- •III. - Colonies
- •Simone Weil (1909-1943) Écrits historiques et politiques
- •2. Deuxième partie : Politique
- •1960, 413 Pages
- •I. Guerre et paix
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- •II. Front populaire
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III. Colonies
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Fragment
(1938-1939 ?)
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La position et le prestige de la France en Europe ont considérablement diminué depuis Munich. Le gouvernement a préféré cet amoindrissement à la guerre, et il a eu mille fois raison. L'amoindrissement n'en est pas moins un fait. Pourtant la possession d'un vaste empire colonial lui permet de faire encore figure de grande puissance. Mais l'affaiblissement de sa position en Europe lui rend bien plus difficile la conservation de cet Empire. Je ne pense pas simplement aux anciennes colonies allemandes, dont on se préoccupe beaucoup trop. Il est possible que les prétentions allemandes à ce sujet soient un trompe-l’œil destiné à couvrir l'accomplissement d'autres visées politiques ; en tout cas, si l'Allemagne n'est pas provisoirement absorbée par l'expansion vers l'Est, ce qui est possible, ses ambitions coloniales sont certainement beaucoup plus étendues. D'une manière générale, l'Empire français est exposé aux convoitises. L'Italie tend les mains vers la Tunisie, le Japon vers l'Indochine ; il serait surprenant que l'Allemagne ne se souvînt pas un jour que la France a occupé le Maroc malgré elle et malgré le traité signé sous sa pression. Par malheur aussi l'Italie, l'Allemagne et le Japon sont précisément alliés. Personne, j'imagine, ne compte sur la Russie pour aider la France à conserver ses territoires d'Asie et d'Afrique. Malgré l'Angleterre, on peut dire que dans la situation internationale actuelle, l'Empire français est dès aujourd'hui en danger. Le problème pour la France est donc de chercher, en plus de l'alliance anglaise et de sa propre farce militaire, quels moyens elle peut mettre en œuvre contre ce danger.
À la force française et à la force anglaise, un troisième facteur pourrait seul servir d'appoint ; à savoir la volonté des populations colonisées de rester dans le cadre de l'Empire français. À cet égard, il ne se pose que deux questions, des questions bien précises. D'abord, cette volonté existe-t-elle dès maintenant, et est-elle portée au degré le plus haut où elle puisse parvenir ? Et si non, quelles mesures ont chance soit de la susciter, soit de la développer ?
La première question surtout est susceptible de donner lieu à des controverses. Pour beaucoup, il est criminel même de mettre en doute l'attachement des populations colonisées à la France. D'autres, à vrai dire peu nombreux, affirment qu'il n'y a pas d'attachement, mais une haine sourde et impuissante. L'une ou l'autre affirmation peut être vraie ; la vérité peut aussi être entre les deux, et plus proche de l'une ou de l'autre. La vérification directe est impossible, car les seuls qualifiés pour répondre, qui sont les intéressés eux-mêmes, n'ont pas le droit de s'exprimer, ou plutôt n'ont le droit de s'exprimer que dans un sens, ce qui ôte toute valeur à leur témoignage. Cette difficulté est la même que celle où l'on se trouve pour apprécier l'attachement au régime dans les États totalitaires ; là aussi on se trouve en présence d'affirmations contraires, émanant les unes et les autres de gens sérieux. Pourtant, en ce qui concerne les colonies, comme il s'agit d'une donnée essentielle d'un problème pratique et urgent, on ne peut se contenter d'un point d'interrogation. Le raisonnement, l'investigation des faits doivent permettre de former une opinion ferme qui serve de principe d'action.
Tout d'abord, ce que nul ne contestera, c'est que les populations des colonies sont des populations sujettes. Admettons pour l'instant qu'elles soient parfaitement bien traitées. Elles n'en subissent pas moins passivement le traitement que d'autres décident. Dans les pays dictatoriaux la population, si peu qu'elle ait à dire, est poussée par le patriotisme, par les organisations politiques, les groupements de jeunesse, par une technique de l'enthousiasme collectif, à imaginer avec plus ou moins de conviction une sorte de participation mystique à la dictature. Dans les colonies il n'existe et il ne peut exister aucun facteur de cet ordre...
Simone Weil : Écrits historiques et politiques.
Deuxième partie : Politique
