes qui le sentent le mieux et qui l’expriment avec les mots les plus justes. Voilà ce qu’en dit Charles Baudelaire :

« Une foule de gens se figurent que le but de la poésie est un enseignement quelconque, qu’elle doit tantôt fortifier la conscience, tantôt perfectionner les moeurs, tantôt enfin démontrer quoi que soit d’utile...

La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre, et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème.

La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de défaillance, s’assimiler à la science ou à la morale ; elle n’a pas la Vérité pour objet, elle n’a qu’Elle-même »24.

Ces paroles qui peuvent sembler paradoxales reflètent avec force le caractère particulier de la création poétique qui est une expression d’un état d’âme, et non d’un état d’esprit.

Et voilà la définition « plus rationnelle » de cette différence, venant d’un linguiste ; «  1° La différence entre prose et poésie est de nature linguistique, c'est-à-dire formelle. Elle ne se trouve ni dans la substance sonore, ni dans la substance idéologique, mais dans le type particulier de relations que le poème institue entre le signifiant et le signifié d'une part, les signifiés entre eux d'autre part; 2° Ce type particulier de relations se caractérise par sa négativité, chacun des procédés ou figures qui constituent le langage poétique dans sa spécificité étant une manière, différente selon les niveaux, de violer le code du langage normal »25. Cette violation du ‘langage normal’ est souvent un défi que le poète lance à son lecteur. Souvenons-nous de ce vers célèbre de Paul Eluard : « La terre est bleue comme une orange ».

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