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Учебный год 22-23 / The Public Law-Private Law Divide

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General Introduction

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II. – UNE CONVERGENCE RÉCENTE

Pourtant, nos débats ont révélé, et les contributions réunies dans ce volume confirment que les deux systèmes se sont beaucoup rapprochés.

Les publicistes français ont pris conscience de tout ce que la distinction doit au dualisme juridictionnel, qui est une réalité contingente, non une vérité de nature. Certains d’entre eux au moins admettront que, si le contentieux administratif était confié aux juridictions ordinaires, rien ne dit que la distinction conserverait la fonction pratique qui est actuellement la sienne, dans la détermination du champ des procédures spéciales du contentieux administratif comme dans la détermination du contenu des règles applicables aux activités publiques.

De l’autre côté de la Manche, à la fois dans les procédures juridictionnelles et dans la doctrine, l’idée d’un droit public séparé a fortement progressé depuis les années 1970. Si elle a marqué le pas dans la période fortement libérale des années 1980 et du début des années 1990, elle s’est trouvée relancée avec l’adoption du Human Rights Act de 1998, et son entrée en vigueur en 2000. Il est apparu en effet que ce texte allait opérer comme un élément de droit public à la fois sur le plan théorique et sur le plan pratique. A cause de lui, de manière paradoxale, le droit des libertés fondamentales en est venu à être considéré comme une question de droit public de façon plus évidente encore en GrandeBretagne qu’en France.

En fin de compte, il apparaît qu’une vraie convergence est en train de s’établir, les deux droits tendant vers une position médiane dans laquelle la division du droit public et du droit privé n’est ni fanatiquement défendue, ni agressivement dénoncée, mais simplement considérée comme pertinente et moyennement riche de substance à la fois.

III. – L’EFFET DE BRASSAGE PROVOQUÉ

PAR LE DROIT EUROPÉEN

Cela étant, nous devons admettre, et les contributions réunies dans ce volume nous rappellent, que, s’il existe une convergence franco-britannique vers une vision « soft » et relative de la distinction, cette convergence est fondée sur un équilibre des choses qui n’est ni statique ni stable. Il se trouve en effet exposé à l’influence à la fois dynamisante et déstabilisante du droit européen, principalement du droit communautaire et de l’Union européenne, mais aussi du droit de la Convention européenne. Ces deux corps ou systèmes de droit ont en commun de ne pas être construits sur une division interne entre droit public et droit privé. Les normes de droit européen sont presque entièrement dans une position neutre à l’égard de la distinction. Dès lors, il fallait se demander jusqu’à quel point la pénétration du droit européen pouvait influencer le fragile statu quo qu’il nous semblait avoir repéré : se demander en particulier si son impact allait contribuer à rapprocher ou faire s’éloigner à nouveau le droit anglais et le droit français dans leurs approches de la distinction.

Dans l’ensemble, notre sentiment – confirmé par les différentes contributions dans lesquelles le droit européen est abordé – est que les normes issues

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The Public Law / Private Law Divide

directement ou indirectement du droit européen ont une tendance légèrement dominante à se ranger dans le versant du droit public au sein des systèmes nationaux, et à s’aligner sur les caractéristiques du droit public au sein des systèmes nationaux. Dans le système anglais, cela a pour effet de renforcer la distinction du droit public et du droit privé, dans la mesure où cela renforce l’idée selon laquelle le droit public constitue une part robuste du système juridique plutôt que, comme le suggère la tradition de la common law, un petit îlot sans cesse menacé dans un océan de droit privé. Paradoxalement, les juristes français pourront ne pas partager cette impression quant aux effets du droit européen, tant ils sont accoutumés à posséder un puissant corpus juridique de droit public, qui ne leur semble pas avoir besoin d’être renforcé. En même temps, la tradition juridique française comme la culture politique française considèrent avec une sympathie naturelle la constitutionnalisation croissante de l’Union Européenne et de son système juridique, alors que la tradition juridique et la culture politique anglaises continuent à préférer nettement le constitutionnalisme informel et non écrit.

IV. – LA DISTINCTION DU DROIT PUBLIC ET DU DROIT PRIVÉ

DANS LA GLOBALISATION

Dans les deux systèmes juridiques, donc, le processus d’européanisation soumet la distinction du droit public et du droit privé à des tensions, sur le plan politique comme sur le plan juridique. Mais, juste au-dessus de l’horizon, commençant déjà à être perceptibles dans le lointain, comme certaines des contributions le mentionnent, viennent les signes avant-coureurs d’autres évolutions dans le cadre desquelles la distinction pourrait devenir encore plus complexe et discutée. Ces évolutions découlent de la globalisation économique, du développement de marchés internationaux, concernant non seulement les biens, et les services transfrontaliers (comme les transports, ou les services financiers), mais aussi la fourniture des services publics dans les frontières nationales. Dans la mesure où des éléments de coordination supranationale de ces activités commencent à se développer – dans un sens de facilitation, mais aussi de régulation –, la question se posera de plus en plus, comme elle commence d’ailleurs à se poser dans le cadre communautaire, de savoir si les développements juridiques correspondants doivent être considérés comme appartenant à l’univers de la libre concurrence et du droit privé, ou à celui au sein duquel se déploient les préoccupations de constitutionnalité et de citoyenneté.

Il y a là de grandes questions pour ceux qui sont préoccupés de savoir comment, dans l’avenir, les préoccupations de libération des marchés se combineront avec celles du droit public, et de savoir quelle sera dans le futur la place de cet espace public traditionnellement primordial qu’est l’État-nation. Bien que les débats que l’on trouvera relatés dans les chapitres qui suivent se soient situés à un niveau plus microscopique, nous avons la faiblesse de penser qu’ils peuvent apporter, à l’analyse de ces questions, une petite contribution.

PART ONE/PREMIÈRE PARTIE

THE FRENCH VISION/APPROCHES

FRANÇAISES

10

The Public Law / Private Law Divide

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LE RÔLE DE LA DISTINCTION DU

DROIT PUBLIC ET DU DROIT PRIVÉ

DANS LE DROIT FRANÇAIS

Jean-Bernard Auby

La distinction du droit public et du droit privé est l’objet de débats périodiques parmi les juristes français. Régulièrement, des auteurs démontrent que les évolutions contemporaines la malmènent, font douter de ses fondements, de sa nature, parfois même de son avenir. On verra plus loin, sous la plume de Didier Truchet et Martine Lombard, la description des chocs que lui font subir la montée du droit de la concurrence dans la sphère publique, comme le développement de formes nouvelles de régulation publique. A chaque fois que ce type de chocs survient, se produit un moment d’hésitation chez les juristes français : sommes-nous toujours au clair avec cette vieille polarité ?

A chaque fois, cependant, au bout d’un moment, le soufflé des interrogations retombe, et la distinction rejoint le bastion des certitudes. Il y a en elle la force d’une réalité et d’une conviction profondément enracinées. Si bien que la meilleure question à se poser à son sujet est de savoir quel rôle elle joue réellement dans notre droit. C’est le seul moyen de comprendre la force de sa persistance.

Un outil intellectuel comme la division du droit public et du droit privé est susceptible de rendre deux sortes de services, alternativement ou cumulativement. Il peut avoir un rôle conceptuel, parce qu’il aide à décrire des polarités de l’ordre juridique, à identifier des valeurs qu’il comporte, à isoler des groupes de normes qu’il recèle, etc… Il peut aussi avoir un rôle pratique, parce qu’il aide à résoudre des problèmes concrets en déterminant des régimes, des procédures, la compétence de juges, etc…

Ce que nous allons voir est que la distinction du droit public et du droit privé joue, dans le droit français, l’un et l’autre de ces rôles. C’est de là qu’elle tire sa force. Ce qui ne veut pas dire que la manière dont elle remplit ces deux rôles ne l’expose pas à des crises, des interrogations récurrentes. Mais ces crises, ces interrogations récurrentes ne la mettent pas en cause fondamentalement.

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The French Vision/Approches françaises

I. – LE RÔLE CONCEPTUEL DE LA DISTINCTION

C’est dans ce rôle conceptuel tout spécialement que la distinction a le statut d’une vérité d’évidence. Les juristes français ne conçoivent en effet pas de décrire le système juridique, d’initier des étudiants à sa connaissance, d’en expliquer l’architecture générale, sans son secours. Son caractère indispensable à cet égard vient à la fois de ce qu’elle désigne une structure fondamentale de l’ordre juridique (A), et de ce qu’elle donne un nom au particularisme du droit applicable à l’État et à l’administration, en même temps qu’elle légitime ce particularisme (B).

A. – LA DISTINCTION DÉSIGNE UNE STRUCTURE FONDAMENTALE

DE LORDRE JURIDIQUE

On sait bien que la distinction du droit public et du droit privé nous vient du droit romain, mais que, le droit médiéval l’ayant ignorée, c’est l’âge classique qui nous l’a transmis1. Olivier Beaud montre plus loin comment elle s’est cristallisée dans la doctrine, au point de recevoir cette double consécration qu’ont constitué la création de la « Revue du droit public et de la science politique », en 1894, et celle du concours d’agrégation de droit public en 1897.

Elle repose sur l’idée selon laquelle l’ordre juridique, le système juridique, est fondamentalement divisé en deux sphères : celle qui tourne autour de l’État, et l’autre, qui concerne les rapports entre particuliers.

Elle a toujours eu ses opposants, qui ont critiqué ses fondements, l’ont jugée purement idéologique, impossible à appliquer (où classer le droit pénal, par exemple ?)… Mais même le plus célèbre d’entre eux, Léon Duguit, était conduit parfois à en faire usage dans ses propres analyses, ainsi que le montre Olivier Beaud.

L’enracinement de la distinction tient à un certain nombre de facteurs, parmi lesquels on peut notamment évoquer les suivants.

La distinction structure complètement l’enseignement français du droit, et la recherche française sur le droit. Les juristes universitaires sont publicistes ou privatistes – ou historiens du droit : mais alors ils sont en général soit historiens du droit public, soit historiens du droit privé –, pas l’un et l’autre. Comme l’a expliqué Charles Eisenmann dans un célèbre article, la distinction est fondamentalement une division d’objets d’étude et d’enseignement2.

Elle est appliquée aussi bien au droit international qu’au droit interne (elle sature complètement l’ordre juridique, dit Olivier Beaud). Il y a un droit international public, qui concerne les rapports entre États – et organisations internationales – et un droit international privé, qui a trait aux conflits de lois.

Elle revient rituellement sur le devant de la scène chaque fois que de grandes mutations juridiques se produisent. Lorsque se sont mises en place, après la seconde guerre mondiale, les bases juridiques de l’État-providence, alors certains

1V. par ex. M. Troper, Pour une théorie juridique de l’État, PUF, 1994, p. 193 et s.

2« Droit public et droit privé (en marge d’un livre sur l’évolution du droit civil français du XIXe siècle et du XXe siècle) », RD publ. 1952, p. 903.

Le rôle de la distinction du droit public et du droit privé dans le droit français 13

juristes – de droit privé – ont dénoncé un phénomène d’« invasion du droit public » : ce fut le cas, notamment, de René Savatier, dans un livre célèbre3 auquel réagissait l’article de Charles Eisenmann évoqué plus haut. Inversement, dans le passé récent, les privatisations d’entreprises publiques, les réformes de déréglementation, comme le développement de la pénalisation de la vie publique ont suscité chez certains auteurs des interrogations sur la possible « fin du droit public »4. L’examen des différentes hypothèses dans lesquelles le juge administratif applique maintenant les règles du droit de la concurrence et celle du droit de la consommation conduit un autre auteur à parler d’« immixtion du droit privé dans les contrats administratifs »5.

Ce qu’il y a de frappant est que ces débats sur la « fin du droit public », ou au contraire sur la « fin du droit privé » ont pour résultat de conforter la distinction : ils la confirment, montrent que son besoin est plus fort que jamais, comme l’a noté un auteur suisse6.

S’il en va ainsi, si tout ce qui paraît la menacer suscite d’importantes forces de rappel, c’est sans doute parce que la distinction a pour rôle d’habiller intellectuellement certaines polarités que les juristes français trouveraient difficiles de qualifier autrement, et qui sont très importantes dans leur vision des rapports entre l’État et la société. Du côté du droit public, il y a l’État, du côté du droit privé le marché. Le droit public est le monde de l’intérêt général, le droit privé celui de l’intérêt particulier. Le droit public est le droit du pouvoir, le droit privé celui de la société. Le droit public est l’affaire des gouvernants, le droit privé celle des gouvernés. Le droit public régit les services publics, le droit privé les activités privées. Etc…

En somme, la distinction reflète un partage politique et moral du monde, entre la sphère de l’intérêt public et la sphère de l’intérêt privé.

Lorsque le droit révèle des réalités à cheval entre les deux sphères, la distinction est déstabilisée, et doit se ressaisir. Ainsi, par exemple, lorsqu’il s’avère que, dans un domaine donné, l’État cumule des intérêts conflictuels en ayant des activités économiques dans des domaines qu’il est chargé de contrôler. Pour rétablir la distinction, il faut alors, comme le montre Didier Truchet, admettre que le droit de l’opérateur est droit privé, cependant que le droit du régulateur est droit public.

La distinction est déplacée, sans pour autant perdre sa pertinence.

3Du droit civil au droit public à travers les personnes, les biens et la responsabilité civile, LGDJ, 1945, 2e éd., 1950. V. J. Ghestin, « Droit public – droit privé. Institutions publiques – institutions privées. Le point de vue d’un privatiste », in P. Amselek (dir.), La pensée de Charles Eisenmann, Economica, 1986, p. 157.

4Par ex., J. Caillosse, « Droit public – droit privé : sens et portée d’un partage académique », AJDA, 1996, p. 955.

5M. Dreifuss, AJDA, 2002, p. 1373.

6P. Moor, Droit administratif, Editions Staempli + Cie SA Berne, 2e éd., 1994, p. 153.

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The French Vision/Approches françaises

B. – LA DISTINCTION DONNE UN NOM AU PARTICULARISME DU DROIT APPLICABLE À L’ÉTAT ET À LADMINISTRATION, ET ELLE LÉGITIME CE PARTICULARISME

Dans la contribution d’Olivier Beaud, se trouve rappelée cette formule de Montesquieu dans l’Esprit des Lois : « Il est ridicule de prétendre décider des droits des royaumes, des nations et de l’univers, par les mêmes maximes sur lesquelles on décide entre particuliers d’un droit pour une gouttière, pour me servir de l’expression de Cicéron ».

Pour les juristes français, en effet, il a toujours été évident que les relations juridiques impliquant l’État, et les autres institutions participant de la même nature juridique que lui, appelaient, au moins en partie, et même au moins en principe, l’application de règles spécifiques. Et ceci même en ce qui concerne les aspects de l’activité juridique publique qui ont leur équivalent dans le monde privé : des règles spécifiques s’appliquent non seulement à l’organisation particulière de l’administration – il peut difficilement en aller autrement –, mais aussi aux contrats de l’administration, aux biens de l’administration, etc…

Cela ne veut pas dire, cela n’a jamais voulu dire que l’ensemble du droit applicable à l’État et à l’administration serait spécial, différent du droit commun. En vérité, l’État et l’administration ne sont qu’en partie soumis à des règles spéciales : ils sont régis en partie par le droit commun, et en partie par des règles spécifiques7. Il existe même des domaines de l’activité administrative dans lesquels l’application des règles spéciales est minoritaire, dans lesquels, donc, l’application du droit commun domine : c’est ce à quoi correspondent la théorie et la réalité du service public industriel et commercial.

Il n’empêche que les activités administratives sont tout de même conçues comme relevant naturellement plutôt d’un droit spécial. La notion de service public industriel et commercial a toujours été très discutée, beaucoup considérant l’idée qu’elle recèle d’une activité publique normalement soumise au droit commun, comme une contradiction dans les termes.

Cela ne veut pas dire non plus que les règles spéciales qui s’appliquent à l’État et à l’administration soient nécessairement très différentes dans leur contenu de celles du droit commun. Parfois, l’on découvre qu’elles s’en éloignent moins qu’elles n’en ont l’air : la démonstration a été faite dans deux ouvrages classiques à propos des règles qui régissent la responsabilité administrative8 et à propos de celles qui gouvernent les marchés publics de travaux9.

Elles n’en sont pas moins nominalement distinctes de celles du droit commun. Elles en sont structurellement séparées, même lorsqu’elles ont un contenu très voisin.

7Cette idée d’une mixité du droit administratif est commune aux systèmes romano-germaniques : sur le cas du droit allemand, v. H. Maurer, Droit administratif allemand, LGDJ, 1994, n° 28 et s.

8R. Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée. Les influences réciproques des

jurisprudences administratives et judiciaires, LGDJ, 1954.

9 Fr. Llorens, Contrat d’entreprise et marché de travaux publics, LGDJ, 1981.

Le rôle de la distinction du droit public et du droit privé dans le droit français 15

A ce particularisme des règles applicables aux activités publiques, à cette séparation d’avec le droit commun, la distinction du droit public et du droit privé vient donner un nom. Elle rassemble dans une formule simple une réalité en vérité multiforme – les règles spéciales applicables aux activités publiques sont en vérité diverses dans leurs orientations, comme on le rappellera plus loin –, qu’il serait difficile de synthétiser autrement.

En même temps qu’elle donne un nom à ce particularisme, à cette séparation, elle le légitime parce qu’elle le met en rapport avec les polarités qui ont été évoquées plus haut – l’État et le marché, l’intérêt public et l’intérêt particulier, etc… –, avec les valeurs positives qui se situent du côté « public » de ces polarités.

Par là, l’existence de règles spéciales applicables aux activités publiques n’est pas seulement – loin de là – justifiée par la présence d’une autorité publique dans la relation juridique, ni même par ce qui fait la spécificité de l’État comme réalité juridique : la souveraineté, la puissance publique, l’équivalence avec l’ordre juridique, etc… Elle se trouve aussi – et surtout – expliquée par le fait que ces règles spéciales sont accordées aux différentes valeurs propres de la sphère publique : l’intérêt général, le service public…

II. – LE RÔLE PRATIQUE DE LA DISTINCTION

La distinction du droit public et du droit privé joue, comme on l’a signalé, un rôle concret dans le monde académique des juristes, qu’elle divise en deux clans ; elle divise également la formation des étudiants en droit en deux catégories de filières, « privatistes » ou « publicistes ». Mais le plus important n’est évidemment pas là.

Fondamentalement, son rôle pratique se déroule autour de deux axes. La distinction contribue à délimiter la compétence de certains juges, et par là même occasion le champ d’application de certaines voies de droit, de certaines procédures : c’est son rôle procédural (A). Elle contribue à déterminer des régimes juridiques, des règles de fond : c’est son rôle substantiel (B)10.

A. – RÔLE PROCÉDURAL :

LE LIEN AVEC LA DUALITÉ DE JURIDICTION

La fonction que remplit ici notre distinction peut être résumée simplement dans l’idée suivante. En présence d’une situation litigieuse impliquant une administration, ou une institution para-administrative, c’est normalement en déterminant la position de cette situation vis-à-vis de la distinction du droit public que l’on va déterminer si elle relève des juridictions administratives ou des juridictions judiciaires.

Cela veut dire que, si le litige a trait à un contrat, on va se demander si ce contrat est administratif (de droit public) ou de droit privé. Si est en cause un

10 Dans d’autres systèmes juridiques, elle peut remplir d’autres fonctions. Par ex., Pierre Moor signale (Droit administratif, op. cit., p. 148) que, dans le système helvétique, elle joue un rôle dans la délimitation des compétences normatives entre les différents niveaux de collectivités.

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The French Vision/Approches françaises

acte unilatéral, on va se demander s’il est un acte administratif ou un acte unilatéral de droit privé. Si le litige concerne un employé, on va se demander s’il est un agent public ou un salarié de droit privé. Etc…

Ce schéma comporte, il est vrai, des limites, qui sont loin d’être négligeables. D’abord, caractériser comme étant « de droit public » ou « de droit privé » est une opération plus facile à réaliser quand on a affaire à des actes juridiques que quand on est en présence d’opérations matérielles, comme c’est le cas souvent dans le domaine de la responsabilité administrative. Dans ce dernier cas, on est conduit à user d’une méthode indirecte, synthétique : c’est le service public dans le cadre duquel le dommage est survenu que l’on va considérer comme étant soumis au droit public (service public administratif) ou au droit privé (service

public industriel et commercial).

Ensuite, il existe un nombre non négligeable de cas dans lesquels c’est directement la loi qui décide que telle ou telle catégorie de litiges relève des juridictions administratives ou des juridictions judiciaires. Dans ces cas-là, il n’est plus nécessaire, pour déterminer la juridiction compétente, de se demander si on est du côté du droit public ou du côté du droit privé, si l’acte litigieux est administratif ou non, si le service est administratif ou industriel et commercial.

Enfin, il se trouve qu’il arrive parfois au juge administratif de faire application de règles de droit privé – certaines dispositions du code civil, par exemple –, cependant qu’il arrive parfois au juge judiciaire de faire application de règles du droit public – en matière de responsabilité de la police judiciaire par exemple11. Le principe selon lequel chaque juge applique les règles qui lui sont propres – dit principe de la liaison de la compétence et du fond – n’est pas absolu.

A cela il faut ajouter que, lorsque le Conseil constitutionnel, dans sa grande décision Conseil de la concurrence du 23 janvier 1987, a indiqué quelles sont les questions qui sont constitutionnellement réservées au juge administratif, il ne s’est pas référé à la distinction du droit public et du droit privé : il a indiqué qu’étaient en principe réservés à ce juge « l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif , leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ».

Tout cela n’enlève rien à la fonction d’aiguillage que joue la distinction. Même si le rattachement au droit public est plus ou moins simple à opérer, même si, parfois, il n’est pas nécessaire parce que la loi a elle-même déterminé la juridiction compétente, même si le principe de liaison de la compétence et du fond n’est pas absolu, il reste vrai que c’est en général en rattachant l’acte, le contrat, les travaux, l’agent, le bien… au droit public que l’on va décider que le contentieux engendré par cet acte, ce contrat, ces travaux, cet agent, relève des juridictions administratives. Et la notion de puissance publique, à laquelle se réfère le Conseil constitutionnel, est un critère – l’un des critères en vérité – dont

11 V. par ex. F. Raynaud, « Monisme(s) ou dualisme (s). France », RED publ., vol. 12, été 2000, p. 562.