
- •Leçon 2. La genèse de la grammaire française
- •1. Préliminaires des études grammaticales françaises.
- •Il est difficile de comprendre pourquoi l’auteur fait de la personne un accident du nom. Palsgrave trouve les traces de la déclinaison dans la présence de l’article devant le nom.
- •3. La grammaire de Jacques Dubois. In linguam gallicam isagoge
- •4. La grammaire de Louis Meigret. Le tretté de la grammęre françoęze
- •5. Les grammaires françaises de la fin du XVI siècle.
Leçon 2. La genèse de la grammaire française
1. Préliminaires des études grammaticales françaises.
La première mention de l’existence de la langue française remonte au VII siècle (659). Un auteur anonyme, racontant la vie l’évêque Mummolin, dit que celui-ci possédait le tudesque et le roman. Cependant le premier document écrit attestant la naissance du français apparaît deux siècles plus tard. C’était le fameux Serment de Strasbourg qui réglait le partage de l’Empire Carolingien entre les petits-fils de Charlemagne Louis le Germanique, Charles le Chauve et Lothaire, qui a eu lieu en 842.
Le texte du serment était rédigé en langue qui n’était plus latin populaire mais en même temps il n’était pas encore le français, tel que nous le parlons aujourd’hui. Cette nouvelle langue était encore instable, et présentait une des étapes de son évolution vers le français contemporain. Il faudra encore plusieurs siècles d’évolution pour qu’elle se fasse une grammaire indépendante de celle du latin.
Les premières tentatives de réglementer la grammaire de cette nouvelle langue remonte au 13-14 siècle de notre ère. F. Brunot nous apprend dans son “Histoire de la langue française dès origines à 1900” que dans la première moitié du 14 siècle était composée “Orthographia gallica” découverte dans les manuscrits du Musée Britannique par M. Stuzzinger (T.1,p.374 ). L’auteur de cet ouvrage “ne parle pas seulement écriture,...il donne par endroits à son lecteur de véritables règles de morphologie et même de syntaxe” (ibid. ).
“Celui de tous les ouvrages qui ressemblent le mieux à une grammaire”, dit F. Brunot, est le Donat français de John Barton, écrit avant 1409.
L’auteur avait fait ses études à Paris. Amateur passionné du français il décida de l’expliquer et de le populariser parmi les Anglais. Son travail ouvre la série des grammaires françaises.
“Son traité, – dit F. Brunot, quelque bref qu’il soit, est intéressant, il donne des théories assez claires et en général assez juste” [ ibid.]. Brunot cite comme exemple un passage qui porte sur les modes. L’auteur de Donat en distinguait cinq : l’indicatif, l’impératif, l’optatif ( Je aymeroie ), le conjunctif ( tu serras amé), l’infinitif. Selon F. Brunot ce Donat (...) ouvre convenablement la série des grammaires françaises.
Au 15 siècle en France il n’y avait encore aucun ouvrage didactique écrit sur les principes du nouvel idiome. Et lorsqu’on entrait dans une école, dans un tribunal ou dans une église on y entendait parler le latin. Si bien que le peuple qui parlait déjà le français ne comprenait plus les maîtres d’écoles, les administrateurs, les avocats et les prêtres.
C’est alors qu’un nommé Geofroy Tory, un simple imprimeur, eut l’idée de chasser le latin, et de ramener le français. L’initiative de Tory remonte à 1520.
Le grand mérite de Tory est dans son amour pour la langue nationale. Avant lui on n’avait vu aucun ouvrage didactique, écrit en français, sur les principes de cette langue. Ami intime de Jean Groslier, secrétaire du Roi, le Maître au Pot cassé (c’est ainsi qu’on nommait le célèbre graveur) avait ses entrées franches à la Cour, où il lisait aux dames d’honneur les aventures amoureuses des siècles passés, inscrites sur des manuscrits que lui seul avait le talent de déchiffrer...Il avait profité de cette circonstance pour développer sa pensée...Cette idée, approuvée par le Souverain, avait pris beaucoup de consistances dans les esprits.
Tory disait à qui voulait l’entendre : “Il est impossible que l’on conserve longtemps la sotte, la stupide, l’inconcevable habitude de parler, dans l’administration générale, les tribunaux et les écoles, un langage qui nous rappelle constamment la voix du vainqueur”. De cette idée est née la Renaissance de la langue française.
Il importe de constater, que Tory ne faisait que réclamer de développer sa langue maternelle, il avait fait la première tentative pour l’améliorer. Dans son oeuvre “Champ fleury”, il propose l’emploi des accents, de la cédille et de l’apostrophe : [é], ç [s].
2. La grammaire de John Palsgrave “L’éclaircissement de la langue française”
En 1530 apparut la première grammaire de la langue française, écrite en anglais par John ( Jean ) Palsgrave. Elle avait pour titre “Lesclaircissement de la langue françoyse”. Les Français n’aiment pas parler de cet ouvrage. Le fait que la première grammaire française fut écrite par un Anglais blesse leurs sentiments patriotiques. Julian Telle, par exemple, passant en revue “Les grammairiens français depuis l’origine de la grammaire en France jusqu’ aux dernières oeuvres connues”, qualifie la grammaire de Palsgrave comme “un ouvrage fort cher” et “peu utile”.
Plus généreux est F. Brunot. Ayant remarqué que la grammaire de Palsgrave “a le grand défaut d’être mal composé”, il avoue, quand même, que cette oeuvre “est celle d’un homme qui connaît à fond notre idiome, qui a du jugement, et une observation très étendue (...). Derrière Palsgrave, il est difficile de citer quelqu’un qui le vaille” [ T.2., p.126 ].
Rendant à Palsgrave son dû, F.Brunot tâche, quand même, de lui enlever la priorité dans la composition de la grammaire française. Il accorde cette priorité à Du Wez ( Giles Duwès ) dont la grammaire apparut après celle de J.Palsgrave, en 1532 ou 1533, mais qui, au dire de F. Brunot, « avait auparavant publié d’autres travaux grammaticaux, aujourd’hui perdus » [ T.2,p.125 ]. Le fait est qu’aujourd’hui personne ne se souvient de quelques travaux de Du Guez, tandis que la grammaire de Palsgrave est considérée comme un monument de la langue française.
Préfaçant l’édition de la grammaire de Palsgrave de 1852, F. Gémin nous raconte la vie de son auteur. Palsgrave reçut son éducation grammaticale à Londres, sa ville natale. Il étudia la logique et la philosophie à Cambridge, où il acquit le grade de bachelier ès arts, après quoi il se rendit à Paris. Il y consacra quelques années à l’étude de la philosophie et des sciences en général, et acquit du français une connaissance tellement approfondie, qu’en 1514, lors de la négociation d’un mariage entre Louis XII de France et la princesse Marie, soeur d’Henry VIII d’Angleterre, Palsgrave fut choisit pour enseigner le français à la future reine de France. Mais la mort de Louis XII ayant suivi de près son second mariage, Palsgrave rentra en Angleterre avec sa belle élève. Il devint le maître de français à la mode parmi la jeune noblesse, obtint un bon bénéfice ecclésiastique et fut porté sur la liste des chapelains ordinaires du roi.
La grammaire de Palsgrave étant destinée aux Anglais, fut écrite en anglais. Cet ouvrage fut composé, soit pour la Princesse Marie, soit pour d’autres élèves de la haute noblesse.
Palsgrave fut le premier qui imposa à la langue française des règles grammaticales, et tenta de les fixer par l’autorité des exemples. Composant sa grammaire, il prit pour modèle la grammaire de la langue grecque de Théodore de Guza, qui jouissait à cette époque de la plus haute réputation dans les écoles. Il profita aussi des travaux de ses devanciers qui traitaient des questions de grammaire française. Parmi ceux-ci ses critiques nomment Geoffroy Tory, Alexandre Barclay, Jacobus Vallensis et surtout Gilles Dewes (Guez).
La grammaire de Palsgrave ne comprenait d’abord que deux parties, l’une pour la prononciation, l’autre pour la grammaire proprement dite. Plus tard, sur le conseil de la duchesse Suffolk (princesse Marie), ancienne élève de Palsgrave, il ajouta à son ouvrage un troisième livre, contenant le lexique comparatif des deux langues, et servant de commentaire au second livre.
J. Palsgrave distingue dans sa grammaire 9 parties du discours dont cinq se conjuguent. Les parties du discours qui se conjuguent sont : verbe, nom, pronom, participe, article; celles qui ne se conjuguent pas sont : préposition, adverbe, conjugaison, interjection.
Verbe. Palsgrave se contente de dire que le verbe marque une action faite ou subite, et que, joint à un pronom personnel, il peut former un sens complet. Il classe les verbes en deux grands groupes : 1) verbes personnels; 2) verbes impersonnels (falloir).
Les verbes personnels se subdivisent, à leur tour, en verbes perfectifs, anomals et défectifs.
Les verbes perfectifs ont trois formes : 1) active (je bats); 2) passive (je suis battu) et 3) neutre (moyenne) (je me tais). Les formes actives ont trois conjugaisons : première en -er; deuxième en -yr; troisième en -re, - yr.
Les verbes actifs personnels ont dix accidents :
1. Le mode 6. La formation
2. Le temps 7. La composition
3. Le nombre 8. L’addition de particules : ne, pas, point etc.
4. La personne 9. L’ordre
5. La conjugaison 10. Les auxiliaires.
Il est facile de voir, que Palsgrave regroupe sous le terme “accident” différentes caractéristiques verbales de niveaux morphologique, syntaxique et même lexicologique.
Selon Palsgrave, le verbe a sept modes :
L’indicatif qui compte six temps : le présent, l’imparfait, l’indéfini (passé simple), le parfait (passé composé), le plus-que-parfait, le futur simple.
L’impératif (présent – parle! Parlons! ; futur – que je parle, que tu parles).
Le potentiel (présent – je parleroye; passé – je avroye parlé
Le subjonctif (présent, imparfait, plus-que-parfait, passé)
L’optatif (présent – bien parlé je; bien parlasse je)
L’infinitif (présent, passé )
Le conditionnel (si je parle!)
Dans la conception grammaticale de J.Palsgrave, le mode conditionnel n’a pas de temps par lui-même. Il les emprunte à l’indicatif , au potentiel et au subjonctif.
Palsgrave fait observer que le participe français ressemble sous certains rapports au verbe, et sous d’autres rapports à l’adjectif. Il subdivise le participe en actif (aimant, parlant) et passif (aimé, parlé). Il attribue aussi au participe une déclinaison : aimant-d’aimant-à aimant. Sur l’accord du participe passé il énonce deux règles qui sont celles du français moderne. Il veut qu’on fasse accorder le participe avec le complément direct qui le précède comme dans les phrases : Les lettres que je vous ai envoyées. Je l’ai aimée.
Nom. Suivant sa conception, les accidents du nom sont au nombre de six: 1) le genre masculin, féminin, neutre - guide, hôte; 2) le nombre: singulier, pluriel, paire - unes tenailles, unes lunettes; 3) la personne (il y en a trois); 4) la dérivation: mots primitifs – pomme; mots dérivés – pommie; 5) la composition: mots simples - père; mots composés - beau-père.