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I. Guerre et paix

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Fragment sur la guerre révolutionnaire

(fin 1933)

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[Ces questions] se ramènent toutes à la question de la valeur révolution­naire de la guerre. La légende de 1793 a créé sur ce point, dans tout le mouvement ouvrier, une équivoque dangereuse et qui dure encore.

La guerre de 1792 n'a pas été une guerre révolutionnaire. Elle n'a pas été une défense à main armée de la république française contre les rois, mais, du moins, à l'origine, une manœuvre de la cour et des Girondins pour briser la révolution, manœuvre à laquelle Robespierre, dans son magnifique discours contre la déclaration de la guerre, tenta en vain de s'opposer. Il est vrai que la guerre elle-même, par ses exigences propres, chassa ensuite les Girondins du gouvernement et y porta les Montagnards ; néanmoins la manœuvre des Girondins, dans ce qu'elle avait d'essentiel, fut un succès. Car Robespierre et ses amis, bien que placés aux postes responsables de l'État, ne purent rien réaliser, ni de la démocratie politique ni des transformations sociales qu'ils avaient à leurs propres yeux pour unique raison d'être de donner au peuple français. Ils ne purent même pas s'opposer à la corruption qui finit par les faire périr. Ils ne firent en fait, par la centralisation brutale et la terreur insensée que la guerre rendait indispensables, qu'ouvrir la voie à la dictature militaire. Robespierre s'en rendait compte avec cette étonnante lucidité qui faisait sa grandeur, et il l'a dit, non sans amertume, dans le fameux discours qui a immédiatement précédé sa mort. Quant aux conséquences de cette guerre à l'étranger, elle contribua évidemment à détruire la vieille structure féodale de quelques pays, mais par contre, dès que, par un développement inéluctable, elle s'orienta vers la conquête, elle affaiblit singulièrement la force de propagande des idées révolutionnaires françaises, conformément à la célèbre parole de Robespierre : « On n'aime pas les missionnaires armés. » Ce n'est pas sans cause que Robespierre a été accusé de voir sans plaisir les victoires des armées françaises. C'est la guerre qui, pour reprendre l'expression de Marx, à Liberté, Égalité, Fraternité, a substitué Infanterie, Cavalerie, Artillerie.

Au reste, même la guerre d'intervention, en Russie, guerre véritablement défensive, et dont les combattants méritent notre admiration, a été un obstacle infranchissable pour le développement de la révolution russe. C'est cette guer­re qui a imposé à une révolution dont le programme était l'abolition de l'armée, de la police et de la bureaucratie permanentes une armée rouge dont les cadres furent constitués par les officiers tsaristes, une police qui ne devait pas tarder à frapper les communistes plus durement que les contre-révolution­naires, un appareil bureaucratique sans équivalent dans le reste du monde. Tous ces appareils devaient répondre à des nécessités passagères ; mais ils survécurent fatalement à ces nécessités. D'une manière générale la guerre renforce toujours le pouvoir central aux dépens du peuple ; comme l'a écrit Saint-Just : « Il n'y a que ceux qui sont dans les batailles qui les gagnent, et il n'y a que ceux qui sont puissants qui en profitent. » La Commune de Paris a fait exception ; mais aussi a-t-elle été vaincue. La guerre est inconcevable sans une organisation oppressive, sans un pouvoir absolu de ceux qui dirigent, constitués en un appareil distinct, sur ceux qui exécutent. En ce sens, si l'on admet, avec Marx et Lénine, que la révolution, de nos jours, consiste avant tout à briser immédiatement et définitivement l'appareil d'État, la guerre, même faite par des révolutionnaires pour défendre la révolution qu'ils ont faite, constitue un facteur contre-révolutionnaire. À plus forte raison, quand la guerre est dirigée par une classe oppressive, l'adhésion des opprimés à la guerre constitue-t-elle une abdication complète entre les mains de l'appareil d'État qui les écrase. C'est ce qui s'est produit en 1914 ; et dans cette honteuse trahison il faut bien reconnaître qu'Engels porte sa part de responsabilité.

Simone Weil : Écrits historiques et politiques.

Deuxième partie : Politique

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