
- •Leçon 2. La genèse de la grammaire française
- •1. Préliminaires des études grammaticales françaises.
- •Il est difficile de comprendre pourquoi l’auteur fait de la personne un accident du nom. Palsgrave trouve les traces de la déclinaison dans la présence de l’article devant le nom.
- •3. La grammaire de Jacques Dubois. In linguam gallicam isagoge
- •4. La grammaire de Louis Meigret. Le tretté de la grammęre françoęze
- •5. Les grammaires françaises de la fin du XVI siècle.
4. La grammaire de Louis Meigret. Le tretté de la grammęre françoęze
A l’époque où apparurent les premières grammaires de la langue française au trône de la France était François Ier, homme cultivé, grand protecteur des arts et des sciences, qui par son activité civilisatrice favorisait l’épanouissement de la renaissance française. Au nom de François Ier est lié, de certaine façon, le sort de la langue française. Sous l’influence des esprits cultivés de son temps, il lance le 15 août 1539 à Villers-Cotterets son fameux édit sur la réforme de la justice qui stipulait dans les articles 110 et 111 que tous les actes et opérations de justice se feraient désormais en français. “Nous voulons d’ores et avant que tous les arrêts (...) soient prononcez, enregistrez et délivrez aux parties en langage maternel français et non autrement”. C’était le début d’introduction de la langue française dans toutes les sphères de la vie des Français. Peu de temps après le français devient la langue d’enseignement dans les écoles. A partir de ce moment tous les manuels et la plupart des ouvrages scientifiques seront écrits en français, mais en français qui n’est pas encore normalisé dans ses règles. Chacun écrit comme il entend.
C’est Louis Meigret qui a eu le mérite de voir l’importance du problème de l’orthographe français et de le poser ensemble : “Nous écrivons un langage qui n’est point en usage, et usons d’une langue qui n’a point d’usage d’escriture en France” - écrit le savant dans son “Traité touchant le Commun usage de l’escriture Française” (1542).
Préoccupé du dommage que le désordre causait à la langue française, Louis Meigret propose avant tout de réformer l’orthographe. Partant de la thèse que les lettres sont l’image de la voix, et que “l’escriture deura estre d’autant de letres que la prononciation requiert de voix ”, et que “si elle prenne autre, elle est faulse, abusive et damnable”, Meigret découvre du coup tous les vices de l’orthographe de son temps.
Une écriture, dit Meigret, “peult estre corrompeue en troys manieres, qui sont : diminution, superfluité, et usurpation d’une letre pour autre” [Brunot, T2,96]
Diminution – c’est quand l’écriture manque de lettres. Par exemple, dans les mots “chef” et, “cher” se fait entendre le diphtongue “ie” mais le “i” manque.
Superfluité a lieu, quand dans le mot il y a plus de lettres que la prononciation ne demande pas. Par exemple “faict” au lieu de “fait”, “default” au lieu de “défaut, “debuoir” au lieu de “devoir” etc.
Usurpation a, par exemple, lieu quand la lettre “c” se prononce tantôt comme [s], tantôt comme [k].
Pour corriger ces défauts, Meigret proposa de réformer l’orthographe du français. Sa réforme visait :
Supprimer toutes les consonnes qui ne se prononcent pas. Par exemple :
ung > un dict > dit
renards > renars qui > qi
aultre > autre estre> être
debuoir > devoir chacung>chacun
escripre>ecrire advis>avis
Substituer une lettre à une autre. Par exemple :
u > o umbre - ombre
ai > e mais - mes
ou > o courir - corir
s > z disons - dizons
t > ç nation – naçion
gn>η Espagnol- Espaηol
Introduire des signes diacritiques pour différencier la prononciation de mêmes lettres, comme accent égu sur le “ é ”, á pour marquer la longueur, ç et autres.
A la différence de J. Dubois, qui repose toute sa doctrine grammaticale, y compris des changements orthographiques, sur les principes étymologiques, L. Meigret construit tout sur l’usage. “Il n’y a point de règle du langage que l’usage” (brunot, T2,p140), - telle était sa conception méthodologique. Voilà pourquoi son système orthographique s’appuie sur la prononciation courante et ne tient aucun compte de l’étymologie. A cause de cela sa réforme n’a pas réussi. Ou peut-être à cause “de ne pas innover assez”, comme le dit F.Brunot (T.2, p.105). Pourtant plusieurs de ses innovations ont fini par se faire adopter avec le temps.
En 1550 Louis Meigret fait paraître “Le tretté de la grammęre françoęze ”. Bien que cette grammaire ne soit que la troisième dans la suite chronologique, elle doit être considérée, et de plein droit, comme la première, indéniablement française. Parce qu’elle est écrite en français, et elle traite du français parlé.
L’auteur commence sa grammaire par un rapide avant propos (quatre premiers chapitres) où il revient sur sa thèse favorite de l’accord de la prononciation avec l’orthographe, puis il passe à l’examen des parties du discours. A l’exemple des grammairiens latins, il distingue, outre l’article, huit parties d’oraison : nom, pronom, verbe, participe, adverbe, préposition, conjonction et interjection. Examinant la nature grammaticale de chaque partie du discours, Meigret ne se contente pas d’enregistrer et de décrire la morphologie des éléments lexicaux qui s’y rapportent, il tâche de les expliquer et de systématiser.
Article. Meigret entame son étude grammaticale par l’étude de l’article, auquel il consacre tout un chapitre (Chap. VII). Mais il n’y examine que les formes définies “ le”,“ la ”, “ les”. Les formes contractées “ du”, “ des”, “ au”, “ aux” sont qualifiées comme une espèce particulière de prépositions, en raison de quoi elles sont étudiées dans le chapitre, consacré aux prépositions. Le grammairien formule quelques règles de l’emploi des articles. Selon lui, les articles le, la, les se préposent aux noms communs, généraux et spécifiques, comme l’homme; aux pronoms possessifs, comme le mien; au relatif, comme lequel. Il note, que ces articles ont quelquefois la valeur de restriction, comme dans “J’ai vu l’homme qui a couru deux cents pas d’un aliéné ”. Le nom, attribut d’un sujet, auquel il est relié par le verbe “ être”, peut être employé sans article, comme dans “ je suis homme”. Les noms propres s’emploient habituellement sans article, mais “quelquefois par manière d’expression plus manifeste et démonstrative, nous usons le et la avant les noms propres comme (...)Je dis le Pierre, que vous avez autrefois vu à Paris” (Meigret, p.27)
Meigret distingue l’article et le pronom le, la, les. Mais en même temps, il qualifie les articles du et des dans les phrases : “Je mange du mouton” et “IL y a des hommes ici” comme des formes se rapprochant du pronom.
Il ne parle pas encore de la fonction déterminative des articles, d’après lui, leur rôle est de marquer le genre et le nombre des mots auxquels ils sont préposés. En conclusion on peut dire, répétant les mots de F.Brunot, que “Le chapitre sur l’article est faible, mais les caractères du défini, de l’indéfini et des partitifs sont étudiés plus loin (c’est-à-dire dans le chapitre de la préposition, où ils sont reprises- M.П.) et assez bien démêlés” (Brunot, T.2, p.142).
Nom. Après l’article suit le chapitre consacré au nom. Selon L.Meigret, le nom “est une partie du langage, ou oraison, signifiant la propre ou commune qualité de toutes choses” ( p.28). A la classe des noms Meigret joint les adjectifs et les noms de nombre. Il attribue au nom quatre accidents : espèce, genre, nombre, et figure. Le grammairien se prononce catégoriquement contre la déclinaison,“parce que les noms français ne changent point leur fin” (ibid.).
1. Quant aux espèces, l’auteur en distingue deux : noms propres comme Paris, et noms communs (appellatifs) comme homme. Les deux espèces incluent les noms primitifs (Parisien) et les noms dérivés (boulanger, grammairien ). Meigret consacre beaucoup de place à la caractéristique lexico sémantique des appellatifs. Il en distingue plusieurs sous-classes, comme, par exemple, les noms réciproques (père/fils – “en disant un nous présupposons l’autre”), les noms consécutifs (jour/nuit), les noms collectifs (peuple, assemblée), les noms généraux ( animal, arbre) et d’autres.
2. Le nom français n’a que deux genres, dit l’auteur. Ils sont “notés par l’article masculin le, et par le féminin la”. En français il n’y a pas de genre neutre, bien que plusieurs mots aient la même forme pour le masculin et pour le féminin comme c’est le cas du mot “amour”.
Meigret formule plusieurs règles de la formation du féminin dont la majorité constitue le noyau de la grammaire normative d’aujourd’hui.
3. “Le nombre, dit Meigret, est une forme de diction qui peut faire discerner la quantité” (p. 47). En français il y a deux nombres : singulier (cheval, homme) et pluriel (chevaux, hommes). A part la règle principale, que tous les substantifs font leur pluriel à l’aide de –s ou –z, nous trouvons dans la grammaire beaucoup de détails sur la formation du pluriel qui correspondent dans la majorité des cas aux formes du pluriel des substantifs dans le français d’aujourd’hui.
Dans le chapitre consacré au nombre des substantifs le savant parle abondamment de l’emploi des noms de nombre, expliquant leur valeur sémantique
4. Par la figure du nom L. Meigret comprend sa composition morphologique. Le nom a une figure simple, s’il se présente sous forme de sa racine sans affixes. Par exemple : homme, cheval . Dans tous les autres cas il a une figure composée. Meigret distingue “quatre manières de noms composés” ( p.62), mais les exemples qu’il donne montrent qu’il s’agit en fait des noms composés (type : bénévole, malheur, quelqu’un) et des noms dérivés (type : ennemi).
Pronom. Meigret voit en pronom “une partie du langage inventée pour suppléer le nom tant propre qu’appellatif sans aucune signification de temps, dénotant toujours quelque certaine personne”(p.62).
Meigret range parmi les pronoms les adjectifs possessifs et autres mots qui déterminent le nom sans le remplacer. Selon Meigret, cette partie du discours se caractérise par 6 accidents, qui sont:
1. Espèce. Les idées, que le savant exprime, sont très embrouillées. Tout d’abord, il ne distingue que trois espèces de pronoms, bien qu’il parle des pronoms personnels, démonstratifs, possessifs et relatifs. Dans le groupe des relatifs il range les pronoms personnels de la troisième personne. Les pronoms possessifs incluent les adjectifs possessifs. Les pronoms démonstratifs sont confondus avec les pronoms personnels.
2. Personne. Les observations de Meigret, à la différence du cas précédent, sont très justes et fines. Il remarque avec beaucoup de justesse que la première personne comprend toutes les autres, que la seconde personne comprend la troisième, et que celle-ci ne comprend qu’elle-même. Il est intéressant de remarquer que cette idée de Meigret a été largement exploitée par beaucoup de savants du XX-ième siècle.
3. Genre. Le pronom, dit le grammairien, possède trois genres: masculin (il, celui); féminin (elle, celle); commun (je, tu, on).
4. Figure. Comme les noms, les pronoms sont aussi simples (je, tu, qui) et composés (celui-ci, toi-même).
5. Nombre. Il y en a deux dans la classe de pronoms : celui du singulier et du pluriel.
6. Cas. Meigret reconnaît aux pronoms personnels la catégorie de cas qui s’exprime à l’aide de leurs différentes formes, préposées des prépositions “à” et “de”. Par exemple : cas nominatif : je, moi; cas génitif :de moi; cas datif : à moi; cas accusatif : me, moi; cas ablatif : de moi.
Verbe. Meigret reprend la définition du verbe de Priscien, en omettant seulement les mots “sine casu” : “Verbum est pars orationis cum temporibus et modis (sine casu) abendi vel patiendi significativa. Comparez : “Le verbe est une partie du langage signifiant l’action ou passion, avec temps et modes ”(p. 82) .
Il constate aussi, que le verbe “être” qui ne marque ni action, ni passion, exprime seulement l’idée d’existence, et qu’il est implicitement présent dans tous les autres verbes, quels qu’ils soient. Cette idée a été reprise plus tard par les grammairiens de Port-Royal, qui estimaient que le prédicat verbal de toute phrase peut être exprimé à l’aide du verbe “être”. Par exemple: Pierre marche → Pierre est marchant.
Dans sa grammaire Meigret accorde beaucoup d’attention à l’étude du participe qui est assimilé par moment à l’infinitif, ce qui explique l’usage des termes “infinitif prétérite”, “infinitif passé” ou “infinitif immuable”. L’auteur voit en participe “une partie du langage” qui “faisant le devoir du verbe duquel il est arrivé” exprime, à l’exemple des noms, le genre et le nombre “sans aucune différence de personnes ou de modes”(p. 134).
Meigret accorde au verbe 8 accidents qui sont : la signification, le temps, le mode, l’espèce, la figure, la conjugaison, la personne et le nombre.
1. La signification. Analysant la signification des verbes, Meigret concentre son attention sur leur possibilité d’exprimer le sens actif et le sens passif. Il examine cette question de deux points de vue. D’une part, il distingue “deux genres de verbes : l’un actif, et l’autre passif”(p. 83), ensuite il analyse leur participe passé qui peut être actif ou passif. Cette deuxième analyse est en fait, et les exemples cités le confirment entièrement (comp., par ex. : Je suis aimé de Pierre (du peuple, des citoyens) et Pierre m’ aime. Le peuple m’aime) l’étude de la catégorie de la voix.
2. Le mode. Meigret distingue en tout quatre modes : l’indicatif, celui “qui dénote ce qui se fait, fera et a été fait” (p. 92); l’impératif, celui qui “n’a point de prétérite, car on ne peut commander pour le passé : vu que le temps passé est irrévocable”(p. 93); optatif (le conditionnel) qui sert à exprimer le désir, à cause de cela il l’appelle “le mode désidératif”; le subjonctif, qui s’assimile dans la grammaire au conditionnel, sur quoi indique le terme synonymique “conjonctif”. Chaque mode est examiné dans la grammaire du point de vue des valeurs temporelles qu’il exprime, et il convient de souligner que cet examen est fait avec beaucoup de compétence jusqu’aux moindres détails
3. Les temps. Si on ne prend pas en compte le fait que certaines formes temporelles sont affectées aux différents modes (par exemple, les formes “qu’il fasse, qu’ils aiment” sont classées comme formes appartenant à l’optatif, à l’impératif et au subjonctif), le système de temps, que Meigret établit dans sa grammaire, est pratiquement identique au système de temps qu’on trouve dans les grammaires françaises de nos jours.
4. Les espèces. Meigret distingue deux espèces de verbes, “l’une primitive, comme aimer; l‘autre dérivative”- verbes qui proviennent d’autres parties du discours comme “rire” de “ris”,“tyranniser” de “tyran”(p. 98).
5. La figure. Le savant désigne par ce terme les formes simples (dire) et les formes composées (contredire) des verbes.
6. La conjugaison. Dans la grammaire de Meigret les verbes se subdivisent en quatre groupes (conjugaisons): Iier en -er ; IIième en -oir (pouvoir) ; IIIième en -ire (dire) ; IVième en -ir (jouir, fuir). Nous voyons donc, que le classement morphologique des verbes, donné par Meigret, diffère considérablement du classement actuel.
7. La catégorie de la personne (il y en a trois) et celle du nombre (singulier et pluriel) ne diffèrent pas de leur nature grammaticale d’aujourd’hui .
Ainsi, si l’on prend en considération que le verbe comme partie du discours est au centre de tout le système grammatical et si l’on prend en vue que la théorie du verbe dans l’interprétation de L.Meigret ne diffère presque pas de celle qu’on retrouve dans les grammaires contemporaines, on peut en conclure, que l’oeuvre de Meigret est une vraie source première de la grammaire française.
Préposition. Le chapitre, consacré à l’étude de la préposition suit immédiatement celui du verbe. Fidèle à son principe, l’auteur commence sa description grammaticale de la préposition par la définition. “La préposition,- explique-t-il,- est une partie du langage indéclinable, qu`on prépose aux autres parties par adjonction ou composition. Par adjonction, comme: “le livre de Pierre” et par composition, comme : démentir, composé de “de”, et “mentir”(p.160).
L’intérêt scientifique de ce chapitre consiste en ce, que Meigret y accorde plus d’attention à l’étude de l’article qu’à la préposition elle-même. Il analyse, en particulier, l‘emploi des formes contractées de l’article défini “au”, “aux”, “du”, “des”, constate que la préposition “de” se conduit souvent comme un article, quand il “dénote une généralité” (“il a besoin de conseil”), quand il remplace “des” devant les noms compléments des noms, des verbes, des participes et des adverbes qui régissent la préposition “de” (cette façon d’hommes, prou de richesses) ou bien quand il marque une partie de quelque chose. (j’ai mangé de trois viandes).
Dans le même chapitre Meigret nous apprend aussi l’existence de l’article partitif en français : “Du et de sont aussi quelquefois partitifs après les verbes, comme Je mange du mouton, de la volaille; si nous voulons comprendre le tout, nous dirons J’ai mangé un mouton, ou le mouton, une volaille. Quelquefois aussi ils sont collectifs, comme J’ai mis du brochet, de la carpe dedans cet étang”(p. 164).
L’étude de trois autres parties du discours, c’est-à-dire de l’adverbe, de la conjonction et de l’interjection est traditionnelle et en principe diffère peu des vues contemporaines. Par exemple, l`adverbe est considéré comme une partie du discours qui sert à qualifier l’action verbale, bien que souvent il accompagne aussi l`adjectif : fort noir, trop riche. Ayant établi les espèces des adverbes, l’auteur traite sommairement les questions de leur composition morphologique et de leur valeur lexico-grammaticale.
F.Brunot, évaluant l`apport de L.Meigret dans la science grammaticale, dit :“M.Livet, frappé de la valeur de Meigret, l`a déjà appelé le fondateur de la grammaire française. Il mérite en effet doublement ce titre, si l`on veut entendre par là qu`il a fondé non seulement la grammaire de la langue française, mais la grammaire à la française” [T 2, p.145].